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Politique sociale

Dans les coulisses du Plan d'aide au retour à l'emploi

Politique sociale | ANALYSE | publié le : 01.03.2002 | Valérie Devillechabrolle

En offrant aux chômeurs signataires un suivi personnalisé, le Plan d'aide au retour à l'emploi mis en place en juillet 2001 instaure une innovation de taille. Mais, dans l'optique d'une remise au travail rapide, les chômeurs de longue durée et les moins qualifiés partent toujours avec un net désavantage.

« On se revoit en mai pour faire le point ? » Anne, jeune conseillère de l'agence locale pour l'emploi du Sentier, prend congé de Lova, un ancien directeur commercial au chômage depuis 1999. À défaut de se voir proposer un emploi, cet ancien magasinier d'origine polonaise, licencié à 55 ans après avoir gravi tous les échelons de son entreprise textile, ne repart pas les mains vides. Dans le cadre du projet d'action personnalisé (PAP), proposé aux demandeurs d'emploi adhérant au Plan d'aide au retour à l'emploi prévu par la nouvelle convention d'assurance chômage, Lova a obtenu un rendez-vous avec un cabinet spécialisé dans l'accompagnement des cadres au chômage. « D'une durée de trois mois à temps plein ou de six mois à mi-temps, cet accompagnement devrait vous aider à améliorer l'efficacité de votre recherche », positive la conseillère de l'ANPE.

À l'instar de Lova, 2,5 millions de personnes bénéficient de ce nouveau dispositif d'accompagnement, lancé le 1er juillet 2001. Principal avantage pour les chômeurs, il prévoit un parcours individualisé de retour à l'emploi, contrepartie de leur assiduité à rechercher du travail. Pour l'ANPE, cette individualisation confine à la révolution culturelle : « Pour la première fois, nous n'allons plus laisser les demandeurs d'emploi dégringoler dans le chômage de longue durée sans avoir mobilisé toute une batterie de prestations destinées à les remettre en selle », se félicite Sylvie Courteille, directrice de l'agence pour l'emploi du Sentier. Après huit mois de mise en œuvre, les chômeurs ont adhéré à plus de 80 % au Pare, qui leur permet, au passage, de suspendre la dégressivité de leurs allocations. Ce qui n'empêche pas les associations de défense des chômeurs, relayées par le SNU, syndicat majoritaire des personnels de l'ANPE, dissident de la CFDT, d'émettre un certain nombre de critiques.

Priorité aux chômeurs « récents »

La première concerne l'entretien approfondi que l'ANPE mène avec tous les demandeurs d'emploi afin d'établir un projet individuel. Car, en dépit des assurances de l'agence, les chômeurs ne sont pas tous logés à la même enseigne. Alors que les chômeurs inscrits aux Assedic depuis le 1er juillet 2001 sont reçus dans le mois suivant leur inscription, ceux qui figuraient déjà sur les listes doivent attendre un an de chômage pour être convoqués. Conséquence, sur les 2,5 millions de « Papés » recensés fin décembre, les deux tiers étaient constitués de chômeurs « récents », pour un tiers seulement de « reprises de stock », selon l'affreux jargon de l'Agence. Un écart qui devrait se résorber. « À raison de 400 000 Papés supplémentaires chaque mois et sous réserve que le nombre de nouvelles inscriptions se maintienne autour de 10 000 par mois, tous les demandeurs, indemnisés ou non, devraient bénéficier de ce plan d'action personnalisé d'ici à la fin du premier semestre 2002 », assure Jean-Marie Marx, directeur général adjoint de l'ANPE.

Autre différence de traitement : selon les catégories, les entretiens ne se déroulent pas toujours dans les mêmes conditions. Les chômeurs de fraîche date sont plutôt reçus lors de rendez-vous individuels, les plus anciens peuvent être convoqués en groupe. En Normandie, « les réunions d'information collectives de reprise de stock sont sous-traitées à un prestataire extérieur », souligne Hélène Appé, conseillère au Havre et membre du bureau national du SNU. À Lille, « en fait d'entretien individuel, les chômeurs sont convoqués à quinze par un conseiller. Difficile, dans ces conditions, de parler d'aide effective », estime Pascal Bavencove, responsable du comité CGT des privés d'emploi du Nord. Un argument que réfute Anne Gary, directrice de l'agence de Lille Bleuets, l'une des cinq de l'agglomération nordiste. « Pour avoir 14 demandeurs d'emploi, nous en convoquons 30, car nous nous heurtons à un taux d'absentéisme de l'ordre de 50 %. Et, à la sortie de cette réunion, la moitié aura droit à une prescription en direct, tandis que l'autre moitié d'entre eux seront convoqués en entretien pour affiner leur situation. »

Le contenu des premiers projets d'action personnalisés suscite également débat. « C'est souvent très rudimentaire », estime Marc Desplats, délégué général d'ABCDE, une association indépendante de chômeurs alsaciens. Tout en rappelant que l'essentiel du dispositif ne devait se déclencher qu'au bout de six mois de non-retour à l'emploi, Jean-Marie Marx estime que l'ANPE doit « proposer un niveau d'accompagnement adapté aux difficultés supposées du chômeur pour retrouver un travail ».

À l'agence de Lille Bleuets, sur 1 810 nouveaux inscrits papés fin décembre, « plus de 40 % sont apparus suffisamment autonomes pour ne se voir proposer que les services en libre accès, offres d'emploi, accès gratuit à Internet ou documentation diverse », explique Anne Gary. À charge pour eux de chercher du travail par eux-mêmes et de revenir faire le point six mois après, en cas d'échec. Mais, parallèlement, plus de la moitié des chômeurs ont été aiguillés vers un cercle de recherche d'emploi, un bilan de compétences approfondi ou une évaluation des capacités professionnelles. Enfin, moins de 5 % ont été jugés suffisamment en difficulté pour bénéficier d'un solide accompagnement. La difficulté étant que de nombreux agents de l'ANPE refusent de s'engager dans une démarche qu'ils jugent très directive. À l'instar de Bernadette Le Corre, conseillère à Saint-Quentin et membre du bureau national du SNU, qui rechigne « à obliger les demandeurs d'emploi à consommer des prestations alors que celles-ci sont prioritairement destinées à des personnes autonomes ou ayant déjà conscience de leurs manques ». Directeur de l'Association régionale des espaces d'accueil pour la formation (Areaf), structure picarde chargée de valider l'entrée en formation des chômeurs, Gabriel Daube estime que, « globalement, le système fonctionne bien pour ceux qui ont le moins de difficultés ».

Un projet professionnel réaliste

Le succès du PAP doit se concrétiser par un retour rapide à l'emploi, préoccupation majeure des signataires de la convention de l'Unedic. « Nous devons veiller au réalisme du projet professionnel du demandeur au regard du marché local de l'emploi », insiste Anne Gary, de l'agence de Lille. Car, « à vouloir avoir raison contre le marché, le demandeur d'emploi court au casse-pipe », renchérit Jacky Chatelain, directeur adjoint de l'Apec. Reste que pour Serge Rochet, le vice-président de la Fédération des centres interinstitutionnels de bilans de compétences (CIBC), « cet objectif de court terme risque d'entrer en contradiction avec les dynamiques d'évolution de carrière ou de reconnaissance des acquis de l'expérience auxquels aspirent de nombreux chômeurs ». Quant à Bernadette Le Corre, conseillère à Saint-Quentin, elle constate que « le dispositif d'accompagnement est entièrement organisé autour des compétences antérieures des demandeurs d'emploi et non de ce qu'ils souhaitent faire ». L'aspiration des chômeurs à évoluer n'est pas toujours prise en compte dans les formations qui leur sont proposées. Si l'Unedic a débloqué pour 2002 plus de 320 millions d'euros de crédit, cette manne ne devrait guère profiter à ceux qui en ont le plus besoin : les moins qualifiés. Régime d'assurance oblige, la durée de ces formations, réservées aux demandeurs d'emploi indemnisés, ne peut en effet excéder celle du versement de leur allocation. « Même en combinant leur indemnisation Assedic à une allocation de fin de formation financée par l'État, les demandeurs d'emploi qui nécessitent une formation qualifiante longue, supérieure ou égale à un an, n'ont aucune chance de la voir financer jusqu'au bout », observe Gabriel Daube, de l'Areaf.

Pour les demandeurs d'emploi, l'accès aux formations longues s'est donc réduit. Les anciennes ouvrières licenciées cet automne par la filature Mosley d'Hellemmes, dans le Nord, souhaitant se reconvertir comme aides-soignantes, auxiliaires de vie ou encore caissières, n'ont pas réussi à se faire financer leur parcours. « Car cela aurait nécessité d'ajouter un cours de remise à niveau, voire d'alphabétisation pour certaines, à leur formation professionnelle proprement dite », raconte Dany Steyaert, l'ex-délégué CGT de la filature.

« à quoi ça sert de faire rêver ? »

Mais, pour Anne Gary, de l'ANPE Lille Bleuets, « il reste un gros travail de démystification à faire. À quoi cela sert-il de faire rêver les demandeurs d'emploi avec des formations longues qui ne déboucheront sur rien ? ».Elle a ainsi déconseillé à une ancienne vendeuse de Marks & Spencer licenciée après vingt ans de maison de se lancer dans une formation de bureautique. Motif ? « À la sortie, elle se serait heurtée à la concurrence des jeunes BTS. » Dans l'optique d'un retour à l'emploi, les formations financées par les Assedic sont très ciblées sur les postes disponibles. Christine Tellier, de l'Astre (Association sarthoise des travailleurs en recherche d'emploi), ne voit pas pour autant les adhérentes de son association, « dont beaucoup de mères de famille désireuses de retravailler après avoir élevé leurs enfants, se reconvertir en désosseuses dans l'agroalimentaire ».

Au siège de l'Unedic, Dominique Vandermesse, directeur délégué chargé de l'animation du réseau des Assedic, légitime la répartition des crédits de formation. « Elle s'est faite en priorité par rapport aux offres d'emploi non satisfaites (à hauteur de 40 %), devant le nombre d'allocataires sous-qualifiés (35 %) et le nombre de demandeurs d'emploi indemnisés (à 25 %). » À charge pour chaque Assedic de repérer les besoins de son bassin d'emploi. La direction régionale des Assedic d'Ile-de-France a défini sept métiers prioritaires dont la formation sera financée à 100 %, dans les secteurs de la vente, du BTP, de l'information, de la restauration, du transport, de la sécurité et de la bureautique. Directeur des Assedic du Centre, Thierry Lemerle a fait réaliser une enquête auprès des 10 000 employeurs de la région dont les 3 600 réponses lui ont permis de cibler ses priorités de financement.

La conjoncture n'arrange rien

Pour éviter toute concurrence stérile avec les autres canaux de financement traditionnels, l'Unedic a signé début 2002 un accord avec l'État et l'Association des régions de France. Cette offre supplémentaire de formation sur les secteurs en quête de main-d'œuvre suffira-t-elle à susciter des candidats ? Même les professionnels des secteurs concernés en doutent, à l'instar de Franck Rouffignac, directeur interrégional de l'AFT-Iftim, l'organisme national de formation du transport : « Il faudra beaucoup travailler avec l'ANPE pour élargir les critères de recrutement. » D'une façon générale, le rapprochement de la main-d'œuvre disponible avec les offres d'emplois à pourvoir risque de s'avérer moins facile que prévu : quand, au 1er janvier, Anne Gary, à Lille Bleuets, a réparti les demandeurs d'emploi inscrits en fonction de leurs compétences entre les 17 équipes professionnelles chargées des relations avec les entreprises du bassin lillois, « seuls 50 % des demandeurs avaient un métier précis, repérable par les entreprises ou possédaient une qualification validée alors [qu'elle en attendait] 75 % ».

Le succès du Pare dépendra enfin de l'accueil que les entreprises réserveront à ces candidats ainsi « reformatés » par l'ANPE. En dépit du soutien de l'accompagnement individualisé qui lui a permis de répondre à plus de 30 offres d'emploi, Claude, un ancien cariste de Peugeot licencié en 1998 à l'âge de 52 ans, n'a eu qu'une seule réponse : « Pour me renvoyer mon CV », précise ce demandeur d'emploi lillois. Jusqu'à présent, les efforts de Paul, au chômage depuis deux ans après avoir travaillé dans un cabinet d'architecture, n'ont pas non plus été payés de retour : « La formation de trois mois que j'ai suivie pour maîtriser un nouveau logiciel de dessin industriel paraît insuffisante aux employeurs qui veulent quelqu'un d'opérationnel tout de suite. »

Même s'il est trop tôt pour évaluer l'efficacité du Pare, une chose est sûre : la dégradation de la conjoncture ne va pas faciliter le retour à l'emploi des intéressés…

L'ANPE sous-traite à tout-va

« Si nous avions le temps de nous occuper individuellement de tout le monde, cela se saurait ! » Sylvie Courteille, la directrice de l'agence locale pour l'emploi du Sentier parisien n'a aucun état d'âme sur la nouvelle organisation mise en place par l'ANPE pour l'entrée en vigueur du Pare. Car, pour « multiplier par trois » sa capacité d'accompagnement, l'ANPE fait dorénavant massivement appel à d'autres partenaires. L'Agence a ainsi pour la première fois confié le suivi intégral de 200 000 PAP concernant des publics spécifiques à l'Apec pour les cadres, aux missions locales pour les jeunes en difficulté ou encore au réseau CAP Emploi pour les travailleurs handicapés. « De cette façon, les cadres demandeurs d'emploi ne se promèneront plus entre nos deux institutions », se félicite Jacky Chatelain, le directeur général de l'Apec. « Nous allons pouvoir combiner la dynamique de Trace, le dispositif de l'État, avec le PAP pour un suivi plus efficace des jeunes », espère de son côté Jean-Marc Seijo-Lopez, le directeur de la mission locale de Tulle.

Mais la quasi-totalité des autres prestations offertes aux demandeurs d'emploi (bilan de compétences approfondi, accompagnement individualisé, élaboration de projet en groupe, atelier de recherche d'emploi) est également sous-traitée à une myriade de prestataires extérieurs, rémunérés par l'État (pour les chômeurs non indemnisés) ou sur les fonds de l'Unedic (pour les indemnisés), et soumis à une obligation de résultat évaluée chaque année.

Si, pour Sylvie Courteille, cette nouvelle organisation permet ainsi au demandeur d'emploi de « démultiplier son réseau de contacts avec les professionnels et les entreprises », le développement de cette forme de sous-traitance est toutefois loin de ravir tous les conseillers de l'ANPE, désormais transformés en simples « prescripteurs de prestations » et soumis à « des objectifs comptables ». Une autre révolution !

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle