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Vie des entreprises

Douche écossaise pour les fantassins de l'intérim

Vie des entreprises | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.05.2002 | Valérie Devillechabrolle

Après sept ans de hausse quasi ininterrompue, le secteur du travail temporaire a connu l'an dernier une sérieuse chute de ses effectifs, surtout dans l'industrie. Dispositifs de reclassement et plans de formation ont été réservés par les grands réseaux aux 20 % d'intérimaires les plus fidèles. Les autres ont été le plus souvent renvoyés à la case chômage.

Christophe est écœuré. Attiré par la perspective, plusieurs fois confirmée, d'une embauche définitive chez Alcatel Câbles, à Douvrin, dans le Pas-de-Calais, ce conducteur de ligne automatisée de 29 ans a lâché un CDI, au printemps 2001, pour accepter les six mois d'intérim imposés par l'équipementier en télécoms, en guise de préembauche. Malheureusement pour lui, le retournement brutal du secteur a anéanti tous ses espoirs, un après-midi d'octobre 2001. « Alors que je devais reprendre mon poste le lendemain matin, l'agence d'intérim m'a prévenu la veille que ma mission n'était pas renouvelée », raconte ce père de deux petites filles. Une mésaventure qui concernait les 300 intérimaires de l'usine : « Dès le lendemain, leur badge d'accès au parking avait été désactivé et les services de sécurité avaient été renforcés », s'indigne Jean-Marc Vandenbroucke, délégué CGT de Manpower. « Nous avons juste été autorisés à entrer dans l'usine trois par trois afin de récupérer nos affaires », confirme Christophe.

Le numéro deux du travail temporaire, devant la colère des intérimaires ainsi floués et mobilisés sous l'égide de son syndicat CGT, a accepté de mettre en œuvre un dispositif exceptionnel pour faciliter le reclassement des intérimaires restés sur le carreau. À commencer par le versement d'une indemnité supplémentaire de 640 euros destinée à pallier le délai de carence des Assedic. Le plan de formation, d'un montant équivalent à 152 millions d'euros – « soit plus du double que la normale », précise Jean-Pierre Lemonnier, ex-directeur général des opérations de Manpower, récemment nommé à la présidence de la filiale française –, a permis de recaser environ 70 % des quelque 150 salariés pris en charge par la cellule de reclassement.

Un reflux inégal

Les 300 exclus d'Alcatel Câbles sont loin d'être les seules victimes du reflux du travail temporaire. Après sept ans de croissance ininterrompue, le nombre d'intérimaires envoyés en mission a en effet brutalement chuté au cours de l'année 2001 : en équivalent temps plein, plus de 130 000 emplois ont ainsi été perdus entre janvier et octobre 2001, selon l'Unedic (voir graphique ci-contre). Une baisse que les professionnels du secteur ont toutefois tendance à minimiser : « La nature même de notre activité est cyclique, rappelle Patrick de Roux, directeur du développement et de la communication de VediorBis. Si la décélération qui a commencé en mars 2001 s'est amplifiée à partir du mois de mai pour décrocher en octobre, nous avons le sentiment d'être arrivés à un plateau », poursuit-il, en se disant « à peu près convaincu que les affaires vont repartir au plus tard au second semestre ». Les dernières statistiques de l'Unedic confortent cet optimisme : entre octobre 2001 et février 2002, l'intérim a déjà regagné plus de 70 000 emplois.

La décroissance des effectifs intérimaires n'a pas été uniforme. « Certaines régions se sont mieux comportées que d'autres. Inexistante en Provence-Alpes-Côte d'Azur, la crise a au contraire durement touché la Bretagne, l'Aquitaine ou la région Midi-Pyrénées », observe Jean-Pierre Lemonnier. Même disparité entre les secteurs d'activité. « Alors que les effectifs intérimaires sont déjà revenus au niveau de 2001 dans le tertiaire et le BTP, ceux employés dans l'industrie ont diminué de 25 % en un an », souligne François Roux, le délégué général du Syndicat des entreprises de travail temporaire (Sett). Parmi les secteurs les plus touchés, l'automobile, la téléphonie ou l'électroménager affichent des reculs de l'ordre de 30 %.

Fin de mission pour cause de CDI

Ces fortes réductions de voilure masquent des fortunes diverses pour les intérimaires concernés. Dans l'automobile, une partie de la baisse du nombre de missions s'explique en effet par des… embauches en CDI. « Sur les 600 intérimaires d'Adecco « évaporés » en 2001 du bassin de Sochaux, 250 ont été embauchés par PSA », se félicite Tristan d'Avezac, porte-parole du numéro un mondial de l'intérim. « En moyenne, abonde Christophe Bouyer, directeur opérationnel automobile d'Adia, l'industrie automobile embauche 10 % de nos intérimaires et parfois plus. » Aux Chantiers de l'Atlantique, « les soudeurs hautement qualifiés ont généralement été embauchés en CDI », ajoute Bernard Hervault, responsable du service industrie de l'agence locale pour l'emploi de Saint-Nazaire. Quant aux sous-traitants d'Airbus à Toulouse, ils ont fait main basse sur les intérimaires en passe d'obtenir leur certificat de qualification professionnelle afin de « conserver ce potentiel de qualifiés »,explique Marc Ambiaux, délégué syndical central FO d'Airbus.

De leur côté, dans cette période de ralentissement économique, les entreprises de travail temporaire s'efforcent de conserver les intérimaires les plus fidèles. « Nous assurons une priorité d'embauche aux 20 % de nos intérimaires avec lesquels nous réalisons les trois quarts de notre chiffre d'affaires », explique Jean-Pierre Lemonnier, de Manpower. Pour ces habitués, les différentes enseignes ont développé, au cours des dernières années, des politiques de gestion de carrière de plus en plus sophistiquées. À l'instar de VediorBis qui a, selon Patrick de Roux, déboursé « plusieurs millions de francs » pour lancer en mai 2001 un programme baptisé Charte liberté emploi formation (Clef), réservé à quelque 20 000 de ses 90 000 intérimaires employés en équivalent temps plein. « Ils bénéficient d'un entretien individuel pour mesurer leur potentiel d'évolution et d'une planification de missions tenant compte de leurs attentes », indique le directeur du développement et de la communication.

Chez le concurrent Adia, « on profite des périodes pendant lesquelles les intérimaires de plus d'un an sont libérés par les entreprises utilisatrices pour les mettre à niveau », assure Jean-Louis Joly, le nouveau directeur général du groupe. La société Adecco n'est pas en reste. Le réseau a mis en place une banque de compétences pour certains profils : tôliers, retoucheurs et autres monteurs-régleurs spécialisés dans le lancement de nouveaux modèles automobiles. « Quand 150 d'entre eux ont été libérés de Sochaux, nous avons fait remonter leur dossier au niveau national pour que nos collègues de Poissy puissent les récupérer », explique Patrick Bourget, directeur d'Adecco pour le nord de la Franche-Comté.

Atterrissage plus ou moins brutal

Reste que cette gestion sur mesure n'a en moyenne concerné qu'un intérimaire sur cinq. Comme en témoigne la forte augmentation des inscriptions à l'ANPE pour cause de fin de mission de travail temporaire (+ 36,4 % en 2001), les intérimaires sont légion parmi les nouveaux chômeurs enregistrés en 2001. Pour eux, l'atterrissage a été plus ou moins brutal. L'équipementier informatique Solectron a incité Manpower à accorder un entretien individuel au millier d'intérimaires non renouvelés au printemps 2001 « pour identifier leurs compétences annexes et faciliter leur reclassement », précise Catherine Juan, gestionnaire du centre de recrutement de cette antenne bordelaise. A contrario, « d'autres intérimaires continuent d'être jetés comme des malpropres à 17 h 55 le vendredi », s'indigne Jean-Marc Vandenbroucke, délégué CGT de Manpower, qui réclame la création d'un délai de prévenance minimal de fin de mission.

Dans certains secteurs, ce retour à la case chômage n'a été que de courte durée. Pour ce qui est de la filière viande, l'effet de la crise de la vache folle s'est fait sentir principalement au début de l'année 2001. À Saint-Nazaire, environ 3 000 intérimaires ont été renvoyés par vagues successives, sur plusieurs mois, selon André Fadda, le secrétaire de l'Union syndicale multiprofessionnelle CGT du bassin d'emploi, avant que les Chantiers de l'Atlantique et leurs sous-traitants ne recommencent à faire appel fin 2001 à la main-d'œuvre temporaire en prévision de la construction du Queen Mary 2. Mais, dans la téléphonie ou l'électronique, les perspectives sont beaucoup plus incertaines : « Les 300 intérimaires qui se sont inscrits chez nous vivent dans l'espoir que le secteur repartira de plus belle en 2003 », note Armel Ogier, directeur de l'agence locale pour l'emploi de Lannion. Une attitude qui ne les incite guère à se reconvertir dans d'autres secteurs d'activité, jugés moins gratifiants.

Des efforts de formation limités

Face à la recrudescence du chômage chez les intérimaires, les entreprises de travail temporaire ont cependant tendance à minimiser leur responsabilité et à incriminer le comportement des intérimaires. « Je ne vois pas comment éviter que certains se contentent d'un revenu de substitution versé par les Assedic, explique Jean-Pierre Lemonnier, de Manpower. Même son de cloche chez VediorBis où Patrick de Roux fustige « l'absence de mobilité géographique des intérimaires, même dans un rayon de 50 kilomètres ». Chercheur au CNRS et coauteur avec François Michon et Mouna Viprey d'une étude sur « les stratégies des entreprises de travail temporaire » publiée en janvier dans Travail et Emploi, Gilbert Lefèvre réfute l'argument : « Lorsqu'il s'agit de satisfaire le besoin d'une entreprise utilisatrice, les sociétés d'intérim sont capables de mettre en œuvre des moyens importants pour organiser des transferts géographiques massifs de main-d'œuvre. » À l'instar d'Adecco qui est parvenu, en 2001, à faire venir à Sochaux près de 600 personnes, qui résidaient parfois à plusieurs centaines de kilomètres.

Autre constat du chercheur du CNRS, « les efforts particuliers du travail temporaire consacrés à la formation ne permettent pas de relayer une baisse d'activité pour les intérimaires à la recherche d'un emploi ». Dans les plans de formation interne des entreprises de travail temporaire, les sans-emploi héritent de la portion congrue : sur les 40 000 intérimaires formés en 2001 par Manpower, seuls 1 200 (3 %) ont bénéficié de formations de longue durée destinées aux demandeurs d'emploi. Même dans les bassins en crise, les efforts de formation restent limités, comme Armel Ogier, le directeur de l'agence pour l'emploi de Lannion, a pu le constater : « Sur les 150 participants aux réunions d'information consacrées à la formation, une quinzaine ont déposé un dossier au Fonds d'assurance formation du travail temporaire (FAFTT).Et seulement trois ou quatre de ces démarches ont débouché. »

Le directeur général du fonds, Jacques Solovieff, reconnaît lui-même que ses marges de manœuvre sont insuffisantes : « Depuis le mois de juillet, nous sommes confrontés à une augmentation des demandes de congés individuels de formation, à hauteur de 47 %, avec une accélération sensible en fin d'année, alors que nos capacités de financement sont restées stables. » Conséquence, en dépit des 1 800 dossiers financés en 2001, contre 1 680 en 2000, le taux de prise en charge des CIF a baissé : de près de 53 % en juillet, il atteignait moins de 46 % en fin d'année.

Dès les premiers signes d'essoufflement de la conjoncture, les partenariats conclus ces dernières années entre les entreprises de travail temporaire et l'ANPE pour faire face aux pénuries de main-d'Œuvre ont eu tendance à marquer le pas. Plus ennuyeux, les intérêts des entreprises d'intérim et ceux de l'ANPE sont parfois devenus contradictoires : « En donnant, ne serait-ce que quelques jours de mission ou à tout le moins une date de rappel à leurs intérimaires en mal de mission, les entreprises de travail temporaire ont parasité la recherche d'emploi stable ou de parcours qualifiant », estime Bernard Hervault, responsable du service industrie de l'agence locale pour l'emploi de Saint-Nazaire.

Il reste du pain sur la planche

Pour essayer d'anticiper davantage ces fins de mission brutales, la Délégation à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) tente, pour sa part, de développer les mesures d'accompagnement en incitant la profession et le service public de l'emploi à développer « une ingénierie de reclassement conjointe ». La DGEFP a d'ailleurs profité de l'achèvement, fin mars, de la mission des derniers conseillers euro embauchés par les banques et la grande distribution pour lancer une opération grandeur nature en ce sens (voir encadré page 50).

Si François Roux, le délégué général du Syndicat des entreprises de travail temporaire, peut se féliciter de ce « travail intelligent d'anticipation », il reste néanmoins du pain sur la planche. À l'heure où la loi de modernisation sociale offre de nouvelles perspectives de développement à l'intérim, en alignant les indemnités de fin de mission entre CDD et travail temporaire – une vieille revendication de la profession –, les grands du secteur doivent encore prouver que leur responsabilité sociale à l'égard des salariés n'est pas à géométrie variable. Autrement dit, qu'elle ne s'essouffle pas lorsque la conjoncture faiblit.

L'intérim prépare l'avenir des euroconseillers

C'est « par peur de les voir revenir sur le marché du travail à la fin de leur mission » que la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) s'est intéressée dès la mi-décembre au sort des quelque 15 000 euroconseillers embauchés en intérim dans les banques et la grande distribution pour faciliter le passage à la monnaie unique. « Sachant que ces intérimaires ne correspondaient pas aux profils traditionnels des travailleurs temporaires du BTP ou de l'industrie, nous avons essayé d'anticiper sur la fin de leur mission, en collaboration avec les entreprises utilisatrices et les sociétés de travail temporaire », raconte François Hiller, chargé du dossier « difficultés de recrutement » à la DGEFP.

Une action a été menée dans les quatre régions où les euroconseillers étaient les plus nombreux (Ile-de-France, Rhône-Alpes, Nord-Pas-de-Calais et Pays de la Loire).

Un groupe de travail a d'abord essayé de repérer les intérimaires concernés de façon à éviter qu'ils ne s'évanouissent dans la nature. Les capacités d'embauche des entreprises utilisatrices ont également été examinées : « Si la grande distribution devrait être en mesure d'absorber ses euroconseillers, cela semble plus délicat dans le secteur bancaire », observe Jean-Marie Marx, directeur général adjoint de l'ANPE. Enfin, la DGEFP a soumis au Syndicat des entreprises de travail temporaire un accord pour développer les opportunités de formation de reconversion. Par cet accord, « l'État s'engagerait à hauteur de 20 % du financement de ces formations, le reste étant supporté par le Fonds pour l'emploi de l'intérim et les plans de formation internes des entreprises d'intérim », précise François Roux, délégué général du Sett. Pour François Hiller, de la DGEFP, cette opération est importante : « Si nous débouchons sur un fonctionnement satisfaisant, nous pourrons envisager de la redéployer pour faire face à des retournements de conjoncture dans d'autres secteurs. »

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle