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Enquête

MIEUX VAUT ÊTRE PROF À PARIS QU'À MADRID

Enquête | publié le : 01.05.2002 | Isabelle Moreau, avec nos correspondants

Irlandais et Allemands arrivent en tête pour les salaires, mais, comme les Hollandais, ils ont beaucoup d'heures de cours. Moins gâtés financièrement, les Français bénéficient d'autres avantages : les semaines les plus légères, les congés les plus longs, la possibilité de faire des heures sup et des primes à tire-larigot…

Couverts par une simple convention collective en Italie, interdits de droit de grève en Allemagne, licenciables aux Pays-Bas, faiblement rémunérés en Espagne, les enseignants ne bénéficient pas tous d'un statut enviable dans l'Euroland. Sur le strict plan des rémunérations, les profs irlandais et allemands que nous avons rencontrés arrivent en tête du peloton. Mais ils sont aussi un peu plus âgés que leurs quatre collègues, or l'ancienneté est systématiquement prise en compte dans les grilles de salaires des six pays étudiés. De plus, « du point de vue de la rémunération, explique Jean-Marie Maillard, vice-président du Comité syndical européen d'éducation et responsable du secteur international au Snes, les Français sont handicapés en début de carrière. C'est flagrant par rapport aux Allemands. En fin de carrière, cela va mieux ». Pour le nombre d'heures de cours hebdomadaires, c'est le prof français qui décroche la palme avec 18 heures devant le tableau noir. C'est beaucoup moins que les Irlandais qui enseignent 22 heures par semaine ou que les Allemands avec leurs 24 heures de cours hebdomadaires, sans compter « la surveillance des récréations… et le remplacement des collègues absents », indique Rüdiger Böss, directeur de la section allemande d'un lycée franco-allemand des Yvelines. Mais les heures dispensées ne représentent pas la totalité du temps de travail, rappelle en substance Jean-Marie Maillard, qui n'oublie pas de mentionner la préparation des cours ou la correction des copies… Dans l'Hexagone, « le temps de travail hebdomadaire des profs français est le double du nombre d'heures d'enseignement », estime Alain Jullian, président de la section française de l'Association européenne des enseignants, ce qui représenterait 36 heures, tandis qu'on dépasse allégrement les 40 heures outre-Rhin et qu'aux Pays-Bas la convention collective fixe à 41 heures 30 la durée hebdomadaire maximale de travail. L'enseignant français est également le mieux loti avec ses 16 semaines de congé. Il bénéficie aussi de la sécurité de l'emploi, de la possibilité d'effectuer des heures supplémentaires et de faire grève. Ce qui n'est pas donné à tous ses collègues.

Irlande

Le mieux payé, mais pour beaucoup d'heures de cours

C'est au Rathmines Senior College de Dublin, superbe bâtisse centenaire qui accueille 630 élèves, que Sean C. a choisi d'enseigner. Ses cours de maths et de physique s'adressent aux jeunes Irlandais qui préparent le Post leaving certification (PLC), l'équivalent du bac français, et à ceux qui souhaitent repasser l'une des six matières du PLC, pour postuler dans les meilleures écoles du pays. Au total, si on ajoute la formation continue qu'il dispense à des adultes revenus sur les bancs de l'école, Sean effectue 22 heures de cours par semaine, sans compter la préparation et la correction des copies. Un emploi du temps classique pour un professeur irlandais qui bénéficie d'environ 13 semaines de congé par an.

Payé 4 460 euros brut par mois sur 12 mois (3 090 euros net déduction faite des impôts et des charges sociales) en vertu de la grille nationale des salaires (qui prend en compte le diplôme, l'ancienneté, la matière enseignée…), Sean n'a pas un grand train de vie. Dublin est une ville chère. Mais il a les pieds sur terre. « J'ai pu acheter au bon moment une maison avec un jardin à dix minutes du centre-ville. Depuis le boom du “Tigre celtique”, le prix de ma maison a été multiplié… par dix. » Un « plus » pour cet enseignant qui touchera sa retraite à taux plein après quarante ans de bons et loyaux services rendus à l'éducation nationale qui lui assure la sécurité de l'emploi. « Si le collège ferme, explique ce moustachu aux tempes grisonnantes, on me proposera une mutation dans un établissement scolaire situé à moins de 65 kilomètres de chez moi. » Comme la moitié des Irlandais, Sean a souscrit à une assurance santé privée. Celle-ci lui coûte environ 90 euros par mois et couvre toute la famille, c'est-à-dire lui, son épouse et ses trois enfants. Une manière pour eux d'être mieux et surtout plus rapidement soignés dans un pays où les listes d'attente sont légion. I.M.

Allemagne

Des revenus substantiels, mais pas de droit de grève

Roswitha H., 46 ans, professeur d'allemand au lycée J.-F.-Kennedy à Berlin, s'estime privilégiée. « Tous les collègues doivent assurer au moins 24 heures de cours par semaine. Moi, j'ai un temps partiel, je n'en donne que 12. » Mais cette mère de deux adolescents de 13 et 15 ans qui habite dans le quartier turc autrefois très branché de Kreuzberg travaille autant que ses collègues, soit entre 40 et 60 heures par semaine. Car elle assure le suivi de jeunes professeurs en formation. Comme ses collègues berlinois, elle a droit à 12 semaines de vacances par an. Versé par la ville-État de Berlin, son salaire est fixé selon des critères précis (type d'école, niveau de formation).

En tant que professeur de gymnasium (lycée), elle touche 4 000 euros brut par mois, soit environ 3 000 euros net dont une prime de fin d'année équivalente à 40 % du salaire mensuel net, et, comme formatrice, 150 euros par mois. Fonctionnaire d'État, Roswitha bénéficie d'un statut particulier remontant à Bismarck. « Je n'ai pas le droit de faire grève et je dois être loyale envers l'État », explique-t-elle. En contrepartie, l'enseignante ne cotise pas à l'assurance vieillesse. Quand elle prendra sa retraite à 63 ans (65 ans pour les hommes), elle touchera une pension versée par la ville qui s'élèvera de 70 à 80 % de son salaire. Assurée d'un emploi à vie, elle ne cotise pas non plus à l'assurance chômage. « Si mes cours sont supprimés, je serai affectée à un autre poste », explique-t-elle. Au total, Roswitha ne cotise que pour la maladie, en vertu d'un système assez complexe. En tant que fonctionnaire, elle doit s'affilier à une caisse d'assurance maladie privée. Mais l'État prend à sa charge une partie des frais. Dans son cas, c'est-à-dire mère célibataire avec deux enfants à charge, 30 % des frais médicaux sont remboursés par la caisse et les 70 % restants par la ville. M.L.

France

Grandes vacances et primes en tout genre

Après huit années passées à assurer des remplacements dans des établissements difficiles de la banlieue nord de Paris, Lionel apprécie la douceur méditerranéenne, dans un lycée de Sète. Avec 16 semaines de congé par an, l'enseignant français est en effet le champion européen du temps libre. Lionel s'estime heureux cette année car il n'enseigne qu'en seconde. En comptant les temps de préparation, de correction et de concertation avec les parents et l'équipe enseignante, sa semaine de travail ne dépasse pas les 35 heures. « J'ai de la chance cette année, car n'ayant qu'un seul niveau de classe, cela réduit un peu le travail hors de l'établissement. » Certains de ses collègues travaillent une moyenne de 40 heures par semaine.

Professeur certifié en sciences de la vie et de la terre, Lionel perçoit, après dix ans d'expérience, un traitement mensuel net de 2 000 euros, auquel s'ajoutent divers primes et bonus. En qualité de professeur principal, Lionel reçoit une prime annuelle de 1 370 euros. Son établissement, classé en zone sensible, lui permet également de bénéficier d'une bonification, tout comme le fait d'avoir été deux fois admissible à l'agrégation. Au total, cet enseignant célibataire gagne 2 220 euros net mensuels sur 12 mois. Mais, contrairement à ses collègues européens, il lui reste encore ses impôts à déduire.

« Il existe beaucoup de disparités salariales dans ce métier, notamment en fonction du diplôme, reconnaît Lionel. Un enseignant en classe préparatoire gagne en moyenne 800 euros de plus, alors qu'il doit moins d'heures qu'un prof du secondaire. Les heures supplémentaires sont aussi un bon moyen d'arrondir les fins de mois, mais je n'en ai pas cette année. » Trois heures supplémentaires par mois peuvent en effet gonfler le salaire de 15 %. Vers l'âge de 50 ans, par le jeu des points, Lionel espère gagner autant qu'un agrégé, entre 2 750 et 2 970 euros net par mois (soit entre 33 000 et 35 600 euros annuels sans les primes et les heures supplémentaires). Comme tout fonctionnaire français, Lionel doit cotiser durant 37,5 années avant de partir en retraite. Du moins si une réforme ne modifie pas les règles actuelles après l'élection présidentielle. F.R.

Espagne

Un treizième mois, mais des augmentations de misère…

Miguel a vite fait ses comptes. En milieu de carrière, un prof de lycée espagnol gagne 1 800 euros net plus un treizième mois versé en deux fois (juin et décembre). Point final. Ni prime de logement ni allocation familiale pour ses quatre filles. Et, comme toute perspective, une augmentation, par paliers, tous les trois ans, de 36 euros mensuels. « Au bout de trente ans de carrière, un prof aura été augmenté de 360 euros par an. Ne me dites pas que c'est peu, on le sait tous », raconte ce syndicaliste de 47 ans, prof de philo dans un lycée de San Blas, banlieue déshéritée de Madrid. Chaque semaine, il donne 16 heures de cours, auxquelles s'ajoutent 2 heures de tutorat, 2 heures de permanence, les réunions pédagogiques et la préparation des cours. Il bénéficie de 13 semaines de congé par an. « Elles ne sont pas volées. À partir de juin, on suffoque dans nos classes sans air conditionné. »

En tant que fonctionnaire, Miguel bénéficie de la sécurité de l'emploi qui l'exempte de cotisation chômage… et du droit de grève. Il est couvert par la sécurité sociale, qui lui a attribué un centre médical de référence, où il a pu choisir un généraliste et un pédiatre pour ses enfants. Consultations, examens et hospitalisation sont gratuits. Pour lui, comme pour les autres Espagnols, l'heure de la retraite ne sonne plus à 65 ans. Il peut, s'il souhaite améliorer sa future pension, prolonger sa vie active jusqu'à 70 ans. « Beaucoup le font, car les retraites de l'État sont faibles : elles plafonnent à 1 800 euros par mois. » Si le gouvernement incite à cotiser en complément à des fonds privés, Miguel est sceptique. Il a préféré se constituer ce qu'il appelle son plan de pension à lui, grâce à l'immobilier locatif. Il possède un appartement acheté à crédit il y a vingt ans, mais compte en acquérir un autre afin de le louer. « C'est plus sûr, souligne-t-il. Nos parents qui avaient sagement cotisé à des retraites complémentaires ont vu leurs économies fondre comme neige au soleil. Il ne m'arrivera pas la même chose. » C.T.

Italie

Un salaire modeste, arrondi par les heures supplémentaires

Après un court passage de deux ans dans le privé, Anna a commencé sa carrière dans l'enseignement public en 1988, à 28 ans. Comme prof de physique à Milan. Mais elle n'a été titularisée qu'en 1993. Une situation courante dans l'éducation nationale italienne, où les « précaires » sont légion. Comme ses collègues, Anna a choisi ce métier par vocation et pour la sécurité de l'emploi plutôt que pour l'appât du gain. Car en Italie le salaire des enseignants – fixé en fonction d'une grille établie par une convention collective – est peu élevé. Le sien l'est encore moins. « Mon ancienneté ne tient pas compte de mes années d'activité comme suppléante », explique-t-elle. Résultat : sa fiche de paie ne reflète que neuf ans de service. En février 2002, Anna percevait 1 180 euros net par mois, pour 18 heures de cours par semaine, ce qui est la règle dans l'enseignement secondaire. Anna complète ses revenus par des heures supplémentaires, directement payées par l'établissement scolaire.

Selon les textes, les enseignants doivent travailler 200 jours par an. Concrètement, cela veut dire qu'en dehors de leurs 5 semaines de congés payés, ils doivent normalement rester à la disposition des établissements scolaires pendant les périodes de vacances. En pratique, tous parviennent à prendre entre 7 et 8 semaines de vacances. Désormais fonctionnaire, Anna ne peut en aucun cas être licenciée. Ce qui ne vaut pas pour les précaires à qui il arrive souvent de pointer au chômage. Depuis que la santé est financée par l'impôt, Anne ne cotise plus que pour sa retraite. Une pension qu'elle ne touchera à taux plein qu'à 57 ans (l'âge légal est de 55 ans), c'est-à-dire après avoir cotisé pendant trente-cinq ans. Par prudence, elle a souscrit à une assurance privée depuis qu'elle a commencé à travailler. Le moment venu, elle bénéficiera d'un complément de revenu sous forme de capital ou de rente. M.-N. T.

Pays-Bas

Un temps partiel choisi, mais pas de sécurité de l'emploi

Margo enseigne la géographie au Mozalek College d'Arnhem, dans la grande banlieue d'Amsterdam. Comme la grande majorité de ses collègues, elle travaille à temps partiel. Sur la soixantaine de professeurs du collège, seuls trois ou quatre sont à temps plein. « J'ai 18 heures de cours, ce qui représente 65 % d'un temps plein dans cet établissement. » La convention collective de l'enseignement secondaire fixe la durée maximale de travail à 41 heures 30 par semaine (temps de préparation, de correction, de réunions pédagogiques… inclus). Les congés ? « On a 10 semaines de congé par an, indique Margo ; mais, contrairement à d'autres professions, on ne peut pas en choisir la date… et il est impossible de prendre un jour quand on en a envie. »

Il y a cinq mois, Margo a eu un petit garçon. Les trois jours de la semaine où elle travaille au collège, son fils va à la crèche. L'école lui rembourse la moitié des frais de garde. Cette contribution est pour elle la bienvenue. Car, côté salaire, ce n'est pas le jackpot. « Je gagne 2 178 euros brut par mois, soit 1 270 euros net. Il y a aussi un treizième mois, auquel les enseignants ont droit depuis peu », explique-t-elle.

Depuis peu également, les professeurs néerlandais doivent souscrire à une assurance maladie auprès d'une compagnie privée. Avant, seuls ceux qui avaient des revenus supérieurs à un certain plafond y étaient contraints. Margo paie une cotisation mensuelle d'environ 85 euros. Mais comme elle est employée de la fonction publique, un fonds ad hoc en prend en charge la moitié. Travailler pour l'État néerlandais présente donc un certain nombre d'avantages, même si l'emploi n'est pas garanti. Mais Margo n'est pas inquiète : « Si, par malheur, l'école faisait faillite, un fonds spécial nous permettrait de recevoir 80 % de notre dernier salaire en attendant de retrouver un poste. » Actuellement, le pays connaît une véritable pénurie d'enseignants. De quoi inquiéter les futurs retraités de l'éducation nationale – qui partent à 65 ans – car leur pension est aussi financée par capitalisation, via un fonds sectoriel. E.T.

Auteur

  • Isabelle Moreau, avec nos correspondants