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Vie des entreprises

Des perspectives pour mieux protéger la santé des salariés

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.06.1999 | Marie-Ange Moreau

Alors que le stress et les pathologies qui lui sont liées se multiplient dans les entreprises, deux textes sont récemment venus renforcer la protection de la santé des salariés. L'article L. 122-45 donne lieu à des applications innovantes de la jurisprudence, tandis que l'article L. 230-2 reste sous-exploité.

Alors même que la protection de la santé est un objectif qui, en France, arrive en première place des sondages, on constate une nette dégradation des conditions de santé des salariés et, en particulier, des cadres : les causes de stress, les pathologies liées à ce même stress et les dépressions nerveuses graves se multiplient. Les médecins du travail s'alarment et espèrent qu'ils seront entendus par les négociateurs des accords de réduction du temps de travail car, si ces manifestations pathologiques sont souvent multifactorielles, elles trouvent aussi leurs causes dans l'organisation de l'entreprise et des conditions de travail. Parfois aussi dans la façon dont est mis en œuvre le droit du travail (restructurations permanentes, plans sociaux, pression sur les objectifs à atteindre, multiplication des sanctions disciplinaires, etc.), ou dans l'augmentation de situations de harcèlement.

Le droit du travail a adopté, en matière de santé, deux textes essentiels de protection des salariés. Charte de la lutte contre les discriminations dans l'entreprise, l'article L. 122-45 a, en 1990, ajouté l'état de santé du salarié parmi les causes de discrimination : le licenciement prononcé exclusivement pour cette raison est nul. Depuis deux ans, la Cour de cassation fonde sa jurisprudence sur ce texte, assurant une protection effective des salariés dans tous les cas où l'employeur ne respecte pas les procédures en matière de licenciements liés à la maladie ou à l'inaptitude (I).

Le second texte est d'origine européenne : la directive-cadre du 12 juin 1989, transposée dans le Code du travail français en 1991, met à la charge de l'employeur une « obligation générale d'assurer la santé et la sécurité des travailleurs dans tous les aspects liés au travail ». Dans la mesure où il permet de mettre en jeu la responsabilité de l'employeur, ce texte est porteur de nombreuses applications susceptibles de renforcer les actions à mener dans l'entreprise en vue de protéger la santé des salariés (II).

I. La nullité du licenciement permet la réintégration des salariés

L'article L. 122-45 du Code du travail permet de renforcer la protection des salariés en cas de maladie ou d'inaptitude.

a) En cas de maladie du salarié. La Cour de cassation a bien précisé que l'employeur pouvait toujours décider du licenciement d'un salarié malade « lorsque son absence désorganisait l'entreprise » (Cass. soc. 16 juillet 1998, RJS 10.1998, n° 1222 ; 10 novembre 1998, n° 1468), notamment en cas de longue maladie ou d'absences très répétées d'un salarié ayant un poste stratégique dans l'entreprise, y exerçant de lourdes responsabilités, ayant une qualification pointue difficile à retrouver sur le marché, ne pouvant être remplacé en raison d'un temps long de formation, etc. La preuve de la désorganisation de l'entreprise doit être rapportée au cas par cas. Elle est fonction du poste du salarié, de la taille de l'entreprise et de son activité. Conjoncturelle, l'appréciation de la « désorganisation de l'entreprise » est délicate à apprécier, et les employeurs sont souvent dans l'incapacité de la rapporter. La Cour de cassation en tire toutes les conséquences : si la désorganisation de l'entreprise n'est pas prouvée, la cause du licenciement est la maladie, donc l'état de santé du salarié. Le licenciement est alors discriminatoire. Le salarié peut invoquer la nullité de celui-ci et obtenir sa réintégration dans l'entreprise. Celle-ci peut être demandée en référé si les faits démontrent de façon flagrante qu'il n'y a aucune désorganisation de l'entreprise ou que l'employeur n'a pas respecté la convention collective (Cass. soc. 10 novembre 1998, précité). Les intéressés ne demandent pas toujours leur réintégration, qui peut être vécue de façon tragique par des salariés fragiles, mais la sanction, qui est la conséquence du caractère discriminatoire du licenciement, leur permet d'obtenir le montant des salaires courus depuis la notification du licenciement et une forte indemnisation du préjudice causé. La force de la sanction offre une garantie, non contre tout licenciement, mais contre ceux qui ne sont pas motivés par un intérêt renforcé de l'entreprise.

b) En cas d'inaptitude. La Cour de cassation fait application de l'article L. 122-45 afin de sanctionner tout licenciement pour cause d'inaptitude lorsque l'employeur n'a pas suivi très précisément la procédure imposée par les articles L. 122-24-4 et R. 241-51 du Code du travail, qui exigent que le salarié passe une visite de reprise auprès du médecin du travail, lequel doit confirmer au bout de quinze jours son avis d'inaptitude et faire des propositions en vue du reclassement. L'employeur doit alors chercher à reclasser le salarié et, au bout d'un mois, si cela n'a pas été encore possible, verser le salaire.

Ainsi, sera nul le licenciement prononcé sur la seule réception par l'employeur de l'avis d'invalidité délivré par la Sécurité sociale (Cass. soc. 13 janvier 1998, Juris. Actua. n° 7852 du 23 avril 1998), en l'absence de visite de reprise par le médecin du travail (Cass. soc. 28 janvier 1998, Dr. social 1998, p. 276), lorsque le salarié a – avant sa consolidation et en application de l'article R. 241-51 al. 4 – seulement passé une visite de préreprise pour permettre à l'employeur de rechercher un reclassement avant son retour dans l'entreprise. Sera nul également le licenciement prononcé après la première visite de reprise, sans attendre la confirmation par la seconde visite, qui ne doit pas avoir lieu avant quinze jours, de l'avis d'inaptitude (Cass. soc. 16 février 1999, précité). La Cour de cassation considère que la régularité de l'avis d'inaptitude, sur lequel repose tout le dispositif du reclassement du salarié dans le mois qui suit le second avis, est une condition substantielle sur laquelle repose la faculté – résiduelle – laissée à l'employeur de licencier le salarié en cas d'impossibilité de reclassement.

L'avis du médecin du travail est donc le pivot autour duquel s'ordonne la procédure de reclassement, à l'exclusion des décisions de la Sécurité sociale ou des arrêts de travail rendus par le médecin traitant (Cass. soc. 15 juillet 1998, RJS 10.1998, n° 1201 ; la seconde visite médicale fait partir le délai d'un mois au terme duquel l'employeur, s'il n'a pas reclassé son salarié, doit lui verser son salaire (Cass. soc. 10 novembre 1998, RJS 12.1998, n° 1470). La Cour de cassation en donne encore une illustration dans un arrêt du 6 avril 1999 (Juris. Hebdo. n° 628 du 19 avril 1999, précisant l'arrêt du 12 novembre 1997, Juris. Actua. n° 7798 du 27 janvier 1998), en considérant que l'important était de savoir si l'avis d'inaptitude avait bien mis fin à la suspension du contrat de travail pour permettre la reprise, « peu important à cet égard que le salarié ait continué à bénéficier d'un arrêt de travail de son médecin traitant ». La distinction entre la visite de préreprise et la visite de reprise reste, malgré cet arrêt, obscure : elle tiendrait en l'attitude du salarié, son déroulement pendant la période de suspension donnant lieu à versement d'indemnités journalières (dans l'arrêt du 6 avril 1999 précité, la visite de reprise a eu lieu le lendemain du jour où s'était arrêté le versement des indemnités journalières, versées par la Sécurité sociale).

En matière d'accident du travail, la rigueur de la jurisprudence est plus ancienne et s'appuie sur l'article L. 122-32 du Code du travail qui prévoit la nullité du licenciement prononcé pendant la suspension du contrat, quelles que soient la durée et les conditions d'emploi du salarié (la protection de l'emploi des salariés en cas d'accident de travail ou de maladie professionnelle concerne aussi les salariés en période d'essai). La nullité s'impose également lorsque « l'employeur procède de façon prématurée au licenciement pour inaptitude, sans suivre les propositions du médecin du travail relatives à l'intérêt de faire procéder à une étude ergonomique pour étudier les possibilités d'adapter le poste [aux] capacités physiques diminuées [du salarié] ».

Les garanties procédurales, qui ont été accordées au salarié depuis 1992, sont venues donner une réalité à la protection contre des discriminations fondées sur son état de santé, et elles sont donc une pièce essentielle de la construction de cette obligation générale d'assurer la santé du salarié.

II. L'obligation générale d'assurer la santé du salarié

Consacrée par la directive-cadre du 12 juin 1989 (article 5), cette obligation générale d'assurer la santé du salarié ne s'est traduite, en France, que par l'insertion d'un article L. 230-2 qui transpose l'article 6 de la directive, en détaillant les mesures nécessaires pour protéger la sécurité et la santé des travailleurs. Ce texte a été commenté sur le terrain de la sécurité des travailleurs mais, curieusement, le volet santé ne fait l'objet d'aucune attention des praticiens. Il est pourtant extraordinairement porteur. La définition de la santé, donnée par l'OMS, vise l'état global du salarié, incluant la santé physique mais aussi psychique de l'individu : l'employeur a donc pour obligation de préserver le salarié d'une dégradation de son état nerveux et psychique, dont le motif a sa source dans l'entreprise.

Depuis 1991, les médecins du travail s'appuient sur ce nouveau chapitre du Code du travail, relatif à la prévention, pour tenter de convaincre l'employeur de consacrer des fonds aux politiques d'amélioration de la santé des salariés. Mais leur croisade est d'autant plus difficile que les tribunaux n'ont, pour l'instant, pas donné de contenu concret à l'obligation de l'employeur. Ce texte, qui s'appuie sur le principe général énoncé par la directive, et qui oblige le juge à interpréter le droit français à sa lumière, permettrait pourtant d'engager la responsabilité de l'employeur toutes les fois où il ne prend pas les mesures nécessaires pour éviter la dégradation de la santé psychique des salariés. Or certaines entreprises abritent des dérives inquiétantes : des directeurs ou chefs d'atelier caractériels injuriant les salariés, les frappant, voire les harcelant moralement ou sexuellement ; des services où se multiplient les dépressions nerveuses, des suicides, parfois à répétition, sur les lieux de travail. Ces situations sont souvent le fruit d'une volonté délibérée de la direction de protéger le responsable hiérarchique, souvent parce qu'il répond aux exigences économiques de l'entreprise.

Si elle se concrétisait par des condamnations à des dommages et intérêts ou par des actions en justice menées par les représentants du personnel, la violation de cette obligation de l'employeur modifierait vraisemblablement la position de ces directions. Lorsqu'au Canada la responsabilité financière de l'employeur a pu, en 1984, être engagée, dès lors que celui-ci n'avait pas pris toutes les mesures pour empêcher le harcèlement dans son entreprise, un profond changement s'est opéré : le coût de la dégradation de la santé des salariés victimes est apparu au grand jour et les entreprises ont pris des mesures de prévention.

En France, le Code du travail donne les instruments juridiques d'une politique de lutte contre les situations dégradant la santé psychique des salariés. L'organisation et les conditions de travail doivent intégrer la « nécessaire adaptation du travail à l'homme » (C. trav., art. L. 230-2, II d) et être mises en place à la lumière des principes de prévention des risques touchant la santé des salariés.

Il faudrait que ces textes soient invoqués devant les juridictions et ne restent pas des principes philosophiques du Code du travail. On peut ainsi espérer que l'article L. 230-2 fonde à l'avenir la responsabilité de l'employeur qui ne respecte pas, en matière de santé, la directive communautaire et donne lieu, comme cela s'est produit pour l'article L. 122-45, à des applications innovantes.

Auteur

  • Marie-Ange Moreau