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Vie des entreprises

Jean-Martin Folz, l'anti-Calvet

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.06.1999 | Thierry Roland

La politique sociale était le gros point noir du règne de Jacques Calvet. En dix-huit mois, son successeur a signé trois accords sur le droit syndical, l'intéressement et les 35 heures, harmonisé les statuts entre Peugeot et Citroën et replacé les ressources humaines en première ligne.

Le 1er octobre 1997, Jean-Martin Folz prenait officiellement la présidence du directoire de PSA Peugeot Citroën. La veille au soir, après quatorze ans d'un règne sans partage, Jacques Calvet avait quitté son bureau sans commentaire, sans un adieu à ses plus proches collaborateurs, en évitant soigneusement le traditionnel pot de départ. Vingt mois seulement après ce pénible passage du témoin, la métamorphose du groupe automobile est spectaculaire. Question d'ambiance tout d'abord. Calvet, qui impressionnait toujours ceux qui l'approchaient, utilisait volontiers son autorité naturelle pour exercer le pouvoir de manière absolue, prenant les décisions seul derrière une porte close. Folz, lui, est accessible. Cet homme au sourire facile décloisonne, sait mettre les gens à l'aise et travaille en équipe, même s'il ne se dérobe jamais lorsque vient le moment de trancher.

Il serait d'ailleurs dangereux de se fier aux apparences et de traiter à la légère ce pur produit du corps des Mines, un bourreau de travail qui arrive à 6 h 30 avenue de la Grande-Armée, pour n'en repartir qu'à 21 heures, parfois beaucoup plus tard. « Calvet était en réalité un faux dur et Folz est un faux mou. Le climat est beaucoup plus convivial, beaucoup plus spontané et détendu qu'auparavant, c'est vrai. Mais en termes d'exigence et de quantité de travail, c'est pire », analyse l'un de ses plus proches collaborateurs, qui sait de quoi il parle.

Cette belle énergie, Jean-Martin Folz l'a utilisée pour restructurer le groupe de fond en comble, mettant fin à l'autonomie des deux sociétés Peugeot et Citroën pour réunir sous un même toit la quasi-totalité de leurs fonctions : l'outil de production, la recherche et le développement, la qualité, l'innovation et, bien sûr, les ressources humaines, qui ne comptaient pas moins de trois directions distinctes (Peugeot, Citroën et la holding PSA). Partout, l'ampleur du changement est impressionnante. Mais c'est dans le domaine des relations sociales et de la gestion des hommes que la rupture est sans doute la plus profonde et la plus spectaculaire par rapport à l'époque précédente.

1 UN DIALOGUE ENFIN RENOUE AVEC LES SYNDICATS

Sous Calvet, le point le plus noir de la politique sociale de PSA était sans nul doute le dialogue entre la direction et les syndicats. Ou, plutôt, l'absence de dialogue. « De 1970 à 1985, nous avons vécu la répression syndicale pure et dure, raconte Vincent Bottazzi, basé à l'usine Peugeot de Mulhouse, mais délégué central CFDT pour l'ensemble du groupe. Depuis 1985, la direction gérait le mécontentement usine par usine, sans jamais proposer de solutions globales, comme le conflit de Sochaux l'a montré en 1989. Sa stratégie consistait à diviser pour mieux régner, en s'appuyant sur la CSL chez Citroën et sur l'alliance CGC-FO-CFTC chez Peugeot. Si l'on ajoute à cela l'effet des plans sociaux successifs qui ont décimé nos rangs (NDLR : le groupe a supprimé près de 23 000 postes dans sa division automobile au cours des dix dernières années), on comprend mieux pourquoi la CFDT ne représente plus que 7 % des voix aux élections des délégués du personnel, contre plus de 30 % dans les années 80. »

Avec plus de 21 % des voix aujourd'hui, la CGT s'en sort mieux. Il est vrai que les positions radicales de la centrale de Montreuil correspondaient mieux au climat tendu qui continuait à régner dans l'entreprise juste avant l'arrivée au pouvoir de Jean-Martin Folz.

« Nous étions clairement enfermés dans une logique d'affrontement », admet Jean-Louis Silvant, à la fois DRH et directeur industriel.

« Mais n'exagérons rien. Sur le terrain, dans les sites, le dialogue existait et la vie sociale s'organisait », ajoute-t-il immédiatement. « C'est exact, je peux en témoigner, appuie Alain Hamm, qui dirige l'usine Citröen d'Aulnay-sous-Bois, dans la banlieue nord de Paris. Ce qui a vraiment changé, c'est que le président s'implique personnellement dans le dialogue social, à la grande surprise des syndicats. »

Dès sa prise de fonctions, il y a un an et demi, le nouveau maître de PSA a tenu à rencontrer les délégués centraux des principaux syndicats, ce que son prédécesseur n'avait jamais fait. Depuis peu, il rencontre également les organisations syndicales des différents sites industriels, sur lesquels il se rend une ou deux fois par mois. « Jean-Martin Folz était hier dans nos murs, confirme Vincent Bottazzi à Mulhouse, et il est venu nous parler très simplement, sans sujets tabous, et en acceptant la contradiction. Avec Jacques Calvet, une telle chose était impensable. » Le 15 juillet dernier, cette volonté de normalisation et de réconciliation s'est traduite par la signature d'un accord sur l'exercice du droit syndical, qui clarifie les règles du jeu entre les partenaires sociaux, donne aux délégués du personnel davantage de moyens pour accomplir leur mandat et, surtout, « leur assure un développement professionnel équitable ». Pour Jean-Martin Folz, ce document correspond à un « apurement des séquelles du passé ». Formule pudique, sous laquelle il faut comprendre que le groupe a décidé d'indemniser les victimes de la « répression syndicale » évoquée par Vincent Bottazzi à la CFDT. Carrières bloquées, salaires gelés pendant dix ans ou plus, sanctions systématiques : ces brimades, qui concernaient plusieurs centaines de délégués du personnel dans le groupe, ont fait l'objet de compensations financières conséquentes.

Il est difficile d'obtenir le montant global de ce « rattrapage », le groupe restant discret sur la question. Mais sur le seul site d'Aulnay, l'enveloppe représente plus de 3 millions de francs et s'adresse à une centaine de salariés qui semblent d'ailleurs éprouver quelques difficultés à récupérer leur dû. « Nous avons le plus grand mal à obtenir l'application complète de l'accord du 15 juillet 1998, et les salariés concernés continuent à faire l'objet d'une attitude répressive de la part de la direction, affirme Philippe Julien, délégué CGT de l'usine. D'ailleurs, nous n'avons pas signé ce document car il s'agit à notre avis d'une simple copie du Code du travail, qui servira surtout à encadrer davantage les délégués du personnel. » À Mulhouse, Vincent Bottazzi est lui aussi sans illusions sur le contenu de ce document bien que la CFDT l'ait signé : « Nous avons simplement mis noir sur blanc ce qui aurait dû être la norme depuis longtemps, dit-il. Ce qui a vraiment marqué le renouveau du dialogue social dans l'entreprise, ce n'est pas l'accord sur le droit syndical mais la négociation sur la réduction du temps de travail. »

2 L'EXAMEN DE PASSAGE REUSSI DES 35 HEURES

L'accord-cadre sur la RTT, signé par toutes les organisations syndicales de PSA à l'exception de la CGT, marque sans conteste un tournant dans l'application de la loi Aubry puisque le constructeur automobile a été le premier grand groupe industriel privé à « remettre sa copie ». La réflexion a porté sur tous les sujets : non seulement sur l'organisation du travail, mais aussi sur l'emploi, la formation et la gestion des carrières. À la CFDT, Vincent Bottazzi estime qu'« il s'agit là d'un bon accord, même s'il faut attendre la conclusion des négociations d'application au niveau local pour tirer un bilan définitif ». Côté direction, Jean-Martin Folz lui-même admet que « grâce à l'annualisation, l'entreprise gagne en souplesse et en réactivité, ce qui lui permettra de mieux adapter son offre aux fluctuations de la demande ». Avant d'ajouter, têtu, que « la loi Aubry est un texte désastreux puisqu'il instaure une contrainte qui ne s'applique pas aux concurrents de PSA ». Toutefois, une chose est sûre : « Cette négociation n'a pas précisément été une partie de campagne », comme le dit Jean-Louis Silvant, bien placé pour le savoir puisqu'il a conduit les discussions côté employeur.

Et le dirigeant de rappeler que la négociation a demandé quinze réunions de travail échelonnées entre le 25 septembre 1998 et le 4 mars 1999, jour de la signature définitive, avec un premier projet rejeté massivement par les salariés à la fin du mois de janvier. « Cet accord est techniquement très complexe et nous n'en avons pas suffisamment tenu compte au niveau de la communication interne », tente d'expliquer Jean-Louis Silvant. À la CFDT, Vincent Bottazzi donne une autre version : « Les positions de départ de la direction étaient extrêmement dures. Suppression des primes, flexibilité maximale sans contreparties, absence de compensation des salaires pour les nouveaux embauchés, aucun engagement chiffré en matière d'emploi… Pour un management qui voulait s'offrir une virginité en matière sociale, c'était réussi ! »

Mais Jean-Martin Folz veillait au grain. Le PDG suivait pas à pas l'avancée des négociations, sur lesquelles il avait pris beaucoup de risques en affirmant qu'il en faisait « une affaire personnelle ». « Lorsque nous avons appris le rejet de la première mouture, nous étions au Brésil pour lancer la construction d'une usine, raconte Liliane Lacour, la directrice de la communication. Jean-Martin Folz a immédiatement réagi en demandant que les discussions soient relancées sur la base d'un projet plus clair pour tout le monde. Contrairement à son prédécesseur, il n'est jamais aussi à l'aise qu'en situation de crise. »

Au final, les 92 000 salariés de la branche automobile ne s'en sortent pas mal même si le temps de travail n'est réduit que de 5 %, les pauses étant décomptées (mais néanmoins payées). L'accord prévoit le maintien intégral des rémunérations (base et primes), y compris pour les nouveaux embauchés. L'annualisation s'accompagne d'un droit à deux jours de congés supplémentaires pour les ouvriers et d'une prime de 500 francs l'année de sa mise en place. En cas de travail le samedi matin, le salarié pourra choisir une compensation en salaire (4 % de la rémunération de base) ou en temps (un jour de repos pour deux samedis matin travaillés). Côté emploi, le groupe prévoit 12 500 départs anticipés de salariés âgés de plus de 57 ans, qui seront compensés par des embauches à hauteur d'un tiers, le tout sur cinq ans. Mais, dès cette année, PSA embauchera 5 600 personnes, dont 3 000 devront leur poste à la RTT.

Évidemment, les négociations locales se déroulent dans des climats très différents suivant les sites. « La problématique des 35 heures n'est pas abordée de la même manière à Sochaux, qui a chômé quarante jours l'année dernière, et à Mulhouse, qui a fait le même nombre de samedis supplémentaires travaillés », souligne Jean Tanguy, responsable de la gestion des ressources humaines sous l'autorité de Jean-Louis Silvant. Denis Duchesne, le directeur de l'usine Peugeot de Mulhouse, est un homme très occupé, mais un directeur heureux : « Grâce au succès de la 206, le site fonctionne à pleine charge et nous venons d'augmenter notre volume de production de 20 % pour passer à 9 000 véhicules par jour, se réjouit-il. Pour faire face, nous sommes en train d'embaucher 1 800 personnes et nous avons modifié notre organisation pour travailler six jours par semaine au lieu de cinq, avec une troisième équipe en VSD. La négociation sur la RTT, qui vient se juxtaposer à ce chantier déjà lourd, ne nous facilite pas les choses, mais tout sera prêt en octobre. En tout cas, je suis sûr d'une chose : les salariés n'étaient pas demandeurs. Ce qui les intéresse, c'est leur liberté d'organisation personnelle et leur niveau de rémunération, beaucoup plus que la réduction du temps de travail et l'emploi. »

Jean-Martin Folz et son équipe de direction ont su jouer de ces contradictions pour obtenir un accord qui, selon les propres mots du PDG, « applique la loi mais préserve la compétitivité de l'entreprise ». Traduction, PSA est parvenu à réduire ses concessions au minimum. Encore fallait-il « faire passer la pilule », en jouant sur une carte autrefois négligée, mais devenue maîtresse entre les mains de Jean-Martin Folz : la direction des ressources humaines.

3 LE GRAND RETOUR DES RESSOURCES HUMAINES

Dans l'univers de Jacques Calvet, la DRH était une fonction administrative, dont l'exercice était cloisonné par les différentes entités du groupe. Dans celui de Jean-Martin Folz, il ne s'agit plus d'administrer mais de gérer les hommes, d'organiser le dialogue avec le terrain, de faire passer des messages, de réconcilier ce qui pouvait passer pour des contraires. « Folz essaie toujours de faire la synthèse entre l'économique et le social, entre l'humain et le profit, entre les exigences de compétitivité et le bien-être au travail, développe Jean-Louis Silvant. Dans cette logique, c'est forcément la direction des ressources humaines qui est en première ligne. Pour lui, c'est une fonction vitale, essentielle. C'est pourquoi il m'a confié à la fois les RH et l'industrie dès le lancement de la restructuration, en février 1998. La négociation sur la réduction du temps de travail se profilait déjà et il savait qu'il serait nécessaire d'intégrer ces deux composantes. »

Dans sa permanence CFDT de Mulhouse, Vincent Bottazzi évoque lui aussi un « changement fondamental ». « Silvant était l'homme de la situation pour gérer cette période de transition, affirme-t-il. Pour la première fois, les ressources humaines étaient placées au même niveau que l'industriel. Autre symbole de la volonté d'un renouveau, l'arrivée dans le groupe de Jean-Luc Vergne, qui deviendra DRH de plein exercice à partir de janvier prochain. Encore une fois, c'est une première dans l'histoire du groupe, où les hommes qui occupaient cette fonction venaient toujours du sérail. »

Jean-Martin Folz vient en effet d'embaucher « son » DRH en la personne de Vergne, qui occupait les mêmes fonctions chez Elf Aquitaine. La restructuration du groupe étant bouclée, le besoin d'intégration avec le volet industriel devient moins fort et le PDG peut se permettre d'injecter du sang neuf au sein du comité exécutif (le Comex), qui traduit par ailleurs une grande continuité au niveau des hommes. En effet, Frédéric Saint-Geours et Claude Satinet (les patrons des deux marques, Peugeot et Citroën), Jean Wolff (le directeur technique et achats), Roland Vardanega (le grand ordonnateur de la stratégie de plates-formes communes), Robert Peugeot (en charge de l'innovation, de la qualité et de l'informatique), Yann Delabrière (le directeur financier) et Jean-Louis Silvant faisaient déjà tous partie de l'état-major de Jacques Calvet, et de longue date. En s'appuyant sur Jean Tanguy et Jean-Claude Milcent (le directeur des relations sociales), deux hommes qui connaissent parfaitement la maison, Jean-Luc Vergne va pouvoir aider Jean-Martin Folz à diffuser encore plus largement la nouvelle culture du groupe, basée sur la réactivité, le dynamisme et la direction collégiale.

« Jean-Martin Folz souhaite que toutes les décisions importantes soient prises dans le cadre du consensus au niveau du Comex, qui se réunit chaque semaine, explique la directrice de la communication, Liliane Lacour, qui auparavant jouait davantage le rôle de « chef de cabinet » du monarque Calvet. Tous les mois a lieu le comité des directeurs, qui rassemble les soixante-dix principaux cadres dirigeants du groupe, et c'est nous, à la communication, qui sommes chargés d'élaborer les thèmes de discussion. Le président déteste les mondanités mais, pour PSA, il est entièrement disponible. Il organise une fois par mois un dîner de directeurs et, deux fois par mois, il dîne avec un groupe d'une dizaine de jeunes cadres. »

Bien entendu, cette frénésie de relations publiques n'est pas du goût de tout le monde : « Jean-Martin Folz est simplement plus habile que son prédécesseur, persifle Philippe Julien, le délégué CGT de l'usine Citroën d'Aulnay. Il discute, il écoute, il communique tous azimuts, mais, en réalité, il ne cherche qu'à faire avaliser sa politique. » Peut-être. Toujours est-il qu'au dire de Jean Tanguy, « la direction des ressources humaines a abattu davantage de travail en un an et demi qu'au cours des quatre à cinq dernières années ». Il fallait bien cela pour mettre fin à la fiction des deux sociétés distinctes, qui constituait la pierre d'angle du « management Calvet ».

4 UN SEUL GROUPE, DEUX CULTURES

« L'harmonisation des statuts de Peugeot et de Citroën n'est pas une idée neuve, rappelle Jean-Louis Silvant. Depuis des années, je la proposais à intervalles réguliers à Jacques Calvet, qui m'opposait à chaque fois un refus catégorique au nom de la préservation de l'identité des deux marques. Jean-Martin Folz, au contraire, ne porte aucun jugement de valeur comparatif entre les deux maisons, il n'établit même jamais de parallèle. Aujourd'hui, les deux cultures perdurent au niveau des produits et les services marketing des deux marques ne se privent pas de l'utiliser. Mais il n'y a plus aucun problème pour qu'une usine Peugeot fabrique des modèles Citroën et vice-versa. Il fallait mettre fin à cette forme étrange de schizophrénie et, pour cela, un homme d'ouverture s'imposait à la tête de l'entreprise. »

D'un point de vue juridique et social, la fameuse « harmonisation » a été parachevée au début de cette année en rassemblant l'ensemble des personnels dans une nouvelle structure ad hoc, baptisée PCA (Peugeot Citroën Automobiles). Cette mesure découle directement de l'accord sur la convergence des statuts, signé le 25 juin 1998, toujours avec les mêmes organisations syndicales (CFDT, CFE-CGC, FO et la CSL, qui représentent les trois quarts des voix aux élections professionnelles).

Avant cela, dès le mois de février dernier, le groupe avait commencé à « croiser » les responsabilités managériales. Ainsi, Alain Hamm, le nouveau directeur de l'usine Citroën d'Aulnay, vient de chez Peugeot. Outre la Citroën Saxo, son site fabrique désormais la Peugeot 106, qui sortait auparavant des chaînes de montage de Mulhouse. Au même moment, l'usine Peugeot de Mulhouse recevait pour chef un « Citroën de toujours », Denis Duchesne. « Je me sens complètement à ma place ici, affirme ce dernier. Au niveau cadres, nous avons complètement reconstruit les organigrammes pour nous adapter à la nouvelle structure, et nous l'avons fait d'un seul coup, sous l'impulsion de Jean-Martin Folz. Cette rapidité, qui le caractérise, était indispensable pour insuffler le nouvel esprit de groupe. Aujourd'hui, nous sommes une véritable entreprise unique, dont la plupart des fonctions sont communes. »

En harmonisant les statuts, le PDG s'est-il contenté de régler un simple détail administratif ? « Sûrement pas, répond Alain Hamm à Aulnay. Peugeot et Citroën ne constituaient pas deux mondes à part, mais de nombreuses divergences nous compliquaient la vie. Pour être embauché, un jeune devait être candidat dans les deux maisons et suivre deux parcours distincts. La gestion des carrières, les systèmes de classification, les calculs de coefficients, l'ancienneté, tout cela était traité de façon différente. Chez Peugeot, il y avait plus de jours de congé, chez Citroën davantage de primes. Et, bien sûr, chaque camp avait ses ayatollahs. Au mois de juin, nous aurons pour la première fois des fiches de paie communes, et c'est tout un symbole, même si le “net à payer” ne change pas. »

Comme toujours, les mentalités n'évoluent pas aussi vite que les méthodes, et les salariés de la marque aux chevrons continuent à nourrir un léger complexe d'infériorité par rapport à ceux du lion. « Il reste de grosses divergences entre les deux maisons au niveau du traitement des dossiers sociaux, déplore Philippe Julien, à la CGT d'Aulnay. Chez Citroën, on a souvent l'impression que les « Peugeot » sont mieux traités, que les relations du travail sont moins tendues. » Une impression corroborée par celle de son collègue de la CFDT, Vincent Bottazzi, un « Peugeot de souche » : « Dans les négociations, ce sont toujours les gens de Peugeot qui s'expriment, ceux de Citroën sont beaucoup plus passifs. On sent bien qu'ils n'avaient pas l'habitude du dialogue. »

Pour aplanir ces difficultés et souder les équipes, la direction générale compte sur le temps, mais aussi sur des incitations plus tangibles. Le 25 juin 1998, un accord sur la participation et l'intéressement a été signé pour l'ensemble de la maison. Il prévoit le versement de 3 à 4 % de la marge opérationnelle aux salariés, ce qui représentera 120 millions de francs cette année, et un avenant signé le 11 mai dernier vient encore d'améliorer le système.

Ce n'est pas tout. « La notion de responsabilité individuelle est réhabilitée, avec tout ce que cela suppose en termes de sanction mais aussi de récompense, explique Frédéric Saint-Geours, le patron de la marque Peugeot. Dès cette année, nous avons introduit des éléments de rémunération complémentaires liés au dépassement des objectifs. Pour les cadres, cela peut représenter jusqu'à 1,8 mois de salaire en plus. »

Pour effacer les barrières, la direction compte aussi sur le rajeunissement des effectifs, qui s'effectuera en intégrant une bonne partie des 6 500 intérimaires qui travaillent dans le groupe, dont le gros des bataillons est concentré à Mulhouse. « Nous allons embaucher définitivement 1 200 intérimaires sur un total de 3 200, promet Denis Duchesne, le directeur de l'usine. Chez nous, on ne pratique pas l'intérim Kleenex, 98 % des gens finissent par décrocher un CDI. » Jean-Martin Folz n'est sans doute pas un manager aussi charismatique que Jacques Calvet. Mais il a réussi en dix-huit mois ce que son prédécesseur n'avait pas su faire en une quinzaine d'années : rassembler les 157 000 personnes du groupe autour d'un projet commun.

Entretien avec Jean-Martin Folz
« La loi Aubry ne peut être que négative pour les entreprises soumises à la concurrence internationale »

À 52 ans, Jean-Martin Folz a toutes les apparences d'un chef d'entreprise heureux. Il a de bonnes raisons de l'être. À la tête de PSA Peugeot Citroën depuis près de deux ans, il est enfin maître de sa destinée après une longue succession de postes de numéro deux, dans l'ombre de plusieurs grands patrons français comme Jean Gandois (chez Rhône-Poulenc, puis chez Pechiney) et Didier Pineau-Valencienne (chez Schneider). Sans oublier, bien sûr, Jacques Calvet, pour lequel Folz a travaillé deux ans avant d'assurer la succession. D'autre part, avec 2,3 millions de véhicules produits l'année dernière (+ 8,5 % par rapport à 1997) et un résultat net de 3,18 milliards de francs (contre une perte de 2,76 milliards en 1997), le groupe a retrouvé le chemin d'une « croissance rentable », comme dit le président du directoire.

Jean-Martin Folz évite soigneusement de se laisser entraîner sur le terrain de l'« héritage » ou de la « rupture » avec l'époque précédente, et sa répugnance à parler d'autre chose que de l'industrie automobile est évidente. Finies les diatribes sur l'« invasion japonaise », la « bureaucratie bruxelloise » ou la politique intérieure française, qui, du temps de Calvet, faisaient la joie des journalistes et le cauchemar de la direction de la communication.

Heureusement, il est un domaine sur lequel le patron de PSA se montre volontiers prolixe : celui des relations sociales, auquel il accorde une importance capitale.

Trois mois après la signature d'un accord sur la réduction du temps de travail chez PSA, quel jugement portez-vous sur ce texte et sur la loi Aubry ?

Les conséquences de cette loi ne peuvent qu'être négatives pour les entreprises soumises à la concurrence internationale. Mais le législateur ayant décidé, il fallait l'appliquer, et cela sans dégâts excessifs pour notre compétitivité. Je considère qu'avec l'accord du 4 mars dernier nous avons trouvé un bon compromis global. En particulier, l'annualisation négociée dans le cadre de l'accord constitue une avancée pour l'entreprise. En effet, nous sommes une industrie lourde et nous avons donc besoin d'une grande souplesse dans l'organisation du travail pour nous adapter aux fluctuations de la demande.

L'une de vos premières préoccupations était le rajeunissement des effectifs, lié à la question des préretraites. Avez-vous obtenu satisfaction sur ce point ?

Nous devons non seulement mener une politique d'emploi cohérente avec nos gains de productivité, avec les évolutions technologiques et nos perspectives de croissance, mais également reconfigurer progressivement notre pyramide des âges, tout en veillant à ce que les plus âgés des salariés occupent des postes qui correspondent à leur capacité d'adaptation aux nouvelles techniques et aux nouvelles méthodes de production. Notre gestion prévisionnelle de la pyramide des âges a-t-elle été suffisamment performante ?

Avons-nous toujours su correctement anticiper l'évolution des modes de production ?

Peut-être pas. C'est pourquoi nous sommes en train de revoir l'adéquation homme-poste en collaboration avec l'Anact, l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail. Sur le plan du rajeunissement des effectifs, il faut souligner que notre accord sur la RTT et notre dispositif de départ anticipé permettent d'embaucher 5 600 personnes dès 1999. Les modalités techniques de ce dispositif ne sont pas encore connues puisque les négociations de branche n'ont pas commencé. D'un point de vue plus général, il est clair qu'il existe une contradiction entre le besoin de rajeunissement des effectifs et la volonté de reculer l'âge de la retraite, soulignée parla plupart des études, et, tout récemment, par le rapport Charpin. Pour une part, la solution à ce problème doit être aussi recherché à l'intérieur des entreprises, et passe par une profonde réflexion sur l'organisation du travail.

Le temps de travail, les statuts, le droit syndical, l'intéressement : vous avez multiplié les initiatives en matière sociale. Faut-il y voir une rupture avec le management de votre prédécesseur ?

Il n'y a certainement pas de rupture mais une évolution normale dans la conduite de l'entreprise. En ce qui concerne l'exercice du droit syndical, notre but est d'améliorer l'efficacité du dialogue social, en traitant tous les acteurs de la même manière. Au chapitre des revenus, il me semble qu'en période d'inflation basse, l'intéressement est une bonne manière de continuer à motiver les salariés tout en leur permettant d'établir un lien direct entre ce qu'ils perçoivent et les performances de l'entreprise.

C'est le sens de l'accord sur l'intéressement et la participation signé l'année dernière pour une durée de trois ans et que nous venons encore d'améliorer.

Un des axes de réflexion pour l'avenir serait la décentralisation partielle de l'intéressement, qui permettrait à chaque site de gérer un élément de rémunération dans le cadre de ses démarches de progrès. Mais nous n'y sommes pas encore…

Pourtant, rien ne vous oblige à rencontrer personnellement les salariés et les organisations syndicales lors de vos visites en usine…

C'est vrai, je vois personnellement un grand intérêt dans la rencontre à tous les niveaux, dans l'écoute et le dialogue. Au-delà du symbole, cela me paraît une démarche normale et utile, et il est nécessaire d'aller régulièrement sur le terrain pour favoriser le dialogue social, qui doit être un processus permanent et créatif. Aujourd'hui, je crois que nous avons créé les conditions pour cela et j'ai le sentiment que nos partenaires sociaux sont sérieux, compétents et constructifs dans leur démarche. Si l'on dépasse le cadre de l'industrie automobile, il me semble que les grandes organisations syndicales évoluent dans le même sens au niveau national, ce qui est très positif.

Cette année, vous avez présidé en personne le Comité de groupe européen. Là encore, c'est une première. Quelle importance attachez-vous à cette institution ?

Le Comité de groupe européen est pour moi une instance fondamentale pour la cohésion de PSA Peugeot Citroën, qui est présent industriellement non seulement en France, mais aussi en Grande-Bretagne, en Espagne, en Allemagne et au Portugal. De nombreux « chantiers », comme celui de l'organisation du travail, sont communs à l'ensemble. Il n'y a donc pas d'harmonisation possible sans réflexion commune. Par exemple, dans la phase actuelle, qui se caractérise partout par une forte augmentation des volumes de production, 50 % de nos sites fonctionnent sur trois postes, alors que tous produisaient en deux postes il y a seulement un an. Comment gérer au mieux cette montée en puissance à l'échelle du continent ? J'ai donc décidé de présider le Comité et d'améliorer son fonctionnement en le complétant par une instance plus légère et plus opérationnelle, car la réunion de quarante-six délégués syndicaux parlant six langues différentes prend parfois les allures d'une tour de Babel !

Propos recueillis par Denis Boissard, Jean-Paul Coulange et Thierry Roland

Auteur

  • Thierry Roland