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Enquête

JEUNES LOUPS DU PS ET TETES PENSANTES DU GOTHA ECONOMIQUE

Enquête | publié le : 01.04.2002 | Anne Fairise

Pour ciseler son projet social, Jospin a fait appel à la relève, avec les Anne Hidalgo, Gaëtan Gorce ou Éric Besson dans le rôle d'apporteurs d'idées. Il s'est aussi appuyé sur l'expertise de quelques forts en thème du Conseil d'analyse économique.

Plus mitterrandien qu'il ne l'affirme, l'initiateur du « droit d'inventaire » a donné du temps au temps. Ce n'est que le 18 mars, un mois après l'annonce de sa candidature à l'Élysée et cinq semaines avant le premier tour de scrutin, que Lionel Jospin a enfin dévoilé son programme présidentiel et décliné, en mesures concrètes, son slogan : « Une France active, sûre, juste, moderne, forte. » Quelques jours auparavant, le texte faisait encore l'objet d'ultimes arbitrages de la part du candidat socialiste, après consultation de son staff politique, Dominique Strauss-Kahn, Martine Aubry. Et, bien entendu, Pierre Moscovici, chargé des études et de l'élaboration du projet présidentiel ou, plutôt, de sa finalisation. Rôle du ministre délégué aux Affaires européennes ? Diriger les huit groupes de travail thématiques – réunissant des experts, des politiques (en nombre restreint) et des membres de cabinets ministériels – constitués… à la mi-février seulement. Pour servir d'aide ultime à la décision.

Que cette force de frappe ait pu être montée aussi tardivement s'explique en partie par la position privilégiée du Premier ministre. « Être au pouvoir à Matignon ou dans l'opposition, à l'Élysée, fait toute la différence en matière d'accès aux ressources et aux expertises », commente un proche du candidat socialiste. Durant ces cinq années, Lionel Jospin s'est appuyé sur l'appareil gouvernemental pour commander moult études et rapports. Jospin, qui consulte beaucoup et « bouffe de la note », comme il le dit lui-même, ne s'en est pas privé. Sur le seul sujet des retraites, il a pu puiser dans les rapports qui lui ont été remis par Jean-Michel Charpin, le commissaire au Plan, Yannick Moreau, présidente du Conseil d'orientation des retraites (COR), instrument ad hoc mis en place par le chef du gouvernement, ou encore les économistes Dominique Taddei ou Olivier Davanne. À en croire un conseiller écouté de Jospin, la question des régimes spéciaux a ainsi été tranchée en mars 2000 : « Dans son discours au COR, Lionel Jospin laissait déjà entendre qu'il faudrait augmenter la durée de cotisation. » Comme boîte à idées, Lionel Jospin s'est abondamment servi du Conseil d'analyse économique (CAE), un « think-tank » de 40 économistes indépendants et de toutes obédiences, installé dès son arrivée à Matignon. La formation tout au long de la vie, mesure phare du programme du candidat socialiste ? Elle a fait l'objet d'un rapport de l'économiste André Gauron au CAE en mars 2000.

Pierre-Alain Muet a pris du galon

Pour veiller à la cohérence économique de son projet, Lionel Jospin a d'ailleurs fait appel à Pierre-Alain Muet, l'architecte du CAE, qui a occupé parallèlement la fonction de conseiller économique du Premier ministre, de 1997 à 2001. Malgré son départ pour Lyon, sa ville natale, au lendemain des municipales, « PAM », devenu premier adjoint du maire Gérard Colomb, a continué d'alimenter en notes le Premier ministre. Ce centralien de 57 ans, qui a passé l'essentiel de sa carrière à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) depuis sa fondation en 1981 par Jean-Marcel Jeanneney, retrouve un rôle connu. En 1995, il avait coélaboré, avec Christian Sautter et Dominique Strauss-Kahn, le programme du candidat Jospin. Cette fois, il lui revient d'aider le Premier ministre dans ses arbitrages. Une mission dévolue, lors de la campagne de 1995, à DSK. « Lionel Jospin m'a demandé de partir du programme élaboré par le parti socialiste, tout en me disant de me sentir assez libre », explique Pierre-Alain Muet.

PAM a aussitôt constitué un groupe d'une quinzaine d'économistes. Parmi lesquels Jean Pisani-Ferry, 50 ans, son successeur à la tête du CAE, auteur d'un rapport remarqué sur le plein-emploi. Mais, au préalable, il a entrepris de consulter « 40 personnes », des syndicalistes, des socialistes chargés d'élaborer le projet du parti pour les législatives, mais aussi des chefs d'entreprise et d'anciens membres des équipes ministérielles passés dans le privé. Comme Gilles Gâteau, aujourd'hui directeur délégué du personnel et des relations sociales d'EDF-GDF, ou Yves Barou, DRH de Thales. Sans compter les entrevues rituelles avec les ministres, en exercice ou non, Martine Aubry, Dominique Strauss-Kahn, Laurent Fabius, Élisabeth Guigou ou Florence Parly. « Mon rôle est aussi de pouvoir présenter au candidat le panorama d'opinions le plus complet qui soit. Un programme présidentiel ne se réalise pas en chambre. »

Autre personnage clé dans la garde rapprochée du Premier ministre candidat : Jacques Rigaudiat, 55 ans, conseiller social à Matignon depuis 1997, poste préalablement occupé auprès de Michel Rocard, entre 1988 et 1991. Aux antipodes du technocrate, il a fait quasiment toute sa carrière entre le Commissariat général du Plan et les cabinets ministériels, passant aussi par la direction générale de l'ANPE. Électron libre par rapport aux commissions thématiques chargées de finaliser le programme présidentiel, Jacques Rigaudiat suit tout particulièrement le dossier du dialogue social et des relations avec les partenaires sociaux – son sujet de prédilection – en lien avec Jean Le Garrec, le président de la Commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale. Il a aussi servi de relais auprès des dirigeants du PS et beaucoup travaillé avec Martine Aubry, chargée de coordonner le projet du parti socialiste 2002-2007. Les synergies ont été facilitées, ne serait-ce que par la présence à Matignon de Dominique Marcel, un trésorien passé par la Rue de Grenelle comme directeur de cabinet de Martine Aubry, avant de devenir directeur adjoint de cabinet de Lionel Jospin. « Entre Matignon et la Rue de Solferino, les réseaux se recoupent partiellement, commente un cacique du mouvement socialiste. Il n'y a pas eu une équipe qui a réfléchi à l'élaboration du programme, mais un tel nombre d'équipes que l'on pourrait organiser un championnat de Première Division. »

La boîte à idées du parti socialiste

Au parti socialiste, c'est la « nouvelle génération », fraîchement arrivée au bureau national, après le congrès de Grenoble, fin 2000, qui a été chargée d'animer les groupes de travail, défricheurs d'idées pour Lionel Jospin. La commission formation – jusqu'alors inexistante – a été confiée à Anne Hidalgo. Un travail de longue haleine pour cette ex-inspectrice du travail de 42 ans, désormais première adjointe de Bertrand Delanoë à la mairie de Paris. « Nous avons réuni des spécialistes et des non-spécialistes de la formation pour sortir le sujet de la technicité : des responsables du service public de l'emploi, des DRH et des formateurs d'entreprise, des universitaires et des élus », explique Anne Hidalgo, qui a vécu deux expériences ministérielles auprès de Martine Aubry, puis à la Justice avec Marylise Lebranchu, et fait un bref passage dans le privé à la DRH de l'ex-Compagnie générale des eaux. Les mesures de Jospin pour la formation ont été éprouvées lors d'un colloque, fin 2001, où toutes les organisations syndicales du secteur étaient présentes, puis validées par le bureau politique du PS.

Sur l'emploi, le parti socialiste a logiquement fait appel à son secrétaire national, Éric Besson, député maire de la Drôme. Soucieux que le PS ne se coupe pas de son électorat populaire, ce délégué général de la fondation Vivendi, passé aussi par la Fondation agir contre l'exclusion de Martine Aubry, avait lancé un groupe informel de 11 parlementaires, baptisé Ancrage, autour des questions d'emploi. Leurs réflexions ont alimenté le volet emploi du projet du PS. Le thème du « droit au travail » que l'on retrouve dans le programme de Lionel Jospin en est issu. Au sein de la commission emploi, Éric Besson a regroupé des professionnels de terrain qui ont auditionné… conseillers ministériels et hauts fonctionnaires. On n'en saura pas plus. « C'est un travail collectif. Nombre d'entre eux sont tenus au devoir de réserve et souhaitent rester anonymes. » Leur proposition de créer des contrats nouveaux pour les plus de 50 ans, les demandeurs d'emploi et les personnes en fin de parcours d'insertion figure également dans le projet présidentiel de Lionel Jospin.

La jeune énarchie

Bras droit de Martine Aubry pour le projet du PS, Gaëtan Gorce, député de la Nièvre et rapporteur de la seconde loi sur les 35 heures, s'est coltiné l'épineuse question de la démocratie sociale. Un domaine dans lequel le Premier ministre candidat n'a pas excellé durant ses cinq années à Matignon. La réflexion socialiste a notamment été alimentée par le Forum parlementaire sur le dialogue social, organisé en février 2001 avec le cercle de réflexion Réalités du dialogue social. Cet énarque de 43 ans y avait rassemblé une cinquantaine de syndicalistes, de chefs d'entreprise autour d'experts, comme Marie-Laure Morin, directrice de recherche au CNRS en droit du travail et de l'emploi, ou la sociologue du travail Annette Jobert. Objectif : faire émerger des propositions sur l'évolution du système de négociation collective, l'avenir du paritarisme et la représentativité.

Si le programme présidentiel de Lionel Jospin, à défaut d'être « socialiste », selon les mots du candidat lui-même, « puise beaucoup » dans le projet du parti socialiste, comme le reconnaît Jacques Rigaudiat, la raison tient notamment à cette étroite imbrication des compétences. En témoigne le travail de la commission santé, animée par Marisol Touraine, 43 ans, maître des requêtes au Conseil d'État. Elle a confié à Jean-François Girard, ancien directeur général de la Santé, nommé en 1997 au Conseil d'État, le soin de coordonner la réflexion sur la politique sanitaire. Et s'est appuyée, pour réfléchir à la modernisation du système de santé, sur Michel Yahiel. Ancien directeur adjoint de cabinet de René Teulade, au ministère des Affaires sociales, entre 1992 et 1993, cet inspecteur général des affaires sociales de 44 ans a planché pendant plus d'un an, avec une quarantaine de personnes. Des praticiens, d'anciens politiques, mais aussi de jeunes conseillers, appartenant à des cabinets ministériels. Une jeune énarchie censée donner un coup de fouet aux idées du PS et, par-delà, au programme d'un candidat de 65 ans…

Francine Bavay,
la « mouvementiste » qui radicalise Noël Mamère

De ses tout proches conseillers, c'est à Francine Bavay que Noël Mamère prête l'oreille la plus attentive sur les questions sociales. Un champ que cette représentante de la gauche radicale chez les Verts, issue d'un courant dit « mouvementiste », en référence aux manifestations de décembre 1995, laboure depuis longtemps. Aujourd'hui vice-présidente chargée de la solidarité, de la santé et de l'action sociale au conseil régional d'Ile-de-France, cette syndicaliste aguerrie connaît bien le monde de l'entreprise. Ingénieur chez France Télécom, l'ex-CFDT a participé à la création de SUD PTT avec Christophe Aguitton (siégeant à ce titre au conseil d'administration de l'entreprise), mais aussi à la naissance de l'association AC ! (Agir contre le chômage). Non contente de posséder de nombreux relais parmi les « acteurs sociaux », dossier dont elle était chargée au conseil exécutif des Verts et qu'elle suit encore sur le terrain, des manifestations de chômeurs jusqu'à Porto Alegre, elle compte parmi les premiers membres de la fondation Copernic. Les travaux des quelque 330 universitaires, économistes et syndicalistes de ce « think-tank » de la gauche anti-libérale lui ont permis d'alimenter en idées le candidat écologiste, « en particulier sur la question des retraites », note Francine Bavay, devenue une personne clé dans le dispositif de campagne. À celle qui a rejoint depuis deux ans la cause mamériste et joué un rôle décisif dans le revirement, en octobre, du candidat écologiste après son refus « irrévocable » de se présenter, Noël Mamère a confié la coordination des chapitres sociaux de son « contrat vert ». Elle a recueilli les contributions des Verts (les économistes Bernard Guibert, Yann Moulier-Boutang, Jérôme Gleizes ou André Cicollela, toxicologue, pour la commission santé) et celles d'experts. Comme Serge Volkoff, spécialiste du vieillissement et directeur de recherche au Centre d'études de l'emploi, ou Michel Miné, juriste en droit social et ancien inspecteur du travail. Dans l'organigramme de campagne, Noël Mamère a réservé à Francine Bavay une place de choix : celle de conseillère politique.

A. F.

François Gaudu,
l'expert de l'emploi, passé d'Allègre à Chevènement

Chez le candidat « ni droite ni gauche » Jean-Pierre Chevènement, l'équipe de campagne a – à l'image du pôle républicain qu'il incarne – un peu l'allure d'une auberge espagnole. Une jolie palette de hauts fonctionnaires entoure le plus colbertiste des présidentiables. Pour les questions d'emploi, Chevènement s'est appuyé sur un duo atypique pour animer le groupe de travail créé dès l'été dernier. Il s'en est remis à l'expertise en matière de droit social du juriste François Gaudu, professeur à l'université Paris I, qui a beaucoup planché sur les nouvelles formes d'emploi, dans la commission Boissonnat, et sur les emplois jeunes, au sein du cabinet Allègre. Pour élaborer le projet présidentiel de JPC, cet ancien « mao », très proche du vice-président du MDC Georges Sarre, a travaillé de concert avec Claude Rochet, professeur en économie industrielle et « gestionnaire d'entreprise », passé, quant à lui, par la formation pasquaïenne RPF. Cet énarque très intégré dans le monde de l'entreprise, où il a œuvré dix ans comme membre de la direction générale de Sollac-Usinor, puis comme consultant en stratégie, a fait valoir sa « vision très opérationnelle » au candidat qu'il ne connaissait pas auparavant. Six mois durant, le duo a coordonné les travaux d'une trentaine d'économistes, d'universitaires (Gérard Lafay, Patrick Guiol, spécialiste de la participation), de consultants d'entreprises (Paul Calandra, ex-DRH de Thales) et de hauts fonctionnaires (Patrick Samuel, délégué interministériel aux professions libérales). En matière de retraite et de fiscalité, Jean-Pierre Chevènement a écouté les analyses d'une vieille connaissance, Yannick Moreau, son ancienne directrice de cabinet, aujourd'hui présidente du Conseil d'orientation des retraites, mais aussi de Dominique Garabiol, ancien directeur de l'Inspection du conseil des marchés financiers, et d'André Garibali, ex-directeur général des Impôts. Pour la santé, c'est vers François Morvan, cancérologue à Pontoise, que le candidat s'est tourné. L'ex-dirigeant de la LCR est aussi un relais précieux pour toucher la mouvance antimondialisation.

A. F.

Auteur

  • Anne Fairise