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Enquête

DE VRAIS CONVERTIS ET UNE COHORTE D'ATTENTISTES

Enquête | publié le : 01.09.2002 | Frédéric Rey

Du mécénat à l'insertion des jeunes en passant par la charte RH pour l'international, chaque entreprise accommode la responsabilité sociale à sa sauce. À côté des pionnières dotées d'outils ad hoc, le peloton reste très suiviste. Et les DRH sont rarement en première ligne.

À chacun sa formule : « Allons plus loin » pour Renault, « Notre responsabilité d'industriel » pour TotalFinaElf ou, plus simplement, « Responsabilité sociale et environnementale » pour Danone. À chacun aussi son style. Certains groupes, comme Carrefour, ont choisi de l'imprimer sur papier recyclé. Rhodia a eu recours au CD-ROM. Beaucoup l'ont illustré par des photos ou des graphiques. Mais toutes le peaufinent, ce nouveau rapport « social ». Depuis le 1er janvier 2002, les grands groupes cotés en Bourse sont soumis à l'obligation de fournir tous les ans des données sur leur responsabilité sociale et environnementale. « Mais, contrairement au bilan social, ce document doit être rendu public, explique José Allouche, professeur de gestion des ressources humaines à l'Institut d'administration des entreprises (IAE) de Paris. Les entreprises vont devoir se faire à l'idée que des analyses au peigne fin pourront être réalisées. »

Pour Pascal Bello, ancien directeur de l'agence de notation Arese, cette obligation de reporting social est primordiale : selon lui, « c'est la capacité des responsables des ressources humaines à élaborer des indicateurs et les objectifs à atteindre qui va faire la différence ». Et pourtant, à écouter les spécialistes du développement durable, les responsables RH ne semblent pas s'imposer comme des acteurs de premier plan. « Nous avons même parfois le sentiment que c'est, pour certains, le cadet de leurs soucis, déclare sans détour Anne Grjebine, directrice au sein du cabinet PricewaterhouseCoopers (PWC). Aux diverses réunions d'information que nous proposons, ils sont encore très minoritaires. Bien peu d'entre eux témoignent pour l'instant d'un réel engagement. »

Il faut dire que dans le fourre-tout du développement durable ce sont d'abord les questions d'environnement qui semblent primer. « Beaucoup d'entreprises restent cantonnées dans une approche de la gestion du risque, explique François Fatoux, délégué général de l'Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises (Orse). Or les conséquences économiques d'un désastre écologique sont mesurables et quantifiables. C'est beaucoup plus difficile à faire sur le social. » Ce sont d'ailleurs les responsables de l'environnement ou de la communication qui alertent leur direction générale sur la nécessité de se garantir par des politiques préventives. Pour François Mancy, conseiller auprès de la direction du groupe LVMH et ancien président de l'ANDCP, les DRH sont enclins à un grand scepticisme et s'interrogent sur le rôle que leur direction va leur demander de tenir : « Seront-ils de simples fournisseurs de données sociales ou bien les copilotes d'un ambitieux projet ? »

Électron libre et travail en réseau

Sur le terrain, depuis les six derniers mois, de grands groupes mettent pourtant leurs équipes RH à contribution. Chez Accor, par exemple, Volker Büring, le DRH du groupe, fait partie des 10 dirigeants de l'entreprise qui participent au comité de travail mis sur pied en juin. « Les ressources humaines sont bien sûr une composante importante, précise-t-il. Elles prennent leur place à côté d'autres thèmes comme le client, l'actionnaire, l'environnement, la citoyenneté, les relations avec les fournisseurs. » Jean-François Pilliard, le DRH de Schneider Electric, s'est attelé à l'élaboration d'une charte internationale précisant les comportements à tenir partout où le groupe est implanté. « Un document, explique-t-il, qui comportera des principes non négociables et d'autres qui vont devoir tenir compte des réalités locales. » « L'élan est perceptible, confirme François Fatoux, délégué général de l'Orse, mais beaucoup d'entreprises restent encore attentistes. » Plus rares sont les sociétés qui, comme Michelin l'a fait en 2002, ont créé une fonction de responsable du développement durable et l'ont confiée à un ancien directeur opérationnel. « Mon poste fait partie de la direction des ressources humaines, souligne Jacques Toraille, mais je me considère davantage comme un électron libre. Ce choix de travail en réseau est en cohérence avec la nature très transversale de ce concept. » L'aspect très pluridisciplinaire du développement durable ne se marie en effet pas facilement avec l'organisation traditionnelle des entreprises.

Dans les groupes considérés comme les plus en pointe sur le développement durable, chacun a adopté un dispositif différent. Lafarge, par exemple, a choisi, pour piloter sa politique, une direction partagée entre les ressources humaines et l'environnement. Chez Danone, c'est le DRH du groupe qui a la maîtrise du sujet. Enfin, chez Sanofi Synthélabo, la coordination du programme a été attribuée à la direction de la stratégie. « Nous en avons beaucoup débattu, explique Serge Martin, directeur délégué du développement durable, les ressources humaines sont un volet essentiel au même titre que l'environnement, mais il nous fallait un rattachement hiérarchique qui permette d'avoir une vision globale. »

La grande diversité des organisations mises sur pied par les entreprises tient au flou qui entoure encore la notion de responsabilité sociale d'entreprise. « La grosse difficulté, c'est que personne n'y voit très clair, estime le DRH d'une société de distribution dans le Nord. Cette notion est tellement vague que le résultat risque d'être très différent selon que l'on s'appelle Danone ou Procter & Gamble. Aujourd'hui, chacun met sous ce terme ce qu'il veut bien. » Les entreprises mettent en avant la nature volontaire de cette responsabilité et définissent elles-mêmes ce qu'elles estiment être les bonnes pratiques. Ainsi, au nom du développement durable, certaines présentent des actions de mécénat social. Siemens a élaboré un programme baptisé « Citizenship » (citoyenneté) qui s'appuie sur la création d'une fondation d'entreprise œuvrant pour l'engagement civil. Même cas de figure pour le fabricant de cigarettes Philip Morris, qui soutient financièrement des associations de lutte contre le sida ou les violences domestiques. Dans le discours, le leitmotiv est le même : pour toutes les entreprises, les ressources humaines occupent une place prioritaire. « Mais on s'aperçoit que ce sont très souvent des logiques traditionnelles de politiques RH sans nouvelle dynamique », estime François Fatoux, délégué général de l'Observatoire sur la responsabilité sociétale (Orse).

Un tableau de bord avec indicateurs

Dans le programme « Let's make things better » de Philips, présenté en février 2002 devant le comité de groupe européen, le chapitre ressources humaines contient essentiellement des mesures de mobilité ou de formation afin de favoriser les compétences et l'employabilité des salariés. « Cette volonté existait déjà auparavant, souligne Bertrand Cardera, le DRH France, mais elle n'avait jamais fait jusqu'à présent l'objet d'un projet global. » Accor met en avant un ensemble de mesures variées, comme l'insertion des jeunes ou des personnes handicapées, le dialogue social… « Aujourd'hui, nous souhaitons aller au-delà, explique Volker Büring, le DRH du groupe. Nous souhaitons mettre au point un tableau de bord avec des indicateurs sociaux tels que le turnover, la mobilité, les dépenses de formation professionnelle… »

Dans ce domaine, Suez, Danone, Sanofi-Synthélabo ou Lafarge ont pris une bonne longueur d'avance, en réfléchissant à la façon de rendre compte de la performance sociale. Gérard Mestrallet, P-DG de Suez, a, dès 1998, anticipé en créant l'Observatoire social international (OSI), une association regroupant des consultants, des entreprises, et qui s'est donné comme ambition de devenir la boîte à idées du développement durable. L'OSI travaille depuis deux ans sur la mesure de l'efficacité sociale et la construction de critères devant permettre d'identifier les progrès effectués. Les entreprises membres de l'observatoire (EDF, Schlumberger, France Télécom, Schneider Electric, Thomson Multimédia…) se sont engagées à tester ces indicateurs dans deux domaines : la rémunération et la formation. La santé et la sécurité seront traitées ultérieurement.

Danone s'est, quant à lui, doté d'un outil de pilotage de la responsabilité sociale pour chaque société du groupe. « Nous avons défini 130 pratiques mesurables dans différents domaines dont la politique humaine, détaille Bernard Giraud, directeur initiative chargé du développement durable. Un reporting complet, notamment en matière de responsabilité sociale, sera effectué en 2004. » Un chantier très ambitieux. Ainsi, en matière de protection sociale, le groupe de Franck Riboud s'est fixé un triple objectif : imposer un minimum standard partout dans le monde en établissant notamment un accès aux soins dans les pays en voie de développement; harmoniser progressivement les garanties existantes entre cadres et non-cadres; et, sur la retraite, se situer au-dessus des moyennes des pays. « Ce Danone way ne remet pas en question le bien-fondé économique qui régit aujourd'hui la vie d'une entreprise, souligne Bernard Giraud. Les arbitrages sont permanents. Nous devons apprendre à gérer positivement les tensions en développant le social au même rythme que l'économique. »

« Si ce thème est relativement nouveau, précise de son côté Frédéric Cluzel, directeur des relations sociales de Sanofi-Synthélabo, nous avons depuis longtemps travaillé sur ces questions de responsabilité sociale. Nous sommes seulement amenés aujourd'hui à affiner nos indicateurs. » Mais il faudra certainement beaucoup de temps avant que le reste de la troupe rejoigne ces leaders du développement durable. « Les entreprises les plus avancées sont celles qui avaient déjà fait de leurs ressources humaines un enjeu important à moyen terme, constate Claude-Emmanuel Triomphe, délégué général de l'Université européenne du travail, chargé par la fondation de Dublin d'une étude sur la responsabilité sociale.

Les patrons souvent aux abonnés absents

Ces pionniers ont un point commun : leurs dirigeants étaient les premiers impliqués avant de créer des fonctions dédiées. Ce qui est loin d'être partout le cas. « Les patrons français sont encore très souvent absents par rapport à ces nouveaux enjeux, note Claude-Emmanuel Triomphe. Bien peu d'entre eux ont, par exemple, adhéré à la Corporate Social Responsability (CSR), l'association patronale européenne qui fait du lobbying sur la responsabilité sociale d'entreprise. » Mais une trop forte personnalisation constitue à la fois une force et une faiblesse. Quelle est en effet la garantie de la pérennité de ces politiques si les entreprises changent de tête, ce qui semble devenu le lot commun de la mondialisation ?

Informer, analyser, assister…
La responsabilité sociale donne du grain à moudre à de nouveaux acteurs

Les évaluateurs

Ce ne sont pas des agences de notation mais des instituts de recherche. Leur mission : effectuer une analyse qualitative des pratiques sociales et environnementales. Les enquêteurs recueillent les informations auprès des dirigeants des entreprises et les recoupent avec d'autres sources.

L'Observatoire de l'éthique (ODE). L'association publie en particulier « le Guide éthique du consommateur » où est présentée la politique sociale et environnementale de 83 entreprises.

[www.ode-asso.com]

Le Centre français d'information sur les entreprises (CFIE). Une trentaine de monographies ont été réalisées par cet organisme qui a vu le jour en 1996.

[www.cfie.net]

Les conseils

Comment concrétiser le concept de développement durable ? Plusieurs cabinets de conseil en ont fait leur spécialité et proposent une assistance pour la mise en place d'une démarche socialement responsable. Parmi eux :

Utopies, un des premiers cabinets de conseil en développement durable créés en France (en 1993).

[www.utopies.com]

BMJ, un expert connu à l'origine pour la qualité de ses rapports sociaux.

[www.bmj-sa.com]

Terra Nova Conseil, un cabinet qui s'adresse aux entreprises ainsi qu'aux institutions financières.

[www.terra-nova.fr]

ThM, l'un des derniers-nés (en 2001).

[thmueth@wanadoo.fr]

Les informateurs

En l'espace de deux ans, deux initiatives ont vu le jour afin d'apporter des informations sur la responsabilité sociale, environnementale et les placements éthiques.

Novethic. Créé en 2001 par la Caisse des dépôts, ce site, très fourni, édite entre autres une lettre électronique de l'économie responsable.

[www.novethic.fr]

L'Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises (Orse). Cette association a été mise sur pied en 2000 à l'initiative d'entreprises, de mutuelles et de la CFE-CGC.

[www.orse.org]

Auteur

  • Frédéric Rey