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Repères

Il faut éclairer l'avenir des Français

Repères | publié le : 01.05.2002 | Denis Boissard

Un séisme ! On attendait un duel classique droite-gauche, on hérite d'un face-à-face inédit entre la droite et l'extrême droite. Et l'addition des votes protestataires révèle qu'un Français sur trois a voté pour des candidats qui se situent hors du champ de la démocratie républicaine. Alarmant, mais guère surprenant. Car, la campagne du premier tour l'a encore montré, la France est un vieux pays qui a un mal fou, et ses élites avec elle, à se projeter dans l'avenir. Avec comme conséquence qu'un nombre grandissant de nos concitoyens – et surtout les plus défavorisés d'entre eux – ont peur… peur de la montée de la délinquance, peur de l'Europe, peur de la mondialisation. Selon les sondages effectués à la sortie des urnes, le candidat du Front national, qui prospère sur l'inquiétude des Français, vient ainsi largement en tête dans les suffrages des chômeurs et des ouvriers.

Évitons un mauvais procès

Beaucoup d'observateurs expliqueront le résultat du premier tour par la similitude des programmes Chirac et Jospin, par leur incapacité à formuler des propositions audacieuses et leur inaptitude à faire rêver leurs concitoyens. De fait, hormis sur les 35 heures, la convergence des projets était frappante dans le domaine social : même importance accordée à la formation tout au long de la vie ; même priorité donnée à la réforme des retraites, l'un et l'autre s'engageant à préserver le système par répartition, à rechercher l'équité entre public et privé et à créer un troisième étage en capitalisation ; même souci de renforcer la démocratie sociale, notamment par le biais de conférences avec les partenaires sociaux ; même volonté de moderniser la fonction publique grâce à un management par objectifs et à l'introduction d'outils d'évaluation ; même intention d'ouvrir le capital d'entreprises publiques soumises à la concurrence ; même projet de régionalisation de l'offre de soins avec la création d'agences régionales de santé ; même affirmation de la nécessité d'une maîtrise médicalisée des dépenses de santé, sans sanctions collectives…

Faut-il le déplorer ?

N'en déplaise aux partisans de l'affrontement binaire, aux nostalgiques du clivage idéologique entre une droite libérale, tendance thatchérienne, et une gauche étatiste, version programme commun, la similitude des projets sociaux des deux cohabitationnistes est un signe de maturité démocratique.

Il n'est pas surprenant que les remèdes proposés

de part et d'autre aient un air de ressemblance. D'une part, parce que les uns et les autres ont aujourd'hui une approche plus réaliste et moins idéologique de l'action politique, la gauche s'étant imprégnée d'une culture de gouvernement et convertie (sans toujours l'avouer) aux mécanismes de l'économie de marché, tandis que la droite a tiré les leçons des expériences de libéralisation sauvage conduites de l'autre côté de l'Atlantique ou de la Manche. D'autre part, parce que les solutions préconisées s'inspirent des conclusions convergentes des nombreux, et souvent très bons, rapports produits ces dernières années par le Plan, le Conseil d'analyse économique, le Conseil économique et social, ou dans le cadre du Parlement. Il faut se féliciter que les deux candidats « logiques » à l'Élysée aient ainsi écarté toute solution miracle en matière d'emploi, du type dérégulation ou 35 heures, qu'ils se soient gardés des slogans sans contenu, du type « combattre la fracture sociale » ou « changer la vie », qu'ils s'accordent à juger prioritaire l'adaptation de notre système de retraite aux évolutions démographiques, qu'ils se retrouvent pour vouloir améliorer le rapport coût-efficacité de l'État ou qu'ils convergent pour régionaliser les filières de santé. Cela tout en continuant à se différencier dans l'arbitrage fait par chacun entre efficacité économique et justice sociale, par exemple en matière fiscale, où le président sortant privilégie l'encouragement à l'initiative entrepreneuriale, là où son Premier ministre poursuivait plutôt un objectif de redistribution sociale.

La faute des deux champions de la droite et de la gauche,

c'est de s'être contentés de ce catalogue de bons gestionnaires, d'avoir été incapables de prendre de la hauteur, de faire œuvre de pédagogie, de donner aux Français une vision claire de l'avenir de leur pays au sein de l'Europe et dans le monde. Par prudence ou, plus inquiétant, par impuissance à esquisser des perspectives, Chirac comme Jospin sont restés flous ou muets sur des enjeux majeurs pour les années qui viennent. Quelles sont les forces et les faiblesses du site France, et comment y remédier ? Notre modèle social est-il compatible, et selon quelles adaptations, avec les exigences de compétitivité résultant de la mondialisation des marchés ? Quelle place originale peut occuper l'Europe, et de quelle façon, dans la régulation du capitalisme libéral ? Faute de réponses explicites à ces questions essentielles pour leur futur, nombre de Français ont préféré s'abstenir ou se rallier aux solutions populistes et déraisonnables des candidats extrêmes. C'est évidemment tout à fait regrettable.

Auteur

  • Denis Boissard