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Enquête

OÙ FAIT-IL BON TRAVAILLER EN EUROLAND ?

Enquête | publié le : 01.05.2002 | Isabelle Moreau, Frédéric Rey

Malgré l'euro, pas facile de comparer la situation des salariés dans les pays de l'Union. Si l'on s'en tient au cocktail salaire, temps de travail, couverture sociale, c'est l'Allemagne qui vient en tête des six pays de notre enquête, devant les Pays-Bas et l'Irlande. Mais en termes de durée du travail, sur l'année ou tout au long de la vie, les Français sont les mieux lotis.

Avec davantage de soleil, le paradis du salarié européen aurait sans doute les contours du pays de Goethe. Car, de tous les pays de l'Euroland, l'Allemagne offre le meilleur package à ceux qui travaillent : des salaires élevés pour un temps de travail dans la moyenne européenne et un niveau confortable de protection sociale. Si l'on s'en tient à ce cocktail, le salarié allemand est talonné par le néerlandais, voire, dans une moindre mesure, par l'irlandais. Où vaut-il mieux travailler en Europe ? C'est à cette question que Liaisons sociales Magazine a voulu répondre, partant du constat que l'entrée en vigueur de l'euro dans la plupart des pays de l'Union européenne facilite désormais ce genre de comparaison. Hormis la France, l'enquête a porté sur le voisin allemand, sur l'Irlande, seul pays du monde britannique à avoir adopté la monnaie unique, les Pays-Bas et sur deux pays d'Europe du Sud, l'Espagne et l'Italie.

Le premier critère de notre palmarès, c'est naturellement la rémunération. Comparer sa feuille de paie est un réflexe qui va se généraliser sur le Vieux Continent, à commencer chez les salariés des groupes internationaux, présents dans plusieurs pays de l'Union européenne. En 1999, l'OCDE s'est livrée à cet exercice pour la seule population ouvrière, en rapprochant les salaires nets des OS dans 12 pays de l'Euroland. Après paiement des impôts et des cotisations sociales, un ouvrier célibataire français gagne 1 210 euros par mois. Davantage que le portugais (851 euros) ou le grec (1 119 euros), mais moins que l'espagnol (1 231 euros) ! Quant aux pays du Benelux et du nord de l'Europe, ils crèvent le plafond : l'ouvrier néerlandais (1 528 euros) devance le belge (1 436 euros) et l'allemand (1 434 euros). En 2001, la Fédération CFTC du bâtiment a fait un travail identique, en confrontant les salaires conventionnels (ceux d'un compagnon professionnel, titulaire d'un brevet de technicien ou d'un bac professionnel) pratiqués en France, en Espagne, en Belgique et en Italie. Ses résultats montrent de façon évidente que le salaire net après impôts est le seul critère digne d'intérêt. En effet, si l'on se fonde sur le revenu brut annuel, l'ouvrier français avec 14 869 euros est très loin derrière son homologue belge (31 575 euros) ; il est aussi distancé par l'espagnol (18 905 euros) et l'italien (16 316 euros). Mais le classement, et surtout les écarts, n'est plus le même si l'on part du revenu net d'impôts d'un couple avec deux enfants composé d'un ouvrier et de son conjoint rémunéré au smic. Toujours grand gagnant, le couple belge, avec un revenu de 31 954 euros, devance le couple espagnol (25 446 euros), mais les Français (21 816 euros) passent devant les Italiens (21 569 euros).

Pas de smic ou de treizième mois partout

Gare, donc, aux interprétations trop rapides sur la seule foi des rémunérations mensuelles brutes ! Avant de se lancer dans de savantes analyses, mieux vaut connaître les pratiques en vigueur. Ainsi, plusieurs pays européens ne possèdent pas de smic. En Allemagne ou en Italie, ce sont les branches professionnelles qui déterminent le salaire minimal. Autre bémol, le versement d'un treizième mois, largement répandu en Allemagne et en France, est très rare en Grande-Bretagne et en Irlande. La participation aux bénéfices résulte en France d'une disposition légale, alors qu'elle est souvent facultative dans les autres pays. Même la comparaison des salaires nets peut être source d'erreur si on ignore que la France fait figure d'exception en Europe, en n'imposant pas les revenus à la source. « Vu du Japon ou des États-Unis, le modèle social européen fait bloc, mais des conceptions parfois très différentes des systèmes sociaux viennent compliquer le travail d'analyse comparative », explique Claude Cambus, numéro deux de la CGC et secrétaire général de la Confédération européenne des cadres (CEC), qui vient de charger une université autrichienne de comparer les rémunérations des managers.

La CEC n'est pas la seule à se préoccuper du problème. Tous les cabinets spécialisés sont assaillis de demandes de la part de grands groupes internationaux pour remettre à plat la politique de rémunération des cadres supérieurs. « Leur problématique est quasiment toujours liée à une question de mobilité plutôt que d'équité salariale entre les pays », fait remarquer Sofia Kettani, consultante chez Hewitt Associates. Rompus à cet exercice d'analyse, les gros cabinets ont mis au point des méthodes sophistiquées. « En plus du salaire, nous mesurons les autres avantages (stock-options, plans de retraite, prévoyance, épargne) pour parvenir à une évaluation de rémunération annuelle brute. Deuxième étape : définir le net après impôts et cotisations sociales, mais aussi ajouter à ce niveau les sommes correspondant aux prestations accordées par l'État en matière de protection sociale. Dernière étape, nous ajustons le montant en tenant compte des différences du coût de la vie », détaille Sofia Kettani.

Le cash est l'élément prépondérant

« Pour être la plus juste possible, la comparaison doit intégrer un certain nombre d'éléments périphériques, en particulier dans des pays où la protection sociale joue un rôle important dans la redistribution des richesses », précise Jean-Luc Cerdin, de l'Essec, spécialiste de la mobilité internationale. En effet, si le cash est prépondérant, il n'est pas le seul élément pris en compte par les salariés, qui regardent de près le niveau des cotisations prélevées sur leur salaire brut. Et les avantages qu'ils en retirent. Car, en matière de protection sociale, chaque pays possède son propre système. Certains régimes peuvent être financés par les cotisations, par l'impôt, voire par les deux… Comparativement aux autres pays européens, la France présente le niveau de cotisations sociales le plus élevé. « Si la France figure en tête des pays, c'est parce qu'avec le salaire net, le salarié français a payé en bonne partie sa Sécurité sociale, son assurance maladie, sa retraite… », rappelle Claude Cambus, chargé des dossiers internationaux à la CGC. « Ce que les autres salariés européens ne paient pas par les cotisations, ajoute Dominique Boucher, délégué général de l'Institut de la protection sociale européenne, ils le paient généralement à travers l'impôt. »

Sur un poste essentiel comme la maladie, le salarié français est, en apparence, le mieux loti. Certes, le niveau de cotisations sociales est globalement identique à celui de son homologue allemand (13,55 % du brut contre 13,54 %), mais ce dernier en prend la moitié à sa charge, tandis qu'en France la cotisation salariale n'est que de 0,75 %. Un pourcentage auquel il convient toutefois d'ajouter la CSG. En revanche, la plupart des salariés français souscrivent à une mutuelle pour compléter les remboursements de la Sécurité sociale, limités en moyenne à 70 % des frais engagés. Alors que l'Allemand comme le Néerlandais sont couverts à 100 %, avec l'accès gratuit aux soins de base. Dernier paramètre, plus qualitatif, le système de santé hexagonal, classé numéro un par l'OMS, en donne davantage pour leur argent aux salariés français, par rapport aux néerlandais et aux irlandais, familiers des listes d'attente.

Allocation chômage forfaitaire en Irlande

Pour apprécier le niveau de prestations sociales rendues en fonction d'une cotisation donnée, l'assurance chômage est également un bon poste d'observation. Dans la plupart des pays, le financement est assuré par des cotisations des employeurs et des salariés, selon des proportions variables. En Allemagne et en Autriche, la cotisation est également répartie. En Espagne et en France, la participation de l'employeur est supérieure à celle du salarié. Aux Pays-Bas, c'est l'inverse. En 2000, lorsque l'Unedic a voulu comparer l'indemnisation des chômeurs dans sept états de l'Union européenne, elle s'est rapidement heurtée à ces différences de conception. « Nous avons dressé un tableau synoptique à partir des informations recueillies dans chaque pays, explique Marina Pineschi-Gapenne, déléguée aux affaires européennes et internationales. Mais si, en France, par exemple, le taux de prestations est égal à 57,7 % du salaire brut de référence, en Allemagne, c'est 67 % du salaire net. En outre, ces résultats n'ont qu'une valeur indicative. Nous n'avons pas pris en compte, par exemple, les diverses aides sociales ou allocations complémentaires. »

L'Irlande a fait un choix radicalement opposé à celui du tandem franco-allemand, en privilégiant une indemnisation forfaitaire de 98 euros par semaine. Le versement de cette allocation est, de plus, limité à quinze mois, « une manière d'inciter les demandeurs d'emploi à retrouver rapidement un travail », explique Ursula Rice, chargée des prestations au Département des affaires sociales et familiales en Irlande. Ce qui tranche avec un pays comme la Belgique, qui indemnise les chômeurs pour une durée illimitée ! Mais c'est la France qui exige la durée minimale de travail la plus basse pour indemniser les demandeurs d'emploi : 122 jours contre 360 en Espagne ou 365 en Allemagne. Globalement, le risque chômage est donc sensiblement mieux couvert dans l'Hexagone que dans les cinq autres pays.

La retraite à 60 ans, l'exception française

Autre donnée qui intéresse au plus haut point les salariés, l'âge de départ à la retraite n'est pas le même selon l'endroit où l'on travaille en Europe. Les Français sont les mieux traités : l'âge légal (60 ans) est le plus bas de l'Euroland, où la règle des 65 ans est en vigueur pratiquement partout. Du moins pour les hommes car, en Italie, les femmes partent à 60 ans, en Belgique à 62. En outre, bon nombre de fonctionnaires français et de salariés du secteur public peuvent partir à 55 ans, voire 50 ans. Si bien que, dans l'Hexagone, l'âge moyen de départ à la retraite n'est que de 58 ans. De la même façon, les enseignants allemands peuvent, dès leur cinquantième anniversaire, travailler davantage afin d'alimenter un compte épargne temps pour prendre leur retraite avant 65 ans. Résultat : l'âge effectif de départ à la retraite est de 60,5 ans en Allemagne (61,1 ans en Italie, 62 ans aux Pays-Bas, 62,5 ans en Espagne).

Mais l'âge réel de départ est aussi brouillé par les nombreux dispositifs de départs anticipés à la retraite. En Allemagne, les employés ont désormais la possibilité de partir en préretraite à 62 ans moyennant une réduction de leur pension. Idem en Espagne, où il est possible de partir avant 65 ans. À condition d'avoir cotisé quinze ans, l'Espagnol peut prétendre à 50 % d'une retraite à taux plein. Pour le calcul de la retraite, l'Allemagne et le Royaume-Uni prennent en compte l'ensemble de la carrière tandis que la France s'appuie actuellement sur les dix-neuf meilleures années (et les vingt-cinq demain). Allemands et Français restent les mieux lotis par rapport au niveau de pension perçu. Les premiers grâce à un système de retraite complémentaire obligatoire, les seconds via une pension de base importante.

Dernier critère d'évaluation pour notre classement : le temps de travail. Sur ce point, avec les 35 heures, le Français se distingue très nettement des autres Européens. Mais, aux Pays-Bas, la durée légale hebdomadaire est passée à 36 heures en 1992. De plus, selon la Fondation européenne de Dublin pour l'amélioration des conditions de travail, environ 40 % des salariés y occupent des postes à temps partiel (la plupart du temps choisis) contre 17 % en France. En Allemagne, la durée hebdomadaire du travail est fixée par des accords de branche et varie selon les secteurs d'activité. Elle s'établit en moyenne à 37,4 heures par semaine dans les anciens Länder et à 39,1 heures dans les nouveaux. Si les 35 heures sont de mise dans la métallurgie, elles ne sont pas applicables dans le secteur des services, bien que les syndicats réclament une réduction du temps de travail progressive à moins de 35 heures…

Salaires, avantages sociaux, protection sociale, temps de travail… ces paramètres permettent donc de comparer les conditions de travail offertes par les pays de l'Euroland. Mais Liaisons sociales Magazine a aussi enquêté sur le terrain, en choisissant, dans six pays (Allemagne, Espagne, France, Irlande, Italie et Pays-Bas), deux métiers symboliques : un directeur d'agence bancaire pour le secteur privé, un enseignant du secondaire pour le public. Les résultats de cette enquête confirment notre analyse. On gagne davantage dans le nord de l'Europe. Mais si la durée du travail est le principal motif de satisfaction, alors la France est assurément un pays de cocagne…

Auteur

  • Isabelle Moreau, Frédéric Rey