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Vie des entreprises

Tous collègues mais pas logés à la même enseigne

Vie des entreprises | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.04.2002 | Marie Bidault

Intérimaires, personnel détaché, mis à disposition ou de sous-traitants… les collaborateurs atypiques cohabitent de plus en plus avec les permanents de l'entreprise. Même entre filiales, les salariés sont loin d'être sur un pied d'égalité. Résultat : un éclatement des statuts que les syndicats ont bien du mal à contrecarrer.

Métro, boulot, dodo… Philippe connaît la ritournelle. Chaque jour, depuis six ans, il retrouve son bureau, son PC et sa ligne téléphonique, dans une grande entreprise industrielle. Rien ne le distingue de ses collègues, hormis son badge, de couleur différente. Car Philippe est un salarié « extérieur », dépendant d'une société de prestation de services. « Je dois payer 4,57 euros de supplément au restaurant d'entreprise en qualité de personne extérieure ; je n'ai pas accès au comité d'entreprise et je ne bénéficie pas d'un compte épargne temps, car mon accord d'entreprise n'en prévoit pas », énumère cet informaticien de 42 ans. En contrepartie, il n'a pas le sentiment d'avoir une plus grande liberté. « Mon client me demande régulièrement où j'en suis. C'est une fausse délégation. Et, à Noël, j'ai été obligé de prendre des vacances en même temps que les salariés de l'entreprise. »

Delphine travaille à la Fnac depuis sept ans. En 2000, elle a répondu à une offre d'emploi affichée dans son magasin du sud de la France. Cette jeune libraire est passée de Fnac Relais à Fnac Paris, deux entités juridiques distinctes. Chez son « nouvel » employeur, elle a trouvé un accord de RTT et une convention d'entreprise différents de ceux dont elle bénéficiait jusqu'alors. « Je me suis rendu compte que, dans le Sud, nous étions passés plus tard aux 35 heures et que nous ne touchions pas une prime de vacances qui existe ici. »

Les frontières de l'entreprise ne sont plus ce qu'elles étaient. Coactivité, prestation de services, fusions, acquisitions, filialisation brouillent les repères. « Ces phénomènes ne sont pas nouveaux, mais leur développement simultané traduit un changement profond des modes de gestion de l'emploi », note Marie-Laure Morin, directrice de recherche au CNRS, travaillant au sein du Laboratoire interdisciplinaire de recherche sur les ressources humaines et l'emploi (Lirhe). « Cela correspond à un mouvement de recentrage des entreprises sur leur cœur de métier pour des raisons financières, d'organisation productive et de flexibilité de gestion de la main-d'œuvre. Pour les salariés, la conséquence principale est l'éclatement des statuts collectifs », indique cette juriste.

Résultat : au sein d'une même équipe de travail, tout le monde n'est plus toujours logé à la même enseigne. Une situation momentanée en cas de fusion, de rachat ou de cession d'actifs… mais durable pour les salariés en mission dans le cadre d'un contrat commercial. Dans les grands magasins, les démonstratrices en parfumerie sont salariées d'un fournisseur et mises à disposition sur le stand de la marque. « L'essentiel des consultants en mission longue sont des informaticiens, particulièrement dans les banques et les compagnies d'assurances, ainsi qu'au sein des bureaux d'études techniques travaillant pour l'automobile et l'aéronautique », précise Ivan Béraud, secrétaire général du Betor Pub, syndicat de la nouvelle économie et des services aux entreprises de la CFDT. D'autres secteurs font aussi appel à des salariés en mission. À l'instar des laboratoires Boiron, dont les visiteurs médicaux dépendent d'un prestataire de services, la Sofip.

Une gestion à deux vitesses

Autre cas de figure fréquent dans l'industrie, la cohabitation de salariés d'une entreprise donneuse d'ordres avec ceux des sous-traitants. Aux Chantiers de l'Atlantique, pour achever un bateau, on peut compter jusqu'à 11 000 personnes, dont 6 000 appartenant à des entreprises sous-traitantes et reconnaissables à leur casque de couleur différente. Il a fallu que la direction crée un corps de superviseurs pour coordonner cette main-d'œuvre aux statuts très disparates. À Saint-Nazaire, on croise aussi des intérimaires en très grand nombre. Une telle mixité est courante dans l'automobile, grande utilisatrice de main-d'œuvre temporaire. À ce titre, le groupe PSA bat tous les records. Sur un total de 120 000 personnes, Peugeot Citroën emploie 12 000 intérimaires.

Même au sein des salariés permanents, l'égalité de traitement n'est pas garantie. C'est le cas lorsque les salariés d'un même groupe dépendent de filiales distinctes. Un phénomène de plus en plus répandu en France. Selon l'Insee, le nombre de filiales par groupe augmente tandis que s'accroît le nombre de groupes constitués de PME. Un phénomène qui s'accompagne généralement d'« une gestion des salariés différenciée suivant les sociétés des groupes », note Frédéric Boccara, auteur de l'étude ad hoc. À chaque entreprise juridiquement distincte correspond souvent des avantages sociaux différents. Pour commencer, dans les structures de moins de 50 salariés, il n'existe en principe ni comité d'entreprise ni délégués syndicaux. Ensuite, deux filiales peuvent être régies par des accords d'entreprise très dissemblables. Avec des modalités plus ou moins avantageuses de RTT, des moyens syndicaux variables, des congés plus ou moins nombreux, une grille salariale, des perspectives de carrière, des indemnités de licenciement, des primes de participation ou d'intéressement plus ou moins généreuses… Une gestion « à deux vitesses » que les salariés découvrent lorsqu'ils changent de filiale.

« Lorsque la filiale BNP Gestion, qui s'appelle aujourd'hui BNP Paribas Asset Management, a été créée en 1997, j'ai été détachée par la maison mère. Je continuais à dépendre de la convention collective des banques et à bénéficier des droits acquis, notamment pour ce qui concerne les congés supplémentaires, raconte une salariée de cette filiale spécialisée dans la gestion d'actifs. Mais il est désormais question d'un changement de statut du personnel détaché. Nous avons beaucoup à perdre en termes de mobilité et nous n'aurons plus droit à l'accord de préretraite signé au niveau du groupe BNP Paribas. Cela revient à quitter une grande entreprise pour une petite. » Même amertume chez Soraya Lebrin, licenciée fin 2001 par Club Méditerranée Centrale d'appels européenne. Après avoir travaillé près de vingt ans pour la maison mère, et seulement dix-huit mois dans cette filiale créée en 1999, elle n'a eu aucune proposition de reclassement. « J'ai reçu un chèque d'indemnités, mon attestation Assedic, un point c'est tout. Lorsqu'on est licencié par le siège, on a généralement droit à une semaine de vacances gratuite dans un club par année d'ancienneté », souligne cette ancienne GO, devenue conseillère de vente, responsable d'agence, puis de formation.

À la Fnac, les gagnants sont les salariés affectés dans l'un des magasins multiproduits parisiens, intégrant du même coup la filiale Fnac Paris, qui bénéficie d'une convention d'entreprise unique en son genre. À condition toutefois de ne pas rejoindre la Fnac Champs-Élysées, ouverte 7 jours sur 7 jusqu'à minuit, et pour laquelle une filiale spécifique a été créée. La différence n'a pas échappé aux salariés concernés, entrés en conflit en février. « Nous bénéficions d'un statut acquis dans les années 70 et au début des années 80, lié à une présence syndicale forte », souligne Gaëlle Créac'h, élue SUD au CCE de Fnac Paris. Au menu : deux jours de repos hebdomadaire obligatoirement consécutifs, dix jours par an pour un enfant malade, une grille de qualification spécifique, des horaires ramenés à 34 heures pour les caissières et à 25 heures pour les standardistes à temps plein, une pause-déjeuner allongée d'un quart d'heure…

Les salariés sont démunis

Des avantages que l'on ne retrouve ni dans les magasins de la banlieue parisienne ni dans les Fnac Musique, Fnac Informatique, Fnac Relais pour la province, ou encore dans les Fnac Logistique, Fnac Junior, Fnac Service. « Tout n'est pas forcément plus avantageux à Paris. Dans certains magasins de banlieue où le résultat peut progresser rapidement, le montant de l'intéressement est plus important », tempère toutefois Anne-France Lucas, directrice des relations sociales de Fnac France, rappelant que le groupe a « un accord de participation commun, un régime de prévoyance et de mutuelle identique et des structures de rémunération similaires ».

Devant cet éclatement de leurs statuts, les salariés sont le plus souvent démunis. Certes, la reconnaissance, par voie de justice ou d'accord collectif, de l'unité économique et sociale (UES) d'un groupe dont plusieurs entités ont des activités semblables ou complémentaires rend obligatoire la création d'une représentation commune du personnel. Ce qui peut être un premier pas vers une harmonisation des avantages sociaux. Certaines entreprises y trouvent leur compte. En introduisant la possibilité de négocier un accord 35 heures au niveau d'une UES, la loi Aubry a ainsi suscité un regain d'intérêt des employeurs : « Des entreprises ont saisi les tribunaux pour faire reconnaître une UES afin de ne négocier qu'un seul accord de RTT, ou d'intéressement », observe l'avocat Stéphane Kadri, proche de la CGT.

Vers un droit de la coactivité ?

Chez Generali, direction et syndicats ont signé en juin 1999 un accord prévoyant le regroupement de l'ensemble des filiales dans deux UES, l'une pour l'assurance, l'autre pour l'assistance. Désormais, tous les salariés, y compris ceux des plus petites structures, disposent d'un CE et de délégués du personnel. Un accord de mobilité a été signé en 2000 et les tarifs préférentiels en matière d'assurance ont été homogénéisés pour l'ensemble du personnel. « Les UES multiplient simplement les niveaux de rencontre. L'idée est que chaque sujet soit traité au bon niveau, note Hervé de Saint-Germain, directeur général adjoint et DRH du groupe Generali France. Nous avons ainsi conclu un avenant à l'accord de 1999 pour que les négociations salariales annuelles restent décentralisées au niveau des établissements. »

Mais, dans les entreprises qui n'ont pas de lien financier entre elles, il n'existe aucun levier juridique pour harmoniser les statuts. Individuellement, des salariés peuvent demander une requalification de leur employeur et de leur contrat de travail s'ils arrivent à prouver que leur donneur d'ordres exerce en réalité le pouvoir de direction. Mais seuls les intérimaires se voient appliquer les droits collectifs en vigueur chez l'utilisateur ; les salariés des entreprises sous-traitantes n'en bénéficient pas.

« Le droit de la mise à disposition est aujourd'hui complètement fragmenté selon que l'on est intérimaire, mis à disposition à titre non lucratif ou salarié d'un sous-traitant. On pourrait définir un droit général de la coactivité de travail dont la base ne serait pas l'entreprise, mais le collectif de travail sur un site donné », propose donc Marie-Laure Morin, en évoquant la jurisprudence relative aux démonstrateurs des grands magasins, comme électeurs et éligibles aux élections des délégués du personnel de l'entreprise où ils travaillent. Un grand magasin peut être tenu pour solidairement responsable de leur licenciement avec obligation de reclassement. « Ne pourrait-on pas appliquer cette jurisprudence aux consultants ? » se demande la juriste. Mais ce n'est encore qu'une piste de réflexion.

Méli-mélo momentané des statuts après fusion

Le Code du travail prévoit que si l'application d'un accord est remis en cause en raison d'une fusion, cession ou scission, une nouvelle négociation doit s'engager dans l'entreprise (art. L. 132-8).

Les salariés conservent leur ancien statut au minimum pendant quinze mois. Et parfois davantage. Mais le réalisme incite à agir plus vite : en cas de fusion, « il faut rapidement unifier les règles et harmoniser les pratiques par la négociation sociale pour rendre possible les mutations, notamment celles des cadres qui se retrouvent en doublon », souligne Jean-Pierre Doly, directeur chez BPI, cabinet de conseil en ressources humaines, spécialisé dans les opérations de restructuration. Selon ce consultant, si « au-delà de dix-huit à vingt-quatre mois tout cela n'est pas fait, il y a peu de chances pour que la fusion réussisse ».

Des « systèmes compensatoires » sont à prévoir, car les salariés font souvent leurs comptes. « D'anciens salariés de Paribas estiment avoir perdu environ 4573 euros par an en raison de la fusion entre la BNP et Paribas, si l'on additionne les primes qui ont disparu, les participations du comité d'entreprise qui étaient supérieures, ou encore la mutuelle dont la cotisation va augmenter progressivement sur quatre ans », note ainsi Michel Ferté, délégué CGT au comité d'établissement des centraux parisiens du groupe BNP Paribas, né en mai 2000 de la fusion des deux banques.

Auteur

  • Marie Bidault