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Débat

Comment financer et mettre en œuvre une formation tout au long de la vie ?

Débat | publié le : 01.05.2002 |

Sur ce sujet, le consensus est total. Avec un bel unanimisme, Jacques Chirac et Lionel Jospin proposent d'octroyer aux salariés un droit à se former pendant toute la durée de leur vie active, afin de maintenir ou d'accroître leur employabilité. Au-delà du slogan, la reconnaissance d'un tel droit de tirage sur la formation pose la question de ses modalités et de son financement. Trois experts avancent leurs solutions.

« Par des formations qualifiantes, en juste à temps, individualisées, hors temps de travail. »

DOMINIQUE DE CALAN Délégué général adjoint de l'UIMM.

Les candidats à la magistrature suprême semblent enfin découvrir la formation tout au long de la vie, s'attaquant ainsi (volontairement ?) à cette particularité bien française d'une surévaluation du rôle de la formation initiale. Mais cette belle ambition, pour se réaliser, doit éviter les fausses promesses et les fausses pistes. En effet, se former tout au long de la vie nécessite que l'on ose parler du financement du coût de la formation, de celui de la perte d'exploitation si la formation se fait pendant le temps de travail et de la prise en charge du salaire de remplacement car la perte de revenu est sans doute encore socialement inacceptable dans notre pays.

Deux pistes doivent être explorées. Tout d'abord, la nécessaire mise en place de formations qualifiantes, en juste à temps, individualisées, hors temps de travail, pour la quasi-totalité des formations qualifiantes utiles tant aux salariés qu'aux entreprises. En effet, une formation individualisée prenant en compte les acquis de l'expérience devrait permettre d'en réduire la durée et donc le coût, à qualité constante, de plus d'un tiers ; une formation en juste à temps, se déroulant hors temps de travail, serait gratuite pour le salarié, au nom de la justice sociale, en contrepartie du temps qu'il met à disposition.

À cet égard, l'accord de l'UIMM du 28 juillet 1998 sur l'organisation du temps de travail dans la métallurgie qui permet de dégager 100 heures de formation, prises en charge collectivement, par an, hors temps de travail, est une piste prometteuse. Renoncer à 100 heures de congés payés ou de congés RTT (soit de l'ordre de 14 jours par an éventuellement cumulés sur un compte épargne temps) permettrait donc tous les cinq ans de bénéficier de 500 heures de droit de tirage « en congés payés », ce qui est suffisant pour se qualifier. Surtout si ces formations sont individualisées, c'est-à-dire en tenant compte des acquis de l'expérience, sous réserve d'autoriser chacun d'entre nous à présenter les épreuves d'un diplôme ou d'une qualification sans cursus prédéfini (2e révolution). À cet égard, les certificats de qualification paritaire de la métallurgie ont montré l'efficacité d'un tel système.

Enfin, ne nous leurrons pas. Les coûts de la formation tout au long de la vie étant alors modérés, son utilité pour l'entreprise et pour le salarié doit être, elle aussi, regardée selon nos métiers. La formation ne compensera jamais totalement, pour tous, l'obsolescence humaine. N'oublions pas que pour la première fois dans l'histoire de l'humanité le rythme de renouvellement des technologies s'accélère alors que notre propre rythme biologique se ralentit. Il faudra donc bien distinguer les métiers où la valeur ajoutée de l'expérience est réelle de ceux dont la principale valeur ajoutée trouve plutôt son origine dans la connaissance.

L'objectif de cette formation tout au long de la vie devra donc être, pour certains d'entre nous, le maintien à niveau, et pour d'autres, la reconversion, c'est-à-dire la mobilité externe. Travailler après 55 ans sera sans doute nécessaire mais pas obligatoirement dans la même entreprise et dans les mêmes métiers. Nous attendons de l'État qu'il libère la créativité paritaire, dans cette matière encore plus qu'ailleurs, dans l'esprit de la déclaration commune des partenaires sociaux du 16 juillet 2001.

« Il vaudrait mieux parler d'un droit à la qualification qu'à la formation tout au long de la vie. »

ANDRÉ GAURON Économiste, membre du Conseil d'analyse économique.

La qualification est aujourd'hui un facteur décisif de la croissance des économies développées. Elle est au cœur de la compétition mondiale. Dans tous les secteurs d'activité, y compris ceux qui, hier, offraient massivement des emplois non qualifiés, le mouvement est à la professionnalisation. Les évolutions technologiques n'en sont pas la seule cause. Les exigences de qualité, de sécurité ou de communication vont dans le même sens.

Comme la plupart de ses partenaires européens, la France aborde cette période dans un contexte marqué à la fois par l'arrivée en âge de travailler de générations moins nombreuses et par les départs à la retraite massifs des générations du baby-boom. Compte tenu des dispositifs de préretraite mis en place depuis deux décennies, les départs des prochaines années seront en majorité ceux de salariés, dirigeants ou travailleurs indépendants qui occupent des emplois qualifiés. La demande va donc être une demande de qualifications à laquelle l'augmentation du nombre de diplômés et la formation tout au long de la vie sont supposées répondre.

En adoptant le système de validation des acquis de l'expérience (VAE), la loi de modernisation sociale a, sans le vouloir explicitement, modifié profondément les termes du débat. Ce n'est plus seulement la formation qui se voit reconnaître une fonction formatrice, mais toute activité, le travail comme le bénévolat. Faut-il encore parler d'un droit à la formation ou d'un droit à la qualification ? Ce débat n'est pas anodin. Il engage très directement l'étendue de la responsabilité de l'entreprise. Si la formation n'est plus qu'un moyen parmi d'autres pour accéder à une qualification nouvelle, quelles obligations en résulte-t-il pour l'entreprise ? Il ne suffit plus qu'elle élabore annuellement un plan de formation interne, elle doit aussi proposer un plan de qualification articulé à l'évolution attendue des contenus d'emplois et qui devra comporter des perspectives d'évolution professionnelle. La qualification tout au long de la vie conduit ainsi à une certaine anticipation négociée de l'évolution, à la fois quantitative et qualitative, de l'emploi.

Elle engage aussi une autre approche du droit des salariés. Si la certification de la qualification peut s'acquérir par l'expérience non professionnelle, pourquoi les salariés ne pourraient-ils pas utiliser leur capital ou leur épargne temps pour rémunérer le temps consacré à une activité associative ? Le financement s'en trouve posé en des termes nouveaux. Si l'expérience et la formation sont deux modes équivalents d'accès à la qualification, pourquoi rémunérer l'un quand l'autre se fonde sur le bénévolat ? Si l'accès à l'un ne coûte rien, pourquoi celui à la formation deviendrait payant ? La VAE reste à construire. Elle ne sera autre chose qu'un slogan que si les droits qu'elle implique ne sont pas recaptés par la formation et si les qualifications acquises hors travail sont effectivement reconnues dans l'activité professionnelle. Un beau sujet de négociation en perspective pour les partenaires sociaux.

« Il faut laisser le soin aux partenaires sociaux d'en décider et ne pas légiférer. »

JEAN WEMAËRE Président de la Fédération de la formation professionnelle.

Que les deux principaux candidats à l'élection présidentielle aient inscrit parmi leurs priorités le développement de la formation tout au long de la vie, en reprenant l'idée de création d'un compte formation, n'a en soi rien d'étonnant. La formation tout au long de la vie est devenue une question centrale au sein de notre société et bon nombre de nos voisins européens ont déjà pris des initiatives dans ce domaine depuis plusieurs années.

Le problème des projets déclinés par des candidats en campagne électorale est qu'ils font généralement la part belle aux idées généreuses mais qu'ils oublient souvent d'en prévoir les modalités et la manière dont elles seront financées. En l'occurrence, ce n'est pas tout à fait le cas, puisque Jacques Chirac précise que ce compte formation devra être « alimenté par le salarié et par l'entreprise sur la base d'un accord de branche ou d'entreprise ».

Pour le candidat Jospin, il convient de se référer à la proposition de loi socialiste du 20 mars 2002. Elle instaure un « passeport éducation-formation » et prévoit pour leurs titulaires un « accès gratuit aux formations organisées par le service public d'éducation, ainsi qu'à celles proposées par les dispensateurs privés conventionnés par les pouvoirs publics ». Il s'agit là ni plus ni moins que d'une nationalisation partielle du marché de la formation professionnelle, puisque seuls l'Éducation nationale ou les organismes conventionnés par l'État pourront dispenser les formations aux bénéficiaires de ce passeport. Cela risque d'augmenter les dysfonctionnements du marché de la formation déjà soulignés dans l'avis du Conseil de la concurrence de décembre 2000.

Cette proposition est d'autant plus difficile à admettre que, sur un plan économique, l'offre publique de formation professionnelle ne représente guère plus de 5 %, alors que les deux tiers des prestations sont réalisés par des organismes privés, comme ceux que nous représentons au sein de la Fédération de la formation professionnelle.

Il serait plus utile aujourd'hui, alors que les enjeux sont si importants, de sortir la formation des querelles idéologiques afin de mobiliser l'ensemble de l'offre sur l'essentiel. L'offre privée a fait ses preuves. Nos 300 adhérents réalisent aujourd'hui les trois quarts des actions de formation produites sur le marché et dans tous les secteurs. De plus, nous sommes organisés sur tout le réseau national et nos groupes régionaux sont très impliqués dans le tissu local à travers des partenariats institutionnels, comme celui que nous avons signé, en juin 2000, avec l'ANPE et l'Afpa. N'est-ce pas là une force qu'il convient de mobiliser ?

Pour revenir aux modalités et au financement de la formation tout au long de la vie, il faut laisser aux partenaires sociaux le soin d'y réfléchir et d'en décider. Ils l'ont d'ailleurs déjà fait lors des négociations qui ont échoué mais qui, je l'espère, pourront reprendre après les élections. Il serait inacceptable, en effet, de laisser à l'État le soin de légiférer sur ce sujet. Et si l'on veut, comme le souhaite le candidat Jospin, que les demandeurs d'emploi bénéficient aussi de ce compte formation, pourquoi ne pas simplement essayer d'améliorer le système du Pare et du PAP en le rendant plus opérationnel.