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Repères

Retour de bâton pour les stock-options

Repères | publié le : 01.09.2002 | Denis Boissard

Faillites d'Enron ou de WordCom, à la suite de manipulations comptables frauduleuses, quasi-cessation de paiements de Vivendi Universal pour cause de course déraisonnable aux acquisitions, le tout sur fond de krach boursier rampant… rien ne va plus, cet été, au royaume du capitalisme financier, jusque-là triomphant.

La dictature des (gros) actionnaires et leurs exigences folles de rentabilité

ont fini par gripper la mécanique – que l'on croyait bien huilée – de l'économie de marché. Les stock-options et leurs excès sont, à juste titre, dans le collimateur. Sorte de carotte virtuelle conçue pour permettre aux jeunes entreprises innovantes d'attirer des collaborateurs de talent auxquels elles ne peuvent au départ proposer que des salaires modiques, des horaires à rallonge et un avenir professionnel aléatoire, ces options d'achat d'actions à prix préférentiels se sont transformées en moyen d'enrichir rapidement et sans le moindre risque une petite caste de dirigeants de grands groupes confirmés.

Et, de ce point de vue, la France a largement rattrapé son retard sur les États-Unis, en devenant le pays européen le plus généreux dans la distribution de cette « manne » new-look. La divulgation des émoluments des dirigeants des entreprises cotées, imposée pour la première fois par la loi sur les nouvelles régulations économiques, est révélatrice : désormais grassement rémunérés, la plupart de nos P-DG doivent l'essentiel de leur fortune professionnelle aux plus-values qu'ils réalisent grâce à leur portefeuille de stock-options, lesquelles représentent souvent le double, le triple, le quadruple, le quintuple, voire plus, de leur salaire annuel.

Conçues pour inciter le management des entreprises à créer davantage de valeur pour l'actionnaire, les stock-options ont fonctionné bien au-delà des espérances de leurs promoteurs : la détention d'un portefeuille de stock-options a conduit beaucoup de chefs d'entreprise à effectuer, au nom de leurs intérêts bien compris, des arbitrages plus favorables à l'envolée à court terme du cours de Bourse (et donc à la plus-value qu'ils espéraient réaliser) qu'à la stratégie industrielle à moyen et long terme de leur firme. De dirigeants d'une communauté d'hommes et de femmes soucieux de fournir des produits ou des services de qualité, ils se sont transformés en spéculateurs. D'où les dérives que l'on constate aujourd'hui : une course effrénée à la croissance externe ; le recours systématique à l'endettement ; une externalisation des risques hors bilan ; la préférence donnée à l'Ebitda, ce ratio sophistiqué qui permet de déduire des résultats les impôts, les intérêts de la dette, les amortissements et provisions ; ou, plus grave, le maquillage des comptes de l'entreprise pour maximiser les bénéfices ou dissimuler les pertes. Autant de façons « astucieuses » de doper le cours de l'action.

La critique est exagérée ? La charge la plus féroce contre les excès des dirigeants d'entreprise est venue de zélateurs du libéralisme économique, à l'instar d'Alan Greenspan, le patron de la Réserve fédérale américaine, qui fustige la « cupidité » des chefs d'entreprise, ou de Michel David-Weill, le président de Lazard. Quelques extraits de l'interview décoiffante du célèbre banquier d'affaires au Point : « Les patrons savent qu'ils ne sont là que le temps d'une réussite. Dès que l'entreprise marchera moins bien, ils seront liquidés. Ils n'ont plus qu'une chose en tête : gagner beaucoup d'argent et vite ! L'affectio societatis du dirigeant vis-à-vis de son affaire faiblit. Il n'y a pas si longtemps, la vraie satisfaction des patrons, c'était de faire croître leur entreprise à long terme. […] Cet état d'esprit n'existe malheureusement plus aujourd'hui. »

Au chapitre boursier, il faut aussi signaler les dommages collatéraux

de la tempête actuelle, et leurs deux victimes : la retraite par capitalisation et l'actionnariat salarié. La dégringolade des cours est venue rappeler que les fonds de pension, souvent présentés comme la solution miracle pour compenser la baisse de rendement des régimes par répartition, ne sont pas dénués de risques. Une réalité que l'euphorie boursière des deux précédentes décennies avait fini par faire oublier. Outre-Atlantique, la déroute des marchés a ainsi fait des ravages dans les comptes des plans à cotisations définies que les entreprises proposent à leurs salariés, amputant d'autant les pensions escomptées par ces derniers et contraignant les plus âgés d'entre eux à différer leur départ à la retraite.

Même atterrissage brutal pour l'actionnariat salarié, dans lequel beaucoup d'entreprises s'étaient engouffrées pour motiver leurs collaborateurs en période de vaches maigres sur le plan salarial. Bon nombre d'actionnaires salariés, lesquels – à l'inverse des détenteurs de stock-options – avaient dû mettre la main au portefeuille pour souscrire aux plans proposés, doivent aujourd'hui attendre des jours meilleurs pour espérer retrouver leur mise initiale. Déprimant !

Auteur

  • Denis Boissard