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Vie des entreprises

Les petites mains qui font le succès du Tour et de Roland-Garros

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.05.2002 | Marc Landré

Une poignée de permanents, beaucoup d'occasionnels, pas de bénévoles, une kyrielle de sous-traitants… les deux plus grands rendez-vous sportifs de l'Hexagone fonctionnent de la même façon. Malgré les horaires atypiques et la lourdeur de la tâche, étudiants, retraités et chômeurs restent fidèles au rendez-vous. Ah, l'amour du sport !

Jeu, set et match ! Par cette formule rituelle, le juge-arbitre du court Philippe-Chatrier clôturera le 9 juin prochain les 72e Internationaux de France de Tennis à Roland-Garros. Un mois et demi plus tard, le 28 juillet, le Tour de France bouclera la boucle sur les Champs-Élysées, en couronnant le vainqueur de la 89e édition. Comme chaque année, le stade de la porte d'Auteuil accueillera plus de 380 000 passionnés de la petite balle jaune, tandis qu'environ 15 millions d'amoureux de la petite reine se seront agglutinés sur les routes de France (et du Luxembourg) pour voir passer le peloton. Les deux plus grands événements sportifs de l'Hexagone devraient cette année encore voir croître leur chiffre d'affaires (un peu plus de 100 millions d'euros pour Roland-Garros, contre trois fois moins pour le Tour de France). Et ce, en seulement trois semaines d'exposition médiatique… Une vingtaine de jours qui nécessitent néanmoins une minutieuse préparation, peaufinée tout au long de l'année par une équipe de permanents, renforcée, pendant l'événement proprement dit, par une armada de collaborateurs occasionnels.

L'organisation des Internationaux de France de tennis, c'est la responsabilité d'Hervé Dutreil, le directeur exécutif du tournoi. Avec une équipe de 100 personnes (101 permanents au 31 mars 2002), soit le tiers des effectifs de la Fédération française de tennis, il a en charge l'entretien quotidien et les aménagements annuels du stade de la porte d'Auteuil (8,6 hectares de courts, d'espaces verts…). Il supervise tout ce qui concerne le domaine sportif (le séquençage et l'organisation de l'épreuve) ainsi que les liens avec les partenaires ou les sponsors. C'est également lui qui développe à l'international la griffe Roland-Garros, une source de rentrées d'argent en constante augmentation (5 millions d'euros en 2001). « La majorité de l'équipe est en place depuis très longtemps, commente Hervé Dutreil. Et cette fidélité facilite les choses. » Une fidélité toute relative car, cette année, Hervé Dutreil sera seul aux commandes du tournoi, alors qu'ils étaient quatre il y a un an. De la « direction quadricéphale » de 2001, seuls restent en effet Hervé Dutreil et Alain Riou, son adjoint.

D'anciens cyclistes professionnels

Gilles Bertoni, l'ancien patron du marketing et du sponsoring a, après une vingtaine d'années de bons et loyaux services, quitté la FFT fin 2001 pour prendre en charge la gestion des marques de la chaîne TF1 (LCI, Eurosport…) et Gilles Jourdan, l'ex-responsable de la logistique et des travaux, a rejoint Patrice Clerc, directeur du tournoi de Roland-Garros durant dix ans, parti diriger, il y a dix-huit mois, Amaury Sport Organisation (ASO), maître d'œuvre depuis 1992… du Tour de France.

Chez ASO, les permanents (en majorité d'anciens cyclistes professionnels) sont une grosse cinquantaine à préparer pendant un an et demi et à temps plein la grande boucle. Ce sont majoritairement des salariés de la Société du Tour, l'une des nombreuses anciennes filiales d'ASO, devenue l'une des huit directions de l'entreprise depuis la réorganisation opérée par Patrice Clerc en janvier dernier. Sous la coupe de Jean-Marie Leblanc, le vrai patron opérationnel du Tour, ils s'occupent du parcours, des relations avec les équipes, des problèmes de sécurité et d'hébergement dans les villes d'étapes, des questions de logistique ou encore des liens avec les 12 000 gendarmes ou 8 000 policiers présents pendant l'épreuve. Et ils sont épaulés, en cas de besoin, par des collègues chargés d'autres événements sportifs organisés par la maison, comme le rallye Paris-Dakar ou encore l'Enduro du Touquet, ou appartenant à la direction juridique. « L'organisation est moins formelle et les collaborations transversales plus nombreuses que par le passé », se félicite un membre de la direction.

La flexibilité est d'autant plus grande que ni Roland-Garros ni le Tour n'ont de syndicats à demeure. Il existe bien des représentants du personnel pour négocier les conditions de travail ou les augmentations de salaire, mais sans étiquette syndicale. Seules la CFTC et FO sont présentes sur le Tour, respectivement depuis cinq et dix-huit ans, mais… au sein de la caravane publicitaire. Un excellent moyen pour elles de se faire connaître et, par là même, de toucher des centaines de milliers de salariés auxquels elles n'auraient jamais accès.

Les quelques dizaines de permanents mobilisés, cadres pour la plupart, ne constituent que la partie émergée de l'iceberg. Durant les Internationaux de tennis, plus de 2 000 personnes travaillent dans l'enceinte du stade (soit dix fois plus, par exemple, que les effectifs totaux de Babolat, le numéro un mondial du cordage de raquettes). Près d'un cinquième (386 exactement en 2001) sont recrutés en contrat à durée déterminée par la direction du tournoi. Tous les autres sont employés par les sponsors ou les partenaires de l'épreuve présents sur le site (voir encadré page 46) et par des entreprises auprès desquelles Hervé Dutreil a externalisé un certain nombre de tâches. On recense ainsi 600 agents de contrôle et de sécurité, 500 agents de restauration, 200 agents de nettoyage et autant d'hôtesses. « C'est une grosse machine bien huilée, explique un arbitre. On est un peu des pions mais c'est la règle. Il n'y a pas à discuter. Il faut que ça tourne. » Un jugement qui peut paraître sévère mais que le patron du tournoi assume. « C'est vrai qu'on est assez rigide mais je trouve que c'est plutôt une qualité et la preuve que le tournoi est bien managé. »

Sur le Tour, c'est exactement la même logique : peu de permanents et de vacataires mais beaucoup de fonctions sous-traitées. Le nombre de personnes qui travaillent chaque jour est estimé à 3 600, mais les « équipiers » (les vacataires recrutés en CDD par ASO) ne sont que 200. Ainsi, les activités de montage et de démontage des zones de départ et d'arrivée sont confiées à l'extérieur sans que Jean-Marie Leblanc ait son mot à dire sur les personnes embauchées par les prestataires de services. « Nous n'avons pas de droit de regard sur les hommes ou les contrats de travail passés par nos sous-traitants, explique Philippe Sudre, le directeur de la communication d'ASO. Nous achetons une prestation et c'est tout. »

Externalisation également pour la caravane publicitaire. Gérer et organiser le long défilé de 20 kilomètres de voitures et de bus commerciaux qui précèdent de deux heures les coureurs, c'est la mission dévolue depuis quinze ans à Jean-Pierre Lachaud, directeur d'une société bordelaise de communication par l'objet. « Tout ce qui est logistique et matériel nous est fourni par la direction, avance ce passionné de sport qui a commencé à travailler sur le Tour comme vacataire en 1983. Je pars trois semaines avec mon adjoint et j'engage pour l'occasion trois motards et un magasinier, les mêmes depuis bien longtemps. »

Seule obligation des sociétés sous-traitantes : soumettre à la direction du Tour la liste des personnes recrutées pour conduire les voitures ou les motos. « Nous pouvons récuser qui on veut, précise Philippe Sudre. C'est une question de sécurité. On ne conduit pas sur le Tour comme sur une route de campagne ou de montagne. Il faut faire attention aux coureurs, aux spectateurs et aux autres véhicules. Et cela nécessite une certaine pratique des courses cyclistes. »

La prime aux plus fidèles

Dans la longue liste des CDD proposés à Roland-Garros pendant le tournoi, on trouve des postes de caissiers, de marqueurs de scores, de juges-arbitres, d'aide logistique (pour ravitailler les glacières des courts en boissons par exemple), de vendeurs de produits griffés Roland-Garros, de nettoyeurs de courts (pour arroser les terrains, remettre de la terre battue ou balayer les lignes), de chauffeurs de véhicule, de médecins… Pour les embaucher, une règle d'or : la prime aux anciens. « On n'a pas beaucoup de recherche à faire, explique Hervé Dutreil. On reprend à 70 % les mêmes d'une année à l'autre. C'est un vrai avantage d'avoir à disposition des gens qui connaissent le stade, la direction et sa mentalité, leurs interlocuteurs, les joueurs, le fonctionnement. » Confirmation de Gilles Bertoni, l'ancien codirecteur du tournoi, également président de Sporsora, association de professionnels du sponsoring sportif : « Pas besoin de les rebriefer ou de les reformer. Vous évoluez en confiance et vous perdez moins de temps. » Retraités, étudiants, amoureux du sport, ce sont souvent les mêmes qui tournent. Ainsi, il n'est pas rare de retrouver les caissiers de Roland-Garros à quelques encablures, au Parc des Princes ou au stade Pierre-de-Courbertin. Et, pour les 30 % restants, le responsable des recrutements puise dans les candidatures que la direction du tournoi reçoit à la pelle ou les demandes de cooptation formulées par des habitués.

Limite d'âge : 65 ans !

Sur le Tour, la tendance est identique. « Les offres de CDD concernent la petite logistique : le fléchage de la course, la gestion au quotidien de l'hébergement, le montage de barrières, la manutention, les relations avec la presse… », énumère Sophie Lesrel, adjointe aux ressources humaines. ASO recrute un traducteur (français-anglais-espagnol), des hôtesses pour les relations publiques, des chauffeurs en course, des pompistes, des poseurs de banderoles ou encore des techniciens radio. Avec une philosophie particulière : celle de privilégier les recrutements d'anciens cyclistes professionnels (« ils connaissent mieux que quiconque les particularités de la course »), de chômeurs de longue durée et d'étudiants. Voire d'intermittents du spectacle. « Ce ne sont pas des postes qui permettent de vivre toute l'année mais ils contribuent à une bonne insertion ou réinsertion dans le monde du travail », avance-t-on à ASO.

Contrairement à Roland-Garros, le Tour n'emploie pas de retraités. La limite d'âge est stricte : 65 ans. Il n'est pas rare de retrouver au long de la saison les mêmes « équipiers » de course en course, qu'elles dépendent ou non d'ASO. « On reprend les mêmes quand on recherche une expérience ou un métier particuliers, valide Philippe Sudre, qui, pour sa part, emploie chaque année pour le service de presse des étudiants qui ont un intérêt à approcher le monde du sport. L'expérience qu'on leur apporte alors, c'est d'être là et d'observer. » Dans les deux cas, les directions refusent les bénévoles, contrairement aux organisateurs du Mondial de football de 1998 qui avaient fait appel à plus de 12 000 passionnés du ballon rond pendant la compétition. « On rémunère tous ceux qui travaillent sur le Tour », se plaît-on à répéter chez ASO, malgré la « quantité industrielle » de candidatures que la direction reçoit. « Les postes que nous proposons demandent une grande autonomie et beaucoup de responsabilités. Nous ne voyons pratiquement pas certains équipiers de toute l'épreuve parce qu'ils nous précèdent de deux jours sur le parcours. Nous ne pouvons donc pas nous permettre de recruter des gens en qui nous n'aurions pas une confiance absolue. »

Son de cloche identique à Roland-Garros. « Les bénévoles risqueraient de poser des problèmes de gestion. Vous n'avez aucune prise sur eux. S'ils décident du jour au lendemain de ne pas revenir, vous êtes mal. Et, dans ce cas, ce ne serait pas 400 vacataires qu'il faudrait prévoir, mais 30 à 40 % de plus. » Conclusion, tant à Roland-Garros que sur le Tour de France, tout le monde est rémunéré. ASO rétribue pour trois semaines ses équipiers, « au prorata du smic mensuel », prend en charge leur transport, leur nourriture et leur hébergement, et leur accorde une dotation en vêtements. Quant aux métiers plus techniques, comme les ambulanciers (volontaires), ils sont payés au tarif du marché.

Payés à l'heure ou à la journée

Dans le temple de la terre battue, les occasionnels sont rémunérés « selon la loi de l'offre et de la demande, même si la paie n'est pas l'élément principal de leur motivation », mais « sans largesse », pour reprendre une formule de l'ancien codirecteur du tournoi, Gilles Bertoni. Ainsi, les hôtesses d'accueil ou les marqueurs de scores sont rétribués entre 91 et 137 euros la journée, les kinésithérapeutes, approximativement 25 euros l'heure, tandis que d'autres sont encore payés, peu ou prou, au niveau du smic et au forfait pour les quinze jours du tournoi. « La rémunération à l'heure ou à la journée nous facilite la gestion des effectifs, avance Hervé Dutreil. Tous ne sont pas là en même temps ou tous les jours. » Histoire de faire tourner les effectifs au maximum et également afin de respecter, autant que faire se peut, les horaires légaux de travail. Ce qui, de l'avis même du patron du tournoi, est loin d'être chose facile… Sur le Tour, tous les équipiers sont payés au forfait pour les trois semaines de course. « On engage les vacataires pour toute la période parce qu'il nous serait trop compliqué d'en changer en cours de route. La machine est trop lourde à gérer. »

Roland-Garros utilise toutefois bénévolement 250 jeunes licenciés de tennis, âgés de 12 à 16 ans et mesurant 1,72 mètre maximum, comme ramasseurs de balles. Leur rémunération est certes symbolique, elle n'est pas pour autant dérisoire : un bon d'achat de la marque Adidas (sponsor officiel des ramasseurs de balles) de plus ou moins 400 euros et un libre accès à des tribunes spéciales pour suivre les matchs sur tous les courts du stade. 250 élus sur 100 00 prétendants… La sélection est assurée par d'anciens ramasseurs, et la formation effectuée sur trois week-ends de deux jours. Ceux qui reviennent d'année en année ne font que la dernière quinzaine du tournoi, tandis que les nouveaux se font les dents pendant la première semaine des qualifications.

Les 350 juges de ligne sont indemnisés aux alentours de 35 euros par jour pour leur participation au tournoi et sont habillés « de la tête aux pieds en tenue Lacoste dernier cri » pour une valeur comprise entre 762 et 915 euros. Les horaires sont souples : de 9 à 18 heures pendant les qualifications, de 11 à 21 heures pendant la quinzaine officielle, au rythme d'une heure de travail suivie d'une heure de repos. Pour s'asseoir sur les chaises du stade de la porte d'Auteuil, la démarche est simple. En théorie, du moins… Il faut d'abord être licencié de la FFT, passer le concours d'arbitre fédéral et déposer une demande auprès de sa ligue régionale ou départementale. « C'est difficile d'être retenu pour la première fois par la direction, mais une fois que vous êtes dans le circuit et que vous faites du bon boulot, c'est facile d'y rester, nuance un habitué du central. Pour celui qui aime le tennis, c'est génial. Vous êtes payés pour voir jouer les meilleurs joueurs du monde sur les plus beaux terrains du monde. » Que demander de plus ?

BNP-Lyonnais, le match des partenaires

6 millions d'euros pour BNP Paribas, un peu plus de 4 pour le Crédit lyonnais, les deux banques françaises ne lésinent pas sur les moyens financiers pour s'arroger le titre de sponsor privilégié, de Roland-Garros pour le premier et du Tour de France pour le second. Tout comme, d'ailleurs, sur les moyens humains. Au Lyonnais, quatre personnes (deux cadres et deux stagiaires) concourent à l'année à préparer le Tour. Pendant l'événement, la banque recrute 45 vacataires (des chauffeurs, des distributeurs de gadgets, des hôtesses, une lingère…), en majorité des étudiants, pour prêter main-forte aux cinq permanents détachés sur la grande boucle. « On les voit, on les sélectionne, mais c'est une société prestataire qui les engage et rédige leur contrat », décrypte Daniel Isaac, le directeur de l'opération. Les hôtesses sont rémunérées 1 500 euros net et les autres équipiers, entre 1 000 et 1 500 euros, pour six heures de travail quotidien pendant une grosse vingtaine de jours. À BNP Paribas, l'organisation est moins compliquée du fait du caractère sédentaire du tournoi de Roland-Garros. « C'est une opération très lourde qui demande une importante préparation en amont, précise néanmoins Olivier Dulac, le responsable de la communication “corporate” de la banque. Et plus l'événement approche, plus l'équipe grossit. » D'une personne à temps plein en novembre, la cellule de Roland-Garros passe ainsi à cinq personnes (un CDI, un CDD, deux stagiaires et un intérimaire) à partir de mars tout en étant renforcée, pour partie de leur temps, par une vingtaine d'autres cadres de la banque. Durant le tournoi, Olivier Dulac embauche, également via des prestataires de services, une quinzaine d'hôtesses pour accueillir les 5 000 invités (sur quinze jours) de BNP Paribas et autant de maîtres d'hôtel pour leur servir à déjeuner.

Auteur

  • Marc Landré