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Vie des entreprises

Pébereau plébiscité par les troupes de BNP Paribas

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.09.2002 | Marc Landré

Artisan du mariage réussi entre la BNP et Paribas, Michel Pébereau fait l'unanimité. Dialogue social nourri, gestion en douceur des effectifs, développement des compétences, son management RH n'attire aucune critique. Un sans-faute qui sera peut-être mis à l'épreuve d'une nouvelle fusion…

Des résultats à faire pâlir d'envie la plupart des banquiers européens, des lauriers à profusion avec les titres de « stratège » et de « financier de l'année », une troisième augmentation de capital réservée au personnel plébiscitée par les salariés, la reconnaissance de ses pairs qui viennent de le porter à la présidence de la Fédération bancaire française : Michel Pébereau, P-DG de BNP Paribas, a connu un premier semestre fracassant. Pourtant, il ne compte pas s'arrêter en si bon chemin, comme en témoigne une interview accordée au Wall Street Journal juste avant l'été, où il fait part de son intention de réaliser « une fusion entre égaux » avec une autre enseigne européenne. Une déclaration fort bien accueillie tant par les marchés que par les syndicats et les salariés de son groupe, en France comme à l'étranger. Car BNP Paribas, ce n'est pas seulement 2 200 agences et 29 000 salariés dans l'Hexagone. C'est aujourd'hui la deuxième banque de la zone euro, avec 85 000 collaborateurs répartis dans 87 pays, 500 filiales (Cetelem, UCB ou Arius), 300 métiers différents dans la banque de détail, la banque de financement et d'investissement ainsi que dans la banque privée (gestion d'actifs, conservation de titres…). Depuis l'absorption de Paribas, Michel Pébereau a confirmé sa maîtrise de l'art des fusions en douceur, puisqu'il met depuis toujours un point d'honneur à ne jamais licencier. Une promesse de plus en plus difficile à tenir, compte tenu de ses projets de croissance externe.

1 CRÉER UNE CULTURE DE GROUPE APRÈS LA FUSION

Même André Lévy-Lang, l'adversaire d'hier de Michel Pébereau, le reconnaît. « La fusion s'est très bien passée », avoue l'ancien président de Paribas, qui avait pourtant choisi de convoler en justes noces avec la Société générale. Elle s'est si bien passée qu'il la présente comme exemple à suivre à ses étudiants de Paris-Dauphine. Il est vrai que le mariage forcé de Paribas avec la BNP s'avère être, de l'avis général, une franche réussite. Le rapprochement des deux groupes, engagé il y a trois ans, ne s'est cependant pas fait sans heurt. Notamment à Londres, où la salle de marché de la toute nouvelle BNP Paribas a dû faire face à une forte « hémorragie de démissions ». De l'ordre de plusieurs centaines. La raison ? Le choc des cultures et des méthodes de travail. « Une grande partie des salariés de Paribas n'acceptait pas l'aspect bureaucratique et franco-français de la BNP », indique un trader londonien. Plus d'un salarié a trouvé saumâtre d'être repris par une banque de détail récemment privatisée, encore très administrative dans son fonctionnement et où les petits chefs étaient légion. Rien à voir avec le style Paribas, une maison prestigieuse où les managers bénéficiaient d'une réelle autonomie et où primait la « culture des coups ». D'autant plus qu'à la BNP le salaire moyen était moitié moins élevé et les avantages, comme la surcomplémentaire retraite, la mutuelle ou certaines primes familiales, moins intéressants.

« Bien sûr que le traitement était meilleur chez Paribas, reprend André Lévy-Lang. C'est le marché qui le voulait. La proportion de cadres, notamment internationaux, était bien plus importante qu'à la BNP et la concurrence étrangère, bien plus pesante. » Résultat, les accords d'entreprise ont très vite été dénoncés par la nouvelle direction et la plupart des avantages des salariés de Paribas ont fondu comme neige au soleil lors de l'harmonisation des statuts. Pour Michel Flamé, le délégué national de FO, la perte de revenus s'est élevée, malgré les compensations prévues, « entre 3 000 et 4 500 euros par an ». En contrepartie, les ex-Paribas bénéficient désormais d'une prime de fin de carrière équivalant à treize mois de salaire, contre six auparavant. La BNP, de son côté, a profité de la fusion pour revoir ses méthodes de travail et systématiser, avec grande difficulté, l'anglais dans ses réunions et les notes internes. « Nous avons pris chez Paribas la qualité et eux l'esprit d'équipe », explique le salarié parisien.

Dorénavant, la priorité affichée est de créer une culture de groupe entre des services qui s'ignorent encore passablement. « Notre objectif est que les 85 000 salariés, au-delà de la diversité des cultures d'entreprise, se reconnaissent dans les valeurs définies par les 80 cadres dirigeants du groupe », affirme Bernard Lemée, DRH de BNP Paribas. Ces grands principes généraux ont été présentés début 2000 à l'ensemble des troupes du groupe. Mots clés : engagement, ambition, créativité et réactivité. « Une étape fondatrice, même si un peu abstraite », reconnaît le DRH. Un an plus tard, ces valeurs ont été déclinées en grands principes de management. À savoir : la responsabilité, la transversalité, l'autonomie et la confiance qui, à en croire Jean-Michel Divouron, directeur de l'agence parisienne de l'Opéra, servent de « référence ». Il s'y rapporte sans cesse pour encadrer ses 32 collaborateurs. Reste que ce message d'union a du mal à passer tant les vieilles querelles entre ennemis d'hier demeurent. « On reconnaît un ex-Paribas à sa façon de marcher, lâche de manière lapidaire un conseiller de clientèle. Droit dans ses bottes et rigide comme un i. » La fusion, oui, l'union, ça reste à voir !

2 MISER SUR UN DIALOGUE SOCIAL NOURRI

« Le dialogue social est très fin chez BNP Paribas, estime Bernard Defontaine, le délégué national de la CGT dans la banque. Les accords sont toujours conclus au dernier moment et sans affrontement avec la direction. » Une situation que la plupart des organisations syndicales imputent à Bernard Lemée, le DRH, arrivé à la BNP en même temps que Michel Pébereau et loué pour avoir su gérer au cours des dix années écoulées la privatisation, la dénonciation de la convention collective de l'ex-Association française des banques, la fusion avec Paribas et les plans de réduction d'effectifs, sans jamais provoquer de conflits sociaux ou de drames. Pour le représentant cégétiste, il existe bel et bien une méthode Lemée : « Il y a bien sûr des problèmes dans la banque, mais il est suffisamment intelligent pour savoir les éviter. Il fait venir ses interlocuteurs sur son terrain. Il met le temps qu'il faut mais il parvient toujours à nous faire négocier sur les points qu'il a choisis. »

Confirmation du chef de file de la CFDT, Antoine Cucurullo : « Nous avons un très bon DRH qui œuvre pour l'intérêt général. Il a ses convictions, et nous les nôtres. On se respecte et on pourrait presque passer nos vacances ensemble… à négocier des accords. » L'intéressé préfère, diplomatiquement, botter en touche : « Les syndicats de BNP Paribas comprennent les problèmes de l'entreprise et se comportent de façon responsable. Ils savent que la direction n'a qu'un seul discours et qu'elle n'en change pas selon ses interlocuteurs. »

Même Force ouvrière accorde un satisfecit au dialogue social en vigueur dans l'entreprise. « Il fonctionne plutôt bien car la direction prend en compte nos préoccupations, souligne Michel Flamé. Nous avons au moins trois réunions par mois au sein de la commission de droit social, l'instance où l'on négocie tous les accords d'entreprise. » Bref, à BNP Paribas, c'est un peu « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. »

Seul gros sujet de discorde : la rémunération du patron (2,21 millions d'euros en 2001, dont 40 % en partie fixe), jugée « stratosphérique et indécente » par les syndicats. « J'aimerais bien toucher aussi 4 500 euros tous les jours en me levant », ironise Michel Flamé. Malgré tout, chez BNP Paribas, on discute bien et on signe beaucoup. En deux ans, plus d'une trentaine d'accords ont ainsi été entérinés, dont une moitié par FO et la CGT, plutôt réfractaires d'habitude à toute signature. Une grande partie est consécutive à la dénonciation en 1999 des accords d'entreprise de la BNP et de Paribas. « Les négociations ont été difficiles, se souvient un délégué. La direction voulait faire tomber les avantages des ex-Paribas et les syndicats étaient désunis. » Tous les accords n'ont bien sûr pas l'importance de celui sur les 35 heures, approuvé en juillet 2000 par la CFDT et le SNB après deux mois de discussions, qui prévoyait pour les salariés (hormis les 11 000 cadres au forfait) vingt-deux jours de repos supplémentaires, la création de 3 650 emplois en trois ans ainsi que l'accueil de 1 300 jeunes en contrat de qualification. Deux ans après, les objectifs ont été dépassés mais, revers de la médaille, la DRH a comptabilisé plus de 1 300 formules de temps de travail individuel.

Le dernier accord d'envergure signé à BNP Paribas remonte à Noël 2001 et porte sur les salaires (0,9 % d'augmentation, plus une prime de 700 euros). Son originalité ? Il a été négocié par téléphone portable entre le DRH, qui se trouvait à Nantes, et les représentants de la CFDT et du SNB, en villégiature au Tréport et à Cannes. « Les autres centrales voulaient faire la grève le 2 janvier pour le passage à l'euro, rappelle Roland Roberdeau, le patron du SNB maison. Nous savions que nous ne parviendrions pas à mobiliser nos troupes et nous avons négocié, une dinde à la main, un bon accord salarial. » Le premier signé depuis des années… sous la pression. Champagne !

3 RENOUVELER LES GÉNÉRATIONS EN DOUCEUR

Depuis de nombreuses années, BNP Paribas tente de rajeunir ses effectifs. Notamment via l'incitation au départ des salariés vieillissants dans le cadre de « plans d'adaptation de l'emploi », antérieurs à la privatisation de la banque en 1993 et qualifiés par la CFDT de « plans sociaux déguisés ». Le dernier en date – qui a suscité en 2000 un avis de carence de l'Inspection du travail pour absence de « mesures de reclassement réelles et sérieuses » – court jusqu'en 2003 et prévoit le départ, en trois ans et sur la base du volontariat, de 1 800 équivalents temps plein âgés de 57 ans. Si bien qu'au total la BNP s'est séparée de 15 000 de ses collaborateurs en vingt ans sans provoquer de conflit majeur. Mais, à en croire une jeune recrue, « on sent chez certains l'emprise de l'administration. Ils ne servent plus à rien mais la banque les garde jusqu'à la retraite parce qu'elle ne licencie pas ».

Un constat dont s'enorgueillit Michel Pébereau. À plusieurs reprises dans le passé, le P-DG de BNP Paribas s'est engagé par écrit à ne jamais recourir à des licenciements secs. « J'ai confiance en lui parce qu'il a toujours fait ce qu'il a dit, approuve Roland Roberdeau, du SNB. Le problème est que les salariés ont aujourd'hui l'impression qu'il ne leur arrivera jamais rien et que la direction va continuer à les aider à partir. » Une hérésie, ne cesse de répéter Michel Pébereau, qui n'envisage pas de proroger une nouvelle fois l'actuel plan de départs en préretraite. « Nous ne vivons plus dans les années 70. La concurrence nous pousse à nous adapter très vite. Et si nous ne le faisons pas, nous serons condamnés à cinq ou dix ans. » C'est la raison pour laquelle le patron de l'ex-BNP a refusé lors de la fusion avec Paribas, pour la première fois et bien qu'il l'ait affirmé de vive voix, de coucher sur papier sa promesse de ne jamais recourir à un plan social pour adapter les effectifs.

Afin de compenser les départs des anciens, BNP Paribas recrute à tour de bras. Et, pour la première fois depuis longtemps, les effectifs ont recommencé à croître. « On en est à 1 700 créations nettes au premier semestre », se félicite Antoine Cucurullo, de la CFDT. Rien qu'en France, le groupe a embauché 3 000 nouveaux collaborateurs il y a deux ans, 4 000 l'année dernière et déjà plus de 2 000 à la fin mai 2002. Profils majoritairement recherchés : des jeunes diplômés de niveau bac + 2 et + 4. Et ça devrait continuer à ce rythme effréné pendant au moins cinq ans. « BNP Paribas a la cote, reconnaît Françoise Barnier, la responsable du recrutement du groupe dans l'Hexagone. Nous recevons 110 000 candidatures spontanées par an, dont la moitié proviennent de diplômés de l'enseignement supérieur. »

Seul regret des syndicats : que la banque mise plus sur les diplômés du supérieur que sur les bacheliers et les jeunes en contrat de qualification. Françoise Barnier s'est entourée d'une équipe de 45 personnes pour procéder aux embauches de l'ensemble des salariés du groupe en France, à l'exception de ceux de Cetelem, seule filiale qui possède sa propre structure d'embauche. « 80 % des candidats passent par chez nous, explique-t-elle. Nous sommes les seuls à valider pour le réseau d'agences et nous faisons valider nos choix pour les deux autres pôles d'activité auprès des RH concernées. » La rémunération des nouvelles recrues ? « À l'optimum du marché », répond Françoise Barnier, selon l'expression consacrée de Bernard Lemée, reprise partout dans le groupe. Traduction du DRH : « Une rémunération qui tient compte des conditions de la concurrence, de l'expérience passée ou de l'expérience recherchée : optimale et non maximale. » Sept personnes y veillent au sein de la direction des ressources humaines du groupe. Leur mission ? Faire du « benchmarking en matière de rémunération » auprès des établissements financiers de la place.

4 CHOUCHOUTER LES JEUNES DIPLÔMÉS

Embaucher des jeunes diplômés pleins d'avenir, c'est bien. Mais les garder, c'est encore mieux. Dont acte… BNP Paribas chouchoute donc ses jeunes recrues pendant leurs six premières années. Elle leur propose un poste nouveau tous les trois ans et a créé une cellule, rattachée à la DRH, chargée de répondre au moindre de leurs caprices. Des rendez-vous réguliers avec un chargé de carrière, pour faire le point sur l'évolution de leurs desiderata, sont ainsi organisés tous les ans. Les jeunes diplômés bénéficient de stages de formation continue pour parfaire leurs connaissances. Ils participent à de nombreux séminaires dont l'un de deux jours, intitulé « Échange et perspectives », avec une trentaine d'autres jeunes recrues, permet d'échanger ses expériences et de compléter son information sur les métiers du groupe. « Je me suis rendu compte du nombre important de métiers, accessibles avec une formation, qui existent dans les pôles du groupe », note l'un des participants. « L'objectif de cette gestion des carrières individualisée est de leur offrir le plus large éventail possible d'opportunités d'évolution professionnelle, de valoriser la diversité de nos activités, notamment la dimension internationale du groupe », explique-t-on à la DRH.

Sous-directeur d'un réseau de plusieurs agences en région parisienne, Fabrice fait partie du vivier de jeunes diplômés de la banque. Recruté en 1998 avec un DEA d'économie, il a suivi un parcours initiatique de cinq mois « pour apprendre le boulot » avant de devenir pendant deux ans et demi conseiller en patrimoine financier. Il a un entretien avec la DRH et suit deux stages de formation continue par an. Pour lui, pas de doute : « Nous sommes sacrément suivis pendant les six premières années. On nous écoute lorsque nous avons un problème. Tout cela développe un réel sentiment d'appartenance au groupe. »

Sur le plan de la rémunération, Fabrice ne se plaint pas. À 28 ans, il gagne 50 000 euros brut par an, autant que ses homologues des deux autres « vieilles » de la place, la Société générale et le Crédit lyonnais. Mais parce qu'il a une clause de mobilité dans son contrat, la banque lui rembourse 80 % de son loyer. Et si l'on intègre dans sa « rétribution globale », comme le dit Bernard Lemée, l'intéressement (dont une partie est liée au cours de l'action, qui a quadruplé en cinq ans et doublé depuis la fusion), la participation et les augmentations de capital, la différence est importante. Si bien que Fabrice se retrouve avec ses quatre ans d'ancienneté à la tête d'un plan d'épargne d'entreprise de 26 000 euros. Son regret ? Ne pas avoir droit aux stock-options, réservées aux 3 200 hauts cadres du groupe.

Si tout le monde en interne reconnaît la qualité du suivi offert aux jeunes diplômés, beaucoup déplorent que cette attention particulière s'arrête subitement au bout de six ans et que les chouchous d'hier redeviennent des salariés comme les autres. De là à croire qu'après ce délai la fidélité est totale… Même Fabrice, qui a 100 % l'esprit BNP Paribas, n'hésitera pas à partir si la concurrence lui fait « les yeux doux ». De plus, les rémunérations offertes aux jeunes recrues variant en fonction du marché et du candidat, certains petits nouveaux se retrouvent encadrés par des salariés moins bien rémunérés qu'eux. La direction tente par ailleurs d'individualiser les rémunérations en développant la part variable dans les salaires. Des distorsions source, selon les syndicats, de tensions dans les services…

5 DÉVELOPPER LES COMPÉTENCES DES SALARIÉS

BNP Paribas consacre de longue date beaucoup de temps et d'argent à la formation continue de ses salariés. « Nos sessions de reconversion sont d'un très bon niveau, remarque Michel Flamé, de FO. La direction donne du temps au salarié pour qu'il trouve ce qu'il a envie de faire et qu'il se reconvertisse de la meilleure manière qui soit. » Son de cloche identique à la CGT : « Nous avons sur la place la réputation d'avoir une très bonne formation. » En 2001, le budget de formation a ainsi avoisiné les 6 % de la masse salariale, soit quatre fois le minimum légal. Le centre de formation, installé à Louveciennes, dans les Yvelines, au cœur d'un vaste domaine de plusieurs hectares, accueille chaque année 25 000 stagiaires, possède 160 chambres et emploie quotidiennement 70 formateurs à plein temps. Et, pour se détendre après les journées de cours, le centre possède un immense complexe sportif et… 14 courts de tennis en terre battue. « C'est vraiment très agréable de venir suivre des formations à Louveciennes, commente une jeune recrue. Les sessions sont certes intenses, mais il est rare que je puisse aller jouer au tennis à 17 h 30 en sortant de mon agence. »

Les formations techniques (sur la gestion de trésorerie, la bureautique, les nouveaux produits…) ou de management (développement personnel, conduite de projets, encadrement d'équipes, culture d'entreprise…) sont souvent complétées par des sessions en ligne sur le campus virtuel du groupe. Si bien que chaque salarié bénéficie au minimum, en accord avec son responsable de formation sur le plan local, de quatre séminaires, réels et virtuels, de formation par an.

Même les top managers, comité exécutif compris, n'échappent pas à ces séances de formation collective. Depuis un an, les 1 200 très hauts cadres de l'entreprise se bousculent au centre de Louveciennes pour des sessions de formation très particulières. Objectif ? « Réunir des cadres de tous horizons, favoriser les échanges entre eux et les faire réfléchir sur les valeurs et les principes de management du groupe », explique Bernard Lemée. La méthode s'appuie sur des mises en situation pour que chacun prenne conscience de ses forces et faiblesses. Avec charge, ensuite, pour ces très hauts cadres du groupe de transmettre à leurs collaborateurs le fruit des enseignements qu'ils ont reçus. « Compte tenu du succès de ce programme, nous projetons de l'étendre à d'autres catégories de cadres. »

L'une des ambitions de ces formations à haute dose est de permettre aux cadres de passer d'un métier à l'autre, d'un pôle d'activité à un autre. En 2001, 122 hauts cadres (sur 1 200) ont pris de nouvelles responsabilités et changé de métier dans un autre pôle d'activité. « Et si ça marche pour eux, ça peut marcher pour n'importe quel salarié du groupe », estime-t-on au sein de la DRH. Afin de faciliter les transferts, les RH de chaque pôle ont mis en place une structure chargée de repérer les hauts potentiels, les postes adéquats, et de monter les formations qui vont avec. Au niveau du groupe, une petite cellule de quatre consultants – celle qui s'occupait des mutations difficiles lors de la fusion et que Bernard Lemée a récemment voulu supprimer – chapeaute l'ensemble du dispositif des transferts inter-groupe. Elle est notamment chargée de gérer les 600 ou 700 mouvements annuels sensibles.

Les passerelles entre métiers et pôles d'activité au sein du groupe devraient encore se multiplier à l'avenir si, comme il l'envisage à court terme, Michel Pébereau parvient à faire de BNP Paribas une banque internationale via une fusion en Europe. Et ce ne sont pas ses salariés, auprès desquels il passe pour un « patron social qui tient ses promesses », qui vont l'en empêcher. Il ne reste plus qu'à trouver une nouvelle mariée à BNP Paribas…

Entretien avec Michel Pébereau :
« Il n'était pas raisonnable que la loi impose à tous une réduction du temps de travail »

Polytechnicien et énarque, Michel Pébereau est, à 60 ans, un pur produit de l'élitisme à la française. Inspecteur des finances en 1967, il a passé la moitié de sa carrière au ministère de l'Économie entre la direction du Trésor et les cabinets de Valéry Giscard d'Estaing et de René Monory. En 1982, il quitte la Rue de Rivoli pour prendre la tête du CCF et devient onze ans plus tard P-DG de la BNP. Une banque qu'il privatisera et fusionnera avec Paribas en 1999. On le dit hautain ou doté d'un ego démesuré… ce qui ne l'a pas empêché d'interpréter en janvier au piano, devant un parterre d'informaticiens médusés, l'hymne de l'équipe de France de football, « I will survive ».

Quels ont été les facteurs de réussite de la fusion de la BNP avec Paribas ?

Nous avons vraiment voulu faire une fusion d'égaux et créer une nouvelle entreprise en écartant toute idée d'absorption de l'un par l'autre. C'est le nouveau comité exécutif de BNP Paribas qui a défini la stratégie, le projet industriel, et travaillé à la définition d'une culture d'entreprise nouvelle, intégrant des éléments de culture de la BNP et de Paribas. Nous avons défini une méthode et nous nous y sommes tenus. Nous nous étions fixé six jours pour mettre en place le comité exécutif, six semaines pour nommer les 600 principaux responsables du groupe et lancer des groupes de travail pour définir les modalités de la fusion dans chaque activité, et six mois pour prendre toutes les décisions proposées par ces groupes. Nous avons respecté ce calendrier. Nous avons également appliqué des principes de transparence, d'équité et d'équilibre entre les salariés BNP et les Paribas pour choisir les responsables. Les décisions prises n'ont pas été contestées au sein de l'entreprise et ont permis d'assurer un bon équilibre global. Les clés de notre succès ont été de créer, dès le départ, une nouvelle entreprise, de dire ce que nous voulions faire, de mettre en œuvre ce que nous avions dit, d'aller vite sur la base de principes clairs, et puis d'avoir de la chance.

Que pensez-vous des 35 heures ?

Dans un pays comme le nôtre, où la durée du travail ne posait pas de grave problème, il n'était pas raisonnable que la loi impose à tous une réduction du temps de travail. La sagesse était de laisser ce problème dans le champ de la négociation entre partenaires sociaux, au niveau des entreprises et des branches. Avant la loi sur les 35 heures, le temps partiel, qui dans la banque est du temps choisi, permettait de satisfaire les personnes tout en donnant de la souplesse à l'organisation. Enfermer le temps partiel dans un carcan est une idée inadaptée pour nos entreprises et pour notre pays, même si de nombreux accords ont pu en limiter les effets. La loi donne l'impression que le travail est considéré comme une occupation désagréable et qu'il faut absolument en réduire la durée. Mais c'est le travail qui crée les richesses, qui permet d'améliorer le niveau de vie de chacun et d'assurer le progrès de notre société. Notre objectif collectif doit donc être d'inviter chacun à travailler et de nous efforcer de rendre le travail plus intéressant, plus agréable lorsqu'il ne l'est pas assez, plutôt que d'en détourner les Français. Notre pays et notre niveau de vie ne seraient pas ce qu'ils sont aujourd'hui si les générations qui nous ont précédés s'étaient en permanence fixé pour objectif de réduire leur temps de travail. Et bien des Français, jeunes ou moins jeunes, préféreraient gagner plus en travaillant plus plutôt que travailler moins. Pourquoi ignorer cette réalité ?

Pourquoi avoir conclu un accord sans modération salariale ?

Les salariés de notre entreprise sont attachés à leur pouvoir d'achat. Envisager de le diminuer, même pour assurer une réduction de leur temps de travail, allait à l'encontre de leurs désirs. Nous avons donc fait en sorte que leur pouvoir d'achat ne soit pas réduit, même s'il en a résulté un surcoût pour la banque.

Quel poids accordez-vous au dialogue social dans l'entreprise ?

C'est une part très importante de mes responsabilités. Nous avons la chance d'avoir des partenaires sociaux qui y attachent eux aussi beaucoup d'importance. Ce qui est essentiel, pour moi, dans ce dialogue, c'est expliquer et écouter. Expliquer l'entreprise et ses problèmes tels que je les vois, de la même façon au conseil d'administration, devant les cadres, les investisseurs et avec les partenaires sociaux : le message est pour moi le même quel que soit l'interlocuteur. Et puis, je crois essentiel de bien écouter les représentants du personnel. Ce qu'ils expriment ne coïncide pas toujours avec les informations qui remontent de l'encadrement. C'est en rapprochant ces deux éclairages que le management peut se faire une opinion sur certains problèmes de l'entreprise, l'inadéquation de certaines organisations, la difficulté et les aspirations de certaines équipes, voire de l'ensemble des collaborateurs.

Et au niveau de la branche ?

Nous avons au niveau de la branche une qualité et des expériences de dialogue plus mitigées. Ce qui fait la qualité du dialogue dans l'entreprise, c'est la communauté d'appartenance, d'intérêt, et la bonne connaissance que chacun a des problèmes de clients, de fonctionnement ou d'organisation. Pour ce qui est de la branche, les choses deviennent plus abstraites, aussi bien pour les représentants des entreprises que pour ceux du personnel. Même s'il existe des problèmes communs, la manière dont ils se posent varie d'une banque à l'autre : c'est un vrai défi que de les résoudre par des solutions globales. Néanmoins, il existe certains grands problèmes qui ne peuvent être traités qu'à l'échelle de la branche, comme le régime spécial des retraites bancaires, que nous avons réformé en 1993. Et puis notre jugement est un peu faussé par le fait que BNP Paribas est une grande entreprise, où le dialogue social est riche et complet. La négociation de branche est sans doute plus importante pour des PME où le dialogue social ne peut pas toujours avoir la même technicité.

Faut-il laisser une place à la négociation interprofessionnelle ?

Il y a des problèmes spécifiques qui ne peuvent se régler entre partenaires sociaux qu'au niveau interprofessionnel. Ils concernent l'assurance chômage, les grands principes de la formation, les systèmes de retraite ou, peut-être un jour à nouveau, l'assurance maladie. En France, la loi fixe des principes dans de nombreux domaines et je pense qu'elle l'a trop fait. La négociation nationale devrait permettre de fixer des principes généraux pour négocier au rang des entreprises car c'est l'endroit où l'on traite le plus concrètement les choses.

Comptez-vous poursuivre les augmentations de capital réservées aux salariés ?

Oui, bien sûr, si le conseil d'administration nous le permet. Les salariés d'une grande entreprise comme BNP Paribas doivent avoir l'opportunité d'en être actionnaires. Et je trouve très logique que l'entreprise et ses actionnaires leur offrent des conditions privilégiées d'accès à l'actionnariat. Cela leur permet de comprendre la problématique des actionnaires, d'avoir une communauté d'intérêt avec eux et de s'enrichir au même titre qu'eux lorsque l'entreprise est performante. Mais, comme eux, ils doivent savoir diviser leurs risques : une des règles que nous préconisons comme conseiller en gestion de patrimoine est de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. C'est pourquoi j'ai toujours recommandé aux collaborateurs de la banque de n'y investir qu'une partie de leur épargne.

Prévoyez-vous encore d'adapter vos effectifs à l'avenir ?

BNP Paribas est l'un des grands groupes français qui possèdent une gestion prévisionnelle de l'emploi. Nous essayons chaque année de prévoir pour les deux à trois années à venir créations et disparitions de postes de travail. Cela nous permet d'anticiper, autant que possible, l'évolution des effectifs et de préparer les actions de formation que nous devons développer. Nos plans d'adaptation de l'emploi sont adossés à cette gestion prévisionnelle : nous en avons mis en œuvre trois depuis 1993, le troisième étant en cours. Pour une entreprise comme la nôtre, qui est à la pointe de l'utilisation du progrès des technologies de l'information et de l'innovation bancaire et financière, l'adaptation des effectifs est un processus permanent : nous avons sans cesse à faire progresser notre productivité pour rester compétitifs et notre offre de produits et services pour répondre aux besoins de nos clients. Et, comme nous avons le souci d'éviter les départs contraints, nous faisons un important effort de formation.

Êtes-vous pour la transparence en ce qui concerne la rémunération des dirigeants français ?

Il est normal que la rémunération des dirigeants soit connue de leurs actionnaires et qu'elle figure dans les rapports annuels, mis à la disposition du grand public. BNP Paribas a d'ailleurs anticipé la loi sur ce point.

Les dirigeants français ne sont-ils pas trop payés ?

Leurs rémunérations restent très inférieures à celles de leurs homologues américains, bien qu'on dise parfois le contraire, mais supérieures à celles des dirigeants d'autres pays. Il est donc bien difficile de parler d'un tel sujet en général. Il n'y a que des cas particuliers. Il faut à mon avis fixer la rémunération du dirigeant d'une société en fonction de celles qui sont pratiquées au niveau européen ou mondial dans le même secteur, et la faire varier en fonction des résultats de l'entreprise, en les comparant à ceux des principaux compétiteurs. C'est ce que nous essayons de faire dans les comités de rémunérations auxquels je participe.

Propos recueillis par Denis Boissard et Marc Landré

Auteur

  • Marc Landré