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Politique sociale

Ces petites réformes qui font bouger le mastodonte étatique

Politique sociale | ZOOM | publié le : 01.06.2002 | Valérie Devillechabrolle

Au rancart, les réformes de l'État annoncées à grands coups de trompette. Pour gagner en efficacité, réduire les coûts et simplifier la gestion, les pouvoirs publics misent désormais sur des révolutions tranquilles comme la révision de la notation, des procédures budgétaires ou le développement de la télédéclaration.

Comme le gouvernement Jospin, l'équipe Raffarin a son ministre de la Réforme de l'État : Jean-Paul Delevoye succède à Michel Sapin. Affichée comme une priorité nationale par tous les gouvernements depuis le milieu des années 80, l'indispensable amélioration du rapport « qualité-prix » de l'administration, laquelle absorbe bon an mal an 40 % du budget de l'État, a des allures d'Arlésienne. Et pourtant, la réforme avance… lentement mais sûrement. « En lieu et place du grand soir de la réforme de l'État, nous assistons à un fourmillement d'initiatives de terrain, un peu souterraines et très hétérogènes, conduites par une poignée de modernisateurs convaincus », souligne ainsi Frédérique Pallez, du Centre de recherche en gestion de l'École des mines de Paris. Gestionnaires de terrain et hauts fonctionnaires « réformistes» jouent sur une batterie de leviers qui visent tout autant à gagner en productivité, en coût et en efficacité qu'à simplifier la gestion et diffuser une nouvelle culture de responsabilité dans les services. Inventaire de ces petites mesures qui font plus sûrement bouger le mastodonte étatique que les grands discours incantatoires.

1 Augmenter les agents au mérite

Pas moins de quatre ministres s'y étaient cassé les dents en dix ans. C'est pourtant dans l'indifférence générale, entre les deux tours de l'élection présidentielle, que l'un des symboles de l'immobilisme de l'État employeur est tombé. Le Journal officiel a publié un décret réformant le vieux système d'évaluation et de notation des fonctionnaires, datant de 1959. Grâce à un déplafonnement de l'ancienne note sur 20 et à la prise en compte de sa progression d'une année à l'autre, cette réforme vise ni plus ni moins à substituer à l'ancien système d'augmentation salariale individuelle automatique à l'ancienneté un avancement fondé sur le mérite individuel des agents.

À la différence des déclarations fracassantes d'un Claude Allègre sur le « dégraissage du mammouth » ou encore des projets flamboyants d'un Christian Sautter visant à prendre d'assaut la « citadelle de Bercy », cette révolution tranquille concoctée par l'ancien ministre Michel Sapin n'a pas suscité de levée de boucliers chez les fonctionnaires. « Les copains ne ruent pas dans les brancards », reconnaît Gérard Noguès, secrétaire adjoint de la Fédération générale des fonctionnaires FO, l'une des trois opposées à la réforme. Il est vrai que ce décret n'est censé entrer officiellement en vigueur qu'à l'horizon 2004. Mais Christian de Lavernée, le directeur général de l'administration du ministère de l'Agriculture, compte beaucoup sur la nouvelle notation des agents pour sortir du « traitement égalitariste et du culte de l'équipe » : en obligeant à attribuer la bonification maximale d'avancement à 20 % des agents du corps, le décret interdit en effet le saupoudrage…

2 Utiliser le levier des nouvelles technologies

Sous couvert d'indispensables évolutions technologiques, l'administration compte réaliser de jolis gains de productivité. En se fixant pour objectif de permettre à l'horizon 2003 à tous les contribuables – particuliers et entreprises – de télédéclarer et de télépayer leurs impôts, le projet Copernic du ministère des Finances est une ambitieuse illustration de cette méthode. Bercy attend d'abord de la refonte de ses systèmes d'information des économies : le seul maintien des recrutements à leur bas niveau actuel, rendu possible par l'introduction des nouvelles technologies, entraînerait la suppression de 40 000 des 185 000 emplois des Finances d'ici à 2012. Mais cela permet également de faire travailler ensemble les agents du calcul et du recouvrement de l'impôt qui, jusqu'à présent, s'ignorent. Ou encore de multiplier les centres d'appels en province, palliant ainsi les déséquilibres de la répartition des agents sur le territoire. L'enjeu n'a pas échappé aux organisations syndicales : « Au lieu de commencer à travailler sur la requalification des personnels que tout cela va nécessiter, l'administration des finances se contente d'anticiper les gains de productivité. Cela génère un immense sentiment d'amertume parmi les personnels », se désole Pierrette Crozemarie, secrétaire générale de la Fédération CGT des finances.

Copernic est loin d'être un cas isolé : le projet piloté par la nouvelle Agence pour les technologies de l'information et de la communication dans l'administration (Atica), visant à connecter les réseaux informatiques des différents ministères, devrait lui aussi faciliter « la mutualisation des ressources humaines, organisationnelles, logicielles et matérielles » dans les services déconcentrés. L'introduction des nouvelles technologies devrait également produire ses effets sur le fonctionnement interne des administrations. Un premier progiciel de gestion est sur le point d'entrer en service au ministère des Affaires sociales : « Cela va nous permettre non seulement d'automatiser les milliers d'arrêtés que nécessite chaque année la gestion quotidienne de nos 32 corps, mais surtout de recentrer notre activité RH sur des missions plus stratégiques », se félicite Christophe Lannelongue, qui vient de quitter la direction du personnel du ministère de l'Emploi et de la Solidarité pour rejoindre l'Inspection générale des affaires sociales.

3 ÉRIGER LE MANAGEMENT PAR OBJECTIFS

Au sommet de la hiérarchie administrative, la responsabilisation fait son chemin, par la multiplication de contrats d'objectifs et de lettres de mission en tout genre. À la Direction générale des impôts, les 107 directeurs des services fiscaux sont tenus de signer un contrat, négocié six mois après leur entrée en fonction, fixant des objectifs chiffrés. Depuis 2000, la réalisation de ces objectifs est évaluée par neuf nouveaux délégués interrégionaux chargés du contrôle de gestion, sur la base d'« une cinquantaine d'indicateurs de performance mesurant l'activité au regard de la productivité des services, de la qualité du service fourni et de la quantité de travail réalisée ». À l'éducation nationale, à partir de la rentrée scolaire 2002, les nouveaux proviseurs et principaux des établissements du second degré seront invités à signer une lettre de mission.

Mais le management par objectifs ne prendra tout son sens qu'avec la mise en œuvre, en 2006, de la réforme de l'ordonnance de 1959 révisant la procédure budgétaire. Après une cascade d'échecs, la loi organique réformant l'inamovible procédure budgétaire de 1959 (loi organique relative aux lois de finances, ou Lolf) a été portée sur les fonts baptismaux à l'été 2001, nourrissant les rêves les plus fous des réformateurs de l'État. Car cette loi, qui devrait entrer en vigueur après trois ans d'expérimentations, pourrait chambouler la gestion de l'emploi public et faire sauter quelques solides verrous.

Première révolution, la nouvelle constitution budgétaire impose de raisonner non plus par lignes de crédit, mais par grandes missions, découpées en 100 ou 150 programmes, assortis de moyens globalisés pour des objectifs précis et évalués chaque année par le Parlement. Parallèlement, avec l'abandon de la notion de « services votés » qui aboutissait jusqu'à présent à reconduire automatiquement d'une année à l'autre 90 % des crédits publics (dont l'ensemble des dépenses de personnels), le Parlement hérite d'une plus grande marge de manœuvre pour préciser ses priorités politiques mais aussi pour supprimer les tâches jugées secondaires, voire inutiles.

La mise en place d'indicateurs de performance assortis d'un contrôle non plus a priori des dépenses, mais a posteriori des résultats obtenus devrait aussi obliger les gestionnaires des programmes à prendre davantage leurs responsabilités. « Cette lisibilité accrue de la performance devrait nous permettre de faire encore plus de benchmarking dans la gestion des services et de développer la convergence autour des meilleures pratiques », estime Christian de Lavernée, à l'Agriculture. Mais, en mettant ainsi fonctionnaires et encadrement au pied du mur, les promoteurs de la Lolf ne pourront plus faire l'économie d'une réflexion sur les mécanismes de reconnaissance accrue des agents, au regard des efforts consentis.

4 DÉVELOPPER LA GESTION DE PROXIMITÉ

Autre facteur de progrès sensible, les décisions concernant les promotions, la notation et l'accès à la formation continuent de se rapprocher des agents. Un mouvement engagé en… 1992 par la Charte de la déconcentration, destinée à désengorger les administrations centrales, avec pour objectif affiché d'en réduire les effectifs de 10 % en trois ans : « Alors qu'un professeur agrégé, encore géré en centrale, doit attendre quatorze mois pour bénéficier de l'augmentation liée à l'octroi d'une promotion, ce délai a été ramené à trois ou quatre mois pour les personnels gérés directement par les rectorats », constate Marie-Agnès Rampnoux, secrétaire nationale du Sgen CFDT. L'accélération de cette déconcentration contribue à responsabiliser les gestionnaires locaux : « La réforme du mouvement a obligé les recteurs à gérer leurs ressources sur place car ils ne pouvaient plus rejeter sur Paris la faute d'éventuels dysfonctionnements », ajoute la déléguée CFDT en se félicitant de la généralisation des DRH dans les rectorats, souvent promus au rang de numéros trois.

Le ministère de l'Intérieur est allé encore plus loin en expérimentant depuis le 1er janvier 2000 dans une quinzaine de préfectures pilotes une globalisation des crédits de rémunération, par l'instauration d'une comptabilité analytique et de procédures de contrôle de gestion basées sur des objectifs et appuyées sur des indicateurs chiffrés.

En revanche, la généralisation de cette gestion de proximité n'a pas débouché sur la mise en place d'un véritable management individualisé des personnels, refusé par les syndicats : « Il n'est pas question que les chefs de service profitent de la déconcentration pour passer par-dessus les statuts et se comporter en patrons d'entreprise ! » prévient Gérard Noguès, de FO. Du coup, les chefs de service hésitent à franchir le pas : « Alors que nos chefs de service ont la possibilité d'attribuer des primes modulables de plus ou moins 20 % par rapport à un barème national, ce système n'a pas débouché sur une gestion dynamique… sans doute parce que la pression n'est pas encore assez forte », souligne Christophe Lannelongue, du ministère des Affaires sociales.

5 PRIVILÉGIER LES EMPLOIS STRATÉGIQUES

Réagissant à la baisse du nombre de candidats à l'entrée dans la fonction publique (– 40 % dans la police au cours des dernières années) et anticipant sur les vagues de départs massifs prévues jusqu'en 2012, le ministère de la Fonction publique a déjà engagé plusieurs réformes. D'abord celle des recrutements, avec l'ouverture de concours dans des zones géographiques jugées peu attractives, la mise en place de filières de prérecrutement ouvertes à des jeunes dépourvus du diplôme ad hoc, de concours sur titre destinés à des professionnels aux compétences rares (médecins, juristes spécialisés ou ingénieurs des travaux publics) ou encore la suppression des obstacles statutaires à la mobilité interministérielle par détachement.

Les administrations les plus en pointe en ont également profité pour remettre de l'ordre dans les carrières des fonctionnaires jugés stratégiques. Exemple, l'Agriculture s'est donné dix-huit mois pour requalifier les emplois de ses informaticiens, affichant actuellement des rémunérations variant du simple au triple. De la même façon, le ministère des Affaires sociales a commencé en 2001 à dynamiser le déroulement de carrière des inspecteurs des affaires sanitaires et sociales et des médecins en santé publique. « Cela va nous obliger à sortir du système d'avancement calé sur les départs en retraite et à piloter le budget de façon à compenser les requalifications d'emplois nécessaires par des suppressions d'emplois de base », explique-t-on en interne. Une autre minirévolution.

Bercy, le mauvais élève de la réforme, persiste…

Très prolixe sur l'administration électronique ou l'interlocuteur fiscal unique, le ministère des Finances est moins disert sur la modernisation de sa gestion des ressources humaines. Et pour cause. En 2000 et 2001, Bercy a en effet été sévèrement épinglé sur le sujet par la Cour des comptes. Que ce soit sur son incapacité à comptabiliser ses agents, sur l'illégalité de rémunérations accessoires accordées à ses cadres ou sur l'efficacité douteuse de ses pratiques visant à calmer les tensions sociales. Pour réduire des coûts de gestion supérieurs à la moyenne européenne, ce ministère, champion de l'orthodoxie budgétaire, se fait fort de « gagner en productivité » grâce aux départs massifs en retraite. Reste qu'en dépit d'un rythme d'environ 4 000 départs par an, Bercy n'est parvenu à réduire ses effectifs que d'un gros millier d'agents sur plus de 200 000 en… vingt ans. Et alors que Laurent Fabius se targuait de réduire le temps de travail des agents « à effectif budgétaire constant », il a fini par dégeler 2 000 emplois vacants dans l'espoir vain de convaincre certains syndicats de signer son projet d'accord sur les 35 heures.

Quant à la « responsabilisation managériale » dont Bercy s'enorgueillit, force est de constater que ce concept ne s'applique pas à la gestion des carrières. « Les possibilités de promotion restent identiques sur tout le territoire, en fonction de l'âge et de l'ancienneté, sans jamais prendre en compte les conditions d'exercice des agents ni valoriser leurs savoir-faire », constate Pierrette Crozemarie, de la CGT Finances. Parallèlement, Bercy a généreusement distribué, en toute illégalité, des « promotions » pour désamorcer les conflits possibles. Et, sommé de remettre de l'ordre dans ses régimes indemnitaires, il s'est contenté d'« une stabilisation juridique » là où d'autres ministères en ont profité pour en faire un outil dynamique de motivation. Francis Mer aura fort à faire pour distiller un peu d'esprit d'entreprise au Minefi.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle