logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Débat

Que penser de la réforme du licenciement pour motif économique ?

Débat | publié le : 01.03.2002 |

Le volet licenciement économique de la loi de « modernisation sociale » a laissé quelques plumes (notamment une définition très restrictive du motif économique) lors de son passage devant les Sages du Conseil constitutionnel. Les décrets d'application sont attendus pour la fin du mois ou le début avril. Quel jugement porter sur ce texte élaboré dans une certaine fébrilité ? L'avis de trois professeurs de droit.

« De ce magma de textes se dégagent plusieurs objectifs dont l'opportunité est discutable. »

FRANÇOISE FAVENNEC-HERY Professeur de droit à l'université Paris II (Panthéon-Assas).

Fallait-il réformer un droit du licenciement économique qui avait trouvé un certain équilibre au fil d'une construction jurisprudentielle de plus de dix ans ? On peut en douter. D'un magma de textes enchevêtrés se dégagent plusieurs objectifs dont l'opportunité est discutable.

La loi cherche d'abord à peser sur la décision du chef d'entreprise. Elle le fait en proposant une définition restrictive de la cause de licenciement, déclarée inconstitutionnelle car contraire à la liberté d'entreprendre. La même idée inspire des dispositifs conférant des pouvoirs au CE et au médiateur en amont de la décision de restructuration : information du CE en cas d'annonce publique d'une mesure affectant les conditions de travail ou d'emploi, pouvoir d'opposition du CE et de saisine du médiateur face à un projet de cessation d'activité entraînant la suppression d'au moins 100 emplois. Dans ces deux hypothèses, l'idée d'un contrôle a priori est sous-jacente. Que devient la jurisprudence SAT distinguant la cause du licenciement soumise au contrôle du juge et le choix de la solution économique laissé à l'appréciation de l'employeur ? Exit… Que penser également de la double consultation du CE, l'une sur le projet de restructuration, l'autre sur ses conséquences ? À séparer ainsi les deux phases de son intervention, ne risque-t-on pas de substituer un formalisme encombrant à une concertation fructueuse ? La concomitance, tolérée par le juge, des consultations sur la base du livre IV et du livre III du Code permettait d'obtenir un équilibre entre le respect de la mesure économique envisagée et les exigences qualitatives du plan social. Cela risque d'être compromis par une séparation trop rigide.

La loi confère ensuite au CE une fonction de contre-pouvoir. Quel rôle reste-t-il alors au syndicat ? En cas de saisine du médiateur, celui-ci peut formuler une recommandation qui, acceptée par les deux parties, emportera les effets juridiques d'un accord collectif. Nulle trace de l'intervention d'un syndicat dans cette « négociation ». De même, si la procédure est défaillante, c'est le CE qui peut en obtenir la suspension par le juge des référés et qui sera à nouveau consulté sur le plan de sauvegarde de l'emploi, à la suite du constat de carence de l'administration. À accroître les pouvoirs du seul CE au détriment du syndicat, n'hypothèque-t-on pas la possibilité de conclure un accord collectif sur le plan, solution pourtant pratiquée chez certains de nos voisins ?

La loi veut enfin renforcer les obligations de l'employeur. Mais le principe du reclassement préalable à tout licenciement a un air de déjà-vu et l'exigence d'une négociation d'un accord sur la RTT avant l'établissement d'un plan sera bientôt sans objet : les 35 heures ne sont-elles pas devenues la référence légale pour toutes les entreprises ? Seules les dispositions visant à compléter la liste des mesures du plan de sauvegarde de l'emploi auront une réelle portée. Et le texte innove au niveau des sanctions : outre la reprise de la jurisprudence Samaritaine, il prévoit notamment la suspension, puis éventuellement la nullité de la procédure par le juge des référés à défaut de négociation d'un accord RTT.

Immixtion dans le pouvoir de gestion de l'employeur, pesanteur de la procédure, reprise de solutions connues, la loi n'aurait-elle de moderne que le nom ?

« Le législateur favorise des rapports belliqueux entre l'employeur et le CE. »

PAUL-HENRI ANTONMATTEI Professeur de droit à la faculté de Montpellier et directeur du Laboratoire de droit social.

Exaspérant ! Prenez le volet relatif au licenciement économique de la loi de modernisation sociale, soumettez-le à l'expertise de juristes en droit social, et vous obtiendrez des dizaines d'interrogations, des réponses différentes, des incohérences. Une nouvelle fois, avant même de se prononcer sur le contenu d'une réforme, on est conduit à dénoncer l'incurie du législateur. Décidément, ce dernier ne comprend plus l'importance de la clarté et de la lisibilité de la règle de droit. Voilà donc les acteurs attendant avec impatience la ou les circulaires pour tenter de dissiper les doutes. Belle application de la hiérarchie des sources !

Une fois le cri de la colère passé (mais pas celle-ci), que penser du contenu de la réforme qui tantôt privilégie le copier-coller jurisprudentiel et tantôt innove ? Après la légitime censure de l'article 107 de la loi qui nous évite de discuter d'une définition anachronique du motif économique de licenciement, retenons quelques observations.

Manifestement, le législateur manque de sens pratique. Par exemple, comment, en vingt et un jours, tenir deux réunions du CE, avec l'établissement d'un rapport de l'expert-comptable remis huit jours avant la seconde réunion, la formulation de propositions alternatives du CE et la réponse motivée de l'employeur à ces dernières ? : c'est Astérix et Obélix : mission Cléopâtre ! Quid de la réunion du CE dans les quarante-huit heures qui suivent l'annonce publique de l'article L. 431-5-1 al. 1 du Code du travail, lorsque cette annonce est faite un vendredi à 17 heures ? Que dire aussi de la séparation drastique des procédures du livre IV et du livre III, dont le caractère artificiel sera vite démontré ?

Plus grave sans doute. En créant un droit d'opposition, en confortant le rôle du juge des référés, en étendant la menace du délit d'entrave, le législateur favorise des relations belliqueuses entre l'employeur et le CE. Plutôt que d'organiser des rapports fondés sur la négociation, on continue d'évoluer dans le culte de l'affrontement et du judiciaire en « armant » les protagonistes. Ce n'est pas ainsi qu'on favorisera la responsabilité des acteurs, qui est pourtant nécessaire à tout exercice de prérogatives économiques. Regardons, pour s'en convaincre, les pratiques de certains de nos partenaires européens.

Déplorons, pour finir, que le législateur ait méprisé les partenaires sociaux. Dommage, d'autant qu'une réforme du licenciement économique est nécessaire tant notre réglementation, véritable « mille-feuille de textes et de jurisprudence », n'offre pas une lisibilité et une sécurité juridique suffisantes. Gageons que les partenaires sociaux qui, dans le passé, ont su se retrouver afin de négocier sur l'emploi comprendront bien la nécessité de corriger la mauvaise copie législative pour réaliser une vraie modernisation sociale. Enfin, dans cette période d'effervescence électorale qui amène de nombreux candidats à prôner, à juste titre, un renforcement de la démocratie sociale, il est bon de rappeler que les actes sont toujours préférables aux discours.

« Ce sont moins les objectifs du texte que son côté amateuriste qui sont critiquables. »

PIERRE-YVES VERKINDT Professeur de droit à l'université Lille II.

Avec le temps et au fil des ajouts et retraits apportés au projet initial, la loi de modernisation sociale est devenue une sorte de monstre juridique. Sa complexité et son caractère illisible, qu'elle partage d'ailleurs avec d'autres textes récents, révèlent un déficit démocratique préoccupant. Cette situation paraît d'autant plus dommageable que les enjeux étaient importants, s'agissant notamment des dispositions relatives au travail et à l'emploi et plus particulièrement de celles concernant les licenciements économiques. La question cruciale des licenciements pour motif économique méritait mieux que ce salmigondis législatif mal maîtrisé. Si l'argument de l'atteinte à la liberté d'entreprendre pour annuler l'article donnant du licenciement économique une nouvelle définition paraît discutable, le principe même de l'annulation est une bonne chose. La Cour de cassation était parvenue à donner à la définition de l'article L. 321-1 un contenu équilibré. Le texte adopté par le Parlement ressemblait à une sorte de mauvais copier-coller de la jurisprudence, de nature à engendrer un contentieux nourri préjudiciable aux salariés comme aux entreprises. Pour le reste, les dispositions relatives au plan de sauvegarde de l'emploi (contenu, contrôle et critères du contrôle) vont dans le bon sens. Elles ne gêneront que les employeurs tentés de faire passer en force des plans construits sur une base minimale. Les exigences relatives au reclassement ou au renforcement de l'information et du rôle des institutions représentatives du personnel étaient nécessaires, même si une écoute plus attentive des organisations syndicales et des employeurs sur les pratiques d'ores et déjà à l'œuvre aurait permis d'éviter de monter pareille usine à gaz, à laquelle personne n'a au fond intérêt. Que le chef d'entreprise ait l'obligation d'informer le CE préalablement à toute annonce publique de nature à affecter les conditions de travail et d'emploi n'est pas choquant. Il n'y a aucune raison objective pour exclure la collectivité de travail des informations dont disposent par ailleurs les autres composantes de l'entreprise. Quand le législateur rappelle les exigences en matière de reclassement, il est dans son rôle, même si la formule selon laquelle le licenciement ne peut intervenir que lorsque « tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés » risque d'engendrer des interprétations très divergentes des juridictions du fond. Enfin, le renforcement du rôle des institutions représentatives du personnel, et en particulier du CE, paraît judicieux en son principe. Il aurait cependant mérité d'être traité pour lui-même et plus sérieusement. Le souci de réforme aurait pu conduire à une remise à plat de la question, s'agissant notamment de la combinaison des livres III et IV du Code du travail. Au lieu de cela, on a voulu dans l'urgence ajouter de nouvelles dispositions à un édifice dont la cohérence n'était pas évidente, au risque de déséquilibrer un peu plus le système. L'apparition d'un droit d'opposition du CE et le recours au médiateur alourdissent un peu plus une procédure, tout en affectant sa lisibilité. Bref, le reproche que l'on peut faire au nouveau texte tient moins à ses objectifs qu'à l'impression terrible et coûteuse d'« amateurisme » qu'il laisse à l'observateur.