logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

AVEZ-VOUS LA GUEULE DE L'EMPLOI ?

Enquête | publié le : 01.03.2002 | Anne Fairise, Sandrine Foulon

À compétences égales et expérience similaire, mieux vaut être grand, svelte et bien habillé que petit, gros et mal fagoté pour entrer et réussir dans l'entreprise. Un phénomène inavoué mais bien réel, comme l'atteste le recours croissant au relooking. Si la loi veille, cette forme de discrimination par l'apparence parvient rarement devant les tribunaux.

À peine sortie d'une école de commerce et déjà une proposition de l'UAP pour un poste d'assistante marketing ! Pour Virginie, 24 ans, les débuts s'annonçaient plutôt prometteurs. Son CV avait apparemment séduit, et rendez-vous était pris avec le responsable du service concerné. Mais quand cette jeune Alsacienne se présente, ce matin-là, dans la tour de la Défense pour l'entretien d'embauche, c'est la déconvenue. L'entrevue ? Elle sera plus que brève. « Il a semblé très surpris de me voir. Il a même eu un mouvement de recul. J'ai eu un instant de doute. M'étais-je trompée d'heure ? Le rendez-vous avait-il été reporté ? Mais non, j'étais à peine entrée dans son bureau qu'il m'expliquait que le poste avait été pourvu en interne. » Il n'empêche que, l'après-midi même, une tout autre réponse sera faite à une camarade de promo de Virginie, en lice pour le même poste… Un vrai coup de massue pour la candidate, exclue sans même avoir eu la possibilité de se faire connaître dans le traditionnel face-à-face. « Je savais que ma corpulence et mes 100 kilos n'étaient pas un avantage pour les postes commerciaux. Je pensais pouvoir surmonter cette situation. Mais il m'a fallu me rendre à l'évidence », reprend Virginie, qui, depuis, a renoncé au monde de l'entreprise pour celui de l'enseignement, avec l'impartialité de ses concours d'accès.

Même flagrant délit de discrimination pour ce quadra qui postulait à un poste de directeur commercial régional dans un laboratoire pharmaceutique anglo-saxon. « Il avait le profil requis, mais aussi une vilaine balafre sur le visage, séquelle d'un grave accident de voiture. J'ai insisté pour que le directeur général le voit. Impossible de le prendre, m'a expliqué ce dernier, car il lui faudra rencontrer des directeurs d'hôpital, des médecins. Le candidat ne collait pas à l'image qu'il se faisait du poste », raconte Jean-Paul Juès, ancien DRH et aujourd'hui professeur à l'École supérieure de gestion (ESG). « Vous faites vieille. Et votre voix sur le répondeur fait vieille », voilà ce que cette ancienne DRH de 51 ans s'est vu répondre dans un cabinet de consultants, après quatre entretiens en quatre mois. « Les recruteurs s'embarrassent de moins en moins de précautions », commente Anne-Marie Durand, membre de l'association Initiatives Seniors.

Le poids de l'apparence relève du non-dit

Même à diplôme, formation ou expérience équivalents, mieux vaut avoir la gueule de l'emploi ou ne pas trop s'écarter du profil du candidat idéal, tel que l'imagine l'employeur. L'apparence, subtil mélange de caractéristiques physiques, vestimentaires et comportementales, ne joue pas seulement lors de la phase cruciale de l'embauche. Elle conditionne aussi la bonne intégration dans l'entreprise, perturbe l'évaluation des performances, pèse sur la fiche de paie, bref, détermine tout le déroulement de carrière. Feindre d'ignorer son importance n'est que pure hypocrisie. Aux États-Unis, depuis les années 20, les psychosociologues ont mis en équation le poids de l'apparence, qui relève dans l'Hexagone du non-dit. Ils se sont livrés à moult expériences prouvant que l'on associe systématiquement des qualités aux critères physiques : la bonté à la beauté, la méchanceté à la laideur… « Des chercheurs ont demandé à des étudiantes de noter des enfants et de leur envoyer des bruits ou des petits chocs électriques s'ils répondaient mal. Or, pour un même taux d'erreurs, les enfants laids étaient davantage punis que les beaux », relate Jean Lorant, maître de conférences à l'université de Nice et spécialiste en psychosociologie sociale. Au bûcher, donc, l'objectivité ! Dans sa propre université, cet enseignant a séparé arbitrairement deux groupes d'étudiants, leur demandant de s'évaluer mutuellement. Résultat, chacun d'eux a tendance à se considérer plus beau, plus intelligent. Chez l'autre, il ne voit que des défauts.

La vie au bureau n'échappe évidemment pas à la règle. Les critères physiques influencent la manière dont un employeur évalue les capacités de ses collaborateurs. Il y a plus de trente ans que le chercheur américain Feldman a établi un lien direct entre la taille et la rémunération. À l'université de Pittsburgh, les diplômés de plus de 1,80 mètre gagnaient 13 % de plus que leurs camarades de promo. Malheur aux courts sur pattes. Coïncidence ? Les hommes politiques, Lionel Jospin comme Jacques Chirac, dépassent allégrement le mètre quatre-vingts. Même gabarit pour les « grands » patrons : Michel Bon (France Télécom), Jean-François Dehecq (Sanofi-Synthelabo), Jean-Louis Beffa (Saint-Gobain), Francis Mer (Usinor), Bertrand Collomb (Lafarge), Louis Schweitzer (Renault), Lindsay Owen-Jones (L'Oréal), François Roussely (EDF)… Plus la toise est haute, plus les regards se montrent bienveillants. « La taille des présidents américains est surestimée de 7,5 centimètres, s'amuse Jean Lorant. Mais le pire, c'est que les dominés intègrent les critères des dominants. Des grands finissent par adopter des comportements de gens qui réussissent et des petits peuvent se glisser dans la peau de perdants. »

Les a priori ont la vie dure. En un coup d'œil, un recruteur se forge une représentation d'un candidat. Il analyse et sait dans quelle petite case – arriviste, séducteur, antipathique – il va le ranger. La première impression est-elle vraiment la bonne ? Tous les experts en communication en conviennent : on retient d'abord l'image et la gestuelle, ensuite le ton de la voix et, bien loin derrière, les mots ! Rien d'étonnant pour Christine Cavel de Courcy, du cabinet de conseil en image Egostyle : « À compétences égales, le recruteur prendra la personne la plus avenante. C'est humain. Et cela renforce sa position : il présente le candidat qui a la gueule de l'emploi. » Tout le monde n'a pas ce franc-parler. Relativisée par les spécialistes des RH, cette subjectivité reste un tabou dans les entreprises. « Le recrutement est une radiographie rationnelle de l'expérience, des compétences et de la motivation. Les premières impressions éclairent notre analyse ou, au contraire, l'invalident. C'est plus irrationnel, mais cela ne veut pas dire arbitraire », commente Dominique Moracchini, de Hightech Partners. Chasseur de têtes dans le secteur des hautes technologies, il met en avant l'entretien approfondi avec le candidat. Deux heures minimum avec chacun pour comprendre à la fois le professionnel et l'individu. De quoi « trouver Napoléon sous Bonaparte » et aller au-delà d'une première impression décevante… Certains vont même jusqu'à nier le phénomène. « Les entreprises ne font pas de casting, analyse Florian Mantione, responsable du cabinet de recrutement éponyme à Montpellier. À la beauté elles préfèrent le charisme ou la personnalité. Évidemment, personne n'aime être éliminé. Pour l'expliquer, on trouve de bonnes raisons. Mais il faut arrêter de fantasmer : la couleur des chaussures ou des yeux n'a rien à voir avec ce choix. » Et Hubert L'Hoste, directeur du cabinet de recrutement Mercuri Urval, de renchérir. « Ce n'est pas l'apparence qui compte mais ce qu'un individu projette. On en oublie très vite son physique, son bégaiement ou son mauvais goût vestimentaire. Nos clients n'attendent pas de défilés de mannequins. »

Pas de mains moites ni de pellicules

Reste que, en creusant un peu, recruteurs et autres conseillers en image reconnaissent que le sacro-saint dogme de l'objectivité présente des failles. « L'un de mes clients, examinant les photos de plusieurs candidats, s'est arrêté sur celle d'un homme présentant une calvitie. Il le trouvait intelligent sans jamais l'avoir vu », se souvient Florian Mantione. En insistant, on peut dresser la liste des détails rédhibitoires : des pellicules sur un costume noir, des chaussettes blanches sur des mocassins, des mains moites, un visage trop luisant, un regard de biais… Dans son appartement-cabinet de relooking, entourée d'échantillons de tissus et de pinceaux de maquillage, Hélène Choumiloff, directrice de l'agence Look Conseil, milite pour que cesse l'hypocrisie. « À force de marteler aux jeunes qu'ils doivent rester eux-mêmes, on en fait des rêveurs. Et ils se plantent. On doit parfois leur expliquer de retirer leur Walkman pour rencontrer un recruteur. » Car, en dépit d'un discours très tendance axé sur l'épanouissement personnel et des pratiques prétendument plus souples tel que le casual friday, mieux vaut rester dans les clous. « Tout est codé. Et plus on monte dans la hiérarchie, plus c'est redoutable », poursuit cette ancienne journaliste financière diplômée de psychologie qui voit défiler des cadres dont la carrière patine, soucieux de faire un « bilan d'image » pour redémarrer. Christine Cavel de Courcy, dirigeante d'Egostyle, a fait le même constat à propos d'une consultante du cabinet Price-waterhouseCoopers, sur le point d'être promue associée. « Certains dirigeants mettaient un veto à cette promotion, sans mettre en cause son professionnalisme. Mais ils la trouvaient négligée. Des clients avaient fait des réflexions sur ses vêtements vieillots, pas toujours nets… »

Aux as du relooking d'agir. « On nous demande de remettre dans le ton ceux qui se sont échappés des normes de l'entreprise », résume Marie Casel-Douëzy, responsable du cabinet Image de marque. Comme cette directrice générale d'Indosuez, 45 ans, qui se pare les mains de henné. Ou ce directeur général, énarque, qui ne trouve rien de plus seyant pour accompagner ses costumes marron que des chemises mauves… à en donner la nausée à son président… ! La recruteuse Maryvonne Labeille connaît, elle aussi, la gamme des petits riens qui vous trahissent socialement. « Un patron a du mal à prendre de front un salarié pour lui dire qu'il le trouve provincial. À nous de faire passer les messages délicats : glisser à tel commercial que ses cravates ou sa chevalière ne sont pas du meilleur effet. »

La pression pèse aussi sur les patrons. Egostyle fait des bilans approfondis d'image avec les hauts dirigeants. « Quand un directeur général de banque, en costume à fines rayures et chaussures en crocodile, vous résume ses trois valeurs, simplicité, proximité, convivialité, il y a de quoi faire ! Son image est à l'opposé de son message. » Lionel, un centralien de 36 ans propulsé directeur général d'une PME spécialisée dans les verres ophtalmiques, n'a pas souri aux conclusions de son bilan d'image. « Quand je partais en rendez-vous avec mon directeur de vente, plus grand de 15 centimètres, plus âgé et plus corpulent que moi, automatiquement, le client se tournait vers lui. J'ai compris qu'il fallait corriger ce qui perturbe l'image. Fini la mallette en fer qui ne fait pas directeur et les mains non manucurées », commente ce jeune patron qui a revu attitude et garde-robe. Depuis qu'il a endossé les codes de son nouveau milieu, il se trouve plus efficace en négociation. Il l'a constaté aussi quand il a relooké sa force de vente : après avoir abandonné chemise à carreaux et cravate fantaisie, un de ses commerciaux a boosté ses résultats et son chiffre d'affaires, prenant la deuxième place au tableau d'honneur des vendeurs.

L'ANPE joue les conseillères en image

Les entreprises recherchent une cohésion dans l'image globale », reprend Marie Casel-Douëzy. Les cabinets d'outplacement comme les grandes écoles (Essec et Sciences po) l'ont bien compris et font bénéficier leurs clients ou leurs élèves des services de spécialistes. Même l'ANPE joue les conseillères en image. Et propose, depuis 1999, aux chômeurs de longue durée un atelier « Communiquer par son image ». On y apprend à analyser la manière dont on est perçu et à décrypter la culture et les valeurs des entreprises en se plongeant dans leurs plaquettes ou en allant observer les sorties de bureau. « Si un jeune, en jean et baskets, veut intégrer IBM, il lui faut accepter les codes, notamment vestimentaires. À l'issue du module, le candidat doit mieux se connaître et cibler les entreprises lui correspondant. Dans les autres cas, il s'adaptera et acceptera d'autant mieux les contraintes qu'il en aura conscience », indique Nathalie Jouquan, de l'agence ANPE d'Aulnay-sous-Bois.

Certains candidats, stimulés par les images que renvoient télés et magazines éminins, n'attendent pas d'être incités par les recruteurs à se relooker, voire à passer entre les mains d'un chirurgien esthétique. Et les hommes ne manquent pas à l'appel. À raison de 2 500 euros la séance, ils ne reculent plus devant une greffe folliculaire. Adieu la calvitie, synonyme de coup de vieux.

Quant aux entreprises, si elles restent très discrètes sur les critères d'apparence, elles n'en recourent pas moins aux services des agences de relooking. Hôtesses, standardistes et commerciaux sont les premiers à y avoir droit. La Cegos organise même des formations interentreprises au cours desquelles une esthéticienne prodigue ses conseils. Depuis un an, un stage d'estime de soi, davantage orienté sur l'intériorité mais qui « rejaillit aussi sur le physique », a été mis en place. Chez TotalFinaElf, gérants et gérantes de station-service se refont une beauté. « Les jeunes ne voulaient plus porter l'uniforme, souligne Michèle Lourmière, directrice d'Idea Communication, agence lyonnaise de relooking. Les vestes en laine faisaient sac et les jupes informes ne mettaient pas en valeur. » En deux coups de ciseaux – les retouche sont à la charge du pétrolier – elle a remodelé l'uniforme. Des épaulettes par-ci, une taille ceintrée par-là, une jupe plus fuselée, et le tour est joué. Elle est aussi sollicitée par les entreprises pour donner une série de conseils sur l'hygiène (cheveux sales et ongles en berne font mauvaise impression) ou sur le maintien.

Sur le recours à la morphopsychologie, la discrétion est plus encore de rigueur. Des entreprises comme Air France, Leroy Merlin, Afflelou, Euro RSCG ou encore la SNCF ont pourtant tenté l'expérience. Ne serait-ce que pour aider leurs cadres à mieux négocier avec un interlocuteur dont ils parviennent à décoder les traits du visage (voir encadré page 20). D'autres sociétés vont jusqu'à l'utiliser pour départager les candidats, « en fin de recrutement ». Certains morphopsychologues proposent même, avant une acquisition d'entreprise, un véritable audit managérial de la direction. Au-delà de ces pratiques extrêmes, il y a des signes qui ne trompent pas. À commencer par les fameuses demandes de photo à joindre au CV. « C'est plus commode pour se souvenir des gens », commente pudiquement Florian Mantione. Jugée discriminatoire, cette pratique est en tout cas interdite dans les pays anglo-saxons où, pour les mêmes raisons, les CV n'indiquent ni l'âge ni le sexe. « Il faut limiter tout lément subjectif qui pourrait éliminer votre candidature », prévient le site de recrutement icijob.com. « Tout dépend du recruteur, de son humeur. Si le conseiller ANPE n'est pas en contact avec l'employeur pour défendre le candidat, une photo peut lui être préjudiciable. On le remarque assez souvent. Mieux vaut parfois éviter d'en joindre une au CV », commente Nathalie Jouquan, animatrice d'équipe dans une agence locale de l'ANPE.

À trop vouloir coller à l'image du poste, de l'entreprise ou du secteur d'activité, les salariés se fondent dans un véritable moule. Il suffit de déambuler dans les bureaux paysagers de Publicis, d'observer les vendeurs de H & M ou de croiser les consultants d'Andersen pour découvrir des tribus clairement identifiables. « Lorsque j'ai été recrutée chez Andersen, j'ai été frappée par le nombre de gens agréables à regarder, bien fringués, jeunes, explique une consultante. On croise rarement une personne qui dépareille. » Chemise bleue et cravate pour les IBMers, cols amidonnés et costumes croisés pour les banquiers, tee-shirts techno et coupe à la Beatles pour les créatifs, élégance décontractée pour les journalistes de la chaîne LCI… Difficile de trouver une femme – et plus dur encore, un homme – de plus de 30 ans derrière les bureaux d'accueil. Plus le boulot est exposé, plus l'archétype est fort. Les entreprises se justifient par le sempiternel discours sur les besoins de la clientèle ou la nature de l'activité. Mais où s'arrête le bon sens et où commence la discrimination ? Éviter de recruter un candidat de 140 kilos pour un emploi de pompier se conçoit. Lui refuser un poste sous prétexte qu'il va rencontrer des fournisseurs, beaucoup moins. Chez Air France, régulièrement, des hôtesses de l'air se plaignent des pressions de leur hiérarchie au premier kilo de trop. « Il n'y a pas de vrais critères physiques annoncés lors du recrutement, hormis l'âge et la taille. Mais le poids est un élément important. D'ailleurs, il faut envoyer une photo en pied lors des premières phases de sélection. Les candidats à l'obésité ne seront pas retenus », note Farid Belcacem, délégué CGT du personnel navigant commercial de Roissy.

Jeunes et jolies de préférence

Traînée devant les tribunaux pour avoir favorisé l'embauche de jolies et jeunes femmes au détriment de stewards, la compagnie Brit Air s'est retranchée derrière cet argument : « Les clients, et surtout les hommes d'affaires, aiment ça. » Les juges du TGI de Morlaix ne l'ont pas entendu de cette oreille et ont condamné l'entreprise. Mais la plupart des dossiers de discrimination n'atterrissent pas sur les bureaux des magistrats. Seules quatre affaires ont défrayé la chronique ces dernières années : la postière recalée pour obésité, la candidate à l'entrée dans la police (92 kilos pour 1,72 mètre) exclue à la suite d'une visite médicale, l'esthéticienne souffrant d'acné persistant licenciée après seize ans de bons et loyaux services. Ou encore Sylvie, 42 ans, 100 kilos, contractuelle de l'Éducation nationale, congédiée sans préavis du lycée Utrillo de Stains (Seine-Saint-Denis), où elle était agent d'entretien, juste avant sa titularisation. Il a fallu une grève pour qu'elle soit réintégrée.

Ce faible nombre de procès s'explique aisément. Les salariés se placent souvent d'eux-mêmes sur la touche. Sur les 30 salariées du magasin Marks & Spencer de Belle-Épine (Essonne), seules trois ou quatre anciennes ont accepté d'aller travailler chez H & M. « Officiellement, toutes celles qui le souhaitent, jeunes ou vieilles, grosses ou minces, bien ou mal fringuées, ont la possibilité d'être intégrées. Mais vous imaginez des vendeuses de 40 ans et plus travailler avec des minettes filiformes de 20 ans ? » interroge Djamila Zenadi, ex-salariée et ex-déléguée syndicale CGT de la chaîne britannique. Les salariés sont sans illusions. Selon un sondage réalisé par Ipsos pour Rebondir, en 2001, à niveau de formation et de compétences équivalent, les plus de 50 ans sont les plus pénalisés. Pour 58 % des sondés, ils ont le moins de chances d'être recrutés, juste devant les handicapés physiques (49 %). 34 % estiment, enfin, que les obèses ou les personnes de très petite taille seraient désavantagés, plus encore que les homosexuels (26 %). C'est ce type de dysfonctionnements qu'est censé combattre la loi de lutte contre les discriminations, votée le 16 novembre dernier.

Peu de cas devant les prétoires

Pour la première fois, un texte inclut, outre les motifs liés à l'âge, au sexe et aux orientations sexuelles, un volet sur l'apparence physique. Mais les observateurs doutent qu'un salarié aille afficher une blessure personnelle devant les prétoires. Et qu'un délégué syndical le convainque de monter au créneau sur ce thème. « Nous ne sommes pas dans un conflit traditionnel employeur-employé. Les salariés aussi participent au phénomène de discrimination. Il faudra donc trouver des appuis parmi eux », observe Michel Caron, secrétaire national CFDT chargé du dossier. « Nous ne sommes jamais saisis de ce type d'affaires, constate Hélène Steinberg, inspectrice du travail à Paris. Déjà, les conflits liés à la discrimination à l'embauche sont rarissimes. » Et cela en dépit des lois sur la protection des libertés individuelles votées en 1992. Les délégués du personnel ont, depuis, tout pouvoir d'alerte. Mais rien n'a bougé.

Sans compter que, sauf à expérimenter le testing lors des recrutements (à l'instar de celui pratiqué par le Mrap pour l'accès des jeunes beurs aux boîtes de nuit), la preuve n'est pas facile à apporter. « La discrimination liée au physique est délicate à prouver. Mais on va rebondir sur cette loi pour défendre des cas de harcèlement dont elle est une composante », souligne Philippe Ravisy, avocat en droit social et spécialiste du harcèlement. « Très souvent, ce facteur se combine avec d'autres, qu'ils soient raciaux ou sexuels », renchérit Monique Bossier, spécialiste de la discrimination à la CGT, syndicat qui vient de lancer une campagne de sensibilisation sur le sujet. Encore faut-il que la société civile s'en saisisse. Car, hormis Allegro Fortissimo, une association parisienne regroupant des personnes de forte corpulence, il n'existe pas de relais en la matière. À l'inverse de la kyrielle de mouvements et de structures en lutte contre les discriminations raciales.

Même s'il reconnaît que le processus risque d'être long, Michel Miné, professeur associé à l'université de Cergy-Pontoise, auteur de la Discrimination femme-homme (éditions Rebondir, 2001), compte pourtant sur la nouvelle législation pour remettre en question la légitimité de certains comportements. « Dès qu'on s'interroge sur la nécessité de recruter de jolies jeunes femmes pour tenir des postes de standardistes, on bouscule tous les schémas. Mais peut-on laisser se perpétuer des préjugés sous prétexte qu'ils sont ancrés dans les pratiques ? Dans son contrat de travail, un salarié met à disposition son intellect, ses compétences, mais pas sa personne. » Reste qu'il faudra sans doute quelques procès exemplaires pour inciter les entreprises à prendre des mesures correctrices. « Comme en matière de discrimination syndicale, la négociation collective sera alors la voie la plus appropriée pour traiter de cette question », estime Michel Miné.

Faudra-t-il aller jusqu'à bannir la subjectivité de l'oral et instaurer des concours écrits et anonymes ? « Au moins, à cet égard, la fonction publique est moins discriminante que le privé », souligne Marie-Claude Kervella, secrétaire générale CFDT de la fonction publique. Cela, même si le développement des recrutements contractuels compromet l'anonymat. Toujours est-il que, dans le secteur privé, mieux vaut, pour paraphraser Woody Allen, être grand, mince et bien habillé que petit, gros et mal fagoté.

Le « relooking » fait un tabac
Chasse aux détails, conseils personnels… l'analyse du style gagne l'entreprise

Maîtriser son image, ça s'apprend. Ce mercredi-là, chez DBM, un cabinet parisien d'outplacement, une dizaine de cadres, âgés de 39 à 53 ans, suivent la journée consacrée à l'« image personnelle ».

Au menu de cette séance de « relooking » collectif ? Pas une de ces métamorphoses ébouriffantes comme en concoctent les émissions de TV. Mais un travail sur la cohérence. « La bonne image, c'est l'adéquation entre la personnalité, la fonction et la culture d'entreprise », note la consultante Marie Casel-Douëzy. Bref, c'est l'image d'une personne « directement intégrable » reflétant « modernité et dynamisme ». Chacun présente son projet professionnel avant de se prêter à l'analyse de son style et de sa gestuelle. Traqués, les petits détails qui détonnent : les sourcils non épilés de cette quadragénaire, les boucles d'oreilles en perles de cette directrice marketing, « trop classiques » pour le secteur de la pub où elle se réoriente, le costume « un peu décontracté » de cet ancien directeur dans l'industrie. Les conseils personnels (couleurs à privilégier, vêtements les mieux adaptés à la morphologie, maquillage, coiffure) complètent la séance. « Après dix-sept ans dans la même entreprise, on a oublié l'impact de l'apparence », explique Viviane, qui a apprécié ces conseils « valables sur le plan professionnel et personnel ».

Pas un cabinet d'outplacement, en tout cas, qui ne propose les services d'un conseiller en image. Venu des États-Unis, le relooking gagne doucement le monde de l'entreprise, du personnel d'accueil aux hauts dirigeants, suscitant des vocations à Paris comme en province. À Lyon, Michèle Lourmière, fondatrice d'Idea Communication (séance comprise entre 76 et 458 euros), s'avoue débordée. « Le secteur est en pleine explosion », note cette ancienne interprète d'anglais qui a créé un logiciel de relooking. Mais, pour Marie Casel-Douëzy, d'Image de marque, « le métier est gâché par les coiffeurs et les esthéticiennes qui se sont engouffrés dans la brèche ». Et encore faut-il dépasser les particularismes français. « À la différence des pays anglo-saxons, l'image n'est pas considérée comme un outil en France. Il y a encore beaucoup de réticences », analyse Christine Cavel de Courcy, d'Egostyle, qui a créé un « bilan image » (764 euros HT). À commencer par les syndicats, qui n'apprécient guère de voir le conseil en image financé par le budget formation !

Gare à la morphopsychologie !
Utilisée discrètement par certains groupes, la discipline a la cote chez les coachs

Petit truc de morphopsychologue : observez le triangle formé par les yeux, le nez et la bouche. Plus celui-ci est large, plus votre interlocuteur a de chances d'être ouvert au dialogue. « Mais cela reste un indicateur, plaide Carleen Binet, responsable de l'École française de morphopsychologie. La morphopsychologie ne signifie pas faire des associations simplificatrices : être gros ne veut pas dire être lymphatique. Il y a plus de 40 paramètres à examiner et à combiner. »

Au pays de Descartes, les morphopsychologues marchent sur des œufs et sont régulièrement épinglés en raison des dérives de quelques praticiens. Souvent assimilée à une escroquerie, cette discipline qui légitime la corrélation entre traits physiques et traits de caractère n'arrive pas à se départir de son odeur de soufre. Et pourtant, « nous avons exclu des membres qui ne respectaient pas notre code de déontologie », martèle Martine Boulard, présidente de la Société française de morphopsychologie (SFM), forte de 1 500 médecins, psychologues ou coachs. « Nous nous interdisons de faire l'analyse morphologique d'une personne sans son autorisation. Toute intervention en matière de recrutement est donc exclue. Et, si nous intervenons en entreprise dans le cadre de stages, nous exigeons la signature d'un contrat tripartite. »

Des sociétés aussi connues que Bouygues, Air France ou Thomson y auraient cependant déjà fait appel. Mais inutile de chercher un recruteur qui en parle. « La morphopsychologie reste peu utilisée pour le recrutement et ne se développe pas », relativise Jean-Paul Juès, ancien DRH et membre de la SFM. Si Carleen Binet intervient en entreprise, c'est pour former les cadres à évaluer leurs collaborateurs, voire leurs clients. Reste que certains groupes lui demandent, sous le sceau du secret, de faire des « audits managériaux » lors de fusions. « Les entreprises, quand elles constituent de nouvelles équipes, ont tendance à s'entourer des mêmes personnes. Je suis obligée de bousculer leurs préjugés et de leur montrer que des personnes différentes peuvent beaucoup leur apporter. »

En tout cas, affirment les spécialistes, la discipline rencontre un engouement croissant parmi les coachs en entreprise. Une corporation en plein boom, à la différence de celle des morphopsychologues !

Le public aussi
À La Poste ou à la SNCF, il faut plaire au client

Les élèves plus indulgents que les clients ? Depuis que Virginie s'est réorientée vers l'enseignement, convaincue de l'impossibilité de concilier surpoids et fonctions commerciales, elle n'a « jamais » subi les quolibets de ses classes.

« Les élèves ne jugent pas sur l'apparence. Pour eux, vous êtes une fonction », assène cette professeur de vente, 125 kilos, qui exerce dans un lycée de la région parisienne. La fonction publique serait-elle le meilleur refuge contre les diktats de l'image et la subjectivité des employeurs ? “Les concours écrits restent la forme la plus démocratique de recrutement”, martèle Bernard Lhubert, le leader des fonctionnaires CGT. Mais le bastion public, jusqu'alors préservé par ses mécanismes atypiques d'embauche et d'avancement, n'est plus si imperméable à la subjectivité. Cela en raison du développement des recrutements hors concours. « C'est la voie ouverte à tous les dérapages. Le recruteur est susceptible de faire un tri selon ses propres critères. » Dans le secteur public, en tout cas, les salariés voient changer les profils à mesure que grandit la population des agents contractuels. À La Poste, les conseillers financiers, contractuels à plus de 50 %, portent majoritairement la jupe. Portrait ? « Beaucoup de femmes, la trentaine, en général mignonnes et bien sapées », commente Françoise Jibellino, de la CGT PTT. Et, note-t-elle, plus La Poste entre sur la scène concurrentielle, plus le phénomène s'amplifie. « Quand La Poste s'est lancée dans le conseil financier, elle a recruté les meilleurs. Après, il y a eu pléthore de candidats et donc une sélection implicite. D'ailleurs, les animateurs de vente leur répètent souvent : « Il faut plaire à la clientèle, être appétissant ». » Pas de recrutement orienté chez nous, plaide la SNCF. En revanche, on y peaufine l'image des cheminots. Depuis 1998, les 25 000 agents de gare, personnels d'accueil et vendeurs ont eu droit à un relookage. Blazer-cravate ou blouson : le port de la tenue est désormais obligatoire. Mieux, une formation « image de soi » est proposée. Une journée à se faire dorloter entre les mains d'une spécialiste des couleurs, d'une maquilleuse et d'une coiffeuse visagiste. « Changer la tenue n'a aucun sens si cela ne s'accompagne pas de conseils, commente Vincent Occhipinti, responsable national de la tenue des agents des gares. L'entreprise améliore ainsi et modernise son image. » Le secteur privé n'est plus le seul à répondre aux sirènes de l'image.

États-Unis : la beauté rapporte gros
Que le « lookism » affecte les carrières est un fait reconnu que la loi ignore

Steve Jeffes, 100 kilos, a été victime de son poids. Manager dans un atelier de fabrication, il a vu régulièrement des personnes moins qualifiées que lui promues à des postes plus importants. Jusqu'au jour où l'un de ses directeurs lui a avoué qu'il existait dans l'entreprise un préjugé fondé sur les apparences. Aujourd'hui, à 40 ans, il est directeur d'une société de consultants en systèmes informatiques, en Floride.

« Un poste moins exposé physiquement, admet-il. Mais encore l'autre jour, lors d'entretiens dans le cadre de mon travail, j'ai entendu les directeurs d'une usine se féliciter d'avoir une équipe de managers non seulement plus performante que la concurrence, mais aussi composée de personnes bien plus attrayantes. Ils ne risquent rien à l'affirmer : cette forme de discrimination physique salariale est l'une des dernières à ne pas être pénalisée. »

À quelque chose malheur est bon. Jeffes a publié en 1998 un essai, Appearance is everything, qui s'est vendu à 50 000 exemplaires. « Les personnes au physique agréable ont entre deux et cinq fois plus de chances d'être embauchées ; celles à l'allure disgracieuse, deux à quatre fois plus de risques de perdre leur emploi », affirme-t-il. Et ce, sur la foi de centaines de témoignages qu'il recueille encore aujourd'hui, dans l'espoir de faire pression sur le Congrès pour qu'il amende l'Equal Employment Opportunity Act. La loi pour l'égalité devant l'emploi pénalise la discrimination salariale fondée sur le sexe, la race, la religion, la nationalité d'origine depuis 1964, l'âge depuis 1978 et le handicap depuis 1990. Mais, contrairement à la loi française, elle ne tient pas compte de l'apparence, baptisée lookism par les Anglo-Saxons. Le néologisme a fait son entrée officielle en 1999 dans les pages de l'Oxford English Dictionary. Défini comme étant « la discrimination fondée sur l'apparence d'un individu et sur le style de vêtements qu'il porte », le lookism n'est pour l'instant illégal que dans deux États, Washington DC et le Michigan, et deux municipalités californiennes, San Francisco et Santa Cruz.

« Le lookism affecte chaque aspect de la vie professionnelle aux États-Unis », témoigne Steve Jeffes. Et de citer l'exemple de cet homme, vice-président d'une importante société de confection, diplômé de Harvard, qui s'est vu refuser toute nouvelle promotion à cause de sa taille : 1,75 mètre.

« Ses collègues de travail lui ont expliqué que pour rejoindre le sommet du groupe, il fallait mesurer au moins 1,80 mètre. » Exagéré ? Il y a vingt ans, une étude démontrait déjà que plus de la moitié des P-DG des 500 entreprises américaines les plus florissantes, classées par le magazine Fortune, mesuraient 1,83 mètre ou plus. En 1994, David Blanchflower, chercheur à l'université de Dartmouth (New Hampshire), a établi à partir d'une population témoin de 6 000 étudiants que lors de leur premier emploi, ceux de grande taille gagnaient déjà 2 % de plus que les autres.

Être conforme aux canons de beauté en vigueur aux États-Unis peut donc rapporter gros. Jusqu'à 3 600 dollars de plus par an, selon Daniel Hamermesh, économiste à l'université du Texas. L'une de ses études, « Beauty and the Labor Market », réalisée en 1993 avec Jeff Biddle, montre que la beauté est une matière première : les personnes considérées comme séduisantes gagnent 5 % de plus que celles d'apparence moyenne, qui gagnent pourtant déjà 10 % de plus que celles jugées laides. Sur une période de quarante-cinq ans, la différence de revenus peut atteindre 150 000 dollars. Inversement, être gros coûte cher. John Cawley, de l'université Cornell (New York), a établi qu'une femme blanche pesant 30 kilos de plus que la moyenne gagne en moyenne 7 % de moins.

« L'apparence physique est primordiale lors d'un entretien d'embauche, reconnaît un recruteur de l'agence Ardelle Associates, à Washington. Surtout dans le domaine de la vente, où les entreprises recherchent des personnes qui doivent plaire aux consommateurs. » Les méthodes de recrutement deviennent de plus en plus sophistiquées : certaines firmes envoient des questionnaires avant l'entretien et ciblent les activités lycéennes ou universitaires des postulants. Connaissant les impitoyables critères de beauté en vigueur dans le milieu étudiant américain, une personne qui s'est fait élire chef de classe ou capitaine d'une équipe de football a certainement été tout autant choisie pour son look que pour ses talents de rassembleur.

« Les entretiens d'embauche sont généralement conduits par de jeunes hommes qui préfèrent s'entourer de belles femmes », regrette Dolores Graham, qui, à 56 ans, n'a pas hésité à se faire faire un lifting pour retrouver un emploi de secrétaire. Une pratique fréquente outre-Atlantique. En 1992, le chirurgien esthétique Sheldon Rosenthal, installé en Californie, estimait que 40 à 50 % de ses patients venaient le consulter pour des raisons professionnelles, « souvent des secrétaires de direction, exposées dans leur travail au public ». Dix ans après, le constat reste d'actualité.

Sylvie Deroche, à Washington

Auteur

  • Anne Fairise, Sandrine Foulon