logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

Sous l'ère Raffarin, le social change de têtes

Politique sociale | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.09.2002 | Jean-Paul Coulange

La bannière de l'UMP flotte depuis juin sur tous les palais de la République. Au Palais-Bourbon, le lobby médical règne en maître à la Commission des affaires sociales et, dans les ministères, les anciens des cabinets Barrot refont leur apparition. Bref, tout est en ordre de marche pour les premières réformes, y compris à l'Élysée, où l'expertise sociale n'a jamais été aussi forte.

La valse est impressionnante. Le retour de la droite au pouvoir a déclenché un vaste jeu de chaises musicales aux postes clés du social, dans les cabinets ministériels et au Palais-Bourbon. Exit les conseillers Jacques Rigaudiat et Bernard Krynen, à Matignon et Rue de Grenelle, et place à Dominique-Jean Chertier et Aubry… prénom Éric. Gros chambardement aussi à l'Assemblée nationale où les architectes des réformes sociales de l'ancienne législature, Jean Le Garrec, Gaëtan Gorce ou Éric Besson, ont dû s'effacer devant les nouveaux ténors des questions sociales que sont Jean-Michel Dubernard, Bernard Accoyer ou Bernard Perrut.

Pas de véritable surprise dans les cabinets ministériels, où l'ENA se taille la part du lion, la préfectorale s'octroyant, cette fois-ci, quelques places de choix. La nouveauté vient plutôt de l'Assemblée où les médecins ont pris le pouvoir à la Commission des affaires sociales. L'autre changement de taille, c'est le repositionnement de l'Élysée comme centre de commande de la nouvelle majorité. Et cela sur les questions sociales comme dans les autres domaines de la vie politique. Jamais l'expertise sociale de l'équipe élyséenne, et par voie de conséquence son pouvoir d'influence, n'a été aussi forte. Elle s'appuie d'abord sur Philippe Bas, successeur de Dominique de Villepin au poste stratégique de secrétaire général de l'Élysée. Ancien des cabinets de Simone Veil et de Jacques Barrot, ce conseiller d'État qui a supervisé le programme présidentiel de Jacques Chirac a connu une carrière fulgurante depuis son arrivée Rue Saint-Honoré, en 1997. Il est épaulé par Frédéric Salat-Baroux, qui a connu le même début de parcours, d'abord en tant que conseiller social puis comme secrétaire général adjoint chargé du social, mais aussi de la justice et de l'intérieur. Et par Frédéric Lemoine pour les dossiers économiques, passé, lui aussi, par le cabinet de Jacques Barrot…

Pas d'œil de Moscou à Matignon

Arrivée à l'Élysée juste après l'élection présidentielle, Marie-Claire Carrère-Gee, la nouvelle conseillère sociale, fait elle aussi partie du sérail : elle a suivi l'ensemble des dossiers sociaux au RPR, où elle a occupé le poste de secrétaire nationale chargée des retraites et participé activement à la campagne de Jacques Chirac. Même si l'épouse du nouveau président de la Ligue nationale de football, Frédéric Thiriez, souligne que « l'Élysée n'a pas vocation à télécommander ou à donner des directives », son propos est clair : « Je suis là pour veiller au respect des engagements pris par le président dans le domaine social. »

Un message qui vaut pour l'Hôtel Matignon comme pour l'ensemble des ministères. Mais la présidence de la République n'a guère à redouter une rébellion de la Rue de Varenne. Entre les deux palais, les ponts sont solides. Philippe Bas et Pierre Steinmetz, le directeur de cabinet de Jean-Pierre Raffarin, ont fréquenté les mêmes milieux barristes. Quant à Jean-François Cirelli, le directeur adjoint de cabinet, c'est tout simplement l'ancien conseiller économique de Jacques Chirac à l'Élysée. Cet énarque, qui s'est défendu dans les colonnes du Monde d'être « l'œil de Moscou à Matignon », s'est frotté, pendant la campagne présidentielle, au dossier de la réforme de l'État. Nul doute que le cabinet de Jean-Paul Delevoye, le ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l'État et de l'Aménagement du territoire, tient là un interlocuteur privilégié et attentif.

Pour le poste très attendu de conseiller social, Jean-Pierre Raffarin a créé la surprise en faisant appel à Dominique-Jean Chertier. Après dix ans passés à l'Unedic, ce dernier venait en effet de rejoindre au printemps la DRH de la Snecma, retrouvant avec plaisir le monde de l'entreprise qu'il avait connu chez Renault, Sacilor et Air Inter. Mais « un tel poste ne se refuse pas », explique un haut fonctionnaire. Il semble pourtant que Matignon ait longtemps cherché son conseiller social, approchant notamment Dominique Coudreau, le directeur actuel de l'Agence régionale de l'hospitalisation d'Ile-de-France, dont le nom avait déjà été cité pour la direction générale de la Cnam, lors du départ de Gilles Johanet.

Dominique-Jean Chertier possède d'autres qualités. Il est respecté des partenaires sociaux, qui ont applaudi à la transformation, sous sa baguette, du vieil édifice paritaire de l'Unedic. Son nom aurait d'ailleurs été soufflé à l'oreille de Jean-Pierre Raffarin à la fois par Denis Kessler et par la CFDT. « Son talon d'Achille, c'est qu'il ne vient pas de l'administration, ce qui va le gêner au début lors des réunions interministérielles », estime l'un de ses prédécesseurs. À Matignon, il sera secondé par deux conseillers pour la Sécurité sociale et la santé et, sur le travail et l'emploi, par Florence Richard, venue du cabinet Barthélémy. Et passée, elle aussi, par le cabinet de Jacques Barrot entre 1995 et 1997. Pour le dossier de la santé, Matignon peut aussi compter sur Benoît Parlos, le conseiller économique du Premier ministre, qui a dirigé le cabinet d'Hervé Gaymard, secrétaire d'État à la Santé et à la Sécurité sociale dans le gouvernement Juppé.

Même les esprits les plus acérés ne pointent pas d'erreurs de casting dans les grands ministères sociaux. Hormis le très rapide changement de directeur de cabinet chez Jean-Paul Delevoye, à la Fonction publique, qui s'est finalement entouré de Jean-François Rocchi, président de la Sofirem, qui occupait la même fonction dans le cabinet d'André Rossinot, entre 1993 et 1995.

Quant au choix des ministres eux-mêmes, François Fillon pour les Affaires sociales et Jean-François Mattei pour la Santé, il semble à beaucoup plus approprié que le tandem Jacques Barrot-Élisabeth Hubert de l'équipe Juppé I, en juin 1995. Mais le caractère le plus marquant du couple Fillon-Mattei, c'est bien entendu le Yalta opéré sur la Sécurité sociale. Comme le fait justement remarquer un familier de la Rue de Grenelle, « c'est la première fois qu'un ministre de la Santé dispose de la branche maladie et qu'un ministre des Affaires sociales n'a quasiment rien de la Sécu, en particulier les outils de la politique sociale que sont les minima sociaux ».

En bon politique, le professeur Mattei s'est donc entouré d'une équipe de techniciens de choc, où figure en particulier Philippe Georges, ancien directeur adjoint de la Sécurité sociale. Quant à son directeur de cabinet, Louis-Charles Viossat, il a fait partie… du cabinet Barrot. Au ministère des Affaires sociales, alors que Martine Aubry ou Élisabeth Guigou avaient fait appel à des anciens de Bercy pour contrer le poids de la citadelle de l'économie et des finances, François Fillon a opté pour la tradition en nommant un préfet, Jean-Paul Faugère, à la tête de son équipe. En revanche, l'entrée d'Éric Aubry, chargé du pôle travail-emploi-relations sociales, est passée beaucoup moins inaperçue. Et pour cause, cet administrateur civil arrive tout droit de la Fédération française des sociétés d'assurances, où il secondait Denis Kessler sur les affaires sociales. Mais, dans les administrations sociales, Éric Aubry est surtout connu pour son passage à la sous-direction de la négociation collective. Et non pour son adhésion présumée aux thèses libérales du président de la FFSA. Tout en louant le côté « agitateur d'idées » de Denis Kessler, l'intéressé se contente de répondre aux mauvais esprits que « le social pratiqué dans une branche comme celle de l'assurance est de qualité ». En témoigne l'accord « innovant » sur les 35 heures, prévoyant une durée annuelle de 1 580 heures, inférieure à la durée légale, signé par une organisation représentant 40 % des voix, la CFDT. Mais qui, malgré tout, a été retoqué par le juge !

Velléités hégémoniques de l'UMP

L'équipe Fillon a été l'une des premières à effectuer son baptême du feu parlementaire, avec le contrat jeunes, lors de la session extraordinaire de juillet. Elle a pu mesurer à la fois l'ampleur de cette majorité UMP et ses velléités hégémoniques, du Palais-Bourbon à celui du Luxembourg. C'est bien simple, la nouvelle formation aux couleurs présidentielles truste, à l'Assemblée nationale, l'ensemble des présidences de commission. Les centristes, qui pèsent pour 20 % environ du groupe UMP, se seraient volontiers contentés de celle des affaires sociales. Peine perdue, elle est revenue au professeur Jean-Michel Dubernard, maire adjoint aux affaires sociales de Lyon pendant six ans. Pilier du RPR lyonnais, l'ancien compagnon de route de Michel Noir reconnaît qu'il ne « s'attendait pas à cette responsabilité ». « Mais à partir du moment où l'on s'est orienté vers une présidence gaulliste, j'avais toutes les raisons d'être candidat, étant vice-président de la commission sortante. »

Quant aux partisans de François Bayrou, ils n'ont obtenu qu'un strapontin de secrétaire au bureau de la Commission sociale, revenu au député de Vendée, Jean-Luc Préel, apôtre de la régionalisation de la santé. L'opposition a été mieux traitée, puisque la socialiste Catherine Génisson – unique représentante féminine dans les bureaux des sept commissions – a hérité d'une vice-présidence. Sous la pression de l'UMP, l'UDF n'a eu droit qu'à la portion congrue dans les rapports parlementaires, ne récoltant qu'un avis sur le budget de la santé, attribué à l'inévitable Jean-Luc Préel, qui se plaint amèrement que « l'UMP n'en ait pas laissé davantage à l'UDF ».

Un véritable lobby médical

Au chapitre social, les hommes forts de cette législature seront en majorité les hussards de la législature 1997-2002 : Bernard Accoyer, numéro deux du groupe UMP, Denis Jacquat, Yves Bur ou René Couanau. Sans oublier François Goulard, passé à la Commission des finances, qui suivra le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Mais on verra aussi monter Jean Bardet, un professeur de médecine, sur le dossier maladie, à l'automne, et Irène Tharin, une néophyte « sans profession » au Palais-Bourbon, sur le budget du travail et de l'emploi. Rare spécialiste dans ce domaine sur les bancs de la droite, l'avocat Bernard Perrut a déjà étrenné des galons de rapporteur sur le projet de loi Fillon pour l'emploi des jeunes.

Cette exception mise à part, les professionnels de santé se taillent la part du lion. 37 des 43 médecins élus le 16 juin ont rejoint la Commission sociale, et près d'un quart des commissaires sociaux sont des professionnels de santé. Rien qu'au bureau, autour du chirurgien Jean-Michel Dubernard, on trouve un généraliste, Bernard Accoyer, un ORL, Denis Jacquat, un chirurgien-dentiste, Yves Bur, et une médecin urgentiste, Catherine Génisson. Jean-Yves Chamard, un expert du social de retour à l'Assemblée après cinq ans d'absence, a beau trouver « logique que les médecins siègent à la Commission sociale », cela ressemble à s'y méprendre à un lobby, dont on jugera de l'efficacité lors de l'examen du PLFSS, à l'automne. Les bons docteurs Diafoirus de l'Assemblée nationale partagent au moins le diagnostic de leur confrère Mattei : « Il faut remettre à plat l'ensemble du système de santé », martèle Bernard Accoyer.

Face à cette surpopulation médicale, les spécialistes des dossiers du travail et de l'emploi siègent plutôt dans les autres commissions. Et sous les couleurs de l'opposition, avec Jean Le Garrec, Éric Besson ou Élisabeth Guigou. Le scénario est peu ou prou le même au Sénat, où un médecin généraliste, le sénateur RPR des Yvelines Nicolas About, a conservé la présidence de la Commission des affaires sociales. À la suite de la défaite, en septembre 2001, de Claude Huriet et de Charles Descours, deux bons experts du dossier de la santé, c'est le sénateur de l'Oise, Alain Vasselle, qui montera en première ligne en octobre lors du débat sur la Sécurité sociale, pour la branche maladie. Tandis que le centriste Jean-Louis Lorrain et le RPRPaul Blanc (tous deux médecins) se chargeront du dossier de la famille et de celui des handicapés. Enfin, Louis Souvet, l'un des très rares sénateurs qui se revendique « cadre », trustera les rapports consacrés au travail et à l'emploi.

Légiférer par amendements

Désormais de même sensibilité, les deux Assemblées ont inauguré de nouvelles méthodes de travail. On l'a vu avec le texte sur les exonérations de charges pour les jeunes, débattu en urgence au Sénat à la mi-juillet, à l'Assemblée fin juillet, et bouclé le 1er août en commission paritaire. Les fantassins de l'UMP ont dû se résoudre au partage des quatre textes au menu de la session extraordinaire, la Commission des lois du Palais-Bourbon voyant lui échapper le texte sur l'amnistie et la Commission sociale, le projet de loi sur l'emploi des jeunes. Le député UDF Jean-Luc Préel n'est d'ailleurs pas convaincu que le poids du Parlement s'en trouve renforcé. « Pour avoir connu 1993, j'en retire la conviction que les ministres et leurs cabinets vont vouloir faire voter leurs textes tels quels. » C'est aussi le sentiment de certains députés d'opposition, après les premières auditions des ministres sociaux, en à peine plus de deux heures, à la mi-juillet. « Nous ne serons pas une commission de godillots, s'exclame Jean-Michel Dubernard. Nous allons légiférer davantage par amendements que par propositions de loi. » C'est dire l'importance que va prendre pendant ces cinq années Jacques Barrot, patron de l'énorme groupe UM (356 députés), promu médiateur de choc entre le gouvernement Raffarin et le Palais-Bourbon.

Des places à prendre

Le scénario est désormais bien connu. Sans que l'on puisse vraiment parler d'un « spoil system » à la française, chaque alternance donne lieu à une valse de hauts fonctionnaires dans les allées du pouvoir. Premiers concernés : les préfets, les responsables de la police et les diplomates. Mais, hormis les rituels mouvements de la Place Beauvau et du Quai d'Orsay, l'ensemble des ministères devraient être touchés. Même si ces changements « ne sont pas dans la culture du ministère », comme on tient à le préciser dans l'entourage de François Fillon, plusieurs directions du ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité pourraient changer de tête. À commencer par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), dirigée depuis octobre 2000 par Marie-Caroline Bonnet-Galzy. Cette ancienne patronne de la Direction de l'administration générale et de la modernisation des services (Dagemo), déjà passée par l'Igas entre 1986 et 1987, au poste de numéro deux, devrait quitter sans trop de regrets, l'Inspection. Certains observateurs parient sur l'arrivée de Pierre Soutou, ancien directeur de la politique médicale à l'AP-HP, actuellement chargé de mission Rue de Grenelle. Et ancien patron de la Dagemo !

Autre direction convoitée, la stratégique Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), dirigée depuis le début de l'année 2000 par Catherine Barbaroux, ex-DRH de Prisunic et du Printemps. Cette ancienne militante de l'Unef, « génétiquement de gauche », comme elle se définit elle-même, choisie par Martine Aubry pour défendre et promouvoir les lois 35 heures, pourrait peut-être faire les frais du retour de la droite aux affaires. En revanche, Jean-Denis Combrexelle, le directeur des relations du travail (DRT), ainsi que Dominique Lacambre, directeur de la Dagemo, ne semblent pas menacés par ce jeu de chaises musicales.

À signaler encore, l'Arlésienne du remplacement de Paul Champsaur, numéro un de l'Insee, par Jean-Michel Charpin, un commissaire général au Plan peut-être trop marqué à gauche pour être le candidat idéal aux yeux du gouvernement Raffarin.

Auteur

  • Jean-Paul Coulange