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Repères

Il faut une réponse sociale au vote FN

Repères | publié le : 01.06.2002 | Denis Boissard

Dans moins d'une semaine, les législatives permettront de vérifier si la percée du Front national se confirme, notamment au sein de l'électorat populaire. Car le sursaut démocratique du second tour de la présidentielle ne doit pas faire oublier la fracture politique et sociale mise à nue quinze jours auparavant. Les sondages réalisés à la sortie des urnes dressent le tableau d'une France coupée en deux, dans laquelle un quart à un tiers des ouvriers et chômeurs votent Le Pen, un peu plus de la moitié d'entre eux donnent leurs voix à des candidats protestataires positionnés aux extrêmes de l'échiquier politique, alors que cadres, professions libérales et intermédiaires apportent très majoritairement leur bulletin à des candidats se situant dans le cadre de la démocratie républicaine.

Vécue ou ressentie, l'insécurité n'explique pas tout

Le coup de semonce du 21 avril a aussi des raisons sociales. Le retour de la croissance économique depuis le milieu de la dernière décennie n'a en effet pas amélioré la situation des Français les plus modestes. Premier constat, quelques années de forte croissance et plusieurs lois contre l'exclusion ne sont pas parvenues à faire reculer la pauvreté : 7 % des ménages vivent au-dessous du seuil de pauvreté, une proportion qui n'a pas reflué d'un iota depuis 1997. Les créations d'emplois ont surtout profité aux jeunes et aux plus qualifiés. Deuxième constat, la forte baisse du chômage a masqué une hausse du sous-emploi. Tandis que le nombre des demandeurs d'emploi de catégorie 1 – le baromètre officiel du chômage – reculait, celui des chômeurs en activité réduite, à la recherche d'un emploi à temps partiel ou à durée limitée, s'envolait. La précarité ne cesse en effet d'augmenter : temps partiel, CDD et intérim ont accru leur part de marché et concernent aujourd'hui plus de 20 % des salariés. Troisième constat, chez les ouvriers, les 35 heures se sont généralement traduites par une réduction quotidienne de la durée du travail (bien moins attrayante que les forfaits jours des cadres), une flexibilité accrue et la suppression du matelas d'heures supplémentaires dont ils bénéficiaient auparavant. Beaucoup ont le sentiment d'avoir été floués. Dernier constat : en dépit de l'augmentation constante des crédits accordés à l'éducation nationale, 8 à 9 % de chaque classe d'âge – généralement issus des milieux défavorisés – continuent d'en sortir sans diplôme. L'ascenseur social a des ratés. Pas surprenant que beaucoup se sentent laissés-pour-compte par le système économique et politique.

Combler la fracture sociale et réconcilier l'électorat populaire

avec la démocratie suppose un travail de fond. Ni la conversion au « tout répressif » à droite ni le coup de barre « à gauche toute » côté socialiste ne sont à la hauteur du problème. La première priorité est de s'attaquer au déficit d'intégration dont souffrent les jeunes issus de l'immigration. Offrir des perspectives à ces jeunes dont beaucoup sont en panne d'avenir est sans doute la meilleure façon de prévenir l'insécurité. L'entrée de Tokia Saïfi au sein du gouvernement Raffarin est à marquer d'une pierre blanche, comme l'avait été celle de Kofi Yamgnane dans l'équipe Cresson. Mais ces exemples ne doivent pas rester isolés. Les appareils politiques, syndicaux, et les chefs d'entreprise ont le devoir – à l'instar de l'équipe des Bleus – d'ouvrir largement leurs portes aux jeunes de la deuxième ou troisième génération. Ce n'est en effet pas faire injure aux entreprises que d'observer que les Martin ou les Durand ont, à qualification égale, plus de chances de décrocher un job que les jeunes ayant un nom à consonance maghrébine ou africaine.

L'autre priorité c'est de combattre le sentiment d'injustice

des Français du bas de l'échelle sociale. Quelques suggestions. Côté pouvoirs publics, il serait temps de combler le fossé qui se creuse entre agents du public et salariés du privé, les uns préservés de tout effort de modernisation tout en conservant l'intégralité de leurs acquis sociaux, tandis que les autres, les moins qualifiés surtout, connaissent une évolution professionnelle de plus en plus instable. Réformes de l'État et des retraites devraient se donner pour objectif de rétablir une plus grande équité de traitement entre eux. Côté syndical, il serait utile de moins se focaliser sur les insiders – les salariés protégés du public comme du privé – et de s'intéresser un peu plus sérieusement au sort des outsiders, les précaires, chômeurs et sous-traitants. Du côté des entreprises, enfin, il serait salutaire de mettre fin à deux attitudes parfaitement schizophréniques. La première consiste à mettre au rebut leurs salariés devenus quinquagénaires, tandis que le Medef, leur porte-parole, explique qu'il va falloir cotiser et donc travailler plus longtemps. La seconde consiste pour les P-DG et cadres dirigeants à mettre leurs troupes à la diète tout en s'octroyant des augmentations de salaire à deux chiffres ou des programmes mirifiques de stock-options, y compris lorsque la performance de leur gestion laisse à désirer. Au travail !

Auteur

  • Denis Boissard