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Repères

Les syndicats jouent… très gros

Repères | publié le : 01.03.2002 | Denis Boissard

Il ne faut pas désespérer des syndicats. Affaibli et émietté, marginalisé par un pouvoir politique omniprésent dans la gestion des dossiers sociaux, divisé face au Medef dans les négociations sur la refondation sociale, désarmé devant la mondialisation des marchés, conservateur face aux réformes structurelles (de l'État ou des retraites), concurrencé par l'émergence d'un pôle syndical radical, débordé par le succès du mouvement antimondialiste, le syndicalisme français est souvent regardé – par-delà les discours convenus sur son caractère incontournable – avec un air de commisération par les décideurs, qu'ils soient hauts fonctionnaires, hommes politiques ou dirigeants d'entreprise. Il est vrai que, depuis plusieurs années, il donne le sentiment de camper sur des positions défensives plutôt qu'offensives et d'être une force de blocage plus que de proposition.

La constitution d'un « comité intersyndical de l'épargne salariale »

par quatre des cinq « grandes » centrales, la CFDT, la CFTC, la CGC et la CGT, est donc une divine surprise. D'abord parce que, une fois n'est pas coutume, les syndicats affichent une attitude ouvertement constructive. Ensuite parce qu'ils sont parvenus à surmonter leurs divisions à l d'une échéance électorale majeure – le scrutin prud'homal du mois de décembre – pourtant traditionnellement propice à la surenchère. Enfin et surtout, parce qu'en revendiquant un droit de contrôle sur la gestion de l'épargne salariale ils portent un coup de canif bienvenu à la sacro-sainte opposition entre capital et travail, un antagonisme stérile qui interdisait au syndicalisme toute possibilité de peser sérieusement sur les nouveaux enjeux de la rémunération différée (intéressement, participation, stock-options, actionnariat et plan d'épargne d'entreprise). C'est chose faite. Seule FO, claquemurée dans son rôle de défenseur intransigeant de la feuille de paie, s'est mise de son propre chef en dehors du coup. Dommage…

Car c'est d'un sacré levier d'action syndicale

dont se sont dotées les quatre autres confédérations. La mission fixée au comité qu'elles ont créé est en effet rien de moins que de sélectionner et labelliser les fonds d'épargne salariale, sur la base d'un cahier des charges. Et l'objectif est clair : outre la sécurité des placements, il s'agit de contraindre ces fonds à investir de préférence dans des entreprises socialement responsables et respectueuses de l'environnement. Pour mieux contrôler l'orientation éthique des placements, les syndicats revendiquent en outre la majorité dans le conseil de surveillance des fonds. Délicat pour les établissements financiers de ne pas se prêter aux règles du jeu que leur imposent ainsi les quatre centrales : la loi Fabius fait entrer l'épargne salariale dans le champ de la négociation collective obligatoire. Et il y a fort à parier que les négociateurs syndicaux de terrain privilégieront le recours aux fonds dûment labellisés.

L'enjeu est considérable.

La loi Fabius généralise en effet le dispositif – qui ne profite aujourd'hui qu'à un salarié sur quatre – à l'ensemble du secteur privé. Aujourd'hui légèrement inférieurs à 10 milliards d'euros, les versements annuels devraient, selon les experts, quadrupler ou quintupler d'ici à cinq ans. Les syndicats pourraient donc, à terme, détenir un moyen de pression non négligeable pour influer sur la gestion des entreprises. De quoi contrebalancer un peu le pouvoir quasi absolu dont bénéficie aujourd'hui l'actionnaire. Encore faut-il que ce comité intersyndical soit en mesure de vérifier, au-delà des mots, la réalité des pratiques des entreprises dans lesquelles l'épargne des salariés sera investie. Or les outils existants sont rudimentaires. Le point de vue des équipes syndicales présentes dans l'entreprise ? Cela supposerait que celles-ci existent et qu'elles soient pourvues d'une capacité d'expertise suffisante. La notation des agences de rating social ou environnemental ? La faiblesse actuelle de leurs moyens leur interdit tout travail d'investigation et les conduit généralement à se fier aux seules déclarations de l'entreprise. Sauf à en rester aux vœux pieux, la montée en puissance des préoccupations éthiques devrait logiquement conduire à la mise en place de « commissaires aux comptes sociaux» .

En mettant un pied dans la gestion capitalistique des entreprises

les syndicats risquent surtout de se retrouver plus d'une fois en porte-à-faux. Quels doivent être les critères d'une gestion socialement responsable ? Faudra-t-il par exemple sanctionner – en poussant les fonds d'épargne salariale à désinvestir – l'entreprise qui estime devoir se restructurer et licencie au risque de la mettre, elle et son personnel, en difficulté ? Bref, le syndicalisme français va devoir apprendre à gérer des contradictions qu'il avait jusque-là soigneusement éludées. Mais c'est ainsi qu'il pourra peser efficacement dans la régulation sociale de l'économie de marché.

Auteur

  • Denis Boissard