L'informatique va mal, mais le marché RH surnage ! Selon une estimation récente du Business Intelligence Group, les marchés de l'informatique liée aux RH enregistrent une croissance annuelle de plus de 20 %. Et la dernière enquête de Markess International évalue la dépense totale des entreprises françaises en applications e-RH à 2 500 millions d'euros pour la période 2002-2004, soit près de 16 % de l'ensemble de la dépense des entreprises en applications e-business, tous domaines confondus. Si la gestion des ressources humaines a longtemps été absente dans l'utilisation des NTIC, elle est en train de rattraper le temps perdu.

« Concrètement, on trouve encore une majorité d'intranets généralistes, explique Bernard Mercier, directeur de la qualité chez Cedar, un spécialiste du conseil en organisation et système d'information. Certains n'ont pas encore de rubrique RH et diffusent des informations basiques et peu ciblées. Mais les investissements prévus par les entreprises sont massivement destinés à la création de portails RH qui donnent accès à toutes les fonctionnalités dont un salarié ou un manager ont besoin. » L'enquête 2001 de Cedar sur les libres-services et portails dédiés aux ressources humaines fait apparaître que plus de 75 % des DRH et dirigeants européens interrogés intègrent des applications RH dans leur projet de portail d'entreprise. « À terme, les NTIC vont modifier jusqu'aux méthodes de management et d'organisation des équipes, estime Jean-Pierre Charnier, responsable des affaires sociales et du système d'information RH à la DRH des AGF. Un manager de proximité confronté à des collaborateurs mieux informés est obligé de changer de comportement et de fournir des réponses plus pertinentes. » Une analyse partagée par le plus grand nombre puisque l'amélioration de l'accès aux informations RH est la première raison évoquée par les entreprises européennes pour justifier l'augmentation de leurs investissements. Les auteurs de l'enquête RH Cedar 2001 précisent d'ailleurs que cette tendance pourrait révéler un « glissement culturel d'une approche traditionnellement centralisée et hiérarchisée vers un meilleur partage des informations ».

CoLor, le portail intranet du groupe Crédit lyonnais, illustre parfaitement cette préoccupation. Comparable à un site Internet dans sa conception et son ergonomie, il présente un grand nombre de rubriques qui seront bientôt accessibles à l'ensemble des 40 000 collaborateurs de la banque française dans le monde, sans distinction de fonction ou de niveau hiérarchique. Quatre espaces, libres d'accès, offrent des informations RH : organisation de l'entreprise, métiers et culture du groupe dans « Photo de groupe » ; forums, offres du CE et tracts syndicaux dans « Vie sociale » ; agenda des formations et suivi du plan d'épargne d'entreprise dans « Le Crédit Lyonnais & moi » ; ou encore des communiqués sur les démarches administratives et les congés dans « Vie pratique ». « Tout le monde ne se connecte pas régulièrement, indique Marie-Madeleine Kauffmann, responsable de la communication interne. Mais ceux qui utilisent l'intranet apprécient la multitude d'informations. C'est la raison pour laquelle la DRH groupe va bientôt mettre en ligne une documentation sociale baptisée ABC'drh. » Objectif : « Faciliter la compréhension des salariés en mettant des données fiables, relatives à l'ensemble de leur vie professionnelle, à portée de trois clics. » Tout y sera abordé, du contrat de travail jusqu'à la protection sociale en passant par les dispositifs de RTT, les congés, les rémunérations par niveau hiérarchique, les formations…

« Mettre une documentation générale à la disposition du plus grand nombre constitue la première marche de l'e-GRH, explique Patrick Gilbert, consultant à Entreprise et Personnel. Cela contribue à fidéliser les salariés. » Une logique clairement revendiquée aux Autoroutes du sud de la France où les 8 000 salariés disposent d'un intranet depuis plusieurs années. Les 2 000 salariés équipés d'un ordinateur le consultent depuis leur poste de travail. Quant aux autres, ils utilisent les 126 bornes installées dans les centres techniques et les péages. Une rubrique « Ressources humaines » permet de consulter la convention collective, les accords d'entreprise signés avec les partenaires sociaux et l'ensemble des comptes rendus de négociation. Sans oublier le règlement interne, des explications sur la présentation du bulletin de paye et la liste des postes à pourvoir avec les noms des candidats retenus.

Certaines entreprises vont plus loin. L'intranet de la Snecma Moteur dispose d'un espace « Mouvements » pour accompagner les salariés dont le poste a été supprimé. En plus des quelque 400 postes disponibles présentés dans la bourse aux emplois internes, les porteurs de projet personnel disposent d'informations sur les engagements financiers du groupe envers ceux qui souhaitent se lancer dans la création d'entreprise, ainsi que de conseils pratiques pour trouver de l'aide et les formations proposées. Les intranets un peu plus sophistiqués donnent aux salariés un accès à leur dossier personnel. Au Crédit du Nord, chacun peut consulter son solde de congés ou le montant de son épargne salariale grâce à un mot de passe. Certaines entreprises offrent également aux managers des informations stratégiques et des outils de GRH. Mais l'avenir de l'e-GRH, c'est la troisième génération d'intranet qui permet aux salariés de produire directement de l'information RH en saisissant eux-mêmes certaines données. « Il s'agit d'intranets de production, précise Patrick Gilbert. Ils permettent une interactivité entre le salarié et la DRH. Ce faisant, la fonction RH est de plus en plus partagée entre le salarié acteur, son responsable de service et la DRH. »

De cet échange, les entreprises attendent une amélioration de la qualité du service et de la productivité dans leurs équipes RH. « Couplé avec des progiciels de gestion, un intranet permet au minimum d'automatiser des processus manuels répétitifs comme la saisie et la mise à jour des informations de paye, les demandes de congé ou l'inscription à des formations, explique Bernard Mercier, du cabinet Cedar. Développés par les grands spécialistes des progiciels de gestion comme SAP ou PeopleSoft, ces systèmes améliorent la qualité des services par l'automatisation et réduisent les coûts de fonctionnement de la filière RH. » Des progiciels largement utilisés aux États-Unis, où un gestionnaire RH couvre en moyenne 200 salariés, alors que le ratio est souvent de 1 pour 175 dans les grands groupes français et de 1 pour 75 ailleurs, selon le cabinet Cedar.

Depuis quelques jours, les AGF offrent à chacun de leurs salariés la possibilité de modifier leur dossier individuel : adresse et renseignements personnels, formule de mutuelle, attestation de présence et autres formulaires. « Dialog RH est le portail d'accès unique à diverses tâches administratives déléguées aux collaborateurs, précise Jean-Pierre Charnier, à la DRH du groupe. Toute démarche qui ne nécessite pas l'intervention d'un spécialiste RH peut maintenant être réalisée à distance par le salarié. » Les nouvelles données saisies par le salarié vont directement modifier son dossier sur les fichiers de la DRH. Elles mettront à jour automatiquement les progiciels de gestion de la paye, ceux de la gestion de l'emploi du temps, le décompte des jours de RTT ou de congé. Sans intervention humaine. Au besoin, elles lanceront l'impression d'un formulaire et déclencheront un message de rappel au responsable RH. Une demande de formation en anglais déposée dans l'intranet pourra ainsi générer un contact avec le gestionnaire du service de formation pour discuter de l'intérêt de réaliser un bilan de compétences ou parler du projet professionnel du collaborateur.

L'installation de @noo, un libre-service RH, a permis à France Télécom d'économiser plus de 20 millions d'euros grâce à la suppression de formulaires en papier. L'opérateur, qui voyait auparavant la moitié des effectifs de son service des ressources humaines dédiée à des tâches d'administration et d'archivage, a été l'un des premiers à parier sur le zéro papier. Depuis deux ans, collaborateurs et managers de proximité peuvent gérer leurs congés annuels ou leurs jours de RTT depuis n'importe quel poste informatisé de l'entreprise. Les demandes de remboursement de frais, la gestion du dossier personnel, celle de la participation et de l'intéressement sont également possibles. L'information mise en ligne est validée par le manager direct ou un responsable RH. Loin de s'en tenir aux applications de productivité, France Télécom a également développé des applications stratégiques. C'est tout le sens du projet « RH demain » que pilote Bernard Merck, directeur adjoint des ressources humaines. « Avec ces applications, les managers de proximité sont devenus les premiers interlocuteurs RH de leurs collaborateurs. Les uns et les autres ont besoin de s'appuyer sur une expertise que nous leur proposons au travers de centres de services RH, joignables au téléphone, et d'informations spécialisées mises à disposition sur @noo. » Pour la filière RH, c'est une transformation radicale de sa relation avec les managers opérationnels et les salariés. Déchargée de la gestion administrative, elle doit accepter de se transformer en prestataire de services interne, chargée de fournir des renseignements à plus forte valeur ajoutée.

Si l'utilité de l'e-GRH n'est plus remise en question, les résultats ne sont cependant pas toujours à la hauteur des espoirs. « Il ne faut pas s'attendre à une adhésion massive et immédiate de la part des salariés, avertit Jean-Pierre Charnier. Le plus délicat est souvent de leur faire adopter l'outil informatique et de les faire adhérer à sa logique cachée. » Plutôt que d'imposer l'intranet RH, mieux vaut tenter de séduire les futurs utilisateurs en leur montrant les côtés positifs du nouvel outil, formations et présentations à l'appui. « Chez France Télécom, note Bernard Merck, les techniciens de maintenance du réseau, peu habitués à l'informatique, se sont adaptés beaucoup plus facilement que nous ne le pensions. Le Minitel ou les automates des réseaux bancaires avaient déjà préparé les esprits. » Mais il ne faut pas négliger non plus les états d'âme des managers de proximité. Une bourse à l'emploi permet souvent aux collaborateurs de se porter candidats sans en référer à leur supérieur immédiat. D'où une perte de pouvoir plus ou moins bien acceptée. « La technologie ne transforme pas les méthodes du jour au lendemain, confirme Patrick Gilbert, d'Entreprise et Personnel. Comme elle bouscule les organisations pyramidales sans se soucier des lignes hiérarchiques, le mode de management doit être remis à plat avant toute implantation d'un SIRH. Pour une pleine utilisation des nouveaux outils, managers et salariés doivent être formés et accompagnés. »

Chez Schneider Electric, où les premiers intranets sont apparus en 1996, He@rt, le site RH, est structuré en deux parties. L'une est accessible à tous les salariés, l'autre réservée aux collaborateurs de la fonction RH. Développée pour coordonner la mobilité interne et les programmes de recrutement internationaux, cette dernière fait actuellement l'objet d'une étude interne. « Nous réfléchissons à l'utilisation des outils mis à disposition, explique Danielle Nguyen, responsable du développement e-RH et des relations sociales. Nous souhaitons construire une charte interne valable pour toutes les filiales dans le monde afin d'unifier nos pratiques RH. Nous voulons également enrichir la plate-forme avec des dossiers thématiques et des contributions d'acteurs. » Chez Schneider comme ailleurs, le développement des systèmes RH ne fait pas l'économie d'une réflexion sur les pratiques de management et de gestion des ressources humaines.