logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

Les mutuelles réapprennent le Code

Dossier | publié le : 01.05.2002 | F. L.

La réforme du Code de la mutualité est, sans conteste, porteuse d'opportunités pour le développement des mutuelles interprofessionnelles dans le domaine de la prévoyance collective. Mais elle présente aussi le risque d'une banalisation de ces organismes.

C'est le grand chambardement dans le monde mutualiste. En tout début d'année, la Mutuelle générale (ex-MGPTT) et la Garantie mutuelle des fonctionnaires (GMF) signent un accord de partenariat. La première annonce qu'elle va désormais distribuer les contrats automobile et habitation de la seconde auprès de ses adhérents tandis que la GMF proposera, d'ici à la fin de l'année, une complémentaire santé de la MG à ses clients non fonctionnaires. À peine deux mois plus tard, Jacqueline Jougla, présidente de la Mutuelle générale, présente un nouvel accord conclu, cette fois, avec Gérard Vuidepot, président de la Mutuelle nationale des hospitaliers et des personnels de santé (MNH), et Aimé Bellina, président de la Mutuelle nationale territoriale (MNT). Les trois mutuelles annoncent la mise en commun de leurs moyens et affirment leur volonté de parler d'une même voix. L'événement est de taille, car la MG, la MNH et la MNT occupent respectivement la deuxième, la troisième et la quatrième place au Top 10 des mutuelles.

C'est l'un des nombreux exemples qui montrent que le big bang attendu avec l'entrée en vigueur du nouveau Code de la mutualité aura bien lieu. Si le Parlement a repoussé au 31 décembre 2002 l'application de cette réforme, nécessaire pour que la France soit en conformité avec les directives européennes sur les assurances, pas une semaine ne passe sans l'annonce de réorganisations, de partenariats ou de regroupements. Car les petits organismes mutualistes vont avoir du mal à respecter les nouvelles règles prudentielles, plus contraignantes, à savoir le renforcement des provisions techniques et l'application des mêmes marges de solvabilité. Ce qui ne signifie pas qu'ils vont tous disparaître, mais que leur salut passe par un regroupement ou un adossement à un groupe.

La réforme du Code de la mutualité ne fait qu'accélérer un mouvement de concentration déjà lancé. « On assiste à un rapprochement entre mutuelles interprofessionnelles depuis cinq à six ans. Le développement des contrats collectifs sous l'impulsion des institutions de prévoyance a entraîné une érosion des contrats individuels. Les mutuelles ont alors pris le parti de se positionner sur la protection sociale d'entreprise », explique Didier Bazzocchi, directeur général de la Mutuelle générale, qui affiche, sur ce segment d'activité, une croissance à deux chiffres. En outre, la loi de 1999 instaurant la CMU, qui introduit une obligation annuelle de négocier sur la complémentaire santé dans les entreprises, fait des contrats collectifs un marché encore plus porteur. « Réforme du Code ou pas, l'environnement concurrentiel nous oblige à nous repositionner », confirme Guy Herry. Le secrétaire général de la Mutualité française fait notamment allusion à l'arrivée de nouveaux concurrents, comme les banques, La Poste, voire la grande distribution, à l'instar de Carrefour. « Ils visent d'abord les contrats individuels avant d'attaquer le marché du collectif. Mais sans avoir les mêmes contraintes puisque la complémentaire santé est souvent, dans leur cas, un produit d'appel. »

Dumping sur les contrats de groupe

Cette concurrence exacerbée se ressent dans les tarifs proposés. Car, pour décrocher les contrats de groupe souscrits par les entreprises, certains n'hésitent pas à faire du dumping. Les prix sont calculés au plus juste, sans négliger pour autant le service rendu. « Il faut une solide organisation qui permette, tout en comprimant les frais généraux, d'offrir une réelle qualité de service sur les délais de traitement, la gestion des prestations et le tiers payant », explique Patrick Sayaque, directeur du développement de la MCD, mutuelle certifiée ISO 9001 qui réalise 40 % de son chiffre d'affaires sur les contrats collectifs. Pour les délais de remboursement des frais de santé, la norme actuelle sur le marché est de J + 2. Ce qui exige une technologie à toute épreuve alors que l'informatique s'est bien souvent avérée le talon d'Achille des mutuelles. « Notre atout est d'avoir développé un système en interne, mais la plupart n'ont pas la capacité financière suffisante et doivent recourir à des prestataires », poursuit Patrick Sayaque. Les investissements sont encore plus lourds lorsqu'il s'agit de mettre sur pied une plate-forme de services, même si l'utilité d'un tel outil n'est pas reconnu par tous.

Aux prestations de qualité et aux tarifs calculés au plus juste s'ajoute également l'impératif d'un service de proximité. Tous les opérateurs sont unanimes : le réseau est un argument de poids dans la négociation avec l'entreprise, même si cette dernière n'est pas implantée dans toute la France. La Mutualité française l'a bien compris. En 1991, elle a créé deux réseaux de prévoyance collective pour pallier la couverture géographique limitée de nombreux de ses adhérents. La FNMF peut ainsi décrocher des contrats de branches ou de grandes entreprises puis déléguer leur gestion aux mutuelles des réseaux. Mais, face aux 80 puissantes sociétés d'assurance et à la centaine d'institutions de prévoyance, le secteur mutualiste paraît encore fort éclaté avec environ 3 000 mutuelles ou groupements recensés.

La réforme du Code de la mutualité fournit des outils pour répondre à cet objectif : « Le nouveau Code dessine les contours des groupes mutualistes de demain, estime Patrick Sayaque. Les possibilités de combiner les comptes et les marges permettent de renforcer les niveaux de solvabilité et de se positionner comme un acteur à part entière sur la prévoyance collective. » De fait, ajoute Gilles Depommier, directeur associé de Fixage (actuariat-conseil), les mutuelles considèrent que leur avenir passe par « une diversification de leur activité au-delà de la couverture des frais médicaux », c'est-à-dire la gestion de risques comme l'assurance décès, l'invalidité, voire désormais la dépendance. Pour plusieurs raisons. « Les marges techniques sont plus importantes sur la prévoyance, même si les risques sont plus lourds à porter », précise Jean-Paul Panzani, secrétaire général de la Fédération des mutuelles de France (FMF), qui vient de rejoindre le giron de la Mutualité française après vingt ans de vie séparée. Par ailleurs, l'offre globale – couverture santé et prévoyance – s'avère un atout indéniable auprès des entreprises.

Le secteur mutualiste peut y perdre son âme

Sur le volet de la prévoyance stricto sensu, la réforme du Code apporte deux changements importants : la liberté de réassurance des mutuelles et la procédure d'agrément (pour la branche vie). Ce qui devrait favoriser la diversification des produits proposés par les mutuelles, en sachant que la tendance actuelle est à la conception de garanties en interne. Du moins pour celles qui ont les reins solides, comme la Mutuelle générale, qui prévoit de proposer aux petites mutuelles santé de compléter leur offre de prévoyance. Pour ces dernières, un partenariat est également possible avec les institutions de prévoyance qui modifient progressivement les accords signés avec les assureurs : « Elles souhaitent voler de leurs propres ailes et devenir peu à peu porteuses de risque », note Gilles Depommier.

Dernière disposition nouvelle du Code de la mutualité, le droit accordé aux mutuelles de rémunérer un courtier pour la souscription d'un contrat collectif ne fait pas l'unanimité. « Ce type de procédé nous semble dommageable dans la mesure où il prive les partenaires sociaux d'un élément de négociation essentiel dans l'entreprise », estime Guy Herry. Mais le secrétaire général de la FNMF reconnaît aussi que les mutuelles se retrouvent désormais « sur un pied d'égalité avec les autres opérateurs », assureurs et institutions de prévoyance. « Certaines d'entre elles avaient su, dans le passé, trouver les moyens de contourner l'interdiction », souligne toutefois un expert du secteur.

Ce débat sur les courtiers renvoie aussi à celui de la banalisation des mutuelles, risque inhérent à la réforme du Code de la mutualité. « Avec la constitution de groupes, le danger est de finir par perdre son âme », estime un responsable mutualiste. Un point de vue que ne partage pas Didier Bazzocchi, le directeur général de la MG. Pour lui, le nouveau Code traduit « la reconnaissance légale du contrat mutualiste » : « C'est la grande différence avec les institutions de prévoyance et les compagnies d'assurances. Adhérer à une mutuelle à titre individuel, c'est adhérer à ses statuts et à ses règlements. Ceux-ci définissent notamment les prestations et les cotisations et ne peuvent être modifiés que par décision de l'assemblée générale. De plus, il ne peut-être mis fin au contrat de l'adhérent en raison de son état de santé ou de sa consommation de soins. C'est un élément qui mérite d'être mis davantage en avant dans les négociations sur les contrats collectifs. Et, lorsque le salarié quitte l'entreprise et le cadre du contrat de groupe, il peut adhérer à titre individuel et continuer de bénéficier à vie d'une protection sociale solidaire. »

Pour Guy Herry, de la FNMF, « dans le collectif comme dans l'individuel, l'enjeu pour la mutualité est d'affirmer sa différence par rapport aux autres acteurs ». Ce qui est de la responsabilité du mouvement mutualiste comme de chaque mutuelle. En clair, la Mutualité entend se positionner comme un acteur incontournable du marché de la prévoyance collective tout en défendant ses valeurs. Une enquête récente menée par des chercheurs de l'université de Rennes montre cependant que le chemin pour y parvenir est étroit. Si les valeurs mutualistes conduisent effectivement les syndicats à souvent « peser en faveur des mutuelles », elles peuvent aussi « faire naître des réactions négatives chez les employeurs qui préfèrent alors s'adresser à d'autres organismes assureurs, jugés “plus neutres” »

Les contrats collectifs sur la sellette ?

Au cours des derniers mois, le président de la Mutualité française, Jean-Pierre Davant, a épinglé à plusieurs reprises les contrats collectifs de complémentaire santé. Ce type de contrats, explique-t-il en substance, peut paraître très intéressant pour le salarié, qui peut déduire les cotisations qu'il verse de son revenu imposable, mais il pose des problèmes en cas de départ, volontaire ou non, de l'entreprise (retraite, démission, licenciement…), et cela malgré le droit de suite instauré par la loi Évin. Sans demander pour autant leur disparition, la Mutualité française a engagé une grande campagne de communication en faveur du crédit d'impôt pour rétablir l'équité entre Français. En effet, si on prend en compte également la CMU et la loi Madelin, plus de 50 % de la population bénéficie d'une aide publique pour l'acquisition de sa complémentaire santé. Concrètement, il s'agirait d'accorder une réduction d'impôts de 155 euros – ou une prime équivalente pour les non-imposables – aux acquéreurs d'un contrat individuel dit « solidaire », c'est-à-dire sans sélection des risques.

Cette proposition suscite un accueil très réservé des organisations syndicales qui gèrent, il est vrai, les institutions de prévoyance, en pole position sur ce marché. Certains considèrent que le vrai problème tient à l'insuffisance du niveau de remboursement du régime obligatoire. D'autres craignent surtout que ce mécanisme fiscal déstabilise la négociation collective. Pourquoi l'entreprise irait-elle abonder le financement des cotisations de ses salariés si l'État est prêt à faire de même ? Tout en partageant l'analyse critique de la Mutualité, la CFDT estime ainsi qu'il faut plutôt travailler sur « une évolution de la forme actuelle du contrat collectif ». Secrétaire général de la Fédération des mutuelles de France, Jean-Paul Panzani prône, quant à lui, une réflexion entre les partenaires sociaux et le mouvement mutualiste afin de donner un contenu « éthique et solidaire » aux contrats de groupe.

Auteur

  • F. L.