logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

Les syndicats investissent les réseaux

Dossier | publié le : 01.10.2002 | S. D.

Les grandes entreprises commencent à partager leur réseau interne avec les organisations syndicales. Mais les accords restent encore timides et l'intérêt des intranets syndicaux limité.

« Il faut en être. » Par cette formule lapidaire, Lucien Mérel, délégué central Force ouvrière chez Renault, résume bien le sentiment général des syndicats sur les intranets. Tels des adolescents à l'affût du dernier portable à la mode, les syndicalistes se ruent sur le réseau interne de leur entreprise, parfois sans trop savoir ce qu'ils vont bien pouvoir en faire. Depuis que la firme au losange a entrouvert son intranet à ses partenaires sociaux en 2000, la CFDT, la CGC et FO tentent d'alimenter leur site. La CGT, qui, dans un premier temps, a refusé de signer l'accord, n'a pas encore suivi le mouvement, et le site de la CFTC est encore en construction. En surfant sur celui de FO, le salarié peut y trouver des informations sur les derniers accords négociés, les barèmes de rémunération, les 35 heures, la retraite, etc. Sans oublier le traditionnel bulletin d'adhésion. « Les salariés et nos adhérents nous prendraient pour des ringards si nous n'étions pas sur l'intranet, constate Lucien Mérel. C'est aussi un outil de communication supplémentaire qui nous permet de démultiplier l'information. Et, grâce à lui, les salariés -coupés de nos représentants peuvent aisément nous contacter. » Surtout, l'intranet peut permettre à des syndicats en perte de vitesse d'élargir leur audience et de toucher un public traditionnellement éloigné : les cadres, bien sûr, mais aussi les jeunes, plus sensibles aux nouvelles technologies. « On gagne aussi en réactivité. On peut connaître dans la journée le sentiment des équipes sur les négociations salariales en cours, souligne Michel Magne, délégué syndical CFDT à Sollac Méditerranée, une filiale d'Usinor. Et, pour mobiliser les troupes, c'est fabuleux ! On en a pris conscience quand on a lancé un appel via notre site entre les deux tours de l'élection présidentielle. »

France Télécom a ouvert le feu

Si aucun texte ne contraint les employeurs à ouvrir leur intranet aux représentants des salariés, plusieurs grandes entreprises soucieuses de leur image sociale ont franchi le pas. C'est France Télécom qui a ouvert le feu en 2000, suivie de près par le spécialiste de l'ingénierie pétrolière Technip France, Renault, Sollac Méditerranée, Atos. Récemment, IBM France, deux filiales d'Alstom et Accor se sont ajoutés à la liste. En réalité, nombre de ces entreprises ont compris qu'elles avaient intérêt à laisser les cybersyndicalistes s'exprimer sur leur intranet, sous peine de les voir militer sur le Web. Au moins tentent-elles de cette manière de contrôler l'information qui circule en interne. « Des entreprises communiquent déjà beaucoup via les messageries électroniques. Elles ne voient pas tellement comment elles pourraient empêcher les représentants de salariés d'en faire autant, observe Karine Boullier, directrice d'études à Entreprise et Personnel. Autoriser les panneaux d'affichage virtuels en interne est un moindre mal car elles maîtrisent les règles du jeu. Ce n'est pas le cas avec Internet, où les syndicats créent des sites contestataires visités aussi bien par les salariés et les journalistes que par les actionnaires. »

Les intranets deviennent ainsi un nouvel enjeu du droit syndical. Et c'est souvent les entreprises qui privilégient le dialogue social qui sont les plus souples. Ainsi, chez Sollac Méditerranée, les syndicats maison disposent d'un accès à l'intranet à faire pâlir d'envie maintes organisations. Ratifié en février 2001 par les cinq organisations syndicales représentatives, l'accord est considéré comme l'un des meilleurs du genre. « Si les envois en masse sont interdits, nous pouvons constituer des listes de diffusion pour toucher les salariés consentants, récapitule Michel Magne. La direction n'a pas limité non plus la place allouée et nous pouvons organiser le contenu de notre site à notre convenance. Les salariés peuvent, par exemple, nous poser des questions et consulter les dossiers sur la formation ou l'amiante. » Chez IBM, en revanche, une entreprise censée être à la pointe des nouvelles technologies, la direction s'est arrangée pour rendre le chemin d'accès tellement tortueux qu'il faut faire preuve de beaucoup de patience pour dénicher les tribunes syndicales.

Plus généralement, les entreprises, dans un dernier réflexe sécuritaire, posent bon nombre d'interdits. Après avoir effectué une étude approfondie sur la mise en place d'intranets syndicaux, Accor a finalement accouché d'une souris. Dans sa charte, signée en mai dernier par la CFDT, la CGC, la CGT et FO, le groupe hôtelier interdit en vrac : l'interactivité, la création de liens vers Internet, la diffusion de tracts par messagerie, la diffusion de documents en grand nombre, les forums et causeries interactives. La plupart du temps, les entreprises se réservent le droit de mettre fin à l'expérience, en cas de dérapage.

Syndicats et directions ne sont d'ailleurs pas au bout de leurs peines. Car certains intranets syndicaux ont déjà défrayé la chronique judiciaire. En 1998, la direction de Bull, qui avait partagé son intranet avec la seule CGC, a été condamnée pour discrimination syndicale par le tribunal de Versailles. Même sanction pour Renault, qui a été jugé en mai dernier pour avoir refusé l'accès de son intranet à la CGT, non signataire. Une décision sans appel qui a d'ailleurs incité la direction de Renault à réviser sa position. Le 29 mai dernier, elle proposait une deuxième version, paraphée cette fois par l'ensemble des syndicats. « L'accord est nettement plus intéressant. D'abord, parce que la capacité des sites syndicaux est doublée et passe de 30 à 60 mégaoctets, se félicite Philippe Martinez, délégué central CGT. Surtout, nous pouvons maintenant répondre aux e-mails des salariés et créer des liens avec le site de notre confédération. » Chez Technip France aussi, syndicats et direction ont croisé le fer en mars 2001. Cette dernière a exigé que la CFDT et la CGT – non signataire de l'accord – coupent illico les liens hypertextes qu'elles avaient créés avec plusieurs sites Internet. Parmi eux, celui de leurs confédérations respectives, du ministère du Travail, mais aussi d'Attac… Si la CFDT s'est résignée, la CGT, en revanche, a résisté. Du coup, en pleine nuit, l'entreprise s'est chargée de la besogne, s'attirant la colère des cégétistes qui ont décidé de porter l'affaire en justice.

Un investissement peu rentable

L'interdiction de liens hypertextes avec les sites des fédérations fait également partie des critiques formulées par les syndicats à l'adresse de France Télécom. « Des accords comme le nôtre mériteraient d'être révisés car ils sont vraiment trop restrictifs », critique également Nicole Baudry, à la Fédération unifiée des postes et des télécoms CFDT.

Reste à mesurer la portée véritable de ces intranets pour les salariés. Quel peut être leur impact sur les ouvriers qui, la plupart du temps, ne disposent d'aucun moyen de connexion sur leur lieu de travail ? « Ces sites s'essoufflent assez rapidement car les salariés ne les visitent qu'en cas de besoin. Et encore ! Les anciens restent hermétiques aux nouvelles technologies », constate Serge Chantreuil, secrétaire syndical CFDT de Technip France. D'autant que beaucoup de syndicats proposent un contenu pauvre et rarement réactualisé. Au pire, ce nouvel outil risque de desservir les intérêts des syndicats, qui utilisent leurs heures de délégation pour un maigre résultat. « Les intranets sont de faux amis pour les syndicats. Ces derniers y consacrent du temps alors qu'ils ne sont guère visités. Ce n'est pas un investissement très rentable », estime Karine Boullier. Rien, pas même le dialogue virtuel, ne semble pouvoir remplacer à l'heure actuelle la présence aux sorties d'usine et les poignées de main…

Auteur

  • S. D.