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Repères

La conversion des deux présidentiables

Repères | publié le : 01.04.2002 | Denis Boissard

Les campagnes électorales auraient-elles des vertus miraculeuses ? Toujours est-il qu'il est réjouissant de voir Jacques Chirac et Lionel Jospin rivaliser dans la promotion de la démocratie sociale, avec le zèle des nouveaux convertis. Leur unanimité est touchante sur la volonté qu'ils affichent de « laisser plus de place à la négociation et au contrat » ; l'un comme l'autre s'engagent à convoquer, au lendemain des législatives, une conférence tripartite sur les questions sociales ; les deux promettent de réformer les critères de la représentativité syndicale pour conforter la légitimité des partenaires sociaux ; et ils convergent enfin pour souhaiter un renforcement des conditions de validité des accords collectifs.

Certes, l'un – le président sortant – va plus loin

dans le rôle confié au patronat et aux syndicats puisqu'il envisage de transposer en France la « subsidiarité sociale » prévue par le traité d'Amsterdam au niveau communautaire, tandis que l'autre – l'actuel Premier ministre – est plus radical dans ses propositions sur la représentativité (l'audience électorale des syndicats deviendrait le principal critère) et sur la validation des accords (une signature majoritaire serait exigée).

Mais, quel que soit le vainqueur du scrutin présidentiel, chacun de ces programmes est en soi porteur d'un aggiornamento des relations sociales dans ce pays. Encore faut-il que ces promesses, lancées dans la fièvre de la campagne, soient tenues… Car le moins que l'on puisse dire, c'est que la conversion des deux présidentiables à la démocratie sociale est récente. L'un et l'autre ont, en la matière, beaucoup à se faire pardonner. Ni la droite ni la gauche n'ont en effet manifesté, ces dernières années, un grand souci d'associer patronat et syndicats à la gestion des dossiers sociaux. Petit rappel historique.

Fin 1995, Alain Juppé, l'homme lige de Chirac,

prépare dans le plus grand secret de Matignon une refonte de la Sécurité sociale. Objectifs visés : un remaniement en profondeur de l'assurance maladie et une remise à plat des avantages de retraite du secteur public. À la mi-novembre, la présentation de son plan à l'Assemblée se conclut par une standing ovation des députés de la majorité. Seul problème : les organisations syndicales, pourtant cogestionnaires de la Sécurité sociale, n'ont pas été consultées et les salariés du public tombent des nues. Quelques jours après, le gouvernement doit affronter une véritable insurrection du secteur public. Et, après trois semaines de spasme social, Alain Juppé doit retirer le volet retraite de son plan pour éviter une crise politique majeure.

Pratiquement deux ans après, à l'automne 1997,

Lionel Jospin décide de mettre en œuvre les 35 heures. Hormis la CFDT, les syndicats ne sont pas demandeurs. De son côté, le CNPF y est ouvertement hostile. Tant pis, le gouvernement décide de passer outre et impose son projet. Organisée en octobre à Matignon, la conférence sur l'emploi est vécue comme une mascarade par les partenaires sociaux. Et, pendant cinq ans, ces derniers seront traités avec une grande désinvolture par le gouvernement. Ils seront tour à tour désavoués (le Medef et la CFDT ont ainsi dû revoir à plusieurs reprises leur copie sur l'assurance chômage), mis devant le fait accompli (par exemple sur la décision de ponctionner la Sécu pour financer les 35 heures, ou sur le volet antilicenciement de la loi de modernisation sociale), cantonnés à jouer les faire-valoir des politiques gouvernementales (notamment sur la gestion de l'assurance maladie), ou encore pris par la main dans la conduite de leurs négociations, la marche à suivre leur étant dictée dans les plus infimes détails (la loi Aubry II sur les 35 heures est, à cet égard, caricaturale).

Réhabiliter la démocratie sociale,

associer les corps intermédiaires aux processus de décision, laisser une autonomie réelle aux représentants de la société civile (que sont le patronat et les syndicats) dans la régulation du social n'est pas qu'une affaire de textes. Cela suppose aussi une révolution comportementale des dirigeants de ce pays, une rupture avec la culture colbertiste dans laquelle baignent la classe politique et l'appareil d'État. Ce n'est pas gagné. Pour s'en persuader, il n'est qu'à constater la façon dont a été perçue l'incursion des partenaires sociaux, et notamment celle du Medef, dans la campagne électorale. Pour une bonne partie des hommes politiques et des observateurs, leur immixtion a été jugée incongrue, voire inconvenante. Tout se passe comme si patronat et syndicats dérangeaient dans un débat que nos responsables politiques estiment être leur chasse gardée, comme s'ils n'avaient pas voix au chapitre dans la discussion sur les grandes options économiques et sociales du pays.

En fin de compte, malgré la modicité de ses résultats au regard de ses ambitions initiales, la refondation sociale a au moins eu un mérite : celui d'avoir contraint les deux poids lourds de la politique française à revoir leur attitude à l'égard des partenaires sociaux.

Auteur

  • Denis Boissard