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Vie des entreprises

Statut en or pour les fonctionnaires du Sénat et de l'Assemblée

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.06.2002 | Anne Fairise

Rémunérations alléchantes, congés à profusion, prêts super bonifiés… les personnels du Palais-Bourbon et du Palais du Luxembourg sont particulièrement choyés, disponibilité oblige. Les deux assemblées tentent aujourd'hui de dépoussiérer une gestion très paternaliste. Mais ces vénérables institutions bougent lentement.

C'est reparti ! En entrant dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale le 25 juin, les 577 députés nouvellement élus lanceront les travaux de la 12e législature de la Ve République. Acte I ? L'élection du président, des vice-présidents et des trois questeurs, personnages clés qui se verront remettre les pouvoirs financiers et administratifs, à charge pour eux de veiller au bon fonctionnement de cette bouillonnante « maison ». Session extraordinaire oblige, l'été sera studieux sous les ors du Palais-Bourbon. Tout comme il le sera aussi, à quelques encablures de là, au Palais du Luxembourg, où les 321 sénateurs passeront au crible les textes adoptés par leurs homologues.

Les parlementaires ne seront pas seuls sur le pont. En coulisse, le millier de fonctionnaires parlementaires (1 290 à l'Assemblée nationale, 1 150 au Sénat), qui ont vécu une semi-activité, depuis février, avec la fin de la précédente législature, vont reprendre du service. Rien de comparable, cependant, entre les rédacteurs des comptes rendus de discussion, les huissiers de séance, les administrateurs qui planchent en commission sur les propositions de loi, les agents affectés au courrier des parlementaires ou les jardiniers, tapissiers, informaticiens des services techniques.

Au Sénat comme à l'Assemblée nationale, cette « haute disponibilité » des fonctionnaires parlementaires est intimement liée à leur statut doré qui fait pâlir d'envie toute la fonction publique. Il a été concocté en vertu du principe d'autonomie du Parlement par le bureau, organe directeur de chaque assemblée. « Le statut, c'est la contrepartie de la disponibilité totale et de la rapidité de réaction, avec obligation de résultat, qui sont demandées », commente un administrateur en commission. Lequel peut parfaitement terminer la session de nuit, au petit matin, pour rempiler à 9 heures. « Il met à l'abri des pressions politiques un certain nombre de fonctionnaires et leur permet de travailler en toute indépendance », renchérit un directeur de service du Sénat. Symptomatique, l'afflux de candidats aux concours : 300 postulants pour… les sept derniers postes d'administrateurs ouverts au Sénat ! C'est, depuis vingt ans, le seul sésame pour rejoindre les rangs privilégiés des personnels parlementaires. Une procédure plus démocratique que les traditionnels recrutements familiaux qui ont conduit à de véritables dynasties familiales.

Il faut dire que les salaires, quasi équivalents à l'Assemblée nationale et au Sénat, sont alléchants. Un agent dédié à l'accueil (niveau CAP) débute à 2 134 euros net par mois ; un administrateur, à 3 658 euros. Au Sénat, un directeur de service, avec cinq ans d'ancienneté, touche près de 15 245 euros. Primes incluses, car les rémunérations sont constituées, pour 50 % à l'Assemblée nationale (et 40 % au Sénat), des nombreuses indemnités liées au rythme d'activité des chambres et notamment aux sessions de nuit. Une sacrée manne. Du jardinier au secrétaire général de la questure, tous touchent la prime de séance de nuit, qu'ils soient au fond de leur lit ou sur les lieux.

Des prêts immobiliers à 2 %

Mais il n'y a pas que la feuille de paye. En sus, les fonctionnaires de l'Assemblée nationale bénéficient d'un treizième mois, de dix semaines de vacances, d'un régime autonome de Sécurité sociale et de retraite, de prêts au logement à taux dérisoire (76 224 euros en moyenne sur dix ans, remboursables à 2 %). Les mères ont droit, dès leur premier enfant, à six mois de congé maternité. Et les administrateurs peuvent partir, en congé spécial, dès 55 ans, ce qui ne les prive pas d'une retraite à taux plein. Au Sénat, on peut même faire son pot de départ (pour congé spécial) dès 53 ans ! Une mesure que le Palais du Luxembourg, a contrario du Palais-Bourbon, a ouvert à toutes les catégories de personnel. Depuis peu, une trentaine de fonctionnaires en bénéficient chaque année. « Cela permet d'anticiper le choc des années 2005-2010, période pendant laquelle près de 25 % des fonctionnaires vont partir à la retraite. Et de commencer à les remplacer », note Jacques Toutain, responsable du service des ressources humaines au Sénat.

Un peu plus généreux que le Palais-Bourbon côté avantages, le Sénat a été le plus prompt à proposer le nouveau congé parental adopté, dans ses murs, en 2001. En revanche, pour les 35 heures, les deux chambres ne se sont pas départagées. Difficilement applicable, vu nos fluctuations d'activité, explique-t-on au Palais-Bourbon. Quant au Sénat, une étude a montré que le personnel était déjà, en moyenne, à 1 600 heures par an, seuil retenu pour l'application de la loi dans la fonction publique.

Si la gestion du personnel s'avère très paternaliste dans les deux palais, rien à voir, côté relations sociales, entre la trépidante Assemblée nationale et le paisible Sénat, ce « phalanstère », comme le dit Christian Poncelet, son président. La représentation du personnel est assurée par une association unitaire regroupant tous les syndicats maison (un par corps). Inutile de chercher à interroger le responsable des agents, il vous renvoie illico vers le service du personnel. « Les relations sont feutrées. Il y a rarement des coups de sang, plutôt des clapotis », observe un administrateur. Les relations sont plus musclées à l'Assemblée nationale, qui compte cinq syndicats, dont l'Unsa et deux confédérées (CGT, FO) souvent promptes à débrayer.

La questure de l'Assemblée nationale ne les rencontre qu'une fois par an, lors d'un « comité de concertation ». Au Sénat, il se tient trois réunions par an. Mieux, la vénérable Assemblée vient de créer, dans chacun des 18 services, des comités techniques paritaires, organisant autant d'élections pour élire leurs membres ! « Plus on est proche des salariés, mieux ça vaut. C'est une règle de la démocratie de proximité. De bonnes relations sociales au sein des services mettent de l'huile dans les rouages », reprend Jacques Toutain, le DRH. « Sénateurs et personnels ont partie liée. Ils font front pour défendre une institution menacée », persifle-t-on au Palais-Bourbon. La plus grande stabilité politique au Sénat, comme son rythme moins enfiévré, explique les différences.

5 à 10 % de contractuels

Dans les couloirs des deux chambres, on ne croise pas que des personnels à statut. À l'Assemblée, le ménage, hier réalisé par les agents, a été « privatisé » au début des années 90. « Les contractuels affectés à des emplois permanents augmentent dans les services », déplore la CGT, estimant à 10 % leur nombre : secrétaires, magaziniers-électriciens, informaticiens-dessinateurs, qui, pour certains, occupent le même poste depuis… dix ans. Un recrutement inadapté, selon certains agents des services techniques : « Le changement des ampoules a été confié à un prestataire extérieur, qui ne connaît pas la maison. Un agent est donc obligé de l'accompagner ! »

Arc-boutée sur la défense de « l'unité du statut », la CGT vient d'obtenir, après avoir déclenché une grève fin 2001 au service technique, que l'administration applique la loi Sapin de résorption de l'emploi précaire dans la fonction publique, votée dans ses murs. Mais le Palais-Bourbon a adapté la législation : pas de titularisation des contractuels, mais un encadrement des conditions d'embauche (un contrat de trois ans renouvelable une fois). Tant pis pour les contractuels en poste, obligés de se tourner vers les concours externes. « C'est vrai qu'il y a eu une gestion un peu laxiste. Mais la proportion de contractuels reste acceptable : 5 % des effectifs », note le service du personnel.

S'il a commencé à externaliser une partie du ménage, à utiliser des prestataires de services pour les activités informatiques, le Palais du Luxembourg compte en revanche moins d'une vingtaine de contractuels (soit 2 % des effectifs). « Ce sont des pratiques à mettre en œuvre très prudemment. La norme est la position statutaire, avec parfois des contractuels de droit public pour des fonctions spécialisées », explique le service des RH qui, comme au Palais-Bourbon, a assoupli les conditions d'accès aux concours externes pour les contractuels.

Finie, la polyvalence des agents

Face à l'évolution de leurs missions (contrôle, international), les deux chambres commencent à s'interroger sur leur « cœur de métier » pour éviter l'inflation sans fin des postes de fonctionnaires. « Comme dans toute administration, on crée un service à chaque nouvelle mission, qui s'empile sur les autres, sans réorganisation d'ensemble », critique un fonctionnaire parlementaire. L'Assemblée nationale, en tout cas, a clairement affiché sa volonté de « contenir effectifs et rémunérations », et commencé à réformer certains services. Comme l'historique « service général intérieur », qui regroupait la moitié des agents polyvalents, mobilisables sur différentes tâches (l'accueil, le courrier, les visites), avec une organisation jugée trop rigide et sur un rythme immuable : deux jours de travail, un jour de repos. La réforme a pris pas moins de trois ans. Audit par un cabinet-conseil (une première), groupe de travail, communication auprès des députés : le Palais-Bourbon a pris des gants, après une grève organisée par l'Unsa et la CGT.

Depuis avril 2001, le service général est donc restructuré en cinq unités spécialisées (accueil, organisation des réunions, acheminement du courrier, etc.), mais sans refonte réelle des horaires. Les agents, disséminés dans les couloirs menant aux bureaux des députés, ont été regroupés dans des pools par étage. Un sacré mieux pour l'Usapan, qui regroupe des administrateurs. Mais, chez les agents, la réforme a du mal à passer, même si elle a été assortie d'une revalorisation de la grille d'avancement. Les critiques majeures portent sur la fin du travail de proximité. « C'était plus valorisant d'être près des députés que de poireauter, comme aujourd'hui, près du téléphone dans un pool. On connaissait tout le monde, on pouvait faire un service à la carte », remarque l'Unsa. Pointée aussi, la spécialisation des tâches, synonyme d'appauvrissement et de monotonie.

La mobilité, nouvellement instaurée, n'y changera rien, selon Jean-Louis Beauvois du Syndicat des agents de l'Assemblée nationale (Saan). « Elle n'est pas obligatoire. Celui qui est bien à la réception ne voudra pas bouger. On n'a pas une culture de la mobilité : certains ont passé dix ans au même étage. » Mais ce mécontentement face à la réforme cache un mal-être plus général. Catégorie encore majoritaire voici une décennie, les agents se sentent floués. « Notre carrière n'a pas été revalorisée depuis 1975, à la différence de toutes les autres. Et voilà qu'on récolte uniquement une réforme de l'emploi », martèle l'Unsa, qui regarde avec envie la « réforme » menée par le Sénat auprès de ses agents. Dans l'assemblée voisine, pas de chambardement. La polyvalence reste la règle. Mais la chambre haute a révisé sa grille indiciaire, instauré la mobilité et surtout introduit un nouveau niveau d'encadrement. Ce sont 80 postes de « chefs de groupe » qui ont été créés parmi les 420 agents. Beaucoup trop, selon les méchantes langues, et pourtant les agents souhaiteraient voir ce nombre augmenter pour pouvoir évoluer…

Une « armée mexicaine »

Sénat et Assemblée nationale se sont aussi penchés sur les carrières des administrateurs des services, ces « hauts fonctionnaires » (13 % des effectifs) qui évoluent entre services administratifs et législatifs. Le Palais-Bourbon a renforcé les possibilités de mobilité externe et les a élargies aux administrateurs adjoints. Dix administrateurs travaillent ainsi à la Cour des comptes, au Conseil d'État, et même au Bundestag. Une mesure sans impact sur les avancements, mais « un bon moyen de gérer les frustrations », confie-t-on au service du personnel. Car les évolutions de carrière sont réduites comme peau de chagrin dans ces institutions de petite taille. « La carotte financière n'est plus suffisante. Les jeunes veulent des carrières intéressantes », note un fonctionnaire de l'Assemblée nationale. Même écho au Sénat, où certains administrateurs souhaitent même que la mobilité devienne obligatoire. On en est loin. Le Sénat a porté à… 5 le nombre de postes en externe. Mais « pas question d'aller plus loin pour l'instant », selon le service des RH. Pour des raisons de coût, car le Sénat continue à prendre en charge le salaire des « sortants ».

Il ne reste donc d'autre solution que d'accélérer la mobilité interne, puisqu'il paraît difficile de gonfler encore le nombre de postes d'encadrement et de sous-directeurs. « Avec 19 postes de directeurs sur un corps de 168 administrateurs et conseillers, on a déjà une armée mexicaine », estime-t-on au Palais-Bourbon. Le Sénat, qui a instauré une mobilité supplémentaire pour les administrateurs adjoints en 1999 (au minimum deux services en quinze ans avant de devenir sous-chefs), compte lui aussi s'attaquer au corps des administrateurs. Comme à l'Assemblée nationale, ils devront passer par quatre services au lieu de trois avant de devenir directeurs. Impossible, donc, de rester plus de six ans à un même poste de sous-directeur ! Une réforme qui contraint à bouger. « Mais on jouera les jeunes qui poussent contre les anciens », confie-t-on en interne.

Pour mieux connaître les profils professionnels de ses troupes, le Palais du Luxembourg a mis en place en 2001 des entretiens annuels d'évaluation et revu le système de la notation chiffrée, supprimée au profit d'une fiche d'appréciation professionnelle comportant 12 critères. « Un outil au service de la gestion des carrières et des compétences », selon le service du personnel. Tandis que l'Assemblée nationale a conservé la traditionnelle notation. Quant aux nouvelles fiches de vœux que les fonctionnaires doivent remplir (au moins tous les trois ans), il est trop tôt pour juger de leur impact sur les affectations. Mais il y a déjà eu quelques beaux ratés. « Un administrateur qui ne souhaitait pas changer de poste a vu débarquer son successeur un lundi à 16 heures. C'est plutôt indélicat ! » raconte un de ses collègues. Aux yeux de certains, cette mobilité ressemble surtout à un jeu de chaises musicales. « Pour le moment, on fait du quantitatif plutôt que du qualitatif », note un fonctionnaire. Même constat au Sénat, où les affectations, et donc la gestion des carrières, reste le fait « du président des questeurs, après arbitrage des secrétaires généraux et, parfois, du directeur de service ou de la DRH ».

À l'Assemblée nationale, on ne croit guère à la gestion prévisionnelle de l'emploi. « Lors du dernier concours d'administrateur adjoint, on avait estimé les besoins à trois personnes mais ouvert neuf postes. Sept candidats ont été retenus, mais cela s'est révélé insuffisant. Entre les retraites anticipées, les congés parentaux et autres, il y a eu cinq départs. Il a fallu voir avec les directeurs de service qui pouvait se passer de qui. Le cauchemar ! » commente-t-on à la DRH. Au Palais-Bourbon comme au Sénat, la gestion des personnels, même si elle commence doucettement à se moderniser et à s'outiller, reste essentiellement financière. Aucune de ces deux bonnes « maisons », d'ailleurs, ne réalise régulièrement de vrai bilan social.

Des « collaborateurs » plus ou moins bien traités

Du jamais-vu au Palais-Bourbon. Le 12 avril, les 577 députés ont été assignés devant le tribunal d'instance du 7e arrondissement de Paris par l'Union syndicale des collaborateurs parlementaires (USCP), affiliée à l'Unsa, qui milite pour la reconnaissance d'un « statut » des 2 100 assistants. Des collaborateurs d'autant plus aux abois que nombre d'entre eux devraient être licenciés après le 16 juin. Ces « travailleurs de l'ombre » sont recrutés sur un contrat de droit privé, négocié de gré à gré avec chaque député qui fixe les horaires, la durée du travail et la rémunération, prélevée sur leur « crédit collaborateurs » (7 569 euros par mois). Résultat : des revenus disparates, une formation « quasi inexistante », des 35 heures appliquées à environ la moitié des collaborateurs à plein temps. L'USCP a demandé la reconnaissance d'une union économique et sociale regroupant tous les députés. De quoi obtenir des droits collectifs (comité d'entreprise, délégués du personnel, etc.) ainsi qu'un cadre de négociation. Pour ne plus courir le risque d'être accusée de se livrer à une « gestion de fait », l'Assemblée vient d'intégrer dans les contrats de travail tous les avantages qu'elle accordait en propre aux collaborateurs.

Cette fronde est suivie de près au Sénat, où l'on craint de voir remis en cause le modus vivendi trouvé, depuis vingt-cinq ans, avec les quelque 920 assistants de sénateurs, relevant d'une association de gestion, l'Agas. Chez ceux-ci, il existe un minimum et un maximum salarial, un âge minimal requis, des conditions d'équivalence de diplômes. Mieux, le Sénat leur a accordé le statut de cadres ainsi qu'une prime d'ancienneté ! Mais, pour Michel Richard, le directeur délégué de l'Agas, « les assistants ne doivent pas oublier que leur situation reste attachée au mandat du sénateur ». Même si, au Palais du Luxembourg, le bail est au moins de neuf ans !

Auteur

  • Anne Fairise