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Politique sociale

Les remèdes de nos voisins pour faire reculer l'absentéisme

Politique sociale | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.04.2002 | Agnès Klarsfeld avec ses correspondants

Les arrêts de travail coûtent cher aux employeurs et aux régimes sociaux. Dans la plupart des pays européens, pouvoirs publics, entreprises et acteurs sociaux s'efforcent donc d'en réduire le nombre. Avec plus ou moins de réussite. La palme revient à la Norvège, avec un plan très volontariste échafaudé par l'État et les partenaires sociaux.

Qu'il soit dû au stress, à un accident du travail, à une grippe ou à la simple flemme du salarié, l'absentéisme coûte cher : il plombe les comptes sociaux, désorganise les entreprises et freine la production. Avec 3 % des heures de travail perdues pour absentéisme, selon la dernière grande enquête sur les conditions de travail en Europe réalisée en 2000 par la Fondation de Dublin, la France n'est pas le pays le plus touché. Ce classement place en effet l'Hexagone en position médiane : il fait mieux que les démocraties sociales du Nord – Pays-Bas (6,1 %), Finlande (5,3 %) et Suède (4,2 %) – et que l'Allemagne (3,4 %), mais moins bien que la Grande-Bretagne (2,4 %), l'Espagne et l'Italie (respectivement 2,1 % et 2,9 %). Ce taux d'absentéisme, calculé sur une base déclarative, recouvre à la fois les accidents du travail, les maladies professionnelles et les « autres problèmes de santé ». Dans chacune de ces catégories, la France occupe le milieu du classement : le taux d'absences en raison d'accidents du travail est de 0,8 % alors que la moyenne européenne se situe à 0,6 %, selon l'enquête d'Eurofound ; il est de 0,8 % pour les maladies professionnelles (contre 0,9 % pour l'ensemble des Quinze) et de 1,5 % pour les autres problèmes de santé (au lieu de 1,9 %).

Les causes de l'absentéisme sont diverses. De mauvaises conditions de travail entraînent des maladies ou des accidents. L'intensification du travail – productivité oblige – génère du stress. Une ambiance délétère peut conduire les salariés à adopter un comportement de fuite. Mais les absences peuvent être aussi de la seule responsabilité des salariés : certains abusent par exemple d'arrêts maladie pour s'occuper de leurs enfants ou de parents vieillissants.

Au sein des pays européens, pouvoirs publics, entreprises et partenaires sociaux s'efforcent de réduire le nombre de journées de travail ainsi perdues. Trois exemples. En Allemagne, la législation permet à la sécurité sociale de jouer un rôle de conseil auprès des entreprises. Au Royaume-Uni, les carences du système de santé publique empêchant les salariés de se faire soigner rapidement, les grandes entreprises cherchent à prévenir au maximum les maladies, notamment par des campagnes d'information. Mais la palme revient à la Norvège. Le plan national élaboré par les partenaires sociaux au début des années 90 a permis de réduire l'absentéisme de 20 %. Et un nouveau programme, affichant le même objectif, vient d'être lancé. Cette prise de conscience commune débouche sur des mesures à la fois incitatives et coercitives. De quoi donner des idées aux acteurs français.

Allemagne

Une approche préventive globale des problèmes de santé

L'équipe fonctionne comme un cabinet de conseil. « Nous démarchons les entreprises en leur proposant une approche préventive globale des problèmes de santé et d'absentéisme. Après analyse, nous mettons en place un management modulable adapté aux besoins de chaque entreprise », explique Wiebke Arps, l'une des huit conseillères de la structure de lutte contre l'absentéisme mise sur pied il y a un an et demi par la Techniker Krankenkasse, l'une des grandes caisses publiques allemandes d'assurance maladie (3,8 millions d'assurés). Les premiers programmes de prévention ont vu le jour à la fin des années 80, dans de grandes entreprises. Mais cette politique était loin d'être systématique. « C'est la dernière réforme de la santé de janvier 2000 qui a obligé les caisses à lutter activement contre l'absentéisme. L'idée est de développer un concept global de prévention tenant compte de la santé publique, de la protection du travail et de l'absentéisme », note la docteur Barbara Marnach, de l'Union fédérale des AOK (Allgemeine Ortskrankenkasse), les caisses d'assurance qui fédèrent près de 18 millions de personnes.

Beiersdorf, la firme qui produit la crème Nivea, fait partie des pionniers de la prévention : « Dès 1992, nous avons développé des cercles de santé dans l'entreprise », indique la docteur Birgit Krähe, médecin chef du site de production de Hambourg, où travaillent 4 500 personnes. Ces cercles sont gérés par un comité de pilotage regroupant médecins du travail, représentants des salariés, de la direction et des caisses d'assurance maladie. Leur objectif est « d'analyser les problèmes sanitaires et socioprofessionnels qui se posent et de soumettre des solutions adaptées ». Les salariés se voient proposer des stages de maintien, des cours de nutrition, de la gymnastique, du sport ou des séances de relaxation pour les plus stressés… Et le fait est que le taux d'absentéisme se maintient autour de 4 %.

À Potsdam, l'équipe de la Techniker Krankenkasse a mis sur pied un programme dans une PME de 90 personnes : « Dans les services administratifs et les bureaux d'études, l'absentéisme était relativement fort. L'analyse des causes a montré que le facteur déclenchant était l'organisation du travail et de l'espace. Les bureaux paysagers stressaient les salariés et faisaient baisser leur motivation. Dans ces cas-là, c'est surtout à l'entreprise de réviser ses modes de travail. »

Il est encore trop tôt pour évaluer les effets de la réforme de 2000. Néanmoins, la politique de prévention pratiquée depuis une dizaine d'années porte ses fruits. En juillet 2001, le ministère fédéral de la Santé annonçait un taux d'absentéisme de 3,63 % (contre 4,22 % pour l'an 2000 et 5,1 % en 1995). Quant au nombre de journées non travaillées, il a reculé de 517 millions en 1997 à 476 millions en 1999. Une jolie performance. Thomas Schnee, à Berlin

Grande-Bretagne

Des politiques d'entreprise de dépistage et de rééducation

Outre-Manche, les employés sont absents en moyenne 7,8 jours par an, selon une récente étude de la CBI (Confederation of British Industry), principale organisation patronale britannique. Soit une perte de 192 millions de jours de travail. « L'absentéisme est moins élevé qu'il y a dix ans, indique Susan Anderson, chargée des politiques RH à la CBI. Mais il existe toujours un fossé important entre des entreprises qui affichent une moyenne de 4,6 jours d'absence par employé et les plus mal loties, où l'absentéisme représente 10 jours par an. » Pour lutter contre ce fléau, East Midlands Electricity s'efforce d'agir là où cela fait le plus mal : au dos. Dès qu'un technicien, chargé d'entretenir le réseau, ressent une douleur musculaire, il doit prévenir sa hiérarchie. East Midlands Electricity l'assiste dans sa guérison, en association étroite avec un centre de rééducation spécialisé. L'employé peut y recevoir des soins intensifs aux frais de l'entreprise. « Notre stratégie est de guérir et de prévenir afin de favoriser le retour au travail », explique Dave Newborough, le directeur des ressources humaines.

Sur les 1 000 employés d'East Midlands Electricity, les deux tiers se trouvent cependant dans des bureaux à des postes de managers ou d'ingénieurs ou en contact direct avec la clientèle. « Quel que soit le type d'emploi, qu'il s'agisse d'une tendinite ou d'une grippe, nous essayons d'être à l'écoute des employés dès le début de leur maladie », poursuit le DRH. Une stratégie qui a porté ses fruits : le taux d'absentéisme a reculé de 10 % dans les années 90 à seulement 2 % aujourd'hui. East Midlands Electricity sert de modèle à Powergen, l'un des leaders de la fourniture d'énergie qui l'a racheté en 1999. Certains programmes de prévention ont été étendus à l'ensemble des 5 000 salariés au Royaume-Uni. « Nous avons une approche différente des autres entreprises : nous essayons toujours d'être proactifs », souligne le docteur Vidia Kisnah, qui coordonne ces politiques. D'où les divers programmes de dépistage gratuit (cholestérol, tension…). « Le cas de Powergen reste malheureusement isolé. Seul un quart des entreprises britanniques prévoient des programmes de rééducation pour les employés malades », souligne Owen Tudor, spécialiste des politiques de santé au TUC (Trades Union Congress). « La plupart des entreprises ne font même pas l'effort de chiffrer l'absentéisme et son coût, et encore moins d'en identifier les causes. Il y a même des cas où des patrons ont attendu six mois avant de contacter un employé souffrant ! »

Chez Asda, la troisième chaîne de supermarchés britanniques, « l'absentéisme était en grande partie dû à un mauvais recrutement : mal choisis, les employés étaient malheureux… donc ils s'absentaient », explique Philip Horn, l'un des responsables RH du groupe. L'embauche d'un vendeur se déroule, depuis, en trois étapes, la dernière consistant en un essai de vingt minutes en magasin afin de vérifier si le poste convient. Asda prévoit des jours non payés pour répondre aux urgences familiales de ses 120 000 employés. Et, pour faire face aux imprévus, il leur permet d'échanger leurs heures de travail. Asda demande néanmoins aux responsables de magasin d'organiser, après toute absence, un entretien avec le salarié. « Un moyen d'encourager les employés à réfléchir avant de prendre un arrêt maladie non justifié », poursuit Philip Horn. Grâce à cet ensemble de mesures, Asda assure enregistrer des taux inférieurs à la moyenne des autres chaînes de supermarchés. Benjamin Quénelle, à Londres

Norvège

Un plan d'action volontariste sous l'égide des partenaires sociaux

Haro sur l'absentéisme ! En Norvège, la chasse aux absences est devenue un sport national. Déjà, au début des années 80, le gouvernement travailliste avait tiré la sonnette d'alarme en raison d'une forte inflation d'arrêts maladie. Et menacé de durcir un système d'indemnisation parmi les plus généreux d'Europe (avec prise en charge du salarié à taux plein dès le premier jour d'absence) si des mesures volontaristes n'étaient pas rapidement adoptées par les partenaires sociaux. Le coup de semonce a porté. Patronat et syndicats norvégiens ont lancé conjointement un programme d'action national et une grande campagne d'information au niveau des entreprises. En l'espace de quatre ans, le nombre de journées d'absence a été réduit de 23 % dans le secteur privé et de 19 % dans le secteur public. Même scénario à la fin des années 90 : en 2000, chaque salarié norvégien s'est absenté en moyenne 24 jours, ce qui a relancé le débat sur la durée et le niveau d'indemnisation souhaitables des travailleurs en congé maladie. Les employeurs, qui doivent les rémunérer pendant leurs seize premiers jours d'absence, réclament alors la réforme d'un système qu'ils jugent trop coûteux et insuffisamment pénalisant pour les tire-au-flanc. Quant aux syndicats, attachés à cet acquis social, ils imputent cette nouvelle poussée de l'absentéisme au vieillissement de la population active, à la baisse du chômage qui fournit des opportunités d'emploi à des personnes de santé fragile et aux files d'attente dans le système de santé publique.

Les partenaires sociaux norvégiens ont pourtant réussi à sortir de ce dialogue de sourds. Le 3 octobre 2001, syndicats et patronat ont conclu un nouvel accord tripartite avec le gouvernement de Kjell Magne Bondevik, issu des élections de septembre dernier. Chercheuse à l'Institut norvégien des sciences sociales appliquées, Kristine Neergard en résume la philosophie : « Il s'agit toujours de maintenir la protection des travailleurs malades à son niveau actuel, c'est-à-dire l'indemnisation à 100 % dès le premier jour d'absence, mais ceci à un coût acceptable pour la collectivité. » Pour alléger la facture, les partenaires sociaux ont adopté un plan volontariste, dans la lignée de celui de 1990, visant à réduire l'absentéisme de 20 % en quatre ans. Au menu, contrôle des absences renforcé, suivi médical accru, examen des conditions de travail là où l'absentéisme est élevé, accords de partenariat entre les entreprises et la sécurité sociale norvégienne. « Si un salarié se casse la jambe, au lieu de rester chez lui pendant trois mois à regarder la télévision, il pourra obtenir une aide financière de son employeur afin de se faire opérer dans une clinique, plus rapidement qu'à l'hôpital public. Ensemble, ils essaieront de trouver un moyen pour que le salarié travaille, même à temps partiel ou à domicile pendant sa convalescence », indique Finn Langeland, directeur de l'information de l'organisation patronale NHO.

Le patronat norvégien a obtenu la promesse d'un réexamen, à la baisse, du mode d'indemnisation si l'absentéisme ne baisse pas comme prévu d'ici à 2005. Pour la confédération des syndicats norvégiens, dirigée par Gerd Liv-Alla, cette cure d'austérité est un moindre mal : les partis de centre droit au pouvoir ont milité pendant la campagne électorale pour une diminution sensible de l'indemnisation des travailleurs absents ! A. K.

L'Espagne à la recherche du temps perdu

Dans les nouveaux accords d'entreprise signés en mai 2001 par Correos y Telegrafos (la poste espagnole), la lutte contre l'absentéisme figure en bonne place. L'accord conclu entre la direction et les organisations syndicales prévoit la transformation de 10 000 contrats temporaires en emplois fixes et la baisse conjointe de 4 % du taux d'absentéisme, actuellement deux fois supérieur à celui des autres opérateurs postaux. Pour inciter ses salariés au civisme, la poste espagnole a mis en place un plan à base de promotions et d'incitations financières.

En se préoccupant de l'absentéisme, Correos y Telegrafos fait figure d'exception. Inutile d'espérer obtenir le moindre chiffre du ministère du Travail et des Affaires sociales. Quant au syndicat patronal CEOE, il s'en remet aux données d'Eurostat sur le « temps perdu », c'est-à-dire la différence entre les heures théoriquement travaillées et celles effectivement travaillées, une fois soustraits les retards et les pauses divers. « Le solde est bien plus négatif en Espagne que dans le reste de l'Union européenne », note Roberto Suarez, du CEOE. Dans ce pays où 80 % du tissu industriel est constitué de PME, l'absentéisme est souvent considéré comme l'apanage de l'administration et des entreprises publiques. Encore que ces dernières, sous l'effet de la politique libérale menée par José Maria Aznar depuis 1996, sont contraintes de s'adapter à l'ouverture des marchés. Et d'améliorer leur productivité. Correos y Telegrafos vise à accroître la sienne de 15 % !

Cécile Thibaud, à Madrid

Auteur

  • Agnès Klarsfeld avec ses correspondants