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Politique sociale

Comment le bon vieux 1 % logement a sauvé sa peau

Politique sociale | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.10.2002 | Stéphane Béchaux

Ponctionné par l'État et détourné de sa vocation première, le 1 % logement était donné pour mort il y a cinq ans. Grâce à une reprise en main par les partenaires sociaux, à une refonte des aides aux salariés et à un grand ménage parmi les collecteurs, il s'offre une seconde jeunesse. Et renforce son action dans le locatif social.

Des organismes collecteurs bénéficiaires de véritables rentes de situation ; des pouvoirs publics prompts à ponctionner les caisses, des prêts distribués de façon assez anarchique et, au final, des salariés souvent privés d'accès au logement : voilà le tableau peu reluisant qu'offrait, il y a peu, le 1 % logement, ce mode de financement assis sur une cotisation patronale fixée, à l'origine, en 1953, à 1 % de la masse salariale. De cette période peu glorieuse ne subsiste que la crainte, récurrente à chaque session budgétaire, d'un prélèvement de dernière minute, décidé par le gouvernement pour boucler son projet de loi de finances. L'an dernier, à pareille époque, on a prêté à Laurent Fabius l'intention de puiser 1 milliard d'euros dans les caisses. Le ministre de l'Économie et des Finances de Lionel Jospin s'est finalement ravisé. « Le 1 % logement est le nœud d'un affrontement entre Bercy, qui a tendance à considérer que cet argent réglementé lui appartient, et les partenaires sociaux », remarque François-Didier Lemoine, directeur général de l'Agence nationale pour la participation des employeurs à l'effort de construction (Anpeec).

Résultat, le secteur se demandait régulièrement à quelle sauce il allait être mangé. « Le 1 % logement était un mouton que, chaque année, l'administration venait tondre », se souvient Jean-Luc Berho, chargé, pour la CFDT, de négocier avec les pouvoirs publics. Des chiffres ? 2 milliards de francs ponctionnés en 1993 et 1994 pour favoriser l'accession sociale à la propriété, 1 milliard en 1995, 900 millions en 1996 et… 7 milliards en 1997 et 1998 pour subventionner le prêt à taux zéro, belle invention sociale du gouvernement Juppé, financé à bon compte ! Un véritable hold-up, resté en travers de la gorge des acteurs de l'époque. « On n'était pas à la rue, mais ça représentait quand même deux années de collecte », souligne Bertrand Goujon, alors directeur général de l'Unipec, l'un des gros organismes collecteurs du 1 %.

Une cagnotte de 2,7 milliards

Il faut dire que la cagnotte des comités interprofessionnels du logement (CIL) et autres chambres de commerce, chargés de la collecte, a de quoi faire saliver les grands argentiers de l'État. En 2001, la contribution des quelque 175 000 entreprises de plus de 10 salariés au financement du logement de leurs salariés a atteint 1,24 milliard d'euros. Si on y ajoute le milliard et demi provenant des remboursements de prêts, ce sont plus de 2,7 milliards d'euros qui sont tombés dans leur escarcelle. Une somme astronomique, qui aurait pu l'être plus encore si les pouvoirs publics n'avaient diminué de moitié, au cours des vingt dernières années, la participation des employeurs. Au lieu de 1 % de la masse salariale, elle ne représente plus, depuis 1992, que 0,45 %. La différence ? Elle est presque intégralement partie dans la poche de l'État et alimente le Fonds national d'aide au logement (Fnal), l'organisme qui finance l'allocation de logement sociale (ALS). Une initiative louable, mais qui n'a rien à voir avec l'objet du dispositif.

À la fin des années 90, cette vache à lait n'était pourtant pas loin de rendre l'âme. « Il y a eu, à l'époque, un vrai débat au sein du CNPF entre ceux qui, par idéologie ou lassitude, voulaient tout lâcher, et les pragmatiques, pour qui le logement des salariés restait une préoccupation forte », explique un interlocuteur patronal. Les seconds ont fini par l'emporter. En 1996, la création de l'Union d'économie sociale du logement (UESL) signe le début de la reprise en main du dispositif par les partenaires sociaux. Dans cette nouvelle structure, ils ont la haute main pour négocier avec l'État les politiques d'affectation des fonds. Les collecteurs, eux, n'ont plus qu'à s'exécuter. « Avant, il n'y avait aucune maîtrise nationale de leur activité. Chaque directeur de CIL était un seigneur dans sa cour, note Michel Dusart, administrateur CGT de l'UESL. Tout a changé aujourd'hui : l'UESL est devenue la maison mère, et les collecteurs des succursales. »

L'acte fort de ce changement d'époque a lieu pendant l'été 1998, avec la signature d'une convention quinquennale, complétée et prorogée en 2001, qui régit toujours le 1 % logement. « Avec cette convention, les partenaires sociaux se sont dotés d'un cadre stable et pérenne sur plusieurs années », souligne Bertrand Goujon, directeur général de l'UESL. Le texte clarifie les relations financières entre les pouvoirs publics et les collecteurs qui, contre la promesse de ne plus contribuer au financement du prêt à taux zéro à partir de 2003, acceptent de verser 2,5 milliards d'euros supplémentaires entre 1999 et 2002.

Une variable d'ajustement social

Mais la vraie révolution de la convention, c'est du côté des aides aux salariés – totalement modifiées – qu'il faut la chercher. à l'époque, avec la baisse des taux bancaires et la création du prêt à taux zéro, les partenaires sociaux ont en effet considéré que les prêts « 1 % patronal » à l'accession à la propriété avaient perdu une bonne partie de leur attrait. En plus, le dispositif n'atteint pas toujours sa cible : les collecteurs rechignant à prêter au-delà de sept à dix ans, ce sont souvent les salariés les plus aisés, capables de s'endetter à court terme, qui en bénéficient. « Le seul véritable intérêt du prêt 1 %, c'était qu'il rentrait dans l'apport personnel », précise Michel Caron, alors secrétaire national chargé du logement à la CFDT. Conséquence, l'enveloppe globale qui est destinée au prêt à l'accession est fortement réduite : de 870 millions d'euros en 1999, elle dégringole à 488 millions d'euros cette année.

À la place des prêts classiques au logement, l'UESL lance deux nouvelles aides, qu'elle juge plus adaptées à l'évolution de la société et aux nouveaux besoins des salariés : le Loca-Pass et le Pass-Travaux. La première, qui vise à faciliter l'accès des salariés au logement locatif, permet de financer gratuitement la caution d'entrée dans les lieux. Elle garantit aussi au propriétaire, en cas d'impayés, les loyers et les charges pendant dix-huit mois. La seconde, le prêt Pass-Travaux, permet aux salariés propriétaires d'emprunter jusqu'à 8 000 euros – 9 600 pour les ménages les plus modestes – pour financer des travaux dans leur logement.

Innovation supplémentaire, ces deux nouvelles aides, qui s'adressent désormais aussi aux salariés des PME non cotisantes, sont considérées comme des « droits ouverts ». Autrement dit, tout salarié y a droit, pour peu qu'il réponde aux critères d'attribution. « C'est une avancée considérable, juge Bernard Loth, administrateur FO à l'UESL. Avec les droits ouverts, on a déconnecté les aides au logement du contrat de travail, et donc du bon vouloir du patron ou du DRH. » Une mesure qui n'aurait pas fait plaisir à tous les employeurs, notamment à ceux qui voyaient dans les prêts au logement une « variable d'ajustement social » pour récompenser les plus méritants ou faire pression sur les autres. « Les prêts à l'accession étaient distribués de façon arbitraire », renchérit Michel Dusart (CGT). Ce que dément Christian du Châtelier, directeur général de Solendi, le plus gros CIL : « Notre profession est très réglementée, rappelle-t-il. En plus, dans l'entreprise, les demandes passent par une commission paritaire. »

Après des débuts très poussifs, en 1999 et 2000, le Loca-Pass et le Pass-Travaux ont trouvé leur public. L'année dernière, 280 000 locataires – dont 60% avaient moins de 30 ans – ont eu recours au premier. Les collecteurs, qui se sont vu assigner par l'UESL des objectifs de distribution planchers, ont consacré 135 millions d'euros aux dépôts de garantie et engagé 1 milliard d'euros pour garantir les loyers. De même, plus de 100 000 salariés ont bénéficié du Pass-Travaux pour améliorer leur logement, le prêt moyen atteignant environ 6 000 euros. Depuis le printemps 2001, un nouveau produit en « droits ouverts » est même venu compléter l'offre : le Mobili-Pass. Il s'agit d'une subvention destinée à répondre aux besoins des salariés qui, à la suite d'un déménagement pour raison professionnelle, ont un double loyer à payer. D'un montant maximal de 1 600 euros, elle peut être doublée, à la demande de l'entreprise.

Éviter les dérives du passé

Ce tout nouveau champ d'intervention, auquel le 1 % entend consacrer 76 millions d'euros par an, ne fait pas l'unanimité, notamment auprès des agences qui proposent des services d'accompagnement de la mobilité. « Ce type d'aide n'a plus rien à voir avec l'objet initial du 1 %, accuse Bernard Martelet, fondateur de Move In. Et il devient plus difficile de vendre des prestations aux entreprises si elles peuvent désormais accompagner la mobilité de leur personnel sans bourse délier. » Une critique que l'UESL balaie d'un revers de main, en expliquant que fluidifier le marché du travail relève aussi de son rôle.

L'organisme met la dernière main à de nouveaux services relatifs à l'accompagnement de la mobilité professionnelle, au conseil en financement de la résidence principale et à l'assistance au logement des salariés en difficulté. Une offre que les collecteurs devront tous proposer, en respectant un certain nombre de règles pour éviter les dérives du passé (voir encadré). La dernière grande mutation, qui date de l'an dernier, concerne le financement du logement locatif social. Le constat est particulièrement sévère : sur 840 000 logements réservés, globalement, par les acteurs du 1 %, moins de la moitié sont véritablement occupés par des salariés des entreprises cotisantes. La faute à l'obsolescence de certains appartements, à la dégradation de nombreux quartiers, mais aussi aux politiques d'attribution opaques des bailleurs sociaux. « On participe à des constructions qui ne retournent pas aux salariés. On paie, et on n'a rien en face », dénonce Jean-Luc Berho, vice-président CFDT de l'UESL. En outre, les 686 millions d'euros que les collecteurs provisionnent chaque année ne sont jamais intégralement dépensés, faute d'une demande suffisante des organismes constructeurs.

De l'argent pour l'Agirc et l'Arrco

Les partenaires sociaux ont donc décidé de prendre le taureau par les cornes. Pour contribuer à la revitalisation des quartiers dégradés, ils ont investi, cette année, plus de 200 millions d'euros dans des opérations de démolition-reconstruction, moyennant des compensations foncières. Un montant qui devrait plus que doubler l'année prochaine, à 457 millions d'euros, si les programmes suivent. Autre initiative : l'UESL a pris le pari de faire construire et de gérer par elle-même des logements à destination des salariés. D'où la création d'une association paritaire, la Foncière Logement. Financée, à terme, par le 1 % à hauteur de plus de 1 milliard d'euros par an, elle sera chargée de faire réaliser des programmes de construction dans les quartiers difficiles, mais aussi dans les communes aisées qui n'atteignent pas le quota de 20 % de logements sociaux prévu par la loi SRU (solidarité et renouvellement urbain).

Les 10 000 à 15 000 logements qui devraient sortir de terre chaque année à partir de 2006 seront attribués, par tiers, à des salariés en grande difficulté financière, à ceux à revenus modestes et aux autres, sans problèmes pécuniaires particuliers. « La Foncière n'a pas vocation à devenir le premier propriétaire foncier de France, mais à réintroduire de la mobilité pour les salariés et à répondre aux besoins locatifs », souligne Michel Caron, membre du comité permanent. Au bout de quinze à vingt ans, les logements seront vendus aux salariés, et proposés en priorité à leurs occupants. Les sommes ainsi dégagées – on évoque le chiffre de 2,3 milliards d'euros ! – serviront à alimenter les caisses des organismes de retraite complémentaire, l'Agirc et l'Arrco. On ne pourra plus dire, alors, que le 1 % logement ne profite pas aux salariés !

Coup de balai

« En deux ans et demi, je n'ai vu passer que des bricoles. L'objet à investiguer a perdu beaucoup de ses pratiques douteuses », affirme François-Didier Lemoine, directeur général de l'Anpeec, l'organisme chargé, depuis 1987, de contrôler l'activité des collecteurs du 1 % logement. Tous les professionnels s'accordent en effet à reconnaître que le secteur s'est largement assaini. Une situation toute récente : les deux dernières grosses affaires n'ont trouvé leur épilogue qu'en 1999. La première concernait L'Habitation française, un collecteur des Hauts-de-Seine qui avait, entre autres irrégularités, mis gratuitement à la disposition de plusieurs administrations des réservations locatives financées sur les fonds du 1 %. Montant du préjudice : 5,64 millions d'euros. Le collecteur a, depuis, été absorbé par un autre CIL, pour former l'Ocil 92. L'autre dossier concernait l'AIAC, un gros collecteur lorrain. Son directeur général exigeait des salariés qui voulaient bénéficier d'un prêt 1 % qu'ils fassent appel à sa propre société commerciale, Logefi, pour le financement de leur prêt principal. La mise au jour des dérives s'est conclue par la rupture complète des relations entre les deux entités et la démission du directeur indélicat. Outre les contrôles de l'Anpeec, d'autres facteurs expliquent le retour dans les clous des collecteurs. Leur concentration – ils sont passés de 257 en 1990 à 157 en 2001, et le mouvement n'est pas terminé – a contribué à leur professionnalisation. De même, la mutualisation d'une grande partie des fonds au sein de l'UESL a rendu moins âpre le combat qu'ils se livraient, avec tous les risques de dérives possibles, pour attirer la collecte des entreprises. Enfin, la mise en place, lors de la convention de 1998, d'un ratio mesurant le coût de fonctionnement de chaque collecteur les a obligés à se serrer davantage la ceinture, qu'ils avaient très lâche…

Auteur

  • Stéphane Béchaux