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Politique sociale

A 45 ans, t'es trop vieux pour devenir fonctionnaire

Politique sociale | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.02.2002 | Frédéric Rey

Candidat au service de l'État, attention à la limite d'âge ! Cette ségrégation à l'embauche est strictement interdite sauf… dans la fonction publique. Pas un concours n'y échappe, même si les dérogations se multiplient. Car, nécessité faisant loi, les pénuries de personnel contraignent les administrations à assouplir leurs critères.

Vous êtes un homme de plus de 45 ans et vous envisagez de passer un concours de la fonction publique ? Trop tard, vous avez dépassé la date de « péremption ». Alors que dans le secteur privé le Code du travail interdit de mentionner une limite d'âge dans les offres d'emploi, l'État-patron peut en toute impunité fermer ses portes aux quadras. Pour certains métiers, la barre descend parfois bien au-dessous des 45 ans. Passé 35 ans, on ne peut plus entrer en tant qu'ingénieur d'études sanitaires au ministère de l'Emploi. À 40 ans, inutile d'espérer devenir élève directeur d'hôpital. Après 28 ans, il faut faire une croix sur une carrière de gardien de la paix. « Nous refusons quotidiennement des candidats, souligne un responsable du recrutement du ministère de l'Intérieur, même si la personne a dépassé l'âge limite d'un seul jour. » Pour de nombreux emplois de cadres, où il existe souvent une obligation de service pendant au moins dix ans, l'âge du candidat doit être compris entre 28 et 40 ans. Le législateur n'a même pas jugé bon de réparer cette injustice dans le dispositif de lutte contre les discriminations adopté en novembre 2001. Si le texte précise qu'aucune distinction ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leur âge, il est dit aussi que le recrutement reste soumis à des conditions d'âge. Dans le public, cette forme de ségrégation demeure donc parfaitement légale et organisée.

Pour justifier ce régime particulier, l'État invoque le besoin de pouvoir assurer un déroulement de carrière à chacune de ses nouvelles recrues. Chaque corps est en effet savamment divisé en grades et échelons qui rythment la carrière du fonctionnaire. Les concours d'entrée dans les grandes écoles de l'État comme l'ENA ou celle de la magistrature sont assortis d'une période d'engagement à servir l'État, en raison des rémunérations versées aux stagiaires et des sommes investies dans ces formations souvent longues, sous peine de devoir rembourser les frais de scolarité. Les diplômés des instituts régionaux d'administration (IRA), par exemple, doivent au moins rester six années en poste.

Des exceptions en pagaille

Enfin, l'agent doit aussi au moins exercer pendant quinze années pour pouvoir percevoir une pension civile de retraite. C'est également le cas dans la fonction publique territoriale, où, pourtant, les critères d'âge sont inexistants. Sur la cinquantaine de concours organisés pour le personnel communal, départemental et régional, seuls deux font exception à la règle : les conservateurs de bibliothèque et du patrimoine, dont l'âge limite est de 30 ans. « Cela tient au fait que les épreuves et la formation sont communes à la territoriale et à la fonction publique d'État, précise Lydie Grondin, responsable des examens au Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). Tous les autres concours brassent une population beaucoup plus large, à l'image de la filière culturelle où l'âge moyen des candidats avoisine les 50 ans. »

Dans les services de l'État, l'âge reste un incontournable critère de sélection, même si, avec le temps, de nombreuses dérogations sont venues écorner ce principe général.

« Nous avons vu s'empiler des textes qui multiplient les exceptions », explique Nadine Herman, responsable du bureau du recrutement et de la formation au sein de la Direction générale de l'administration de la fonction publique (DGAFP). En 1990, le gouvernement Rocard décide, dans le cadre des accords Durafour, d'éliminer toute condition d'âge pour les concours internes accessibles aux seuls fonctionnaires. Sont également venues modifier la règle des mesures de discrimination positive destinées à favoriser l'emploi des femmes. Les mères de trois enfants, les veuves ou divorcées non remariées, les femmes ayant un enfant à charge peuvent poser leur candidature quel que soit leur âge. Sur les 510 personnes qui ont passé avec succès, en 2000, les épreuves pour devenir surveillant de prison, le ministère de la Justice a ainsi recensé deux femmes de plus de 40 ans, alors que la limite est de 38 ans. L'exception s'est aussi étendue à d'autres catégories, tels les sportifs de haut niveau. À 34 ans, l'ancienne championne olympique Marie-Jo Pérec pourrait ainsi sans difficulté se reconvertir en gardien de la paix.

Saignée dans les effectifs

Enfin l'État, magnanime, repousse la limite d'âge pour une liste hétéroclite d'individus ou de situations : les militaires de carrière, les femmes élevant ou ayant élevé des enfants, les hommes ayant accompli leur service national ou civil. « Du coup, la préparation des concours nécessite de passer beaucoup de temps à réunir des pièces justificatives, puis à les vérifier », explique encore Nadine Herman. Et, nécessité faisant loi, l'État n'hésite pas non plus à aménager la règle quand la fonction publique se heurte à un nombre insuffisant de candidatures. À la fin des années 80, l'Éducation nationale en manque de candidats a carrément supprimé toute limite d'âge pour les concours d'enseignants. Et l'exception risque de durer longtemps puisque environ 40 % des professeurs et instituteurs en poste en 1998 vont faire valoir leur droit à la retraite d'ici à 2010.

La saignée dans les effectifs de la fonction publique provoquée par le départ des bataillons de baby-boomers – d'ici à 2012, la moitié des troupes aura atteint l'âge de la retraite – va donner une importance cruciale au recrutement. Les administrations lorgnent déjà les jeunes diplômés, mais ce vivier, âprement convoité par le secteur privé, ne suffira pas pour amortir le choc démographique. Car l'État aura également besoin de personnels d'âges intermédiaires. Du coup, des ministères diversifient leurs modalités de recrutement (voir encadré) et repoussent les limites d'âge. C'est le cas dans la magistrature où trois concours étaient jusqu'alors ouverts. Pour les jeunes diplômés de l'université, la barre est placée à 27 ans, au maximum. Pour les fonctionnaires, elle est située à 46 ans et cinq mois. Enfin, pour les candidats dotés d'une expérience professionnelle dans le privé, cette limite est repoussée à 40 ans dans le cadre de concours spécifiques dits « de troisième voie ».

Face aux besoins criants des juridictions, la chancellerie vient de mettre en place une quatrième sélection, à titre exceptionnel : les candidats doivent avoir au moins 35 ans et justifier de dix années d'expérience professionnelle… Ce concours atypique doit avoir lieu une fois par an jusqu'en 2004. Mais pourquoi ne pas supprimer alors tous les critères d'âge et mettre tout le monde sur le même pied d'égalité ? Le sujet commence à être timidement évoqué, notamment en vertu du principe de fondement d'égalité entre hommes et femmes.

Au cours de l'été 2001, la Commission européenne a demandé à l'État français de se mettre en conformité avec le traité d'Amsterdam qui pourfend les discriminations fondées sur le sexe. Cette réparation doit en l'occurrence profiter, une fois n'est pas coutume, au sexe masculin. Désormais, les hommes comme les femmes célibataires ayant au moins un enfant à charge pourront passer les concours sans se préoccuper de leur âge. « C'est une première étape, souligne Nadine Herman. Nous nous sommes engagés à étudier ces dérogations spécifiques d'ici à la fin de l'année 2003. »

Surveillant de prison à 42 ans

Mais la fonction publique reste prudente. Car, en bidouillant les conditions d'âge, l'administration sait qu'elle risque de faire chanceler un édifice à l'équilibre fragile. C'est non seulement le déroulement de carrière qui peut être affecté, mais aussi les conditions de départ à la retraite. Si l'agent n'a pas ses quinze années de cotisation dans le public, il est transféré au régime de base de la Sécurité sociale et à l'Ircantec (régime des agents non titulaires) pour sa retraite complémentaire. Mais les taux de cotisation y sont plus élevés que pour les fonctionnaires. Pour bénéficier d'une retraite, l'agent doit alors racheter des points et débourser des sommes pouvant atteindre quelques dizaines de milliers d'euros.

Cette mésaventure est survenue à des surveillants de prison à la fin des années 90 en raison de la conjonction de deux mesures différentes. Première étape : en 1993, un décret repousse pour cette profession l'âge limite de 35 à 40 ans. Mais, grâce aux dérogations permettant le recul de cette limite, nombre de candidats intègrent ce corps alors qu'ils ont 41 ou 42 ans. Deuxième étape : en 1996, il est décidé que les gardiens pourront faire valoir leur retraite à partir de 50 ans et jusqu'à 55 ans maximum. De plus, pour chaque tranche de cinq années, les surveillants bénéficient d'une année de bonification. Une mesure généreuse qui avait omis de prendre en compte les changements dans les conditions de recrutement. Que s'est-il passé ? à l'âge où ils devaient partir à la retraite, plusieurs de ces hommes et femmes n'avaient pas leurs quinze années de cotisation. Grand seigneur, la chancellerie a fait cadeau à ses agents des trimestres de cotisation manquants. Aussitôt, la limite d'âge du concours a été ramenée à 38 ans.

Malgré certaines améliorations pour tenir compte de l'expérience professionnelle, les épreuves de sélection restent très largement conçues pour des jeunes sortant de l'école. Autre difficulté, l'absence de passerelles entre privé et public. L'ancienneté accumulée dans le privé n'est quasiment pas reconnue par l'administration. Un cadre avec dix ans d'expérience dans une entreprise qui deviendrait fonctionnaire sera rétrogradé au premier échelon, au même niveau qu'un jeune diplômé. Les hôpitaux ont réagi pour les professionnels du paramédical, recrutés avec la moitié de l'ancienneté acquise dans le privé. Mais avec le développement attendu des concours de troisième voie, il faudra généraliser cette mesure à l'ensemble des corps. Avant de mettre fin aux conditions d'âge, ce sont donc plusieurs éléments du précieux statut de la fonction publique qu'il convient de changer. Vu l'immobilisme de l'état et des syndicats de fonctionnaires, il y a fort à parier qu'une telle remise en cause prendra du temps.

La fonction publique multiplie ses voies d'accès

La fonction publique ouvre son recrutement sur l'extérieur. Au-delà des traditionnels concours externes et internes, le Comité interministériel pour la réforme de l'État préconise de diversifier les modes d'accès à la fonction publique.

Ainsi, dès 2001, plusieurs concours sur titre ont été ouverts afin d'intégrer des profils de carrière, de compétence ou de qualification. Matignon, par exemple, recherche des chargés d'études documentaires et des juristes.

Le ministère de l'Intérieur embauche des attachés dans le domaine du contrôle de gestion, de la communication et des nouvelles technologies.

Au total, une quinzaine de postes pourront être pourvus par ces recrutements. Mais toutes les expériences sont aujourd'hui bonnes à prendre. Les services de l'État chassent de plus en plus sur les terres du privé en organisant de nombreux concours dits de troisième voie où les limites d'âge sont reculées et les épreuves de sélection modifiées. Cinq grands ministères ont profité de l'aubaine pour divers emplois : des conseillers d'éducation populaire pour la Jeunesse et les Sports, des personnels enseignants pour le ministère de l'Éducation nationale, des inspecteurs du travail pour le ministère de l'Emploi ou encore des ingénieurs de la construction pour Bercy. Mais les autres administrations ne devraient pas tarder à suivre.

Dans chaque ministère, les services de recrutement doivent en effet organiser des concours de troisième voie dans au moins deux corps d'ici à la fin 2002.

Auteur

  • Frédéric Rey