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Enquête

CES OUTILS QUI METTENT LES SALARIÉS SUR LE GRIL

Enquête | publié le : 01.06.2002 | Frédéric Rey, Anne Fairise

La généralisation de l'évaluation va de pair avec l'apparition de nouvelles méthodes. Du rituel entretien annuel à l'implacable « forced ranking » en passant par l'« assessment center » et le 360°, les dispositifs d'appréciation de la performance peuvent se transformer en instruments de sanction.

Salariés, soyez sur vos gardes !… À en croire les consultants, la fameuse « note de gueule », hier assignée par votre supérieur hiérarchique, serait en passe d'être tempérée par une batterie d'outils d'appréciation tendant à plus d'équité. Mais force est de constater que l'évaluation se renforce dans les entreprises, depuis qu'elle a été promue pierre angulaire de la nouvelle « GRH intégrée », qui vise à la fois efficacité des salariés et efficacité de la gestion. Elle se généralise, descend progressivement l'échelle hiérarchique, allant jusqu'à rythmer le parcours de certains salariés. Pour décrocher une prime ou une promotion, il ne suffit plus d'un simple entretien annuel d'évaluation. Encore faut-il traverser avec succès, ici le filtre de l'assessment center, là du 360° feed-back, ou encore se retrouver dans le peloton de tête du forced ranking ! Autant d'outils avec lesquels les DRH n'évaluent plus seulement les résultats, mais passent au crible les compétences, le comportement professionnel, le potentiel de leurs collaborateurs…

Reste que leur développement n'est pas un gage d'impartialité. Les contradictions propres à l'évaluation sont d'ailleurs de plus en plus dénoncées : écart entre les objectifs affichés de transparence, de dialogue, et la pratique. « Entre l'outil d'évaluation, sa conception et sa mise en œuvre, il y a souvent un fossé. L'outil n'est pas important en lui-même. Ce qui importe, c'est la manière dont il a été construit, dont l'entreprise s'en saisit et le contexte où il s'inscrit », commentent Ewan Oiry et Nathalie Estellat, deux des auteurs de l'Appréciation du personnel (Éditions d'Organisation, 2002). Ces praticiens des ressources humaines y critiquent notamment l'ambivalence des dispositifs d'évaluation, à la fois outils de développement et possibles instruments de sanction. Passage en revue des principales méthodes susceptibles de vous placer sur le gril.

L'entretien annuel

le b.a.-ba de la gestion des RH

Combien de plans d'épargne logement, de crédits revolving ou encore de prêts vendus ? Les commerciaux de BNP Paribas ne vont pas échapper à la question rituelle. Dans cette banque, le mois de juin est traditionnellement celui des entretiens annuels d'évaluation. Mais, en quinze ans, ils ont singulièrement changé. « Auparavant, cette rencontre avec le supérieur hiérarchique était centrée sur de la formation, explique Violette Gomez, cadre et déléguée syndicale CGT. Aujourd'hui, c'est le critère de rentabilité qui prime sur tout. » L'entretien annuel est devenu le b.a.-ba de la gestion des ressources humaines modernes. C'est le principal outil utilisé par les grandes entreprises, les PME leur emboîtant le pas. Chez Saint-Gobain, la hiérarchie est même évaluée sur le nombre d'entretiens qu'elle fait passer à ses subordonnés… Selon l'enquête annuelle de l'Apec de 2001, 70 % des cadres travaillent en fonction d'objectifs fixés à l'avance et, pour 65 % d'entre eux, cette mission est totalement individualisée. Les commerciaux ne sont plus les seuls concernés par ce type de management, les cadres de direction ou de production doivent désormais rendre des comptes. Les consultants du cabinet de recrutement Michael Page sont jaugés tous les trois mois tandis que, chez Andersen, les collaborateurs sont évalués à la fin de chaque mission. Chez Kodak ou Air France, c'est tout le personnel qui est passé au peigne fin.

Délais à respecter, budgets à tenir, chiffre d'affaires et bénéfices à réaliser, nombre de projets à accomplir, les principaux critères retenus pour l'entretien sont entièrement tournés vers la productivité. Certaines entreprises vont jusqu'à les adapter en fonction de la nature des tâches effectuées. Ainsi, chez Hewlett-Packard, les employés de la comptabilité sont évalués sur le temps écoulé entre l'envoi d'une facture et son retour dans l'entreprise… Un client tarde à honorer sa facture ? Tant pis ! « Les directions vont généralement mettre la barre très haut, souligne Yves-Frédéric Livian, professeur de gestion à l'Institut d'administration des entreprises de Lyon. Si l'objectif pour le cadre est de 100, l'entreprise estimera que la performance doit être toujours supérieure. » Les statistiques sont éloquentes : selon l'Apec, un cadre sur deux ne parvient pas à atteindre ses objectifs. Non sans conséquences financières pour les intéressés. « Certaines entreprises établissent un lien direct entre l'appréciation et les augmentations de salaire ou la part variable de la rémunération », précise Yves-Frédéric Livian. L'Apec constate ainsi un net écart en termes de salaire ou de progression de carrière au profit des cadres qui parviennent à leurs objectifs. « Les sanctions pleuvent aussi sur ceux qui n'ont pas réussi à faire du chiffre, affirme Violette Gomez, de la CGT de BNP Paribas. Un commercial mal noté deux ans de suite s'est retrouvé rétrogradé pour être affecté à un emploi de caissier derrière un guichet. Et nous savons que les résultats de l'entretien peuvent servir pour instruire des dossiers d'insuffisance professionnelle. » Les salariés ne sont pas au bout de leur peine. La banque a cette année enrichi son système d'appréciation avec quatre nouveaux critères : créativité, réactivité, ambition et engagement.

L'assessment center

un bilan comportement en situation

Le Club Méditerranée l'utilise pour sélectionner ses chefs de village. Au Crédit agricole, des directions régionales y recourent pour déterminer parmi leurs salariés ceux qui ont l'étoffe d'un sous-directeur. Idem chez Auchan où, pour endosser la veste de directeur de magasin, les candidats à la promotion doivent passer, avec succès, le filtre de l'assessment center qui évalue, en situation, les comportements. Kodak va plus loin : il en a fait, depuis 1992, un passage obligé pour tout salarié souhaitant endosser des responsabilités de management, qu'il soit technicien, agent de maîtrise ou même simple opérateur ! Cette méthode, créée par l'armée allemande en vue de repérer des profils de commandement, descend donc l'échelle hiérarchique. De plus en plus de DRH l'utilisent au-delà du recrutement, comme outil de sélection interne, pour gérer les carrières. Objectif ? Mesurer non plus les résultats des salariés, mais leur potentiel, leurs possibilités d'évolution vers les postes à dimension managériale ou relationnelle.

Pour les consultants, il n'y a que de bonnes raisons à cet engouement, en particulier la fiabilité de ce bilan comportemental avec exercices de simulation, individuels ou collectifs, entretien approfondi et test de personnalité. « C'est l'outil mesurant le mieux l'adéquation d'un profil à un poste. Il est fondé sur une multiévaluation qui permet de dégager une cohérence. Une personne est évaluée par plusieurs observateurs ; comme chaque compétence l'est par plusieurs exercices », explique Yves-Marie Beaujouan, consultant chez SHL et maître de conférences associé en psychologie du travail à Paris V. « L'assessment center coupe court aux critiques sur la fameuse note de gueule », renchérit Gilles Norroy, consultant du cabinet Optimhom.

Mais encore faut-il s'entendre sur ce qu'on évalue. Toutes les entreprises ne font pas le choix du sur-mesure, qui demande, avant que l'assessment center soit mis sur pied, d'analyser précisément le poste de travail, son environnement, et de définir les « compétences managériales » requises. Entretiens avec les directeurs en poste, groupes de travail régionaux, observations in situ des consultants venus jouer, une journée durant, les coachs : dans cette entreprise de grande distribution, l'assessment center sanctionnant l'accès au poste de directeur de magasin a été soigneusement préparé. Un travail de longue haleine auquel beaucoup d'entreprises préfèrent les référentiels, souvent standardisés, proposés par les cabinets spécialisés.

Surtout, l'assessment center doit servir une finalité claire. « Quel que soit le résultat, il doit être utile au candidat et contribuer à son développement, grâce à l'entretien de restitution (ou de feed-back), qu'il soit assorti selon les cas de formation ou de coaching », reprend Yves-Marie Beaujouan, chez SHL. Car, sinon, « l'outil de développement » peut vite se transformer en outil de gestion, dans une logique de mesure de la performance et des compétences attendues, voire en instrument de sanction, avec des licenciements à la clé. Certaines entreprises ne s'en cachent pas. Les cabinets SHL comme Optimhom ont déjà été, l'un et l'autre, contactés pour sélectionner « les bons éléments » après une fusion de forces commerciales accompagnée d'une réduction d'effectifs…

Chez Fortis Banque, filiale française du groupe néerlandais éponyme, les syndicats ont tenu à mettre des garde-fous à l'utilisation de l'assessment center monté, mi-2000, pour redéployer les commerciaux vers une nouvelle clientèle. Alors qu'un tiers des commerciaux avaient été évalués, ils ont obtenu que le dispositif soit suspendu ! Et ils ont exigé la négociation de son contenu ainsi que des conditions d'utilisation. Le tout a été inscrit dans un accord d'entreprise. Les garanties obtenues ? L'absence de « sanctions » après l'évaluation (perte d'emploi ou éviction de la force de vente) et l'impossibilité, pour Fortis, d'exploiter les informations recueillies via l'assessment center en vue d'une procédure de licenciement. « Dans un contexte de réorganisation, les syndicats ont eu des craintes. Elles n'étaient pas fondées, estime Gérard Doiret, le DRH. L'assessment est, pour nous, un outil de développement. Depuis, tous les salariés évalués ont suivi une ou des actions de formation. » Ce qui est loin d'être toujours le cas.

Le 360° feed-back

un miroir de la pratique managériale

Pas question de lésiner chez ce géant mondial de l'agro-alimentaire. Le comité exécutif de groupe, après que chacun de ses membres a réalisé un 360° feed-back, a décidé d'élargir l'expérience aux cadres supérieurs : les 100 directeurs russes, turcs, argentins, américains, français, etc., de filiales disséminées dans le monde, et les 550 membres de leur comité de direction ! En six mois, ils vont se soumettre à cette appréciation croisée, véritable miroir de leur pratique managériale. C'est LA méthode américaine qui a aujourd'hui le vent en poupe, notamment dans les organisations en réseau où l'évaluation hiérarchique perd de sa pertinence. Principe ? Le cadre est d'abord invité à s'auto-évaluer. Puis un questionnaire, centré sur lui, est soumis à son supérieur hiérarchique, ses pairs, ses subordonnés. En confrontant ce « panoramique » à sa propre auto évaluation, avec l'aide d'un consultant, il peut mesurer les écarts entre son propre jugement et celui de ses évaluateurs, et rectifier le tir au besoin. Essentiellement utilisé pour les cadres, le 360° feed-back peut descendre l'échelle hiérarchique. Dans cette entreprise américaine de fabrication de détergents, c'est la CGT elle-même qui l'a réclamé. « Elle s'est inquiétée du fait que le 360° soit réservé aux cadres et a demandé l'élargissement de cette évaluation aux agents de maîtrise. Et elle l'a obtenu », commente un consultant. Pour lui, cette méthode d'évaluation crée une ambiance plus sympathique. Car « on juge les chefs ».

Pas seulement. « C'est une aide à l'évaluation dans les domaines où le cadre doit encore progresser. L'intérêt, c'est cette confrontation des perceptions sur les actes et attitudes de management », commente Éric Breux, DRH de TPS, qui, depuis fin 2001, a proposé à 150 de ses managers un 360° feed-back, suivi de possibles actions de coaching. C'est, ici, la dernière pierre posée à l'édifice de l'appréciation du personnel. Depuis quatre ans, TPS a retravaillé sur ses valeurs – transparence, transversalité, exemplarité – et défini les « incontournables du manager », ces nombreuses actions auxquelles il ne peut déroger : conduire la réunion d'équipe hebdomadaire, mener l'entretien bimensuel de vingt minutes avec chaque N-1, débriefer tout collaborateur revenu de formation, mener les entretiens annuels, etc. Ces incontournables du manager, comme les valeurs de TPS, sont ici au centre des questionnaires du 360° feed-back.

On va plus loin chez ce géant mondial de l'agro-alimentaire. Directeurs et membres des comités de direction vont confronter le « miroir de leur pratique managériale », tel qu'il est issu des questionnaires remplis par leurs soins, et celui de leurs supérieurs, pairs et subordonnés, à un « référentiel des compétences du manager international ». Comme chez TPS, ils ont la possibilité, s'ils le souhaitent, de s'entourer des services d'un coach qui va les aider à mettre en œuvre « un plan de développement ». La synthèse des résultats est remise à l'intéressé, et à lui seul ; la DRH ou le comité exécutif de groupe n'en ont pas copie. La précision n'est pas anecdotique. C'est là que se joue la possible bascule entre une méthode de développement et un véritable outil d'évaluation, par rapport à des compétences managériales attendues, avec restitution à la hiérarchie. Le 360° a valu à des dirigeants d'être licenciés sur-le-champ. Il peut également être lié à la gestion des rémunérations et des primes. « C'est une pratique essentiellement américaine », précise Yves-Marie Beaujouan, de SHL, qui pointe les effets pervers d'une association entre 360° et rémunération. « Pour avoir un bon profil, les évalués vont choisir comme évaluateurs les personnes qui leur sont les plus favorables. L'évaluation va s'en trouver faussée. »

Ce n'est pas le seul risque de dérive du 360° feed-back. Dans certains questionnaires d'évaluation peuvent se glisser, parmi ou entre les critères de compétences, certaines valeurs établies par l'entreprise (engagement dans la stratégie de l'entreprise, etc.). Ainsi, chez ce fabricant d'appareils photo, l'« identification à l'entreprise » était un des items des questionnaires du 360°, étape obligatoire pour le passage au statut de cadre. « En fait, on avait décliné la question en degrés d'implication : « Vous semble-t-il très, beaucoup… impliqué ? » Mais la notion d'implication a posé problème quand il a fallu l'appliquer à une syndicaliste virulente. Le cas a été tranché : elle est passée cadre. Reste que la question n'allait pas de soi », commente un consultant. De fait, le 360° interroge aussi la capacité à se conformer aux valeurs et aux principes d'action de l'entreprise, notamment dans les sociétés mondialisées préoccupées de doter leur encadrement de repères communs.

Le forced ranking

la notation des bons et des mauvais élèves

Ce classique des bréviaires américains de management a gagné l'Hexagone. Dans une enquête réalisée en 1998 par l'Association nationale des directeurs et cadres de la fonction personnel et HEC, 13 % des DRH d'entreprises de plus de 700 salariés déclaraient déjà recourir au forced ranking : un classement des salariés en catégories – plus ou moins performants – d'après des fourchettes ou des quotas prédéterminés. Objectif initial de cette méthode, souvent utilisée par les DRH pour gérer promotions et primes variables ? Contraindre les managers, en luttant contre « leur manque de courage », à identifier un certain pourcentage de « bons » et de « mauvais » éléments, expliquent des consultants. Car, pour éviter les conflits, l'encadrement a naturellement tendance à classer ses collaborateurs dans le cœur du tableau. Le forced ranking leur force donc la main. « Il est apparu comme une réponse à la tendance d'homogénéisation des résultats », rappellent Nathalie Estellat et Ewan Oiry, deux des auteurs de l'Appréciation du personnel (Éditions d'Organisation, 2002).

Mais la méthode est pétrie d'effets pervers, à commencer par le risque de créer artificiellement des « bons » et des « mauvais » pour rentrer dans les quotas ! C'est le cœur du débat lancé par l'affaire IBM qui a fait se délier les langues chez Hewlett-Packard France, Alcatel CIT, Ericsson, Schneider Automation, STMicroelectronics. Autant d'entreprises où les directions appliquent le forced ranking de manière de plus en plus rigide. Chez Schneider Automation France (785 salariés), une note interne datant du début 2002 montre un glissement de la simple notation vers des quotas prédéterminés. La direction y préconise de noter un tiers des collaborateurs à 2 (n'a pas rempli tous ses objectifs), un autre tiers à 3 (objectif accompli) et d'attribuer au dernier tiers la bonne note de 4. Pour éviter de « voir tout le monde » noté 3 ou 4. Pas question, pour les managers, de déroger à la classification chez Alcatel CIT, où ils sont chargés, lors des entretiens annuels, d'établir des « codes de performances », avec un classement prédéterminé qui jouera, à terme, sur le montant des primes. En 2001, 5 % de collaborateurs devaient être classés 1 et 2 (niveau faible), 5 % au niveau 5 (le plus performant), etc. Si les codes de performances attribués s'écartent de la ventilation, le manager devra s'en expliquer, précise une note interne de janvier 2001. « Cette année, les quotas ont été renforcés avec, cette fois, 15 % de salariés à classer 2 et 5 % à classer 1 », note Dominique Campagna, délégué CGT qui a appelé au boycott des entretiens annuels d'évaluation.

Même durcissement chez HP France, où la direction, conformément aux directives de la maison mère, a imposé en 2000 un quota obligatoire de 5 % du personnel, classé PRB1 (« performance insuffisante ou inacceptable »). Un pourcentage déterminé d'après « des études de marché », a expliqué la direction grenobloise aux délégués du personnel. Alors qu'avant « la note PRB1 était réservée à des cas exceptionnels », 5 % des salariés se retrouvent obligés de parfaire leurs résultats, via un plan d'amélioration de trois à neuf mois, sous peine de sanctions pouvant aller jusqu'au licenciement. HP ne s'en cache pas, pas plus qu'IBM où les quotas ont aussi été redéfinis. « Le quota de note 4, la plus basse, a été renforcé. Et l'encadrement a reçu, fin 2001, des instructions précises lui expliquant comment « identifier » et « gérer » le cas des « faibles contributeurs », avec une note explicative sur les licenciements. « Jusqu'à présent, le classement par quotas était utilisé pour les augmentations individuelles et les promotions. Aujourd'hui, il est une menace directe sur l'emploi », commente Paul Desaigues, de la CGT IBM.

Les syndicats pointent l'arbitraire du forced ranking. « Les quotas reviennent à attribuer coûte que coûte de mauvaises notes. On ne compare plus résultats et objectifs d'un salarié, mais on compare celui-ci à ses collègues. Il peut avoir atteint 180 % de ses objectifs mais se voir décerner une mauvaise note », estime Michel Perraud, de la CFDT. De quoi ôter, par avance, toute crédibilité à l'ensemble du système d'évaluation. « À Bordeaux, dans un service cité en exemple pour ses résultats, certains salariés ont quand même été notés 4 », précise Paul Desaigues. La crainte des syndicats ? Que le forced ranking ne soit l'amorce d'une procédure de licenciement individuel à bon compte. Sans que l'entreprise ait besoin de faire la preuve de la faute ou d'assumer le coût financier d'un plan social. « Un salarié mal classé ou mal noté se retrouve avec une pression terrible sur les épaules. À terme, il opposera moins de résistance à un départ négocié », indique Christian Pilichowski, de l'Ugict CGT.

Après « l'affaire IBM » l'Inspection du travail a notamment été chargée par le ministère de l'Emploi de s'assurer que les licenciements chez Big Blue avaient une « cause réelle et sérieuse », qu'ils ont suivi une procédure conforme au droit du travail et n'ont pas résulté du système de quotas. De fait, si la notation des salariés est autorisée en France, tout quota de mauvaises notes masquant un plan social est illégal. Jusqu'à présent, la direction d'IBM, qui n'a pas exclu certaines maladresses, a nié tout lien entre notations insuffisantes et licenciements éventuels. Cette année, seules 11 personnes notées 4 ont été licenciées pour insuffisance professionnelle, d'après l'entreprise.

Ces logiciels dits de compétences
Ils analysent la personnalité, la motivation, la réaction au stress…

Un bilan comportemental établi en quarante-huit heures ! ERA, un important réseau d'agences immobilières, a trouvé la solution miracle pour recruter managers, négociateurs, secrétaires : « Un logiciel capable d'analyser non seulement la personnalité et les motivations profondes du candidat, mais aussi d'autres paramètres tels que son mode de fonctionnement en période de stress ou sa capacité à assurer des responsabilités. » Aptitudes psychologiques, connaissances techniques, capacité à animer une réunion, maîtrise d'une langue étrangère…

Des logiciels spécifiques sont parfois utilisés par des entreprises, au moment du recrutement ou en complément de l'entretien annuel, pour évaluer des personnes. Ceux-là se fondent généralement sur le référentiel de compétences établi au préalable par l'entreprise et permettent aux salariés d'avoir une idée de leurs compétences en dehors de l'entretien annuel. PerformanSe permet ainsi au salarié de s'autoévaluer en répondant à une batterie de questions qui vont dégager sa personnalité, ses points forts et ses points faibles.

Autre exemple : les agents de la RATP ont pu, avec Gingo, comparer leurs compétences avec celles définies pour 17 emplois types. Une cartographie permet même d'avoir une idée de son niveau par rapport aux autres salariés appartenant à un même service. Mais ce n'était pas du goût des syndicats du transporteur parisien qui s'inquiétaient notamment de l'exploitation faite des informations collectées.

À EDF, le syndicat CGT a mené campagne contre le logiciel PerformanSe, lequel a finalement été abandonné par l'entreprise publique. Mais les syndicats ont aujourd'hui aussi développé tout une argumentation pour aider les salariés à faire admettre une reconnaissance des qualifications plutôt que des compétences.

Auteur

  • Frédéric Rey, Anne Fairise