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Vie des entreprises

Il est long le chemin qui mène les femmes aux états-majors

Vie des entreprises | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.06.2002 | Catherine Lévi

7 % de femmes dans les comités de direction ! Il y a encore des progrès à faire. Conscients de l'intérêt qu'ils ont à la mixité, certains groupes commencent à faire des efforts, à grand renfort de formation, de coaching ou de parrainage. Reste à surmonter les préjugés et à assouplir des règles de fonctionnement… restées bien masculines.

Combien de femmes au sein du comité exécutif ? À l'énoncé de cette question, beaucoup de P-DG français n'ont d'autre choix que de répondre aucune. Le fameux « plafond de verre » qui empêche les femmes d'atteindre les sommets n'a rien d'un mythe. Si un tiers des cadres sont aujourd'hui des femmes, seulement 7 % d'entre elles font partie des sphères dirigeantes des entreprises. Les femmes sont, certes, de plus en plus nombreuses à accéder à des postes à responsabilité, mais elles sont souvent bloquées au stade de chef de service. Quelques exemples glanés dans les grandes entreprises le confirment : une seule femme figure dans le comité exécutif de L'Oréal, LVMH, Vivendi Universal, PPR ou France Télécom (et 15 dans le top management, composé de 70 personnes) ; Pechiney compte seulement deux femmes à la tête de ses divisions sur treize directeurs ; le comité exécutif de Schlumberger n'accueille que deux femmes ; et on n'en trouve aucune dans les comités de directions de Renault, d'Alcatel ou de La Poste… C'est bien simple : on ne trouve qu'une vingtaine de femmes dans les instances dirigeantes des entreprises du CAC 40, dont aucune ne compte par ailleurs de « pédégère ».

Dans un univers éminemment masculin, gravir les échelons reste un chemin de croix. « Pour une femme, il est essentiel de montrer sa légitimité et son expérience ; un homme sera plus facilement parachuté », résume Laurence Danon, présidente du directoire de France Printemps, dans le livre de Cristina Lunghi Et si les femmes réinventaient le travail… (éditions Eyrolles Société). Pour se faire une place au soleil, ces rares executive women ont dû batailler ferme et contourner les obstacles. Directrice de la communication de France Télécom, puis directrice régionale d'Ile-de-France, Marie-France Peyrache a profité d'une niche à l'international délaissée par ses collègues masculins, il y a une vingtaine d'années, pour faire ses premières armes. Quant à Fabienne Herlaut, aujourd'hui directrice de la stratégie chez Pechiney, elle doit sa carrière au directeur général du groupe, Bernard Sirey, qui la considérait parfaitement complémentaire de lui.

Sous le coup de la loi

Pourtant, une poignée de grands groupes à forte connotation masculine comme IBM, EDF-GDF, Procter & Gamble, Schlumberger ou Total ont commencé à changer de comportement à l'égard de leurs salariées. Certains sous l'influence du management à l'anglo-saxonne qui prohibe toute forme de discrimination, d'autres sous le coup de la loi sur l'égalité professionnelle votée en mai 2001. Tous tentent de propulser les femmes vers les états-majors ; moins, d'ailleurs, par philanthropie qu'au nom d'un intérêt bien compris. Comme le résume Nicole Verdier-Naves, directrice adjointe à la direction du personnel et des relations sociales d'EDF-GDF, « la mixité culturelle est une source de richesse pour l'entreprise, qui doit être le reflet de la société. Avoir davantage de femmes parmi les cadres dirigeants, c'est favoriser la diversité des points de vue et des modes d'action ».

Pour amener progressivement les collaboratrices vers le top management, le mot d'ordre général dans ces entreprises est d'augmenter la présence des femmes à tous les niveaux de la hiérarchie. Pour Élisabeth Kimmerlin, directrice des services e-business et animatrice du groupe Elle chez IBM, « il n'y a pas de femmes dirigeantes sans femmes cadres à la base. Sinon, c'est du favoritisme. Et les carrières féminines doivent se développer sans autre obstacle que la compétence ».

Dans les entreprises soucieuses d'égalité professionnelle, programmes spécifiques et groupes de travail ad hoc sont donc organisés pour les salariées. General Electric Medical Systems a ainsi créé en 1998 un réseau européen, Athena, qui organise des forums pour permettre aux femmes de se connaître et d'échanger leurs expériences. Elles y rencontrent des décideurs et peuvent parler de leur carrière. Elles bénéficient d'actions de formation ciblées pour mieux appréhender les fonctions de l'entreprise et d'un soutien lors d'un changement de poste. De son côté, IBM a lancé en janvier 2000 des chantiers de réflexion regroupant une centaine de femmes. Trois grands objectifs : faciliter la vie de famille, encourager les femmes à évoluer en interne, aménager l'organisation du temps de travail… Des ateliers sont même réservés aux hommes pour leur faire prendre conscience que trois mois de congé de maternité, ce n'est pas le bout du monde…

Ne se contentant pas d'incantations, plusieurs groupes n'hésitent pas à afficher des objectifs ambitieux : EDF-GDF souhaite que, dès 2003, 40 % des cadres classés à haut potentiel soient des femmes ; Schlumberger entend avoir 20 % de femmes à des postes clés d'ici à 2010. Ce qui n'est pas aussi évident que ça en a l'air. Car, comme le rappelle Jacqueline Laufer, sociologue, professeur à HEC et grande spécialiste des carrières féminines, « les grandes écoles ne sont mixtes que depuis le milieu des années 70, et les filières scientifiques comportent encore aujourd'hui une majorité de garçons. Les pionnières, âgées aujourd'hui de 45 ans, sont, mécaniquement encore minoritaires dans les cercles dirigeants ».

Évalués sur la féminisation

À France Télécom, Michel Bon a donné lui-même ses consignes : « Au moins une femme dans chaque comité de direction. » Chez l'opérateur de télécommunications, les managers sont désormais évalués aussi sur cet objectif de féminisation du management. Dans chacune de ces entreprises, le vivier de femmes « à potentiel » est particulièrement choyé. « Les hauts potentiels sont évalués vers 30-35 ans, à l'âge où les femmes sont le moins disponibles (maternité, éducation des enfants), explique notamment Marie-France Peyrache, de France Télécom. C'est la plus mauvaise tranche d'âge pour exister professionnellement. Les femmes sont en quelque sorte pénalisées parce qu'elles ne sont pas disponibles. »

En outre, les hauts potentiels sont souvent contraints à la mobilité professionnelle, y compris à l'étranger. Toutes les femmes, loin s'en faut, ne sont pas prêtes à assumer ces contraintes qui pèsent sur la vie familiale. Toutes n'ont pas la chance, comme Pascale Witz, CEO (chief executive officer) chez General Electric Medical Systems, d'avoir un mari qui accepte de suivre sa femme à l'étranger, en l'occurrence aux États-Unis, et d'arrêter de travailler pour s'occuper des enfants…

« Il faut que celles qui veulent accéder au pouvoir puissent le faire aisément », estime cependant Nicole Verdier-Naves. EDF-GDF veut ainsi agir sur les critères de sélection des futurs cadres dirigeants et encourager des développements de carrière moins linéaires. Le comité exécutif du groupe a même désigné un responsable « développement des valeurs féminines » pour favoriser l'accès des femmes au sommet de la pyramide. De son côté, France Télécom organise des actions de coaching pour aider ses cadres prometteuses à exercer leur leadership. Chez General Electric Medical Systems, 35 femmes sont parrainées par un membre du comité exécutif. Ils définissent ensemble la fréquence des rencontres et leurs attentes. Les sujets abordés sont larges : conseil pour un changement de poste, aide à la décision, gestion de conflit… « Ces actions font connaître les femmes à potentiel aux dirigeants et les aident à briser les limites qu'elles se sont fixées », juge Pascale Witz. Schlumberger, enfin, met l'accent sur la gestion des doubles carrières.

Moins présentes, aussi efficaces

Mais il reste bien des obstacles à franchir avant de parvenir au sommet. Car, au niveau des sphères dirigeantes, on mesure encore la valeur d'un individu plus à son investissement en temps qu'à son efficacité réelle. Quelques femmes dotées d'une forte personnalité parviennent à surmonter les préjugés et à imposer des règles de fonctionnement assouplies. C'est le cas de Catherine Guaino, déléguée aux relations avec la régulation à Gaz de France, 45 ans, quatre enfants, diplômée de HEC et de l'ENA. Elle fait partie des deux femmes dirigeantes de Gaz de France. « J'arrive probablement une heure plus tard et je pars chaque fois que possible une heure plus tôt que mes homologues hommes, mais je prends cinq minutes pour déjeuner. J'ai une gestion du temps stricte et je délègue beaucoup. Ce qui compte, c'est l'efficacité et la disponibilité. Assimiler présence horaire et disponibilité est un schéma culturel dépassé », explique-t-elle.

« Nombre de femmes ne veulent pas jouer le jeu du modèle masculin d'investissement surdimensionné dans le travail au détriment d'autres sphères de la vie », notait en mars dernier le tout nouveau club InterElle réunissant cinq grandes entreprises (IBM, General Electric Medical Systems, Schlumberger, France Télécom et l'Hôpital américain) soucieuses de mettre en commun leurs expériences. Rien de surprenant à ce que certaines s'arrêtent en route tandis que d'autres essaient de trouver des compromis. Chez Accor, par exemple, les quelques femmes dirigeantes du groupe privilégient les services fonctionnels comme les ressources humaines, la communication ou la finance, mais fuient les postes de terrain, tels chef de zone ou responsable d'un ensemble d'hôtels, jugés trop contraignants. La partie n'est pas gagnée. La preuve ? Comme le rappelle Jacqueline Laufer, « même en Suède, pays pourtant peu suspect de machisme, seul un très petit nombre de femmes accède aux hautes sphères de l'économie »…

Accenture bichonne ses hauts potentiels féminins

Depuis quelques semaines, chez Accenture, une cinquantaine de femmes classées à haut potentiel bénéficient de réunions collectives de coaching étalées sur cinq mois. Jeux de rôle et séances de réflexion abordent l'anticipation de carrière, l'affirmation de soi, la gestion des relations, les règles informelles de l'entreprise. Objectif : inciter ces cadres à gravir les échelons. Dans ce grand cabinet de conseil, l'herbe n'est en effet pas plus verte qu'ailleurs. Alors que 40 % des cadres recrutés sont des femmes, on en compte seulement 5 parmi les 120 « partners ». « Face à ce décrochage préoccupant, nous voulions les aider à mettre en valeur leur potentiel, à étendre leurs réseaux afin d'optimiser leur carrière », précise Guy Vandebrouck, responsable du programme. Les séances sont menées par des coachs externes. « Elles ont pour but de libérer la parole et de permettre de pousser des réflexions, précise Laurence Stztulman, coach au sein du cabinet Act end Partners International. Karine Duchâtel, consultante de 29 ans, chef de mission dans la grande distribution, apprécie l'opportunité : « Nous sommes venues rencontrer des femmes, chercher des astuces pour mieux tout concilier et développer notre image personnelle. Nous avons besoin d'être réconfortées pour prendre des responsabilités, car on a du mal à se mettre en avant. » Ces séances de coaching s'inscrivent dans un programme plus vaste mené depuis un an, comportant une préparation au départ et au retour de congé maternité, le déploiement de services de garde, des possibilités de travail à domicile… Les femmes vont aussi pouvoir bénéficier d'un tuteur qui les conseillera dans leurs choix. Et l'ensemble du management masculin sera sensibilisé. « Nous voulons dire aux femmes que nous sommes preneurs de flexibilité pour leur permettre de mieux concilier vie personnelle et vie professionnelle », précise Guy Vandebrouck. Aux Pays-Bas, une femme « partner » travaille même à quatre cinquièmes. Un cas toutefois exceptionnel.

Auteur

  • Catherine Lévi