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Vie des entreprises

La fondation d'entreprise, le must du socialement correct

Vie des entreprises | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.03.2002 | Isabelle Moreau

Bon nombre de ténors du CAC 40 possèdent aujourd'hui leur propre fondation, chargée de mener des actions solidaires ou de soutenir financièrement celles des associations. Une initiative approuvée par l'opinion, par des investisseurs soucieux d'éthique et par des salariés prêts à se mobiliser pour de bonnes causes.

Chaque mardi, qu'il soit dans son QG parisien de l'avenue Hoche ou dans ses bureaux new-yorkais, Jean-Marie Messier reçoit une série de dossiers présélectionnés par la fondation Vivendi Universal. Des projets qui, à condition qu'ils créent au moins un emploi dans les services de proximité, peuvent bénéficier d'un coup de pouce d'environ 12 000 euros. « Quand Jean-Marie Messier est arrivé à la tête de l'ex-Compagnie générale des eaux, en pleine crise économique, il s'est dit que l'on pouvait créer des emplois dans les services de proximité », explique Christine Weill, secrétaire générale de la fondation. Dans ce domaine comme dans d'autres, J2M veut être le premier : avec un budget – hors fonctionnement – de plus de 4,5 millions d'euros par an, 1 800 projets et 18 000 emplois aidés en six ans, la fondation Vivendi Universal surclasse ses homologues de Schneider Electric, Renault, Auchan, France Télécom, Dexia, McDonald's et autres Total-FinaElf…

Car la liste des fondations se confond avec celle des leaders du CAC 40. Un autre poids lourd du business, le groupe d'intérim VediorBis, vient de créer la sienne : elle s'appelle Fondation pour la recherche et l'emploi. Forte de 150 entreprises partenaires, l'association Développement et Emploi devrait, quant à elle, se transformer prochainement en « fondation collective d'entreprises », la première du genre.

Largement répandues et reconnues dans les pays anglo-saxons où elles pallient souvent les carences de l'État, les fondations d'entreprise connaissent depuis quelque temps un réel engouement en France. La moitié, 63 très exactement, sont des fondations type loi de 1990, d'une durée de vie minimale de cinq ans. Les autres sont abritées par la Fondation de France pour au moins trois ans. Deux formules beaucoup plus prisées que les fondations reconnues d'intérêt général, qui nécessitent l'aval du Conseil d'État et l'immobilisation d'un capital de 760 000 euros.

Un coup de pouce aux exclus

Cette vogue n'est pas sans lien avec la montée en puissance du « socialement responsable » dans le monde de l'entreprise. De plus en plus soucieuses de leur image, jugées par les consommateurs et cotées par les investisseurs sur des critères éthiques, les entreprises s'engouffrent dans la voie du mécénat social. « Et en créant une fondation, explique Anne-Gaëlle Duriez, adjointe au délégué général de l'Association pour le développement du mécénat industriel et commercial (Admical), présidée par Jacques Rigaud, une entreprise inscrit sa politique de mécénat dans le long terme. » Pour l'industriel Vincent Bolloré, « quand un groupe se met à devenir prospère, il faut qu'il développe une part d'humanitaire ».

Le concept, original, de sa propre fondation, c'est celui de la deuxième chance : « Donner un coup de pouce à des personnes qui, à un moment de leur vie, se retrouvent en difficulté. » En juin 1998, la Fondation de la deuxième chance voit le jour avec une centaine d'entreprises présentes au tour de table, d'Accor à Danone en passant par le Crédit lyonnais. Orchestrée par l'ancien ministre du Travail Michel Giraud, elle entend permettre à des personnes en difficulté de faire « leur rebond de vie ». Georgette Dode est l'une d'elles. D'origine ivoirienne, cette secrétaire de formation s'est retrouvée au chômage, seule avec ses trois enfants. « Après des années de galère, j'ai pu ouvrir un restaurant africain à Dijon grâce à la Fondation qui m'a versé, à l'époque, 50 000 francs (7 622 euros) pour le matériel de cuisine. » Aujourd'hui, La Marmite africaine tourne en moyenne à 40 repas par jour, emploie quatre personnes, et un second établissement est en projet.

À Paris, c'est L'Auberge, un restaurant d'insertion pour les personnes victimes d'exclusion, qui a bénéficié d'un coup de pouce de la fondation Vivendi Universal. Les 18 300 euros débloqués ont permis de financer les travaux d'hygiène et de sécurité. Dans le Morbihan, la fondation Vivendi a participé à l'achat et à l'équipement d'un bus transformé en halte-garderie itinérante. Le mécanisme d'intervention de la fondation Solidarité, créée par la SNCF, est radicalement différent. Sollicitée par les agents de l'entreprise, elle accorde des subventions à des associations. Par exemple, Les Potagers de Marcoussis, une association de l'Essonne qui s'occupe de chantiers d'insertion par le maraîchage biologique. À l'exception de la Fondation de la deuxième chance et de la fondation Vivendi, la plupart des fondations d'entreprise préfèrent subventionner des associations, mieux armées pour traiter et suivre les dossiers.

Aide à l'enfance chez McDo

Même mode de financement indirect pour la fondation Ronald McDonald. Ce sont en général les franchisés de l'enseigne de restauration rapide qui lui soumettent des projets d'associations locales d'aide à l'enfance. L'association Bouton d'or, qui lutte contre l'illettrisme à Saint-Affrique, dans l'Aveyron, a ainsi bénéficié d'une subvention pour l'achat de livres et de CD-ROM éducatifs. « Lorsqu'une entreprise accole son nom à une fondation, c'est d'abord parce qu'elle veut que sa démarche de mécénat soit affichée et reconnue », souligne Dominique Fouchard, secrétaire général d'Axa Atout Cœur, une association déclinée dans tous les pays où la compagnie d'assurances est présente. C'est pourquoi Axa a privilégié le modèle associatif. « C'est dans le prolongement de la conception d'entreprise citoyenne chère à Claude Bébéar », poursuit Dominique Fouchard, qui revendique, sur 18 000 salariés en France, 3 700 bénévoles impliqués dans l'aide aux handicapés, la lutte contre la toxicomanie, le sida ou l'exclusion.

Si les fondations valorisent l'image de l'entreprise, comme le reconnaît Anne-Gaëlle Duriez, de l'Admical, « la plupart travaillent cependant dans la discrétion ». « Les fondations créées par des entreprises sous l'égide de la Fondation de France peuvent consacrer jusqu'à 30 % de leur budget à des actions de communication externe. Certaines, mises sur pied par des entreprises par ailleurs très médiatiques, font le choix de ne pas utiliser cette possibilité. Au-delà de la limite de 30 %, il faut s'interroger sur la fonction de la fondation : est-elle un outil de communication au profit de l'entreprise ou un outil au profit de la cause qu'elle souhaite soutenir ? » questionne Valérie Aubier, responsable des fondations à la Fondation de France.

La fondation Vivendi Universal fait exception à la règle. Campagne de mobilisation en 2000 pour aider les sinistrés de la tempête de décembre 1999, campagne de publicité en 2001 relayée par Radio France, « elle en fait trop », estime le responsable d'une fondation concurrente d'une grande entreprise. Souvent accusés de suivre la mode, de se faire de la publicité à bon compte, voire de s'acheter une bonne conduite, les dirigeants sont parfaitement conscients de la suspicion qui entoure le mécénat d'entreprise. « Selon eux, aux yeux de l'opinion publique, si les entreprises agissent dans des domaines qui sont en principe l'apanage des pouvoirs publics, sans en attendre de retombées économiques, c'est qu'elles ont sans doute quelque chose à se reprocher. » Tel est le constat dressé par Infoscopie après avoir sondé une quarantaine de chefs d'entreprise en 2000 pour le compte de la Fondation de France.

Un outil de com interne

Pour la plupart des dirigeants interrogés, le principal intérêt d'une fondation n'est pas tant la reconnaissance à l'extérieur qu'en interne. « La plupart des entreprises qui viennent nous voir souhaitent mobiliser leurs salariés dans le cadre de leur fondation. Celle-ci devient alors un outil de communication interne », confirme Valérie Aubier, de la Fondation de France. « Mais attention, prévient Colette Laury, de l'Institut du mécénat de solidarité, médiation entre les entreprises et les associations créée par Claude Bébéar, si les salariés sont fiers que leur entreprise s'engage, ils se demandent toujours si la démarche est vraiment sincère. D'autant qu'ils s'impliquent sur leur temps personnel. » En revanche, si le projet témoigne d'une réelle volonté de l'entreprise, il peut être « fédérateur sur le plan des ressources humaines, car cela permet de faire connaître les valeurs de l'entreprise ».

La mobilisation des salariés est très diverse. Il peut s'agir d'une simple collecte de vêtements ou de jouets, mais aussi d'une implication plus régulière. C'est le cas à la SNCF. « Les problèmes sociaux, explique Philippe Ledouble, chargé du mécénat, on les retrouve dans nos gares, dans nos trains. D'où l'idée de mener des actions solidaires en direction des publics d'exclus comme les SDF. » Salariés et retraités accompagnent bénévolement les projets qu'ils ont eux-mêmes portés. Avec un budget de 1,07 million d'euros par an, la fondation Schneider Electric s'est spécialisée dans l'insertion des jeunes. Dans les trois usines du groupe, à Angoulême, on pratique le mécénat de compétences pour « aider les jeunes embauchés à acquérir un savoir-faire ou à développer leur employabilité », explique Gilles Vermot-Desroches, délégué général de la fondation. Et la formule marche : plus de 60 % des salariés sont bénévoles. Chez Vivendi Universal, quelque 20 000 salariés, dont 40 % de cadres, ont déjà accepté de parrainer des projets, ceci pendant au minimum deux ans. Reconduite en janvier 2001 pour cinq ans, la fondation Vivendi Universal absorbera bientôt la fondation Canal Plus et devrait ainsi pouvoir compter sur des bénévoles supplémentaires.

Toujours plus de bénévoles

La relation parain-filleul, c'est aussi le principe d'action adopté par la Fondation de la deuxième chance. « Cela permet aux salariés de s'impliquer, explique Vincent Bolloré, et de se rendre compte qu'on n'a pas besoin d'aller en Afrique pour trouver des gens qui ont des problèmes. » Avec quelque 400 bénéficiaires d'un coup de pouce pour la création d'une microentreprise ou le suivi d'une formation qualifiante depuis sa création (dont 250 en 2001), la fondation dope son réseau de bénévoles en cherchant des relais au sein des filiales des entreprises partenaires.

« Cette insertion locale n'a pas seulement pour but de parer l'entreprise de vertus citoyennes et de lui donner une bonne image localement, elle peut aussi avoir des justifications plus pratiques, note Infoscopie. Le mécénat de proximité peut ainsi être un outil économique. Dans une logique gagnant-gagnant, l'entreprise contribue à l'amélioration de son environnement et en attend en retour quelque chose, main-d'œuvre locale de qualité, environnement attirant pour les cadres ou tissu vivant de sous-traitants. » McDonald's n'en retire guère de considération dans l'opinion publique. Et pourtant, la fondation Ronald McDonald, née en 1994, a déjà à son actif la création de trois maisons pour les parents d'enfants hospitalisés – un concept apparu il y a trente ans aux états-Unis. D'autres devraient voir le jour grâce aux 250 franchisés qui motivent leur personnel pour recueillir des Big Mac Don (1,52 euro versé par Big Mac). Ça se passe aussi comme ça chez McDonald's.

Une fondation paritaire à EDF et GDF

Trois représentants des directions d'EDF et de GDF, trois syndicalistes (CFDT, CGC et CFTC), un représentant de la Fondation de France, deux experts : voici le cocktail à la tête de la fondation des agents d'EDF et de GDF, la Fondation agir pour l'emploi (Fape). En 1993, un accord social est signé entre les syndicats et la direction du personnel, commune à EDF et à GDF. « On s'est alors demandé si on ne pouvait pas aller plus loin que cet accord traditionnel et prévoir une forme d'engagement pour l'emploi en mobilisant les agents », explique Gérard de Giovanni, président de la fondation. C'est chose faite en 1995 avec la création de la Fape, sous l'égide de la Fondation de France. Financée par les dons des agents d'EDF et de GDF et un abondement équivalent des directions d'EDF et de GDF, la Fape bénéficie aussi d'un autre versement des deux entreprises publiques équivalent à 2 % des sommes placées annuellement par les agents sur Égépargne Croissance, un fonds qui soutient les entreprises en développement créatrices d'emplois. Résultat : lorsqu'un agent fait un don, il permet à la Fape de disposer d'une somme près de trois fois supérieure. Et ça marche. « Nous avons 15 000 donateurs en moyenne sur les 140 000 agents salariés et 350 retraités », explique Gérard de Giovanni. Chaque agent verse en moyenne 30 à 35 euros. Sur cinq ans, la Fape a versé plus de 5 millions d'euros de subventions à des projets d'appui à la création d'entreprise individuelle, aux services de proximité et aux structures d'insertion par l'activité économique. Ce qui a représenté au total quelque 5 000 emplois créés. Régulièrement, les agents sont informés des actions de la Fape, et de ses réalisations, via l'intranet notamment. Car, Gérard de Giovanni le sait, la survie de la fondation dépend de la générosité de ses donateurs.

Auteur

  • Isabelle Moreau