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Vie des entreprises

Démissions réelles ou virtuelles

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.09.2002 | Jean-Emmanuel Ray

Faculté offerte au salarié de rompre son contrat de travail, la démission prive l'intéressé de l'indemnité de licenciement et des allocations de chômage. Un revers de la médaille qui incite le législateur et le juge à protéger le « démissionnaire » contre toute initiative intempestive ou équivoque.

Alors que « démissionner » correspond historiquement à une déchéance (« renoncer à une dignité, à un emploi »), en droit du travail, au contraire, elle permet au subordonné de « retrouver sa liberté ». Mais si cette dernière n'a pas de prix, elle a pour lui un coût : perte de l'indemnité de licenciement, et surtout du droit aux allocations chômage, sauf motif légitime (ex. : mutation du conjoint).

Côté employeur, cette résiliation discrétionnaire du contrat est très diversement appréciée. Chance inespérée que de voir certains collaborateurs partir plomber la concurrence sans procéder à la construction d'un plan de sauvegarde de l'emploi façon loi de modernisation sociale. Mais le départ des meilleurs, à une époque où le véritable capital d'une entreprise est la somme harmonieuse des cerveaux qui la composent, peut aussi conduire à d'insurmontables difficultés : d'où des politiques ciblées de marketing social visant à fidéliser les hauts potentiels que l'on attire, puis que l'on retient avec des fleurs (stock-options, avantages en nature et en ego, carrière attrayante…), tout en les dissuadant de partir avec des chaînes (juridiques : clause de non-concurrence, de dédit-formation…).

S'agissant d'un CDD, le nouvel article L. 122-3-8 du Code du travail, issu de la loi du 17 janvier 2002, peut paraître étrange. En dehors des classiques faute grave et cas de force majeure, il permet en effet la rupture anticipée par le salarié-contractant d'un contrat à durée déterminée, lequel le devient alors beaucoup moins pour l'entreprise, la double condition exigée n'étant guère contraignante : la preuve d'une embauche par contrat à durée indéterminée et le respect d'un préavis minimal (cf. circulaire DRT du 2 mai 2002). Cette curieuse – mais légitime, vu le marché de l'emploi et le besoin naturel de stabilité – possibilité de rupture anticipée ne peut techniquement être qualifiée de démission. Elle ne changera d'ailleurs pas grand-chose dans la pratique. Qu'attendre d'un salarié précaire à la tête ailleurs ? Combien d'entreprises avaient poursuivi un salarié fautif car ayant quitté son emploi sans attendre l'échéance ?

Loi de modernisation sociale et arrêts récents ont récemment modifié sur trois points le droit, jusqu'ici bien paisible, de la démission.

1° La preuve indispensable d'une « volonté claire, sérieuse et sans équivoque »

« La démission ne se présume pas, et suppose une volonté claire, sérieuse et sans équivoque de démissionner » : rendu au créatif visa des articles L. 122-4 et L. 122-5, l'arrêt de cassation du 19 juin 2002 montre la volonté sans équivoque de la chambre sociale de limiter le champ de la démission à l'absolue certitude que celle-ci soit donnée en toute connaissance de cause. Un salarié ayant envoyé une lettre imputant la rupture à l'employeur faute de nouvelles missions, ce dernier l'avait par télégramme invité à reprendre son travail, puis, par deux lettres recommandées successives, « le salarié avait clairement et sans équivoque démontré qu'il n'entendait pas poursuivre l'exécution du contrat au sein de la société ». « Il était démissionnaire », avait donc constaté la cour d'appel de Versailles. Cassation. Primo, « la lettre imputant la rupture ne caractérisait pas une volonté claire et non équivoque de démissionner ». Secundo, « le refus de reprendre ultérieurement le travail ne pouvait constituer la manifestation d'une telle volonté », rétorque la chambre sociale. Pourquoi une telle défiance de la Cour de cassation à l'égard de cette liberté fondamentale ? Trois raisons essentielles :

a) Avant tout la sauvegarde de ses intérêts – et de ceux de sa famille – en matière d'assurance chômage. b) L'éviction intéressée du droit du licenciement, en termes d'indemnités de rupture comme de procédures, surtout économiques (certains groupes fondent de 6 000 salariés en un an sans aucun licenciement : selon l'ANPE, il y a chaque mois autant de démissionnaires que de licenciés pour motif économique : 20 000 environ). c) La protection du salarié contre lui-même, bref contre la démission coup de tête, bien que parfois écrite, qui pourrait transformer un salarié irréprochable mais fatigué en chômeur non indemnisé.

Car, contrairement à son faux symétrique qu'est le licenciement, la démission ne donne lieu à aucune procédure légalement obligatoire et favorable à la réflexion. Mais au moins deux personnes s'intéressent néanmoins au cheminement du salarié. Le DRH, tout d'abord, qui convoquera pour un entretien informel les meilleurs partants afin de connaître les raisons (officielles, mais surtout officieuses) de ces départs pouvant le mettre lui-même en position délicate. Mais aussi le juge, qui n'aime guère cette rupture objectivement défavorable au salarié, intervenant dans des circonstances souvent troubles. L'arrêt du 20 juin 2002 stigmatise l'exemple même de ce qu'il ne faut pas faire : « La lettre avait été dactylographiée par l'employeur le lendemain d'une condamnation pénale et signée aussitôt dans les locaux de l'entreprise. » (Rétractation le lendemain, absence de démission.)

Mais le mieux est l'ennemi du bien. « Rédigée par le salarié de façon manuscrite sur une feuille de papier quadrillée, la démission du secrétaire général de la chambre artisanale porte les marques de l'improvisation et de la soudaineté », constatait la cour de Caen le 17 janvier 2000, remarquant par ailleurs qu'elle avait été rédigée après la révélation publique d'une large utilisation du Minitel rose, avec quarante minutes pour réfléchir à d'éventuelles poursuites pénales (licenciement, sans cause réelle et sérieuse).

La démission par courrier électronique est à éviter, car elle aggrave la fragilité de la position patronale. Outre la délicate question de l'auteur exact du courriel (un poste de travail peut expédier une lettre rédigée par un collègue facétieux ou un adjoint intéressé), le mode de rédaction de ce message autant oral qu'écrit, où le style n'est pas stendhalien mais l'hyperbole courante, nous renvoie à nos premiers cours de droit probatoire. L'écrit cher au Code Napoléon va en effet au-delà de la simple préconstitution d'une preuve en cas de contentieux : il a une portée psychologique non négligeable. Rédiger ligne à ligne à la main, dater, signer, voire aller à la poste pour l'envoyer en recommandé permet de mieux réfléchir à l'étendue exacte de nos obligations. Tandis que taper en réponse immédiate un message vengeur… C'est indirectement ce qu'a constaté la cour d'appel de Paris le 16 novembre 2001, s'agissant d'un courriel titré « Démission », avec deux pages d'explications commençant par « Comme promis, je vais t'expliquer les raisons pour lesquelles j'ai décidé de partir », sur lequel ce chef magasinier était revenu trois semaines plus tard, demandant requalification et 400 000 francs de dommages-intérêts. Rétractation tardive, et surtout attestation d'un témoin confirmant la volonté réelle de démission : « M. M. n'est pas fondé à demander la requalification de la rupture en un licenciement. »

L'arrêt du 18 juin 2002 invite en effet l'entreprise à une grande prudence s'agissant de salarié ne venant plus travailler : « L'employeur n'est pas tenu de procéder au licenciement. À défaut d'un tel licenciement, ou de toute autre manifestation de volonté équivalant à un licenciement, le contrat de travail n'est pas rompu. » Comme il n'y a plus désormais de moyen terme entre démission et licenciement, et qu'il ne s'agit pas d'une démission sans équivoque…

2° Fausse démission, prise d'acte trop rapide et vrai licenciement

Hypothèse banale : à la suite d'un simple changement des conditions de travail ou d'un incident entre ego, un collaborateur expédie une lettre ou un courriel faisant état de son mécontentement, de son refus irrévocable de travailler, voire impute la rupture à l'employeur (Cass. soc., 19 juin 2002)… mais se garde bien de marquer noir sur blanc le terme fatidique « démission ». Ou, malgré des lettres de rappel de plus en plus menaçantes, ne donne plus signe de vie à l'issue d'un congé parental ou maladie (Cass. soc., 22 mai 2002). Pas toujours mécontent d'échapper ainsi à une procédure de licenciement pour faute (un travailleur doit travailler), et a fortiori aux procédures au sens lacanien créées par la loi de modernisation sociale en matière économique, l'employeur lui envoie par retour du courrier une lettre « prenant acte de la rupture du contrat », en y joignant certificat de travail et indemnités de congés payés.

Grave erreur ! Car si le non-travail sans motif valable constitue à l'évidence une faute disciplinaire permettant de licencier le salarié (faute grave en cas de mise en demeure, Cass. soc., 15 janvier 2002), en l'absence de volonté sérieuse et non équivoque de démissionner (i.e. sans lettre manuscrite énonçant clairement le terme « démission »), cette prise d'acte sera requalifiée par le juge en rupture d'initiative patronale, i.e. un licenciement. Les gros ennuis commencent : licenciement prononcé sans procédure (absence d'entretien préalable), et évidemment sans lettre de notification précisément motivée. Donc défaut de cause réelle et sérieuse, et versement au semi-démissionnaire d'une indemnité au minimum égale aux salaires des six derniers mois (Cass. soc., 15 mai 2002)… sans oublier les indemnités de préavis et de licenciement, puisque licenciement il y a eu, parfois à l'insu du plein gré patronal.

Alors que faire ? S'agissant de l'hypothèse la plus classique, l'arrêt du 19 mars 2002 donne la réponse : « À défaut de démission non équivoque, le refus du salarié de poursuivre le contrat qui n'a fait l'objet d'aucune modification de la part de l'employeur n'entraîne pas à lui seul la rupture du contrat, même en cas de départ du salarié. Il constitue un manquement aux obligations contractuelles que l'employeur a la faculté de sanctionner, au besoin en procédant au licenciement de l'intéressé. » En l'espèce (directeur commercial), elle approuve la qualification de faute grave, privative des indemnités de rupture.

3° Un insidieux glissement vers l'auto-licenciement aux frais de l'Assedic ?

« Si la cessation du travail par le salarié ne caractérise pas une volonté sérieuse et sans équivoque de démissionner, l'employeur n'est pas tenu de procéder au licenciement. À défaut d'un tel licenciement ou de toute autre manifestation de volonté équivalant à un licenciement (cf. une prise d'acte un peu rapide, voir supra), le contrat de travail n'est pas rompu. » L'arrêt du 18 juin 2002 avait légitimement rappelé à plus de réalisme des juges ayant affirmé que « l'employeur devait mettre en demeure Mme C. de reprendre son travail et engager en cas de refus une procédure de licenciement pour faute ; à défaut, la rupture s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ».

Poussé à son terme, un tel raisonnement – auquel un arrêt rendu le 10 juillet 2002 et qu'on espère d'espèce fait malheureusement penser – permettrait à n'importe quel salarié, déjà recruté par la concurrence ou voulant partir en vacances aux frais de l'Assedic, de ne plus venir travailler, puis d'imputer la rupture à l'employeur si celui-ci tardait à le licencier ; en attendant avec sérénité le jugement du conseil de prud'hommes saisi d'un défaut de cause réelle et sérieuse – et pourquoi pas des indemnités de rupture – en l'absence d'initiative patronale assez rapide à son goût (la concurrence n'attend pas). Article L. 120-4 nouveau du Code du travail : « Le contrat de travail est exécuté de bonne foi. » Cette qualité ne peut être que symétrique entre personnes physiques. La moralité des personnes morales…

FLASH

• Licencié avant d'avoir travaillé

La folie ayant saisi il y a deux ans le secteur quaternaire (SSII, télécommunications et autres start-up) avait amené ces sociétés à embaucher à tour de CV pour la rentrée 2000 afin de faire face à la culbute du chiffre d'affaires attendu.

Erreur fatale : la culbute s'étant produite dans un sens opposé, elles durent envoyer des centaines de lettres mélangeant regrets et remords, bref ne donnant pas suite aux lettres d'embauche dûment envoyées.

S'il s'agit d'une embauche ferme, et non de simples pourparlers, à quoi peuvent prétendre les personnes concernées ?

La Cour de cassation donne la solution dans les arrêts des 27 février 2002 et 6 mai 2002 : « La promesse d'embauche ferme engageait la société », qui doit réparation intégrale, « la rupture fautive ayant nécessairement causé un préjudice », même s'il n'y avait pas eu démission d'un emploi précédent (Cass. soc., 6 mai 2002) ; ne s'agissant pas d'une rupture d'essai, la rupture patronale peut donc être qualifiée de licenciement, non inhérent à la personne.

« Summum jus, summa injuria » : si plus de 10 ex-collaborateurs sont visés, la société devrait-elle monter un plan de sauvegarde de l'emploi ? On imagine les sourires entendus lors de la première réunion du CE s'agissant de travailleurs que personne n'a jamais vus. Encore que : au titre de l'obligation de reclassement dans l'entreprise ou le groupe… s'ils l'acceptent, car il s'agira d'une modification du contrat initial.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray