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Du curatif au préventif

Dossier | publié le : 01.06.1999 | S. P.

En cas de rupture avec leurs salariés, les entreprises veillent à ne pas démotiver ceux qui restent et à ne pas écorner leur image de marque. Désormais, pour rendre plus douce la séparation, elles recourent plus fréquemment aux services de cabinets d'outplacement. Certaines tentent même d'anticiper les divorces afin de « limiter la casse ».

L'outplacement a le vent en poupe. On aurait pu croire que le retour de la croissance allait ralentir le nombre de reclassements externes. Il n'en est rien. L'outplacement enregistre une croissance régulière depuis près de vingt ans. « Cette formule devrait continuer à se développer dans les années à venir », pronostique d'ailleurs Jean-Paul Vermès, président de Cogeplan, cabinet de conseil en recherche de cadres, et de sa filiale, Projets et Futur, spécialisée en outplacement. Il y a dix à quinze ans, les grandes vagues de restructurations industrielles ont entraîné un développement important de l'outplacement. Aujourd'hui, son succès vient, en partie, de la vogue des opérations de fusions-acquisitions. Après la fusion, un groupe n'a plus besoin de deux directeurs financiers, de deux directeurs du marketing ou de deux responsables des ventes. Il n'est pas question de verser deux salaires quand une personne par poste suffit. Autre explication : « Il y a dix ans, les entreprises ne parlaient que de diversification, constate Didier Parent, consultant à la Société pour le développement de l'industrie et de l'emploi. Aujourd'hui, elles se recentrent sur leur cœur de métier afin d'être plus compétitives à l'échelle mondiale. » Avec les suppressions de postes que ce recentrage implique.

Le boom de l'outplacement n'est pas uniquement d'ordre conjoncturel. Bien entendu, il y a l'évolution de la législation, qui contraint les entreprises à reclasser leurs salariés, en interne ou en externe, dans le cadre des plans sociaux. Mais d'autres facteurs entrent en ligne de compte. « L'outplacement se démocratise. De plus en plus d'entreprises sont conscientes de ses vertus », estime Charlotte Farcot, consultante du cabinet Eos. « Elles ont compris que leur responsabilité s'exerce au-delà du contrat de travail. Quand elles se séparent d'un salarié, elles trouvent normal de lui offrir les services d'un cabinet d'outplacement », ajoute un concurrent. Loin d'être devenues philanthropes, elles ont compris que licencier ternit leur image auprès des collaborateurs restants comme auprès des clients. Auparavant, elles laissaient le choix aux salariés entre un zéro supplémentaire sur le chèque d'indemnités et un outplacement. Aujourd'hui, elles recourent plus fréquemment aux services de cabinets spécialisés. Les professionnels estiment que 10 % environ des cadres au chômage bénéficient d'un outplacement individuel.

Un moyen de rebondir dans une carrière

De plus en plus utilisé, ce type de reclassement n'est plus seulement considéré comme une étape entre le licenciement et le retour vers l'emploi. « Certaines entreprises sont obligées de se séparer de personnes compétentes », souligne François de Lanoy, directeur de Projets et Futur. La reprise des recrutements donne l'occasion à ces salariés, qu'ils soient cadres ou non-cadres, de prendre le temps de faire le point sur leur carrière. L'outplacement constitue, pour eux, une étape ou une transition, qui leur permet de rebondir dans leur carrière, pour atteindre une meilleure qualité de vie, une meilleure adéquation de leur emploi avec leur personnalité, ou encore une meilleure rémunération. « Ce n'était pas le cas au début de la décennie, jusqu'en 1996, ajoute François de Lanoy. Les entreprises nous envoyaient des candidats pour que nous leur retrouvions un emploi similaire à celui qu'ils quittaient, et uniquement pour cela. »

Pour toutes ces raisons, l'outplacement n'est plus vécu comme un traumatisme. Les salariés acceptent la démarche plus souvent que par le passé, quand ils ne la demandent pas. « Lorsque nous leur proposons un outplacement, ils le prennent comme une opportunité et non plus comme une menace », constate le DRH d'un groupe du secteur chimie-pharmacie. Patrick, 47 ans, qui a occupé plusieurs postes de direction générale, en est à son troisième outplacement. Chaque fois, c'est lui qui en a fait la demande. « Dans une entreprise, j'ai même dû me fâcher pour en obtenir un. Une autre fois, je l'ai financé. Les entreprises américaines et les grands groupes français connaissent cette méthode et la proposent assez facilement. En revanche, l'outplacement entre moins dans la culture des petites et moyennes entreprises. » Pour lui, l'outplacement est une prestation utile. « Cela permet de se faire accompagner dans sa recherche d'emploi. Une oreille extérieure est importante, notamment pour les personnes qui sont un peu désorientées après un licenciement et qui ne savent où aller. On y fait le point sur sa situation professionnelle. On y apprend également les différentes techniques de recherche d'emploi. »

Un sondage réalisé au cours du dernier trimestre 1998, par la société Repères pour le compte de trois cabinets d'outplacement (Conviction Right France, Garon Bonvalot, Hommes et Mobilité) permet d'en savoir un peu plus sur le degré de satisfaction des outplacés. Sur 309 personnes ayant suivi un outplacement, 78,3 % d'entre elles ont été plutôt satisfaites de leur outplacement, 96,5 % ont affirmé vouloir le recommander à leur entourage. Des résultats qui ne sont guère surprenants : à les écouter, ces trois cabinets en question affichent un taux de réussite proche de 100 %. La moitié de leurs candidats retrouvent un poste dans les six mois, alors que la durée moyenne d'attente est de douze mois en France. Mais ces statistiques ne donnent pas d'autres indications sur la poursuite de la carrière professionnelle des salariés reclassés.

Trois offres d'emploi exigées

« Personne ne sait ce qu'il advient des outplacés passé leur période d'essai, et encore moins cinq ans après », reconnaît Bernard Van Craeynest, secrétaire national de la Fédération CFE-CGC de la métallurgie, chargé de l'économie et de la politique industrielle. La fédération reste très circonspecte vis-à-vis de l'obligation de résultat qui s'impose aux cabinets spécialisés. Notamment dans le cas d'un salarié qui se retrouve au chômage un an ou deux après un outplacement.

« C'est l'ensemble du système qui nous oblige à parler de réussite, se défend Alain Bayle, directeur chez Garon Bonvalot. C'est aberrant : sous la pression de l'administration, des partenaires sociaux ou des entreprises, on exige des cabinets des résultats ; on leur demande même de proposer aux candidats trois offres valables d'emploi (OVE). Or, dans certains cas, tout le monde sait que c'est irréaliste. » Des cabinets commencent d'ailleurs à refuser de telles exigences. Et certaines entreprises ne croient plus à de telles promesses. « Nous sommes tous conscients que, dans certains bassins d'emplois, reclasser 100 % des salariés est impossible », indique Jean-François Carrara, responsable de l'activité ressources humaines et emploi chez Algoe.

La meilleure chance de réussite de l'outplacement reste encore l'anticipation. Au cours des dernières années, les entreprises ont cherché de plus en plus à anticiper les licenciements individuels. Quitte à continuer de rémunérer les salariés quelques mois supplémentaires, le temps qu'ils trouvent un emploi à l'extérieur grâce à un outplacement. « C'est un phénomène de plus en plus fréquent », observe Thierry Lemasle, du cabinet BPI. « L'outplacement est un pis-aller, affirme pour sa part Jacques Éliard, directeur général du cabinet AKR-DBM. Les entreprises ont tendance à remonter vers les causes du problème plutôt que de mettre un pansement. » Question d'image, certes, mais aussi en raison d'une législation plus contraignante, surtout dans le cas de licenciements collectifs.

Le Code du travail stipule en effet que, lorsqu'une société de plus de cinquante salariés prévoit de licencier au moins dix personnes dans une période de trente jours, elle doit mettre en œuvre un plan social. Le Code précise notamment qu'elle doit tout faire pour reclasser le maximum de personnes. La jurisprudence a progressivement considéré que ces reclassements ne devaient pas se faire uniquement sur le site « à problèmes », mais également sur les autres sites du groupe, quand ils existent. En théorie, il s'agit d'une obligation de moyens mais, en pratique, les magistrats imposent quasiment l'obligation de résultat. Les entreprises doivent ainsi prouver qu'elles ont mis tout en œuvre pour offrir une alternative à leurs salariés. En cas de non-respect, le licenciement est considéré comme sans cause réelle et sérieuse, et il ouvre droit à des dommages et intérêts, correspondant au moins à six mois de salaire. Une législation que certains trouvent trop rigide, voire ambiguë.

Conséquence directe de cette législation, les entreprises sollicitent l'avis des spécialistes. « Elles cherchent des prestataires qui interviennent bien en amont du plan social, pour leur proposer un certain nombre d'outils (bilans de carrière, coaching, aide à la mobilité interne, etc.) et différentes alternatives aux licenciements (ARTT, formation, essaimage), indique Jean-Michel Court, du cabinet Garon Bonvalot. Et, en aval, pour reclasser les personnes en sureffectif. Nous ne sommes plus seulement là pour installer une antenne emploi. Auparavant, nous faisions du curatif. Aujourd'hui, nous anticipons pour aborder une problématique. » La filiale française du groupe suédois SKF, spécialisé dans la fabrication de roulements à billes, a tenu à se faire accompagner par un cabinet lors de la fermeture d'un magasin d'approvisionnement à Clamart (Hauts-de-Seine) entraînant la suppression de soixante-cinq postes. « Nous avons travaillé avec lui sur la communication à adopter envers les salariés, les solutions internes et externes pour reclasser les salariés, etc., précise Claude Turpin, le DRH France. Certes, nous aurions pu faire cela nous-mêmes. Mais les salariés préfèrent avoir affaire à un consultant extérieur, plus neutre, qu'à une personne de l'entreprise. » Petit à petit, l'activité d'outplacement évolue. « Nous nous orientons vers un métier de conseil », explique Thierry Lemasle, consultant chez BPI, qui définit les cabinets spécialisés comme de « véritables accompagnateurs du changement ».

Auteur

  • S. P.