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Vie des entreprises

Face aux fusions bancaires, des syndicats unis… sauf en France

Vie des entreprises | ANALYSE | publié le : 01.06.1999 | Thierry Roland

Les organisations syndicales du secteur bancaire 'attendent à un « bain de sang » social en Europe, qui se chiffrerait en dizaines de milliers de suppressions d'emplois. Partout, les syndicats e regroupent pour faire face aux géants issus des fusions. Sauf en France, où c'est la « foire d'empoigne ».

Le palais Brongniart retient son souffle. Avant la fin du mois de juin, les investisseurs auront rendu leur verdict sur l'offensive lancée par la BNP sur le capital de la Société générale et de Paribas, et le processus de privatisation du Crédit lyonnais sera lancé. Dans les deux cas, plusieurs milliers d'emplois sont sur la sellette. Et cela dans un secteur, celui des banques à réseaux, qui a déjà supprimé 30 000 postes depuis dix ans. La France n'est pas le seul pays concerné. Sous la pression conjointe des actionnaires et de l'arrivée de la monnaie unique, le secteur bancaire connaît une brutale accélération du mouvement de concentration dans l'ensemble de l'Europe. Ce qui inquiète fortement les organisations syndicales, de plus en plus nombreuses à prédire un « bain de sang » sur le plan social au cours des années qui viennent.

Les événements récents n'incitent effectivement pas à l'optimisme. En Suisse, la fusion UBS-SBS va conduire à la disparition de 13 000 postes, soit 23 % des effectifs, selon la direction générale du groupe. En Grande-Bretagne, le mariage entre Lloyds Bank et TSB Bank a déjà coûté près de 11 000 postes, soit 12 % de l'effectif total, depuis 1995. Face à la menace, les partenaires sociaux tentent de s'organiser. Sauf en France, où les syndicats partent à la bataille en ordre dispersé alors que leurs principaux homologues européens sont en train de rassembler leurs forces pour affronter les mastodontes en cours de constitution. Spécificité culturelle incontournable, ou fatale erreur stratégique ? Certes, le bilan social des vingt dernières années doit être nuancé, comme le rappelle Pierre Gendre, depuis dix-neuf ans à la tête de la section Force ouvrière du crédit : « Si l'on considère l'ensemble du secteur, avec les caisses d'épargne, les établissements mutualistes ou encore les spécialistes du crédit à la consommation, on constate une grande stabilité des effectifs en France depuis vingt ans, à un niveau qui se situe autour de 350 000 personnes. Le sombre pronostic du rapport Nora-Minc qui, en 1978, prédisait aux banques françaises un avenir social comparable à celui de la sidérurgie, ne s'est donc pas réalisé. » L'analyse du syndicaliste se confirme pour l'ensemble des pays d'Europe de l'Ouest, où les rangs des « financiers » ont en réalité grossi de 434 000 personnes entre 1992 et 1997. Mais Pierre Gendre ajoute que « les concentrations en cours ravivent toutes les angoisses ».

Un seul syndicat britannique

Pour son homologue de la CFDT, Bernard Dufil, le danger peut venir de l'étranger, les grandes banques allemandes, néerlandaises ou britanniques étant régulièrement citées comme de potentiels « chevaliers blancs » dans l'opération BNP. « Si la bagarre passe à l'échelon européen, c'est la logique de l'actionnaire qui prévaudra, avec une exigence d'un minimum de 15 % de rentabilité des capitaux investis. On peut alors craindre le pire socialement », prévient-il. La CFDT essaie de s'imprégner des initiatives prises par d'autres syndicats européens. En mai, Bernard Dufil s'est rendu à Blackpool, au congrès annuel des syndicats bancaires de Grande-Bretagne, qui viennent d'annoncer la réunion de l'ensemble de leurs forces au sein d'une entité commune, l'Unifi. Une décision spectaculaire, qui constitue une première en Europe. À Londres, Ed Sweeney, le secrétaire général du Bifu (Banking, Insurance and Finance Union), le plus gros syndicat actuel du secteur, la justifie par une analyse très pragmatique : « Afin de mieux représenter les intérêts de nos membres, nous souhaitons mettre nos ressources en commun et, surtout, renforcer notre pouvoir de négociation vis-à-vis du patronat. »

Il est vrai que la concentration des banques est depuis longtemps une réalité, outre-Manche. Rachat de Midland par HSBC, transformation progressive des gigantesques sociétés de crédit hypothécaire (Abbey National, Halifax…) en banques de plein exercice, fusion Lloyds-TSB : le rythme ne faiblit pas depuis dix ans. Ed Sweeney, avec ses homologues des syndicats maison de la Natwest et de la Barclays, a décidé de jouer la carte de l'unité pour « accompagner socialement » un mouvement qui a déjà détruit 150 000 emplois au cours de cette période.

Rien qu'entre 1990 et 1994, les huit premières banques du Royaume-Uni ont perdu 20 % de leurs effectifs. Mais le secrétaire général du Bifu, qui prendra sans doute la tête du nouveau syndicat unifié, voit plus loin que la seule défense des intérêts catégoriels des salariés britanniques : « Il est évident que les prochains rapprochements se feront à l'échelon européen, poursuit Ed Sweeney. Les syndicats doivent s'y préparer, c'est-à-dire se concentrer au niveau national et passer au stade de la coopération active internationale. Sinon, le déplacement des centres de décision se fera au détriment des salariés. »

En Allemagne, où l'ensemble des établissements de crédit emploie plus de 750 000 personnes, la principale opération de concentration à ce jour reste le rapprochement en juillet 1997 des deux grandes banques bavaroises, Hypo-Bank et Bayerishe Vereinsbank. Les effectifs sont donc restés très stables depuis dix ans. Mais, à Düsseldorf, Uwe Foulong, qui dirige la section banque du HBV (le syndicat du négoce, de la banque et de l'assurance), ne se fait aucune illusion sur l'avenir : « Plusieurs études non syndicales montrent que nous pouvons perdre au moins 100 000 postes dans les cinq ans qui viennent si le secteur va au bout de sa logique de taille critique, dit-il. Pour équilibrer cette évolution, nous souhaitons mettre en place la semaine de 35 heures dans tous les établissements. C'est le seul moyen qui nous reste, car les banques allemandes ont déjà tiré toutes les cartouches dont elles disposaient en matière de préretraites. À ce titre, un dialogue approfondi avec les syndicats français serait précieux. »

En attendant de renforcer la coopération internationale, le HBV, déjà puissant et soudé comme tous les syndicats de branche allemands, a entrepris de se renforcer encore en intégrant les employés de banque du DAG (Deutsche Angestellte Gesellschaft) ainsi qu'une partie de l'ÖTV (transport et services), qui couvre notamment les caisses d'épargne. Une « concentration syndicale qui répond à la concentration des employeurs », traduit Uwe Foulong, et qui s'apparente à ce qui se passe en Grande-Bretagne.

Démarche unitaire en Italie

À Milan, Gianfranco Amato, le secrétaire national de la Fabi, le plus important syndicat bancaire italien avec 80 000 affiliés, admet qu'« aucune négociation n'est en cours pour réunir sous un même toit la Fabi et les autres grandes organisations, la CGIL, la CISL et l'UIL ». « Mais notre système fonctionne très bien, et une telle fusion n'est pas nécessaire, car nous agissons de manière unitaire dès que le besoin s'en fait sentir. » Ce qui sera sans aucun doute le cas dans les mois à venir, car des milliers d'emplois pourraient disparaître dans le cadre du « big bang » que subit en ce moment le secteur bancaire transalpin, engagé dans un mouvement de restructuration sans précédent. En dépit des événements récents, aucun rassemblement syndical ne se profile à l'horizon en France : « Nous allons continuer à préserver notre identité », dit sobrement Pierre Gendre. Pourtant, si le géant SBP voit le jour, ses effectifs (entre 110 000 et 120 000 personnes après restructuration) pèseront plus de la moitié de ceux de l'ensemble des banques AFB. Autant dire que tout ce qui serait négocié sur le plan social dans cette nouvelle entité ferait jurisprudence pour l'ensemble du secteur.

N'est-ce pas le moment de jouer la carte unitaire pour utiliser au mieux cette force de frappe ? « Nous n'avons pas encore réfléchi à la question sous cet angle », répond Bernard Dufil, à la CFDT, avant d'admettre que les syndicats des trois établissements ont déjà bien du mal à se mettre d'accord. Ceux de la BNP sont évidemment beaucoup mieux disposés à l'égard de l'opération que les autres, comme le montrent des communiqués étrangement contradictoires d'une banque à l'autre, même lorsqu'ils émanent d'une même organisation. « Concrètement, c'est la foire d'empoigne », précise Sylvie Martin Pernot, secrétaire générale de la Fédération CFTC des banques. « Il faudra au moins un an pour que les différents syndicats se soient suffisamment harmonisés et envisager une base d'action commune. »

En première ligne dans la bataille qui fait rage, Bernard Lemée, le DRH de la BNP, estime qu'« un syndicat unique ne ferait pas progresser les choses », la pluralité ne l'ayant « pas empêché de signer de nombreux accords sur l'emploi et les salaires » au sein de son établissement. En réalité, la logique unitaire serait sans doute plus efficace pour tout le monde. Bernard Lemée l'admet implicitement lorsqu'il appelle de ses vœux « un dialogue social plus moderne » avec, en face de lui, une « véritable force de proposition fondée sur les réalités technologiques et stratégiques d'une banque du troisième millénaire ». Une évolution qui permettrait peut-être de sortir de l'impasse dans laquelle le secteur bancaire est enfermé pour la mise en place des 35 heures et le renouvellement de la convention collective, dénoncée en février 1998. Sans cela, à partir du 1er janvier 2000, les salariés des banques françaises devront affronter la tourmente avec le Code du travail pour seule protection.

Auteur

  • Thierry Roland