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Enquête

SUR LE SOCIAL, CHERCHEZ LA DIFFERENCE !

Enquête | publié le : 01.04.2002 | Anne Fairise, Marc Landré

Sept ans après, les revoilà ! Alors que se profile un nouveau duel Chirac-Jospin, « Liaisons sociales » a épluché les propositions des deux candidats et enquêté sur les staffs qui ont planché sur leurs projets sociaux. Verdict : l'écart est mince. Foin de l'idéologie, la palette des mesures est la même, seul leur dosage varie.

La compétition présidentielle est entrée dans sa dernière ligne droite. Dans une quinzaine de jours, les candidats se départageront sur le fil du premier tour de scrutin. Côté pronostics, pas de réelle surprise. Jacques Chirac et Lionel Jospin tiennent la corde et devraient se retrouver, pour la deuxième fois consécutive, présents au second tour. Il y a sept ans, leur face-à-face s'était en grande partie joué sur le terrain social. Chirac l'avait emporté grâce au thème porteur de la « fracture sociale ». Deux ans plus tard, Jospin obtenait sa revanche, lors des législatives anticipées, avec un programme riche en mesures sociales. Un cocktail audacieux mélangeant 35 heures et 700 000 emplois jeunes.

La donne a changé. Les préoccupations des Français ne sont plus celles de 1995 et de 1997. Dans les sondages, la lutte contre l'insécurité est devenue la première priorité, devant l'emploi, l'avenir des retraites, l'amélioration du système de santé ou la modernisation de l'État. Il est vrai qu'entre-temps la France a connu quatre années de forte croissance pendant lesquelles le chômage est descendu à 9 %, et 1,75 million d'emplois ont été créés. Une embellie dont le Premier ministre sortant ne profite qu'en partie, en raison d'une augmentation du nombre de chômeurs depuis l'été 2001. S'il peut néanmoins faire valoir qu'il a ramené la durée du travail à 35 heures, créé 270 000 emplois jeunes et mis en place une couverture maladie universelle, Lionel Jospin n'a en revanche pas réformé l'État, comme il s'y était engagé. En témoigne le fiasco de la réforme de Bercy ou l'échec de Claude Allègre à « dégraisser le mammouth » éducatif.

Le chef actuel du gouvernement ne s'est pas non plus attaqué au dossier des retraites. Au prétexte que le terrain avait été « miné » par son prédécesseur, Alain Juppé, il s'est contenté de commander deux rapports, de mettre en place le Conseil d'orientation des retraites, de créer un fonds de réserve destiné à atténuer le choc démographique sur les régimes par répartition. Et de repousser toute réforme d'ampleur au lendemain de la présidentielle. Son autre talon d'Achille concerne le dialogue social. Syndicats et patronat ont été soigneusement tenus à l'écart de l'élaboration des principaux projets sociaux de la législature.

Du passé, faisons table rase

Dans le domaine social, le bilan du chef de l'État est plutôt maigre. Sitôt élu, Jacques Chirac a certes mis en place en 1995 les contrats initiative emploi à l'intention des chômeurs de longue durée. Il a également avalisé une réforme ambitieuse de la Sécurité sociale. Las ! le plan Juppé a déclenché la colère des professionnels de la santé et fait descendre dans la rue des centaines de milliers d'agents du secteur public pour défendre leurs retraites. Et surtout le président a sacrifié la lutte contre la fracture sociale à la rigueur budgétaire.

Qu'à cela ne tienne, tant pour Chirac que pour Jospin, le refrain est dorénavant identique : du passé, faisons table rase. Tous deux ont fait leur mea culpa des erreurs ou omissions passées et promettent du changement… Leurs programmes en sont-ils le reflet ? Pour le savoir, Liaisons sociales Magazine a enquêté loin des flashes et des micros afin de débusquer les experts qui, dans les cabinets ministériels, les administrations, les partis politiques, les organismes de recherche ou les clubs de réflexion, ont noirci des pages pour accoucher de mesures sociales « innovantes », destinées à marquer les esprits et à faire la différence.

Pas de surprise, ces hommes de l'ombre qui gravitent dans l'entourage des deux principaux protagonistes, Jacques Chirac et Lionel Jospin, mais aussi, dans une moindre mesure, dans l'orbite de Jean-Pierre Chevènement, François Bayrou ou Alain Madelin, sont – hormis quelques universitaires – essentiellement des « technos », tendance ENA ou Polytechnique, bref des hauts fonctionnaires rompus à cet exercice programmatique.

Au-delà des hommes, la vraie gageure pour les candidats à l'élection présidentielle, a fortiori pour le président et le Premier ministre sortants, reste l'originalité de leurs propositions. À quelques semaines du verdict, une large majorité de Français ne voient aucune différence entre les projets de l'un et de l'autre. Un fâcheux constat à la veille d'un scrutin capital, qui engage la nation pour cinq ans ! Aussi avons-nous cherché à vérifier si ce sentiment était fondé. Nous avons croisé les programmes de Lionel Jospin et de Jacques Chirac sur l'emploi, les retraites, le dialogue social, la réforme de l'État et la santé. Nous nous sommes également intéressés aux mesures phares de quatre autres candidats (Jean-Pierre Chevènement, Noël Mamère, François Bayrou et Alain Madelin).

Les clivages ne sont plus idéologiques

Il ressort de ce check-up que les divergences entre Chirac et Jospin sont, dans le domaine social, bien minces. Les deux principaux candidats à l'élection présidentielle se distinguent moins par le contenu de leurs propositions que par le dosage qu'ils en font, par l'accent mis sur telle mesure plutôt que sur telle autre, par le curseur placé ici plutôt que là. Entre libéralisme social et social-libéralisme, les clivages sont de moins en moins idéologiques.

Ce n'est pas tout à fait une surprise. Il existe aujourd'hui chez les spécialistes un relatif consensus sur les remèdes à apporter à tous ces problèmes sociaux. Et on retrouve ces spécialistes dans les écuries qui ont concocté les programmes des candidats. Tout le monde s'accorde ainsi à reconnaître qu'il n'existe pas de recette miracle, du type réduction du temps de travail, pour lutter contre le chômage. La solution passe par un cocktail de mesures allant des allégements de charges sociales aux aides ciblées sur les publics en difficulté, en passant par des mécanismes de remise à niveau des acquis et de formation tout au long de la vie.

Même constat sur les retraites : tous les rapports ou presque admettent qu'on ne coupera pas à un alignement des régimes publics sur celui du privé, à un allongement de la durée de cotisation et à l'instauration d'un troisième étage fondé sur l'épargne. Les solutions pour maîtriser la croissance des dépenses de santé sont également connues. Elles passent par une responsabilisation des acteurs et une forte délégation de pouvoirs à l'échelon régional.

Cette approche pragmatique des dossiers sociaux, Chirac et Jospin s'y sont, l'un et l'autre, convertis. C'est sans doute la raison pour laquelle les Français n'ont pas tout à fait tort quand ils affirment ne voir guère de différence entre les projets des deux poids lourds de la présidentielle.

Auteur

  • Anne Fairise, Marc Landré