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Enquête

FINES LAMES DU RPR ET MOUSQUETAIRES DE LA PRESIDENCE

Enquête | publié le : 01.04.2002 | Marc Landré

Pour concocter son programme social, Chirac a mis à contribution les quadras du RPR, la génération des Copé, Baroin et Gaymard. Et c'est sa garde rapprochée de l'Élysée, Philippe Bas et Frédéric Salat-Baroux, qui a mis en musique les idées.

Un programme présidentiel, ça se prépare longtemps à l'avance. Jacques Chirac, qui se lance pour la quatrième fois dans la course à l'Élysée, en sait quelque chose. Le président de la République a mis en place son staff technique… il y a plus de deux ans. « Nous avons commencé à nous rencontrer au printemps 2000, avoue un cacique du mouvement gaulliste, très impliqué dans la constitution du projet du président candidat. Le thème de la société de confiance a été entériné au mois de juin 2000 et décliné dans les groupes de travail du RPR. » Il était important pour l'ancien maire de Paris, souligne l'un de ses proches, « de s'appuyer très tôt sur ses troupes du RPR et de les faire travailler avec son entourage proche à la présidence ».

Pour chapeauter le dispositif, Jacques Chirac a fait appel à sa garde rapprochée. Philippe Bas, le secrétaire général adjoint de l'Élysée, Frédéric Salat-Baroux, son conseiller social, et Jean-François Cirelli, son homologue en économie, mettent en forme les idées du président et font le lien avec les responsables du RPR et de l'Union en mouvement (UEM). Pas une décision ou une annonce sur le programme du président qui n'aura reçu auparavant l'imprimatur de l'un de ces « trois mousquetaires ». Le chef d'orchestre, c'est Philippe Bas. Cet énarque de 43 ans a fait toute sa carrière entre le Conseil d'État et les cabinets ministériels, auprès de Simone Veil, ministre des Affaires sociales entre 1993 et 1995, puis de Jacques Barrot, ministre du Travail jusqu'en 1997. Après la dissolution, il devient conseiller social du président, poste qu'il occupera jusqu'à ce qu'il remplace, en septembre 2000, Olivier Dutheillet de Lamothe comme secrétaire général adjoint de l'Élysée.

Son rôle ? Veiller à la cohérence du projet, conseiller le président sur les questions d'emploi ou de retraite et lui servir de relais auprès des dirigeants du parti gaulliste. « Il a corrigé et amendé le projet du RPR de manière que nous ne soyons pas en contradiction avec la volonté de notre candidat », rapporte un haut responsable du RPR.

Salat-Baroux en première ligne

Au côté du secrétaire général adjoint, on retrouve Frédéric Salat-Baroux, de cinq ans son cadet, fils de chirurgien gynécologue (l'un des papas du premier bébé éprouvette) et « gaulliste de cœur ».Un autre énarque au parcours également jalonné de séjours au Conseil d'État et de passages en cabinet ministériel. En 1995, il devient le conseiller « santé-hôpital » d'Alain Juppé, alors Premier ministre, et participe à ce titre à la réforme de la Sécurité sociale. Cette période lui aura appris qu'il est « très difficile de moderniser et de faire des réformes de structure » et que, « pour y parvenir, il faut du temps et une volonté partagée ». Après 1997, ce maître des requêtes au Conseil d'État rentre au bercail et devient commissaire du gouvernement près l'assemblée du contentieux, un poste qu'il occupera jusqu'à sa nomination comme conseiller social du président en septembre 2000. Il juge alors préférable de quitter France moderne, le club de réflexion créé par son mentor en politique, Alain Juppé, dans lequel il avait signé en 1999 un rapport très remarqué sur l'intégration. Son rôle dans le dispositif de campagne ? Central. Il s'agissait avant tout de suivre au quotidien les travaux des secrétaires nationaux du RPR sur tous les thèmes sociaux. « C'est le conseiller du président qui m'a le plus aidé quand j'avais besoin de relais, avance Gérard Larcher, chargé des relations sociales au RPR. Il a été important pour faire évoluer les esprits au sein du bureau politique. » Un rôle pivot confirmé par un autre secrétaire national : « Il a relu avant sa publication la synthèse du forum que j'avais animé et validé la partie du programme dont j'avais la charge avant sa présentation en bureau politique. »

Le « troisième homme » du président à l'Élysée, Jean-François Cirelli, a le même profil que les deux autres. Cet énarque de 41 ans, haut fonctionnaire de la Direction du Trésor, conseille Jacques Chirac depuis 1995 sur l'économie. Bien que les questions sociales ne soient pas sa spécialité, il chapeaute néanmoins le dossier de la réforme de l'État et de la réorganisation de la fonction publique, en liaison avec le député maire de Troyes, François Baroin, et avec Marcel Pochard, conseiller d'État et ancien directeur général de la fonction publique.

Côté RPR, c'est encore un énarque qui a été chargé de mettre en marche le projet du président : le secrétaire général adjoint, Jean-François Copé. « Jacques Chirac a souhaité s'appuyer sur les jeunes générations », confirme le maire de Meaux, qui a constitué une vingtaine de groupes de réflexion animés en majorité par de jeunes élus. En matière de santé, il confie la tâche de renouer avec les professionnels à Pierre Morange, un médecin généraliste de 45 ans, député maire de Chambourcy, dans les Yvelines, depuis 1997. Un travail loin d'être évident « après le malentendu de 1995 » de la réforme Juppé. À en croire Pierre Morange, « plus de 100 personnes ont travaillé pendant deux ans sur ce projet : des patrons de la fonction hospitalière, des administratifs, des représentants des assurances et des mutuelles, des médecins, des hauts fonctionnaires… ».

Mais impossible d'obtenir des noms. « C'est un travail d'équipe. Beaucoup sont tenus à un devoir de réserve ou désirent que leur participation demeure confidentielle. » Le projet issu de cette large consultation des professionnels de la santé a été validé par les partenaires sociaux avant d'être entériné par le bureau politique du RPR. Un quitus purement formel puisque le projet avait déjà été, en amont, amendé par l'équipe élyséenne. Et notamment par Frédéric Salat-Baroux, contact de Pierre Morange au palais de l'Élysée.

À l'écoute des partenaires sociaux

Pour traiter des retraites, Jean-François Copé fait appel à une militante de longue date, Marie-Claire Carrère-Gée, maître de conférences en questions sociales à Sciences po. Cette mère de famille de 38 ans a présidé pendant plusieurs années l'association Pain contre la faim, dont l'objet est de « réacclimater des personnes exclues du marché du travail avec des conditions normales de travail et d'existence ». À l'inverse des responsables des autres groupes de travail, Marie-Claire Carrère-Gée planche seule.

Au programme : beaucoup de travail sur dossier et peu de consultations, si ce ne sont celles de hauts fonctionnaires et de représentants syndicaux. Elle a tout de même fini par organiser un forum sur la retraite en avril 2001 où sont intervenus, outre Alain Juppé et Bernard Accoyer, député de Haute-Savoie et médecin de son état, quelques spécialistes comme l'économiste Philippe Trainar, le président du Credoc Robert Rochefort, le sociologue Serge Volkoff ou le consultant Yves Chassard, du cabinet Bernard Brunhes. La synthèse du forum, validée par Frédéric Salat-Baroux, constitue en grande partie le programme de Jacques Chirac en matière de retraites.

Pour affiner ses propositions sur les relations sociales, le RPR a choisi de consulter tous azimuts. « Avant 1995, c'est Jacques Chirac qui gérait les relations avec les partenaires sociaux, explique Gérard Larcher, le secrétaire national chargé du dossier. Or, entre 1995 et 1999, elles sont devenues inexistantes. » Le sénateur des Yvelines entame alors avec les partenaires sociaux des discussions qui dureront deux ans. Ses contacts ? Jean-Marie Toulisse, à la CFDT ; Jean-Luc Cazettes, à la CFE-CGC ; Alain Deleu, à la CFTC ; Marc Blondel, à FO ; Denis Kessler, au Medef ; Jacques Freidel, à la CGPME ; et Robert Buguet, à l'UPA. La CGT ne se joindra aux autres qu'à l'automne dernier. Ces rencontres ont pris la forme de discussions libres autour de questions du type « l'État a tendance à s'immiscer dans les relations sociales : quelles articulations entre la loi et le contrat souhaitez-vous voir appliquer ? ».

Pour parfaire son opinion, Gérard Larcher s'entretient également avec des experts du BIT, l'universitaire Jean-François Amadieu, des syndicalistes de SUD et des conseillers du Sénat qui, comme Jean-Pascal Picy, administrateur aux Affaires sociales, ont collaboré à titre personnel. « Nous avons renoué avec les partenaires sociaux sur autre chose qu'un projet de loi ou qu'une crise, se félicite Gérard Larcher. La proposition de concertation avant toute loi est issue de ces rencontres. » La position du RPR en matière de dialogue social est donc la synthèse des discussions avec les partenaires sociaux. Une synthèse que d'aucuns au bureau politique considéraient comme « trop favorable aux salariés ». Une fois de plus, Frédéric Salat-Baroux est intervenu pour « convaincre les derniers récalcitrants que la lutte des classes était finie ». Tout est « une question de génération », estime Gérard Larcher.

L'apport de Raffarin

Si le programme du candidat Chirac se révèle au final, de l'aveu même de Jean-François Copé, « peu différent de ceux du RPR et de l'UEM », cela n'a pas empêché le président de consulter de son propre chef. À l'UDF, d'abord, où Philippe Douste-Blazy et Jacques Barrot ont été mis à contribution, notamment en matière de santé. À Démocratie libérale, ensuite, où Jean-Pierre Raffarin a fini par retirer des idées de ses nombreux clubs de réflexion et s'est avéré un précieux apport pour le président. Le sénateur de la Vienne avait notamment monté il y a deux ans, avec Dominique Perben, Michel Barnier et Jacques Barrot, le club Femmes, Débat et Société, une association de 150 femmes de la société civile et de droite qui avaient envie de participer au débat. Bien que l'objectif n'ait pas été d'alimenter en idées le programme du président, l'implication de Valérie Pécresse, conseillère en prospective à l'Élysée, dans l'animation et la synthèse des travaux de l'association ne tient pas du hasard.

Enfin, le président s'est tourné vers son réseau habituel de grands patrons, François Pinault (PPR), Thierry Breton (Thomson Multimedia) et Jean-François Dehecq (Sanofi-Synthelabo) en tête, pour tester ses idées en matière d'emploi. C'est sans doute la raison pour laquelle le credo chiraquien tient en trois mots : baisse des charges.

Dominique de Calan,
la tête de pont patronale d'Alain Madelin

Chez Alain Madelin, on ne change pas une équipe qui gagne. Les experts qui conseillent depuis des années ce chantre du libéralisme sont les mêmes qui, en 1995, s'étaient rangés sans état d'âme derrière Jacques Chirac. En matière de droit du travail, Alain Madelin écoute les analyses et commentaires de Dominique de Calan, délégué général adjoint de l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) et membre du bureau politique de Démocratie libérale depuis 1998. C'est avec lui qu'il a notamment réfléchi sur les moyens de revenir, en cas de victoire, sur les 35 heures. Pour le candidat libéral, Dominique de Calan, en plus d'être conseiller régional DL de Bretagne, présente l'avantage d'être un expert intégré dans le monde de l'entreprise, de par sa position au sein de la fédération professionnelle. « Il lui permet d'avoir plus facilement des contacts avec les organisations syndicales », précise Hervé Novelli, son directeur de campagne. Côté entreprises, Alain Madelin ne nie pas être proche du Medef et particulièrement de Jean-Pierre Philibert, un ancien député de la Loire, aujourd'hui directeur des relations avec les pouvoirs publics au sein de l'organisation patronale.

En matière de santé, de vieillesse et de médecine, c'est Philippe Austruy qui a les faveurs d'Alain Madelin. Plus qu'un conseiller, le P-DG du groupe Medidep est un « ami de quinze ans », un soutien et un compagnon sur lequel le candidat à la présidentielle peut à chaque instant se reposer. « On se voit tous les deux ou trois jours pour faire le point, reconnaît l'intéressé. Je le conseille sur presque tous les sujets et le mets en contact avec des organisations professionnelles quand c'est nécessaire. » Et Philippe Austruy a de l'entregent. En outre, c'est à lui qu'Alain Madelin a demandé en 1993 de créer le cercle de réflexion Idées-Actions, sur lequel le candidat libéral s'appuie d'ailleurs encore occasionnellement. Alain Madelin suit également les positions de l'économiste ultralibéral Jacques Garello, chargé d'animer un réseau d'universitaires acquis à sa cause.

M. L.

Hervé Morin,
le quadra de l'Assemblée qui orchestre le projet Bayrou

Si François Bayrou ne devait remercier qu'un seul de ses proches conseillers au soir du 21 avril, il se tournerait sans hésiter vers Hervé Morin. Le jeune député de l'Eure (il n'a que 40 ans), administrateur de l'Assemblée nationale de profession, a été la pièce maîtresse du projet présidentiel du candidat centriste. Créateur en 1998 de l'association Tout mieux, cercle de réflexion composé de 220 experts de la société civile, il a permis au président de l'UDF d'accéder à un vaste vivier de propositions pour enrichir son projet de campagne.

« Nous formions au départ une bande de copains qui voulait débattre et faire de la politique autrement, détaille Hervé Morin. Et nous sommes progressivement devenus l'un des instruments de réflexion de François Bayrou. » En plus d'être une force de propositions depuis près de trois ans, les hauts fonctionnaires, entrepreneurs, professeurs et autres cadres de Tout mieux ont étudié, critiqué et parfois rejeté les mesures économiques et sociales que le futur candidat centriste souhaitait tester auprès d'eux.

Hervé Morin est également l'instigateur des « villages » du mouvement, des groupes de militants chargés de rencontrer des catégories socioprofessionnelles (médecins, juges, militaires, femmes…) et de retirer de leurs entretiens des idées originales. Stéphane Bordier, président de Dieppe Scène nationale et responsable du village « emploi des jeunes », a ainsi proposé à François Bayrou de créer un « service civil et humanitaire », après avoir rencontré des associations et des fondations d'insertion, afin que les jeunes les plus déconnectés puissent développer des projets de solidarité. En reconnaissance des services rendus, François Bayrou a proposé à Hervé Morin en janvier dernier de devenir son porte-parole et de coordonner son projet présidentiel. Ce dernier centralise donc les travaux de caciques de l'UDF (Anne-Marie Idrac, Pierre Méhaignerie ou Jean Arthuis) et des conseillers personnels du candidat centriste, le professeur de gestion Jean-François Amadieu ou l'économiste Christian Saint-Étienne.

M. L.

Auteur

  • Marc Landré