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Vie des entreprises

Avis roule plus social que son rival Hertz

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.04.2002 | Frédéric Rey

L'un est le leader mondial, l'autre est son challenger. Les deux loueurs américains ont mis en place une organisation du travail axée sur la satisfaction du client. Léger avantage à Avis, qui rechigne moins que Hertz à accorder congés et augmentations salariales pour fidéliser ses salariés.

Le printemps s'annonce frileux sur le marché de la location de voitures. Dès le lendemain du crash des avions sur les tours du World Trade Center, les agences d'Avis et de Hertz ont enregistré une chute des réservations. Sept mois plus tard, l'activité reste, en France, de 5 à 10 % au-dessous des normales saisonnières. Pour faire face à l'attentisme des touristes et au ralentissement des voyages d'affaires, les loueurs ont commencé par geler une partie des embauches. Car leurs résultats sont étroitement liés à l'état de santé du transport aérien.

Chez Avis, on ne dira pas le contraire. L'entreprise est née dans la tête d'un pilote de l'US Air Force, Warren Avis, qui a eu l'idée, en 1946, de proposer aux voyageurs un moyen de transport pratique et accessible dès leur arrivée à destination. Après l'ouverture d'un premier comptoir à Detroit, les autres aéroports ont rapidement adopté la formule Avis rent a car system. La société Hertz avait été créée, bien avant, en 1918, par un garagiste de Chicago proposant en location les premières voitures Ford produites en série. Ce pionnier offrait alors la possibilité de prendre une voiture à un endroit et de la rendre ailleurs, même à des milliers de kilomètres. Aujourd'hui, les deux loueurs se livrent une concurrence acharnée partout dans le monde. En France, Avis fait pratiquement jeu égal avec Hertz, le leader mondial du secteur. Aux alentours des gares et des aéroports, leurs agences sont souvent voisines, reconnaissables à leur couleur, rouge pour Avis et jaune pour Hertz.

Les points de comparaison ne s'arrêtent pas là. Chacune des deux enseignes est dotée d'un centre de réservation mondial, implanté aux États-Unis, dans la petite ville d'Oklahoma City pour Hertz, à New York pour Avis. Toutes les réservations prises dans les agences convergent vers le cœur du système, via un central téléphonique, basé à Dublin pour Hertz, à Barcelone pour Avis. En cinq secondes chrono, la réponse parvient à la station, qui délivre un contrat sur imprimante au client.

D'origine américaine, les deux entreprises présentent la même organisation hiérarchique, à la sauce McDonald's, déclinée en France comme ailleurs. Les équipes postées (shift) sont encadrées par un city manager, lui-même placé sous la responsabilité d'un district manager. Côté social, les filiales françaises d'Avis et de Hertz offrent d'autres similitudes. Ainsi, les négociations sur les 35 heures se sont soldées dans les deux cas par une RTT sous forme de jours de repos, à raison d'une demi-journée par semaine ou d'une journée tous les quinze jours.

Chez les deux loueurs, la politique de ressources humaines obéit au même mot d'ordre : viser la satisfaction maximale du client. « La qualité du service est une préoccupation constante de nos entreprises », insiste Nady Boyer, directrice des ressources humaines d'Avis. Le slogan de l'entreprise, depuis les années 60, c'est We try harder, ce qui se traduit en français par « Décidés à en faire mille fois plus ». Lors d'un recrutement, les candidats vont surtout être choisis en fonction de leurs compétences techniques, mais aussi de leurs aptitudes au service : écoute, enthousiasme, réactivité et disponibilité. « Nous ne faisons pas pour autant appel à une batterie d'outils psychologiques sur la personnalité ; nous préférons nous fier aux contacts établis durant l'entretien de recrutement. »

Des uniformes impeccables

Ambassadeur de l'image de marque de l'entreprise, le personnel de comptoir est le maillon fort du dispositif. Baptisés agents d'opération chez Hertz et assistants commerciaux opérationnels chez Avis, ils sont chargés d'accueillir la clientèle et d'effectuer toutes les opérations de location. Leur niveau d'anglais doit être suffisant pour tenir une conversation fluide. Sitôt embauchés, ils reçoivent une formation qui met l'accent sur la qualité du service. « Le novice apprend les rudiments du métier, comme savoir répondre au téléphone en déclinant son prénom et son lieu de travail, ainsi que les comportements à adopter face à une situation d'agressivité ou de stress important », souligne Bernard Duigou, directeur des ressources humaines de Hertz. Les deux sociétés vérifient très régulièrement la bonne application de ces procédures. Des fiches d'appréciation sont mises à la disposition des clients dans chaque véhicule. Et des questionnaires plus détaillés leur sont aussi envoyés. Parfois, de faux clients testent le service. Tout est minutieusement épluché, de la façon dont le consommateur est accueilli jusqu'à la présence, en nombre suffisant, de dépliants sur les présentoirs. « Nous sommes exigeants, précise Nady Boyer, mais, en retour, je mets tout en œuvre pour que le service du personnel soit à la disposition du salarié lorsqu'il en a besoin. »

Cette qualité de service ne doit souffrir aucun défaut. Les loueurs attachent une grande importance à l'apparence vestimentaire. Les uniformes fournis sont toujours impeccablement entretenus. Chez Hertz, il est précisé dans le contrat de travail des agents de comptoir qu'ils doivent porter des chaussures noires. Le marron est formellement interdit. Tout comme les boucles d'oreilles pour les hommes. « Pour les femmes, explique Florence Torres, déléguée CGT d'Avis à Marignane, les pendants ne peuvent pas dépasser 5 centimètres et les collants noirs sont proscrits. »

Cette discipline rend les salariés des loueurs très appréciés dans les sociétés de services. « En 2000 et 2001, nous avons connu un turnover élevé, en particulier en région parisienne », souligne Bernard Duigou, de Hertz. Avis a subi le même genre d'hémorragie au cours des deux dernières années. « Travailler dans une société de location de véhicules constitue une très bonne carte de visite », admet Nicole Martinetti, déléguée syndicale CFDT d'Avis. Généralement, ce sont les compagnies aériennes qui recueillent les suffrages des agents de comptoir. « Lorsque les salariés entrent dans l'entreprise, estime Alain Édouard, délégué Force ouvrière de Hertz, c'est avec l'idée de rejoindre Air France ou un autre transporteur. »

Horaires décalés par roulements

Selon la direction d'Avis, ces départs massifs ne sont aucunement liés aux rémunérations. Au salaire d'embauche d'un agent de comptoir, environ 1 295 euros brut par mois, s'ajoutent une prime variable en fonction des objectifs fixés sur les ventes de produits annexes à la location et une autre, fixe, spécifique aux aéroports. « En comparaison avec les secteurs du transport, de l'hôtellerie, ou des parcs de loisirs, notre niveau de rémunération se situe dans une bonne moyenne, précise Nady Boyer. La différence provient des petits plus comme les billets à prix très avantageux proposés par les compagnies aériennes à leur personnel », analyse la DRH. Florence Torres, de la CGT, rappelle que, chez Avis, « il faut avoir vingt ans d'ancienneté pour bénéficier d'une semaine de location gratuite ».

Depuis le 11 septembre et le gel des embauches dans le secteur aérien, le turnover chez les loueurs a, certes, diminué. Mais Avis et Hertz ont toujours du mal à attirer de la main-d'œuvre en raison des conditions de travail au comptoir. Les agences situées dans les aéroports, en particulier, sont ouvertes trois cent soixante-cinq jours par an et dix-huit heures par jour, ce qui nécessite de travailler en horaires décalés par roulements. Et lorsqu'un train ou un avion arrive à destination, il faut faire face à de véritables coups de feu. « Le métier est stressant, reconnaît Nady Boyer, DRH d'Avis, c'est pourquoi la plupart de nos collaborateurs en contact avec la clientèle ont moins de 30 ans. Mais, aujourd'hui, nous sommes confrontés aux nouvelles attentes de cette population jeune qui ne veut plus guère assumer de contraintes et aspire à un développement personnel. Il va falloir trouver les moyens de la satisfaire. »

Avis a pourtant cherché à fidéliser ses salariés. Des jours de congé supplémentaires sont accordés aux cadres et aux employés en fonction de leur ancienneté. Tous les cinq ans, le personnel reçoit une épinglette. La première est faite de trois saphirs, la deuxième de deux saphirs et un diamant, jusqu'à la distinction suprême, constituée de trois diamants. « Il faut savoir donner des signes de reconnaissance », estime Nady Boyer. Chaque année, une grande fête réunit le personnel durant laquelle les plus anciens reçoivent leur distinction, sous les applaudissements de la salle.

Moins généreux, Hertz se contente d'appliquer la convention collective qui n'octroie des jours de congé supplémentaires qu'au bout de vingt ans de présence dans l'entreprise. Mais après quelques années sans fête, le loueur a décidé de renouer avec les grand-messes consensuelles. En mars dernier, les cadres ont été invités à Disneyland pour une convention d'entreprise. La direction des ressources humaines n'a pas lésiné sur les moyens, organisant pour l'ensemble du personnel un tournoi à Clairefontaine, lieu d'entraînement mythique de l'équipe de France de football.

Une convivialité qui visait aussi à faire oublier une année 2001 assez tumultueuse. Au mois de mai, deux journées de grève ont en effet perturbé le fonctionnement de l'entreprise à Roissy, là où se trouve la plus grosse agence du groupe, en France. Sur les 150 salariés, environ un tiers travaillent dans l'atelier de maintenance. Perdus dans un no man's land de parkings, c'est dans ce garage que les préparateurs nettoient les véhicules avant de les remettre en location. « Nous travaillons en flux tendu, confie un employé de Hertz. Le coût le plus élevé dans l'entreprise, c'est le véhicule. Il faut faire en sorte qu'il soit immobilisé le moins longtemps possible. »

Manque de considération

Pour les loueurs, la gestion de cette catégorie de personnel, essentiellement masculine, est le point sensible. Contrairement à leurs collègues installés derrière les comptoirs, ils ne perçoivent pas de rémunération supplémentaire liée aux résultats de l'agence. Ce personnel souffre aussi d'un manque de considération. « Il suffit d'avoir un permis de conduire pour être embauché, confie un cadre de Hertz. Les préparateurs peuvent espérer bénéficier d'une promotion et passer au comptoir, mais le chemin en sens inverse est inconcevable. » Avis, qui tous les deux ans sonde le climat social dans l'entreprise à l'aide d'enquêtes, avait, dès 1998, pointé un malaise chez les préparateurs. « Ils étaient complètement démotivés, souligne Nady Boyer, la DRH. Comme ils n'ont pas de qualification particulière, leurs chances d'évolution étaient très limitées. Nous avons donc identifié des actions de formation qui sont un formidable levier de motivation. »

Une augmentation de… 5,3 euros

Chez Hertz, la grève lancée par les salariés de Roissy en mai 2001 a soulevé de nombreux problèmes, de l'imprimante défectueuse à remplacer… à la question des pauses-repas non prises. La direction s'est engagée à apporter des améliorations sur 41 points. Pour chacun, la mesure à prendre a été consignée noir sur blanc, ainsi qu'une date butoir et le nom d'un responsable de l'opération. « Il est vrai que les conditions de travail n'étaient pas bonnes, admet Bernard Duigou. L'activité du centre de Roissy s'est rapidement et fortement développée, simultanément à l'augmentation du trafic aérien dans cet aéroport, mais nos locaux n'ont jamais suivi ces évolutions. » Hertz a fait installer le chauffage et des sanitaires dignes de ce nom dans le garage. Mais il reste encore un point noir : les salaires. « L'augmentation au mérite est un échec, condamne Farid Bourghes, agent de comptoir à Roissy et délégué syndical CGT, elle se fait à la tête du client et entraîne une forte iniquité entre salariés. J'ai même vu le cas d'un préparateur bénéficier d'une augmentation royale de… 5,3 euros par mois ! »

Hertz, tout comme Avis, développe une politique salariale fondée sur l'individualisation. Mais le numéro deux du secteur en France accorde aussi à ses employés une augmentation générale dont le montant varie chaque année. Après deux années de gel des augmentations lié aux 35 heures, la direction de Hertz a fourni en 2001 un effort sur les plus bas salaires avec une majoration forfaitaire de 53,3 euros. Mais l'attentat du 11 septembre a singulièrement changé la donne pour l'année en cours. « Nous avons eu zéro augmentation », regrette Farid Bourghes, délégué CGT. « Nous n'avons pas assez de visibilité sur l'activité de l'été pour nous engager », répond Bernard Duigou, le DRH. Chez Hertz, d'autres nuages noirs se profilent. Les partenaires sociaux s'attendent en effet à l'annonce d'une délocalisation en Irlande des plates-formes téléphoniques des services d'assistance au client. Plusieurs dizaines d'emplois sont menacés par l'opération. L'année risque décidément d'être rude pour les salariés du leader français de la location de véhicules.

Une filière sri lankaise à Roissy

Hertz semble apprécier les Sri Lankais. Au point d'accueillir une communauté relativement importante dans son atelier à proximité de l'aéroport de Roissy. Sur les 52 personnes affectées à la maintenance des véhicules, 23 sont en effet originaires de l'ancienne île de Ceylan. « C'est le bouche-à-oreille qui a bien fonctionné, explique Bernard Duigou, directeur des ressources humaines de Hertz ; un salarié en fait entrer un autre qui, à son tour, indique un ami ou un membre de la famille. »

Ce n'est pas du tout l'avis de Farid Bourghes, délégué syndical CGT. Selon lui, la direction a mis en place un système de cooptation afin de favoriser ce groupe de travailleurs. « Ce sont des immigrés de fraîche date, souligne le syndicaliste. Ils représentent une main-d'œuvre très docile qui n'a pas développé une culture de la contestation. » Après le mouvement de grève qui a ponctuellement gêné le travail de la station de Roissy en mai 2001, la CGT a constaté que des salariés licenciés pour faute ont été remplacés par des candidats sri lankais. « Nous avons contesté devant les prud'hommes ces licenciements qui s'apparentent à de la répression », explique Farid Bourghes. Pour la direction, la présence aujourd'hui de plusieurs Sri Lankais est le fait du hasard. « D'autres communautés immigrées sont aussi représentées », tempère le directeur des ressources humaines, qui reconnaît par ailleurs « que les Sri Lankais sont des salariés très fiables ».

Auteur

  • Frédéric Rey