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Repères

Le parcours chaotique de Guigou

Repères | publié le : 01.02.2002 | Denis Boissard

Le camouflet est cinglant. Censuré en décembre 2000 sur la ristourne dégressive de la CSG et de la CRDS pour les bas salaires, désavoué un an plus tard sur le financement des 35 heures via la Sécu, à nouveau condamné le mois dernier par le Conseil constitutionnel sur le licenciement économique, le gouvernement multiplie les revers en matière sociale. Décidément, lorsqu'il s'agit de légiférer dans ce domaine, la désinvolture, l'improvisation et l'absence de concertation sont de bien mauvaises conseillères. C'est Lionel Jospin et sa méthode – le tout politique – qui sont les premiers touchés. Mais la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, aux manettes sur tous ces dossiers, n'est pas exempte de reproches. Il y a un cas Élisabeth Guigou. Experte solide et convaincante des questions européennes, garde des Sceaux honorable, cette proche du Premier ministre fait un parcours plutôt chaotique Rue de Grenelle.

Sa première erreur est d'avoir voulu endosser le très ample costume

que s'était taillé Martine Aubry en 1997. Qui trop embrasse mal étreint. L'expérience de celle-ci aurait pourtant dû lui servir de leçon : malgré une force de travail reconnue et une expertise indéniable sur la partie Emploi de ses attributions, Martine Aubry n'a guère brillé par sa gestion de la protection sociale. L'importance des enjeux, la complexité des problèmes et la délicatesse du pilotage sont, en matière sociale, telles qu'un seul responsable gouvernemental (de surcroît néophyte dans ce domaine) ne peut sérieusement mener de front les volumineux dossiers de l'emploi, de la formation, du chômage, de la santé, des retraites, de la famille…

Sa seconde erreur est de n'avoir pas su, ou pas voulu, renouer le fil du dialogue

avec les partenaires sociaux. Après le dirigisme caricatural de Martine Aubry, ses passes d'armes incessantes avec le Medef et la CFDT, qui ont empoisonné le climat social pendant trois ans, Élisabeth Guigou aurait pu aisément jouer une carte « moderniste », celle d'une politique contractuelle digne de ce nom, associant patronat et syndicats à l'élaboration des projets du gouvernement, voire leur laissant la main sur certains sujets. Las, elle s'est rapidement inscrite dans la lignée interventionniste de l'actuelle maire de Lille, et a tenu les partenaires sociaux pour quantité négligeable.

Résultat : une succession de bévues, de maladresses, une gestion au fil de l'eau et un bilan peu glorieux. Les faux pas se sont multipliés. D'abord sur la prime pour l'emploi, où Élisabeth Guigou se rangera du côté d'Henri Emmanuelli dans le camp des partisans d'un fort coup de pouce au smic plutôt que du crédit d'impôt, solution novatrice (elle contribue à combattre les trappes à inactivité) défendue par Laurent Fabius et le rapport Pisani-Ferry sur le plein-emploi, qui sera finalement retenue. Ensuite sur les 35 heures, où elle jouera les gardiens du temple face à Laurent Fabius en écartant catégoriquement toute mesure générale d'assouplissement pour les petites entreprises, avant de se faire désavouer par un Lionel Jospin devenu pragmatique devant le retournement de la conjoncture. Puis sur le projet de loi de modernisation sociale, où elle oubliera tout simplement de consulter le patronat et les syndicats sur les nouvelles mesures d'encadrement des licenciements économiques, lesquelles seront bricolées – avec le résultat que l'on sait – dans un marchandage surréaliste avec les députés communistes. Il était ensuite logique que les partenaires sociaux refusent la session de rattrapage qu'elle leur a récemment proposée sur les décrets d'application de la loi.

Enfin, la ministre de la Solidarité s'est laissé complètement déborder sur la santé

Non contente de bâtir un budget de la Sécu pour 2002 sur des hypothèses macroéconomiques fantaisistes, de laisser filer les dépenses de soins sans garde-fou (+ 5,6 % en 2001, contre + 3,5 % prévus), Élisabeth Guigou a totalement sous-estimé la grogne des médecins et infirmières libérales, persuadée que ses « Grenelle de la santé » suffiraient à la désamorcer. Les 700 millions d'euros lâchés à la fin de l'an dernier aux hôpitaux et aux cliniques ont contribué à mettre le feu aux poudres. Hésitante sur la conduite à tenir (début janvier, les revendications des généralistes ont été tour à tour qualifiées d'« excessives », puis de « légitimes »), la ministre a d'abord parié sur le pourrissement du conflit, avant de confier – tardivement – le bébé à la Cnam.

Pour sa défense, Élisabeth Guigou peut invoquer des circonstances atténuantes. Martine Aubry lui a laissé quelques bombes à retardement : le passage des PME aux 35 heures, le financement de la RTT et une assurance maladie en jachère. La dégradation de la conjoncture et donc de l'emploi ne lui a pas facilité la tâche. Et Matignon l'a souvent poussée à la faute (notamment sur le licenciement économique). Il n'empêche, son passage Rue de Grenelle ne restera pas dans les annales.

Auteur

  • Denis Boissard