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Repères

L'habile déminage de François Fillon

Repères | publié le : 01.10.2002 | Denis Boissard

Pour le gouvernement Raffarin, l'opération relevait du casse-tête. Comment revenir – comme promis – sur la RTT version Aubry, en ne touchant pas à la référence symbolique des 35 heures (considérée comme un acquis par bon nombre de salariés qui y ont goûté), sans s'aliéner le patronat ni se mettre à dos les syndicats, et tout en respectant l'engagement de laisser toute sa place au dialogue social ? Le bricolage a été laborieux. Il est en effet plus facile d'échafauder un dispositif aussi baroque que la réforme des 35 heures, ou d'en faire table rase, que de le démanteler en partie pour tenter de lui donner une nouvelle assise. L'édifice qui en résulte est loin d'avoir l'élégance d'un palais Renaissance. Mais force est de reconnaître que François Fillon a louvoyé plutôt habilement entre les attentes contradictoires des uns et des autres.

Première tâche à laquelle s'est attelé le démineur Fillon :

déverrouiller la bombe des six smics, léguée par Martine Aubry. Selon qu'ils sont toujours à 39 heures ou qu'ils sont passés à 35 heures telle ou telle année, les smicards touchent six salaires différents. Une situation intenable: outre qu'elle porte allégrement atteinte au principe « à travail égal, salaire égal », cette différenciation est incompréhensible pour les intéressés. Le taux horaire du smic sera donc ramené d'ici à la mi-2005 au niveau de la garantie mensuelle la plus haute octroyée aux smicards passés à 35 heures. Soit, en trois ans, une hausse de 15 à 17 %, selon l'inflation. Une facture plutôt salée. Fillon aurait pu temporiser ou en profiter pour réformer le smic – par exemple en l'annualisant, comme le réclamait le Medef –, mais l'occasion était trop belle pour ne pas se concilier les bonnes grâces des syndicats avant d'aborder le sujet qui fâche, la RTT proprement dite. Seule consolation pour les entreprises concernées : le nouveau dispositif d'allégement des charges, qui fusionne la ristourne Juppé avec les aides Robien et Aubry, sera concentré sur les bas salaires et déconnecté de la durée du travail. Les grandes entreprises y perdront un peu, au profit des PME employant du personnel peu qualifié.

Second chantier de l'équilibriste Fillon :

le démontage du Meccano Aubry II, réclamé avec impatience par le patronat. Pas question, bien sûr, de remettre en cause la référence emblématique aux 35 heures. Le gouvernement Raffarin a donc procédé comme, en son temps, le gouvernement Balladur avec la retraite à 60 ans : le symbole est toujours là, mais de multiples artifices permettent de le contourner. Pas question non plus de faire fi de la négociation entre les partenaires sociaux, ainsi que le souhaitait le Medef. Comme il était néanmoins difficile de demander aux syndicats de brûler ce qu'ils ont adoré, le ministre du Travail a choisi une voie médiane : un décret transitoire (et non définitif, tel que le réclamait le patronat) allonge le contingent d'heures sup de 130 à 180 heures jusqu'en juillet 2004, à charge pour les branches de négocier un volume plus, ou moins, élevé, voire une majoration moindre de ces heures (sans toutefois descendre en dessous de 10 %).

La manœuvre est habile. Elle valide les accords de branche conclus avant la loi Aubry II qui stipulaient un contingent voisin de 180 heures ou supérieur, jusqu'alors inapplicables. De surcroît, si le contingent légal reste à terme fixé à 180 heures – hypothèse vraisemblable –, il permettra aux entreprises de revenir ou de rester à une durée effective de 39 heures, moyennant un surcoût modique (une heure de salaire en plus par semaine) pour celles qui n'ont pas encore franchi le pas de la RTT, mais nettement plus élevé pour les autres (cinq heures de salaire en plus).

La réforme Fillon comporte d'autres outils de contournement des 35 heures

Ainsi, la période transitoire permettant aux entreprises de moins de 20 salariés de majorer de 10 % seulement leurs heures supplémentaires est repoussée de trois ans. Ainsi, les jours de RTT non pris accumulés dans un compte épargne temps pourront être liquidés financièrement par l'employeur, sans donner lieu à congés supplémentaires. Ainsi, la définition du cadre autonome en forfait jours est considérablement assouplie.

En évitant de remettre en cause frontalement les 35 heures, en donnant des gages aux uns et aux autres, quitte – mais c'était inévitable – à mécontenter un peu tout le monde, François Fillon a ménagé l'avenir et sans doute un climat social propice aux prochaines réformes. Mais à quel prix ? D'une certaine façon, la loi Fillon entérine la création d'un salariat à deux vitesses : d'un côté les 8,5 millions de salariés des grandes et moyennes entreprises et les 4,5 millions de fonctionnaires qui bénéficient des 35 heures et y demeureront (un retour en arrière serait trop coûteux socialement et financièrement) ; de l'autre les 7 millions de salariés des petites unités qui resteront scotchés à 39 heures. Qu'on soit ou non favorable à la RTT, l'objectivité conduit à pronostiquer que les petites entreprises auront, à l'avenir, de plus en plus de mal à attirer cadres et jeunes diplômés.

Auteur

  • Denis Boissard