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Vie des entreprises

À Cofiroute, des agents mieux payés mais plus flexibles qu'à la Sanef

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.10.2002 | Anne Fairise

Course à la performance, flexibilité accrue, organisation bouleversée : telles sont les contreparties aux rémunérations élevées et autres avantages des salariés de Cofiroute, seul acteur privé du secteur. Rien de tel à la Sanef, où la gestion est plus administrative. Pour l'heure en tout cas, car la société figure parmi les privatisables.

L'hiver promet d'être rude à la Société des autoroutes du nord et de l'est de la France (Sanef). Non pas tant en raison des risques de verglas ou de chute de neige, monnaie courante pour les salariés qui veillent à la fluidité de la circulation et assurent l'entretien du réseau le plus septentrional de l'Hexagone. Plus que de Météo France, c'est du côté de Bercy qu'est attendue la dépression : l'entreprise, bientôt quadragénaire, dirigée par Pierre Chantereau, un haut fonctionnaire venu de l'Équipement, se sait en bonne place sur la liste des privatisations, comme SAPRR et sa filiale Area (réseaux Paris-Rhin-Rhône et Rhône-Alpes) ou ASF (réseau sud) dont 49 % du capital est en Bourse depuis mars. Une perspective qui n'enchante guère dans les gares de péage de Beaumont, Saint-Avold ou Hordain. Même si le sort du personnel de Cofiroute (Compagnie financière et industrielle des autoroutes), principal concessionnaire privé au côté de huit sociétés d'État, ne fait pas office de repoussoir.

Avec ses 195 millions d'euros de bénéfice net, la filiale du géant du BTP Vinci, actionnaire majoritaire depuis fin 2000, reste en effet la Rolls-Royce du secteur. Sa recette ? « La maîtrise des coûts des travaux et des prévisions de trafic », explique-t-on en interne. « Des tarifs de péage supérieurs au reste du réseau et moins d'obligations de construire des tronçons peu rentables », persiflent les concessionnaires publics. Reste que Cofiroute, dirigée par Dario d'Annunzio, un X-Ponts de 50 ans diplômé de Harvard, en fait profiter ses troupes, à commencer par ses agents d'exploitation, qui constituent plus des deux tiers des effectifs. Tant les receveurs qui se relaient 24 heures sur 24 dans leur minuscule cabine de péage pour encaisser les règlements – jusqu'à 200 par heure lors des pointes de trafic – que les ouvriers chargés de l'entretien et de la sécurité : salage, balisage des accidents, récupération d'objets ou même d'animaux sur les voies.

« C'est simple, nous sommes les mieux payés du secteur. Un receveur au péage gagne autant qu'un agent de maîtrise dans les sociétés d'État », relèvent les syndicats de la filiale de Vinci. Les fiches de paye 2001 de la Sanef ne résistent pas à la comparaison : en moyenne 1 662 euros brut, primes comprises, au péage, contre 1 822 euros chez Cofiroute. Même écart pour les agents de maîtrise, émargeant entre 1 743 et 1 998 euros brut à la Sanef, contre plus de 2 200 euros chez le concessionnaire privé. En outre, ces derniers, payés sur 13,2 mois, bénéficient d'une participation égale à deux mois de salaire, d'une complémentaire santé prise en charge à 65 % par l'entreprise, d'une prime de départ à la retraite, etc. Rien d'équivalent à la Sanef, même si le personnel cumule, depuis peu, intéressement et participation. Sans compter que le comité d'entreprise de Cofiroute distribue généreusement aux 2 040 salariés chèques-vacances, primes de rentrée scolaire, remboursements à 50 % des coûts de colonie de vacances. Comme en convient Alain Manoury, de la CFTC, « on peut difficilement exiger beaucoup plus ».

Appelés en renfort en pleine nuit

À sa décharge, la Sanef n'a guère de marges de manœuvre. Les salaires, comme tout accord impliquant que « la tutelle » mette la main à la poche, sont longuement négociés au niveau national pour les 15 000 salariés des concessionnaires publics, liés par un accord interentreprises (voir encadré page 44). Symptomatique ? Alors que Cofiroute applique depuis juillet les nouvelles dispositions sur le travail de nuit, qui gonflent encore la fiche de paye, les sociétés d'Etat jouent toujours la montre, en dépit des multiples rappels à l'ordre des centrales syndicales.

Plus généreux, Cofiroute vient même de contredire sa réputation de grand utilisateur de « contrats précaires », en ouvrant le dossier des vacataires. Des salariés pas comme les autres, certes en CDI à temps partiel, mais sans aucune visibilité sur leurs horaires, leur lieu d'affectation ou même leur paye. « Ils étaient taillables et corvéables à merci », note la CFDT. Passant d'une gare de péage à l'autre, abonnés au remplacement de dernière minute sur n'importe lequel des postes en trois-huit, appelés en renfort à la moindre hausse de trafic qui oblige, pour éviter les bouchons, à ouvrir plus de voies de péage… « Être réveillé en pleine nuit, à 4 heures du matin, pour prendre son poste une heure après, ça m'est souvent arrivé », commente un ex-vacataire. Une véritable aubaine pour Cofiroute qui en comptait, en 1999, un tiers (près d'un agent de péage sur deux) dans ses rangs… soit plus du double que la Sanef !

De fait, l'exploitant du réseau nord-est, bon élève, s'en tient à un plafond de 15 % d'intermittents : un « code de bonne conduite » en vigueur depuis des lustres dans les sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes (Semca), et sur lequel les syndicats ont l'œil rivé. Comme ils l'ont sur le nombre de saisonniers en CDD, des étudiants pour la plupart, appelés à la rescousse au péage pendant les chassés-croisés estivaux. Mauvais point là encore pour Cofiroute, qui en dénombre deux fois plus que la Sanef.

Mea culpa face à une gestion abusive ? L'exploitant privé a saisi l'occasion de la RTT pour améliorer le quotidien de ses vacataires, en les intégrant mieux à l'organisation. Ils y ont gagné des plannings connus six mois à l'avance contre sept jours à la Sanef, des services de 6 heures minimum contre 2 heures 30 sur le réseau nord-est, « un salaire mensuel garanti, ainsi que l'accès aux mêmes avantages sociaux que leurs collègues du péage », énumère Thierry Porra, de FO. « On est sorti de la situation de rupture permanents-vacataires qui subsiste dans les Semca. C'est une réforme de fond qui oblige, en outre, l'encadrement à anticiper », se félicite Jean-Louis Pelé, chef du département emploi de Cofiroute et bras droit du DRH, Jean-François Bourdeau. Comme toutes les sociétés d'État, la Sanef en est loin, même si elle a fait des efforts, elle aussi via la RTT. Désormais, ses intermittents bénéficient d'un bonus financier quand ils sont appelés « une heure ou moins avant la prise de poste » ou pour une poignée d'heures seulement… « C'est bien la moindre des choses. Plus les postes sont courts, plus cela entraîne de déplacements », remarque un intermittent nordiste.

Une RTT arrachée au forceps

Bien accueillie à la fin de l'année 2000 par les vacataires, la réduction du temps de travail n'en reste pas moins un vrai traumatisme pour les autres salariés de Cofiroute. Parce qu'elle marque, selon la plupart des syndicats, le passage à « une gestion purement financière » dans cette entreprise longtemps restée très paternaliste. « L'humain est passé à la trappe. Seuls les chiffres et la rentabilité comptent depuis que Vinci est devenu actionnaire majoritaire. » Le roi du BTP y a même gagné, sur le bitume du réseau ouest, le surnom peu flatteur d'« ogre » ! Un accord très minoritaire, paraphé par trois syndicats sur sept (CFDT, CFE-CGC et FO), une grève d'une semaine, une assignation devant le tribunal de grande instance de Nanterre pour vice de forme, l'obligation un an après de signer un nouvel accord (toujours minoritaire) : la RTT a été quasiment arrachée au forceps chez Cofiroute, jusqu'alors réputée pour sa paix sociale. « Avec les 35 heures, on a vécu la deuxième grève de l'histoire de la société », rappelle la CGT.

Une conflictualité qui n'a, cependant, rien de comparable avec celle des sociétés publiques, où le personnel est prompt à débrayer. Pour le plus grand plaisir des usagers, qui bénéficient généralement du péage gratuit ! Cette fois encore, il y a bien eu quelques mouvements sociaux lors des négociations nationales de l'accord-cadre interentreprises avalisé en mai 1999. Mais sa transposition, au niveau de la Sanef, s'est déroulée dans le calme. Il faut dire que le texte, signé fin 1999, a été approuvé par quatre des sept syndicats (CFDT, FAT-Unsa, CNSF et CGC). « Nous avons l'habitude de rechercher le plus large consensus pour conclure un accord », souligne Henry Laslandes, directeur de l'emploi et des audits à la Sanef.

Des jours de repos… travaillés

Tonalité très différente chez le concessionnaire privé. « L'accord RTT était l'occasion ou jamais de modifier l'organisation du travail. Il ne s'en serait pas représenté de sitôt », souligne Jean-Louis Pelé. Les rancœurs restent ici vivaces. « Deux ans après, certains collègues ne m'adressent toujours pas la parole », déplore un représentant de la CFDT, signataire de l'accord. Complexe, la nouvelle organisation concoctée avec le cabinet ACS a complètement chamboulé les conditions de travail. C'est une « construction juridique [qui] ne prend pas suffisamment en compte les réalités de terrain », concluait, acide, le cabinet Initiative Pluriels, chargé par le CHSCT de mesurer l'impact des 35 heures. En évoquant « des salariés complètement démoralisés », notamment dans les 46 gares de péage.

C'est là que le séisme a été le plus violent, les agents de péage en trois-huit étant depuis longtemps passés à 35 heures ! Certes, ils les ont troquées contre 33 heures 46 en moyenne. Mais le sentiment général est qu'il s'agit d'un bien pour un mal. Fini, le tour de service immuable depuis des années. « La direction l'a cassé. Les horaires fluctuent, le planning n'est annoncé que… six mois à l'avance. Et certains jours, appelés “disponibilité”, donnés comme off, peuvent être travaillés. Mais on ne le sait que la veille… en fonction des prévisions de trafic ! Et s'ils ne sont pas travaillés, la direction considère que ce sont des jours de RTT. On est à disposition. Comment prévoir quoi que ce soit dans ces conditions ? » s'emporte un agent de péage de la Mayenne, qui a quinze ans de maison derrière lui. « La nouvelle organisation répartit sur l'ensemble du personnel les contraintes assumées avant par les seuls vacataires », modère FO. « Certains agents de péage ont fait leur première nuit de Noël depuis 1974 », abonde Joël Gauthier, de la CFDT.

Les remous ont été bien moindres à la Sanef, où la majorité des syndicats danseraient presque de joie autour de l'accord RTT : « On a recruté, on travaille moins, et cela sans perdre de pouvoir d'achat. » Sur le réseau septentrional, les agents de péage postés en trois-huit, qui travaillaient plus qu'à Cofiroute avec des semaines moyennes de 37 heures 25, sont enfin passés aux 35 heures (avec un gain de onze jours de RTT), sans grande remise à plat de l'organisation.

Seule catégorie touchée, ici, par une « flexibilité supplémentaire » ? Les ouvriers chargés de la sécurité et de l'entretien, qui avaient des horaires quasi administratifs : 8 heures-17 heures sur cinq jours, alors que leurs confrères de Cofiroute se relaient, en deux-huit ou trois-huit. Les ouvriers de la Sanef n'ont pas eu le choix. La modulation horaire a été générale, sur une base de 1596 heures annuelles, mais avec un gain de vingt-cinq jours de RTT au passage. « L'équivalent de sept semaines de congé dans notre système ! » calcule, satisfait, Valère Lelièvre, de la Fédération autonome des transports (FAT), rattachée à l'Unsa. La contrepartie, c'est un travail en deux-huit et éventuellement le week-end. Et cette présence élargie sur le terrain permet à la Sanef de ne pas être en infraction avec la réglementation : « Nous avons réduit de 1/5 le nombre d'heures d'astreinte. Désormais, les salariés bénéficient de onze heures de repos (neuf en cas de circonstances exceptionnelles) entre deux jours de travail », note Henry Laslandes, le DRH.

Oubliée, cette disponibilité quasi totale exigée jadis, en soirée comme de nuit, parfois une semaine sur deux. Un accident, une chute de neige, et les salariés d'astreinte à l'année, pour certains logés en bordure d'autoroute, doivent être dans la demi-heure sur le lieu de travail. « La vie familiale en souffre. C'est vrai qu'il était difficile d'être réveillés deux ou trois fois par nuit, après une journée de boulot, et avec la perspective d'y retourner dès 8 heures du matin. Mais les astreintes, ça arrondissait bien les fins de mois », regrette un agent routier. Jusqu'à 40 % de salaire en plus. Un bonus maintenu pour l'instant : pour éviter la fronde, la direction a accordé une garantie salariale, calculée sur la base de la meilleure des deux années 1998 ou 1999, riches en chutes de neige et en tempêtes sur le réseau nord-est !

La maîtrise dans le collimateur

Chez Cofiroute, les agents de péage et les routiers n'ont pas été les seuls à subir des bouleversements. L'encadrement aussi a vu son organisation du travail modifiée en profondeur par un accord, uniquement signé par la CFE-CGC et SUD. L'échelle hiérarchique a été complètement revue, avec à la clé une recomposition des fonctions (encadrement ou expertise) et l'introduction de la polyvalence en haut de l'échelle. « Certains agents de maîtrise étaient promus non pour leurs compétences managériales, mais pour leurs compétences techniques éprouvées », indique Jean-Louis Pelé. Autant dire que ce ménage n'a pas été bien vécu, « des chefs d'équipe se retrouvant sous la responsabilité d'ex-collègues », commentent les syndicats. Autre point de crispation : les salaires. Pour l'instant, en dépit des changements de fonction, ils sont maintenus, mais certains diminueront progressivement en quatre ans.

« Quelques-uns perdront près de 300 euros par mois », tempêtent les syndicats, d'autant plus inquiets que la direction ne cache pas sa volonté de revoir la rémunération et de « mieux l'asseoir sur la performance ». « Elle veut faire de la maîtrise le fer de lance d'un nouveau style de management », analyse la CFTC. Significatif de tous ces changements, le nombre de démissions dans la filiale de Vinci a doublé depuis 1999. Mais le turnover reste néanmoins dérisoire… à 2 %.

Pas de risque, en revanche, de voir la Sanef adopter le management de la performance. Impossible de bousculer fonctions et hiérarchie comme à Cofiroute. À l'instar du secteur public, elles sont encadrées dans une grille de classification comptant 14 échelles. Et, comme pour les fonctionnaires, les salaires obéissent au dogme de l'indice. Nouveauté, depuis le dernier accord salarial interentreprises, les salariés des Semca, qui progressent à l'ancienneté, peuvent désormais se voir attribuer un bonus appelé « déroulement de carrière », sous forme de points d'indice supplémentaires. « Et donc voir reconnaître leurs compétences », s'enthousiasme Norbert Rogé, chef du service RH du GIE regroupant les exploitants publics. Mais le texte a mis fin à la « prime de gestion », intégrée au salaire de base. Un « outil de motivation » que regrette le DRH de la Sanef. Accordée en fin d'année, elle représentait 10 à 30 % du salaire de base.

Les salariés de la Sanef, jusqu'alors protégés, n'en doutent pas : une ouverture du capital se traduirait certainement par de nouvelles formes de flexibilité. Ils ont été attentifs aux déclarations du président des Autoroutes du sud de la France (ASF), partiellement privatisées en mars, qui se disait heureux de pouvoir accélérer le passage d'une « gestion de type administratif à une gestion dynamique ». À quelle vitesse et dans quelles proportions ? C'est toute la question.

Un secteur en pleine ébullition

Depuis la privatisation partielle des Autoroutes du sud de la France, le secteur est en ébullition. Qui sera le prochain sur la liste, et quand ? Les rumeurs vont bon train dans les sociétés d'économie mixte (Semca). Pour autant, il n'y a pas matière à parler de malaise social, selon Norbert Rogé, chef du service RH de SC Autoroutes, GIE regroupant les exploitants publics. « Une privatisation a certes des répercussions sur la gestion du personnel. Mais les salariés des Semca ne bénéficient pas, comme à EDF-GDF ou à La Poste, d'avantages spécifiques pour la retraite, la mutuelle, etc. Ce sont des salariés de droit privé. Et si la gestion RH des Semca a pu être proche de celle du secteur public, cela n'est plus le cas. » Cependant les évolutions capitalistiques des concessionnaires publics ne sont pas aujourd'hui le seul dossier « socialement délicat ». Il y a aussi la négociation d'une convention de branche étendue au secteur. Jusqu'alors, la convention inter entreprises liant les Semca en faisait un peu office. Problème, elle couvre de plus en plus de salariés (15 000 à présent) à mesure que les effectifs augmentent dans le secteur (+ 30 % depuis 1996), mais deux des huit Semca n'en relèvent pas, ni aucune des sociétés privées. Les plus grandes, telle Cofiroute, se sont dotées d'une convention d'entreprise. « Les plus petites n'en ont pas. Les syndicats sont demandeurs d'une convention de branche, donc d'un socle minimal, c'est la porte ouverte aux dérapages », reprend Norbert Rogé. Début 2003, les négociations seront lancées pour dix-huit à vingt-quatre mois. Elles risquent d'être mouvementées. « Négocier une convention de branche, c'est-à-dire un seuil minimal, en partant d'une convention interentreprises forcément plus avantageuse ? C'est aussi facile que de construire, après la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc, un nouveau tunnel », estime un spécialiste du secteur.

Auteur

  • Anne Fairise