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Politique sociale

Dans les syndicats, la parité, ce n'est pas encore gagné

Politique sociale | ZOOM | publié le : 01.03.2002 | Anne Fairise

Plutôt chiche, la place dévolue aux femmes dans les organisations syndicales. Les centrales ont beau instaurer des quotas dans les instances dirigeantes, sur le terrain, dans les fédérations, ça ne suit pas. La faute aux vieux préjugés sexistes et à la « triple journée ». La révolution n'est pas pour demain.

Et pourquoi ne pas profiter des prochaines prud'homales pour faire avancer la représentation des femmes ! La CFDT et la CGT sont décidées à frapper un grand coup lors de l'élection de décembre 2002, plus d'un an et demi après l'adoption de la loi sur l'égalité professionnelle. Les centrales de Nicole Notat et de Bernard Thibault vont constituer des listes tendant vers la parité. Un objectif qui va bien au-delà des dispositions prévues, pour le renouvellement des conseils de prud'hommes, par la loi Génisson, du nom de la députée PS du Pas-de-Calais qui en a été à l'origine. L'obligation des partenaires sociaux ? Réduire d'un tiers l'écart existant sur les listes de 1997 entre la proportion de candidatures féminines et la représentation des femmes dans l'électorat salarié. Une mesure très alambiquée que Georgette Ximenes, secrétaire confédérale CFDT chargée du dossier femmes, juge « un peu frileuse », même si elle relativise les ambitions de sa confédération. « La parité sur les listes prud'homales est un horizon. Nous sommes réalistes. Certaines sections auront sans doute des difficultés à présenter de telles listes. Mais toutes s'y sont mises et font le maximum. »

Même genre de commentaire prudent à la CGT. « Il y a l'objectif politique et sa mise en œuvre, qui sera difficile », admet Maïté Lasalle, secrétaire confédérale à la tête du département femmes-mixité. Notamment dans les secteurs économiques et les branches professionnelles peu féminisées. Une raison souvent invoquée par les autres centrales qui affichent des visées plus modestes. Si la CFTC escompte « au moins 30 % de femmes sur les listes prud'homales, un chiffre modulable selon les secteurs », FO comme la CFE-CGC se fixent comme simple objectif une « augmentation significative » du nombre de candidates.

Une mixité engagée en… 1982

Le volontarisme des deux principaux syndicats de salariés pour porter des femmes à des postes de responsabilité n'étonnera pas les observateurs. À la CFDT, la « mixité » des structures a été engagée en… 1982 ! Avec, à l'appui, des quotas au niveau confédéral. Ainsi, les deux collèges des fédérations et des régions qui sont représentés au bureau national doivent comporter au moins 4 femmes sur les 14 membres. De quoi assurer aujourd'hui 27 % de militantes au sein de l'instance de direction. Quant à la CGT, elle pourrait se voir décerner la palme d'or. La parité totale a en effet été instaurée au sein du bureau confédéral et de la commission exécutive depuis 1999. Bon point également pour le syndicat SUD, dont nombre de militants ont d'ailleurs grandi au sein de la CFDT : les femmes ont eu droit, dès la création de SUD PTT, à 20 % de « places réservées » au bureau fédéral. Un seuil rapidement porté à 33 %. « Si aucune candidate n'avait été élue, il n'y aurait pas eu de second tour. On avait décidé de geler les places. Une politique de la chaise vide, en quelque sorte, pour rendre visible le problème », indique Annick Coupé, ex-secrétaire générale de SUD PTT, aujourd'hui porte-parole de l'Union syndicale G10 solidaires.

Mention, enfin, à la CFE-CGC, qui a porté, en 1999, à un tiers la part de militantes élues à son comité exécutif. Résultat, la centrale de Jean-Luc Cazettes a rejoint le cercle restreint des centrales (CGT et CFDT) ayant dépassé le seuil d'un quart de femmes dans l'instance nationale de direction. Une décision de poids pour le syndicat de l'encadrement qui affiche, implantation socioprofessionnelle oblige, la plus faible proportion d'adhérentes (20,3 %) de toutes les organisations syndicales. « Cela n'a pas été sans faire grincer quelques dents, reconnaît Simone Vaidy, déléguée nationale chargée de l'égalité professionnelle. Pas pour trouver les candidates, ajoute-t-elle. Car, souvent, elles ne sont pas sollicitées. Mais, vu le nombre restreint de membres au comité, une telle décision signifie que des hommes laissent leur place à des femmes. »

Cette petite révolution des mœurs syndicales n'est pas encore à l'ordre du jour à la CFTC et chez FO, où l'on se contente de favoriser l'accès des femmes aux postes de responsabilité par de la formation et de l'information, en tablant sur les évolutions naturelles.

Il y a donc du pain sur la planche. Guère favorisées dans la vie professionnelle, les femmes ne le sont pas plus dans le champ syndical. Les sages du Conseil économique et social l'ont vérifié dans un récent rapport intitulé « Les femmes dans les lieux de décision » qui tente de dresser un portrait de la féminisation des syndicats. Une tâche ardue, car la plupart d'entre eux ne sont toujours pas entrés dans l'ère de la statistique et parce que le manque d'homogénéité des réponses n'autorise pas toujours les rapprochements.

Constat d'ensemble : la part des femmes est inférieure à leur présence réelle dans le monde du travail. Les organisations syndicales n'ont pas suivi la féminisation importante de la population active, passée de 28 % en 1960 à 46 % aujourd'hui. C'est bien simple, hormis l'Unsa (l'ex-FEN) qui bénéficie d'une implantation historique dans le bastion largement féminisé de l'éducation nationale, aucune centrale n'affiche une proportion de femmes comparable à leur présence dans la population active : 45 % de syndiquées estimées chez FO, 42 % à la CFDT, 40 % à la CFTC, 37 % à la CGT et 20,3 % à la CFE-CGC. L'affiliation syndicale reste majoritairement une affaire d'hommes et les évolutions sont bien plus lentes que n'a pu le laisser croire l'arrivée, ces dernières années, de femmes à des postes de premier plan, que ce soit Nicole Notat à la CFDT, Monique Vuaillat à FSU, ou Josette Charuel, secrétaire générale à SUD PTT.

Un vide à l'échelon fédéral

D'ailleurs, derrière la vitrine confédérale, la situation est moins brillante aux échelons intermédiaires, dans les unions départementales ou régionales et les fédérations professionnelles, comme dans les sections d'entreprises où le pouvoir est très largement masculin. Même à la CFDT, la gent féminine est presque marginalisée à la tête des structures professionnelles et départementales. La CGT constate elle aussi un vide dans les échelons intermédiaires, surtout dans les unions départementales : sur les 90 postes de secrétaires généraux, seuls 5 sont occupés par des militantes. Idem dans les fédérations (4 femmes sur 20). SUD PTT fait le même constat, avec moins de 10 dirigeantes dans les 80 syndicats départementaux.

Chez FO, les femmes se font déjà rares à la direction nationale (12 % à la commission exécutive confédérale) et le syndicat ne peut fournir aucun chiffre pour les structures intermédiaires. Les propos sexistes tenus plusieurs fois par Marc Blondel à l'encontre de Nicole Notat seraient-ils le reflet d'un machisme de Force ouvrière ? Pour ses dérapages, la centrale a eu souvent maille à partir avec l'association Les Chiennes de garde, encore saisie début 2000 par les femmes du gouvernement Jospin pour les propos tenus par un militant. Reste que le secrétaire général de FO a plaidé officiellement en faveur de l'égalité professionnelle hommes-femmes lors du dernier congrès, en mars 2000, et invité la centrale à faire la paix avec l'association féministe…

En dépit de pratiques différentes, les syndicats sont confrontés aux mêmes difficultés. Les militantes ne franchissent pas spontanément les échelons hiérarchiques au sein des organisations. Le fameux plafond de verre, cet obstacle invisible empêchant les femmes d'accéder aux responsabilités, n'est pas l'apanage des entreprises. Raison avancée dans toutes les centrales : la « triple journée » qu'implique la prise de responsabilités pour des militantes déjà absorbées par le travail, la famille et les tâches domestiques.

« Plus on monte dans les responsabilités, plus cela suppose de déplacements et de réunions », rappelle Nicole Prud'homme, madame Femmes à la CFTC et actuelle présidente de la Cnaf. « Le temps est le principal handicap pour les militantes. Il leur faut jongler avec les heures de délégation, surtout dans des organisations comme la nôtre où les responsables ne sont pas forcément permanents », renchérit Simone Vaidy, de la CFE-CGC. « J'ai un mari en or qui a largement participé à l'éducation des enfants et m'a ainsi permis de m'investir dans le syndicalisme », souligne Murielle Fraysse, 42 ans, récemment arrivée à la tête de l'Union départementale CFDT de Haute-Savoie. Ce poste, elle n'y avait jamais songé avant que ses collègues syndicaux ne la sollicitent. « Je ne me sentais pas forcément capable, étant issue de la fonction publique d'État, de gérer l'interprofessionnel. » Un défi que cette directrice d'école a décidé de relever, en s'entourant d'une équipe interprofessionnelle.

La mise en doute, par les femmes mêmes, de leurs compétences, comme le maintien des vieux schémas sexistes, sont un autre obstacle. « Il faut faire passer dans l'inconscient collectif le fait que les responsabilités n'ont pas de sexe. Ce n'est pas encore gagné », commente Michèle Monrique, chargée du secteur égalité à FO. Depuis cinq ans, la secrétaire confédérale a boosté le nombre de formations et la participation des militantes à ces stages, et incité partout dans l'appareil à la création de commissions chargées de veiller à l'égalité. « Le syndicalisme vit les mêmes contradictions que le reste de la société, où la place des femmes n'est pas acquise en dépit de l'égalité pro clamée. Il reste marqué par le modèle masculin », reprend Annick Coupé, de SUD PTT.

Pour favoriser la participation active des syndiquées à tous les niveaux, certaines centrales commencent à prendre des mesures concrètes : réunions plus courtes et moins tardives, paiement des frais de garde des enfants. Mais, dans ce domaine, on en est encore aux balbutiements. Si, à la CFDT, héraut de la mixité, il existe une ligne budgétaire confédérale « pour l'insertion des militants », mobilisable pour financer par exemple des gardes d'enfant, seules 19 militantes en bénéficient. Mais les fonds dégagés et, par ricochet, le nombre de bénéficiaires, devraient bientôt augmenter, reprend Georgette Ximenes. À la CFTC, les unions départementales sont « incitées à prendre en charge des remboursements de frais de garde pour les jeunes enfants des militantes », renchérit Nicole Prud'homme, qui insiste aussi, comme ses homologues, sur une adaptation des formations « à fractionner dans le temps ou à décentraliser ».

L'image du militant missionnaire

Car la mixité interroge les pratiques syndicales. « Quand on propose aux militantes de prendre des responsabilités, elles posent aussitôt des questions sur la disponibilité qui leur sera demandée, la formation, le travail en équipe. Elles rejettent aussi l'image du militant « missionnaire » qui ne ferait plus que ça », note la CFDT. Certaines militantes remettent également en cause le cumul des mandats, pratique jugée dépassée et considérée parfois comme un obstacle à l'accès des femmes aux responsabilités. Le constat est similaire à la CGT : « Les femmes, comme les jeunes, portent l'idée d'un autre syndicalisme et impliquent de repenser l'organisation des temps. Nous sommes dans une phase de transformation. De plus en plus de militants exercent des responsabilités à caractère national sans être permanents », reprend Maïté Lasalle. Mais vu la féminisation encore faible des instances syndicales, la révolution n'est pas encore pour demain.

Première à engager le chantier de la parité, la CFDT va accélérer le pas lors du congrès confédéral du printemps 2002. Un rendez-vous qui sera l'occasion de faire le bilan de vingt années de politique de mixité. « Dans une fédération couvrant des métiers très féminins, la parité n'a pas de sens. », estime Georgette Ximenes. Mais elle en a davantage dans l'interprofessionnel. « Nous voulons instaurer au plus vite une mixité proportionnelle dans les fédérations et la parité pour les structures interprofessionnelles, confédération y compris ». Ironie du sort, ce débat aura lieu lors d'un congrès marqué par le départ de Nicole Notat du secrétariat général, remplacée par… un homme, François Chérèque !

Grandes absentes des instances sociales

Si la présence des femmes dans les organisations syndicales est loin de leur présence dans la population active, le constat est plus sévère encore pour les organisations d'employeurs, comme l'a noté fin 2000 le Conseil économique et social dans son rapport « Les femmes dans les lieux de décision ». Au Medef, la gent féminine n'occupe que 5 % des postes de l'ensemble de l'exécutif. Et l'instance patronale constate, comme les syndicats, un vide dans ses échelons intermédiaires. Même constat pour la CGPME et l'UPA. Rien d'étonnant pour le CES : « La représentation des femmes dans les organisations professionnelles est conforme aux observations effectuées sur les femmes à la tête des entreprises : une présence faible et inversement proportionnelle à la taille des entreprises. » Dans les sociétés du CAC 40 ? Pas une femme P-DG et très peu ont suivi les pas, dans les comités de direction ou exécutifs, d'une Béatrice Dautresme, vice-présidente de L'Oréal, ou d'une Laurence Danon, présidente du Printemps.

Conséquence logique de cette faible représentation dans les organisations syndicales et patronales, les femmes restent les grandes absentes des instances de dialogue social. 19 % seulement siègent au Conseil économique et social, où les membres sont désignés à 70 % par les organisations socio-professionnelles et à 30 % par le gouvernement ! Aux conseils de prud'hommes, les femmes représentent aussi la portion congrue : 22 % des élus du collège des salariés et 15 % du collège des employeurs. Idem dans les conseils d'administration des organismes de protection sociale, les caisses de Sécurité sociale notamment : 25 % de femmes en moyenne. Et la liste de ces absences féminines n'est pas exhaustive… De quoi, pour Lydia Brovelli, ex-présidente (CGT) de la section travail du CES, inciter tous les acteurs du dialogue social à « balayer devant leur porte ». Car plus on aura de femmes au sommet de la pyramide économique et sociale, plus on aura de chances que soient adoptées des mesures correctrices des inégalités hommes-femmes.

Auteur

  • Anne Fairise