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Vie des entreprises

Licenciement de cadres

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.01.2002 | Jean-Emmanuel Ray

Le cadre, un salarié à part ? Il n'y a pas que la législation sur le temps de travail qui reconnaisse la spécificité des cadres. La Cour de cassation leur consacre une jurisprudence « sui generis », plus compréhensive que par le passé, notamment sur les divergences de vue avec leur direction, le licenciement disciplinaire ou le respect de la vie privée.

« Eu égard à sa position hiérarchique, M. D. devait donner l'exemple à ses subordonnés » : l'arrêt de la Cour de cassation du 17 octobre 2001 rappelait qu'un cadre n'est pas un salarié comme un autre. La loi Aubry II avait dû le constater en matière de temps de travail, et cette spécificité se retrouve en matière électorale. Trois exemples en matière de licenciement.

A. – Le pouvoir de dire non ? Divergences de vue et rupture

Dire parfois non à la direction, ou systématiquement non à ses subordonnés, aboutirait-il au même résultat : la porte ?

Côté direction : « Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes ; ils peuvent se tromper tout comme les autres hommes. » (Le Cid, acte I, scène IV.) La courageuse pique de Corneille est-elle applicable à nos nouveaux « Roi-Soleil » ? « M. Pierre, cadre de haut niveau, pouvait être amené à formuler dans l'exercice de ses fonctions et du cercle restreint du comité directeur dont il était membre des critiques même vives concernant la nouvelle organisation proposée par la direction, le document litigieux ne comportant pas de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs. » Jusqu'à cet arrêt du 14 décembre 1999, la situation du cadre supérieur français n'était guère éloignée du Yes, man d'outre-Atlantique si bien décrit dans un célèbre feuilleton pétrolier. Face aux errements de sa direction dans son domaine d'expertise, il n'avait guère le choix : licencié pour « perte de confiance mutuelle » si les critiques étaient mal reçues par le dirigeant, il l'était pour « incompétence notoire » si le cap retenu se révélait désastreux.

La Cour de cassation adopte aujourd'hui à l'égard de ces cadres une attitude beaucoup plus compréhensive. Un directeur général de filiale multiplie les notes comminatoires : là où l'entreprise avait vu « une stratégie frauduleuse de rupture provoquée » (i. e. le droit au faux licenciement pour un futur démissionnaire), la chambre sociale répondait le 23 octobre 2001 que « ces notes traduisaient uniquement des divergences de vue, sans dépasser le cadre d'un débat normal entre deux cadres de haut niveau sur la stratégie à adopter » (défaut de cause réelle et sérieuse). S'agissant au contraire d'un cadre moyen de laboratoire, elle acceptait le 10 octobre 2001 qu'un « désaccord avec la politique qualité de l'entreprise », exprimé en des termes « peu amènes et sans passer par la voie hiérarchique », constitue un motif légitime de rupture.

Et dire non à ses subordonnés, à une époque ou le savoir relationnel devient essentiel pour l'animation d'une équipe ? « La mésentente entre un salarié et tout ou partie du personnel ne peut constituer une cause de licenciement que si elle repose objectivement sur des faits qui lui sont imputables. » (Cass. soc., 27 novembre 2001.) Si le cadre en question était bien « en conflit permanent avec le personnel », aucun comportement fautif ne pouvait lui être imputé. Pour la Cour, l'intérêt objectif de l'entreprise passe donc après celui de ce collaborateur : ce dernier a donc non seulement touché l'indemnisation pour défaut de cause réelle et sérieuse, mais également des dommages-intérêts supplémentaires eu égard « aux conditions vexatoires de la rupture ».

Mais à l'inverse, et bien avant la récente loi, la Cour de cassation n'hésitait pas à qualifier de faute grave le harcèlement moral : « Ce responsable d'atelier avait adopté une attitude négative et menaçante à l'égard de ses subordonnés, insulté et harcelé un salarié pour le pousser à la démission, d'où résultait une hostilité permanente rendant impossible l'exécution du préavis. » (Cass. soc., 17 octobre 2001.) Le pouvoir de dire non, dans l'intérêt bien compris de l'entreprise, reste le propre d'un cadre responsable… mais parfois téméraire.

B. – Licenciements disciplinaires

1° Les surprises de la règle non bis in idem

In or out : comme il n'est guère question d'infliger un blâme ou une mise à pied (MAP) à un cadre, il fait l'objet d'une autre MAP (« mise au point »), en forme de point sur les i, avant rupture. Problème : cette MAP, souvent suivie d'une confirmation écrite, constitue-t-elle un avertissement au sens légal, mettant alors un terme au pouvoir disciplinaire sur les fautes antérieures ?

« La lettre adressée au salarié postérieurement à l'entretien préalable lui reprochait diverses erreurs, et le mettait en demeure de faire un effort sous peine de déclassement ; il en résultait qu'elle sanctionnait un comportement fautif et constituait un avertissement. » (Cass. soc., 13 novembre 2001, les fautes en question, parfois graves, avaient donc déjà fait l'objet d'une sanction, la plus légère.)

S'agissant d'un cadre supérieur mi-mandataire, mi-salarié, la chambre sociale a curieusement décidé le 26 septembre 2001 à propos d'un directeur général adjoint de GIE, révoqué de son mandat pour une faute commise dans l'exercice de celui-ci, que « ce manquement ne pouvait être sanctionné à nouveau par un licenciement » visant le directeur du développement qu'il était resté comme salarié. Mais, en l'espèce, « une clause du contrat de travail prévoyait que les erreurs éventuellement commises par M. C. dans ses fonctions de mandataire ne pourraient être prises en considération pour justifier un licenciement de son emploi ».

2° Respect des délais

Le délai légal de deux mois maximum entre faute et déclenchement de la procédure pose parfois problème, le cadre fautif mais habile sachant dissimuler ses turpitudes. Mais, comme l'a rappelé la Cour le 30 octobre 2001, si la faute était intervenue en mai 1994 et le licenciement seulement un an après, « l'employeur n'avait eu une connaissance exacte et complète de ces faits qu'au mois de mai 1995 » : le délai avait donc été respecté.

3° Licéité des preuves

La preuve informatique – légalisée depuis mars 2000 en droit des contrats – est de plus en plus souvent utilisée devant les prud'hommes, et particulièrement la section encadrement, tant par les entreprises que par les cadres (cf. la mémoire d'un ordinateur concernant le temps de travail).

Côté entreprises, « l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de ses salariés : seul l'emploi de procédés clandestins de surveillance est illicite ». Mais à cet arrêt du 13 mars 2000, rappelant l'obligation légale d'information préalable, individuelle et collective, il convient d'ajouter :

a) L'article L. 120-2, auquel se réfère l'arrêt Nikon du 2 octobre 2001 sans toutefois le mettre en application : ainsi, un employeur ayant ouvert un courriel – ou un dossier de disque dur – expressément qualifié de « personnel » ne pourra par la suite faire état des turpitudes qu'il contient, sous peine de jouer à l'arroseur arrosé avec l'éventuel délit pénal de violation de la correspondance, sur lequel devait se prononcer la cour d'appel de Paris le 18 décembre 2001 s'agissant, il est vrai, d'un service public où la bonne foi n'entre pas en ligne de compte.

b) La grande méfiance des juges à propos de ces techniques qu'ils comprennent mal et qui, avec le numérique, peuvent faire l'objet de montages presque parfaits. C'est ainsi que devant le conseil de prud'hommes de Nanterre, le 16 juillet 1999, un cadre d'une grande société d'informatique ayant oublié des photos pornographiques en provenance d'Internet sur la photocopieuse du service mais ayant ensuite tout nié en bloc a obtenu plus de 500 000 francs de dommages et intérêts en plaidant la manipulation ultérieure de son disque dur. Or, en matière de sanction, le doute profite au salarié, a fortiori en cas de faute grave.

4° Faute grave ou simple cause réelle et sérieuse ?

Si « le cadre doit montrer l'exemple », la sanction doit-elle être exemplaire ?

Là encore, la jurisprudence ne semble plus faire preuve d'une excessive sévérité : si les fautes jugées graves ne manquent pas, les faits l'étaient assurément.

« À l'insu de son employeur, Mme Y. avait pris des contacts avec l'acquéreur potentiel de l'entreprise, présenté une estimation préjudiciable (le prix chutant de 12 millions de francs à 7 millions) et s'était immiscée dans les affaires de celui-ci. » (Cass. soc., 25 septembre 2001.)

« Le directeur du cabinet d'assurances avait établi, à l'insu de son employeur, un avenant au bulletin d'adhésion de l'entreprise au régime de prévoyance, et ajouté à son avantage des garanties non prévues lors de l'embauche. » (Cass. soc., 30 octobre 2001.)

« En tant que directeur, M. D. avait détourné à son profit des pierres de construction et fait réaliser des travaux de maçonnerie dans sa propriété par des handicapés placés sous sa responsabilité. » (Cass. soc., 6 novembre 2001.)

Quant au cadre d'EDF-GDF à qui la chambre sociale indiquait « qu'eu égard à sa position hiérarchique il devait montrer l'exemple à ses subordonnés », la faute grave était constituée par « des enlèvements nocturnes de carburants : 500 litres d'essence ». (Cass. soc., 17 octobre 2001.)

C. – Travail à la maison et licenciement du bureau

« Attendu que le salarié n'est tenu ni d'accepter de travailler à domicile ni d'y installer ses dossiers et instruments de travail » : à la suite de l'ordre de son employeur de travailler désormais à temps plein chez lui, M. Abram, inspecteur divisionnaire, avait donc pu valablement prendre acte de la rupture puisque son bureau au bureau avait été supprimé. Rendu le même jour que l'arrêt Nikon, l'arrêt Zurich Assurances du 2 octobre 2001 est à terme sans doute plus important en raison de la lente mais générale délocalisation du travail du bureau vers la maison, facilitée par la diffusion des nouvelles technologies de la communication. Alors que de nombreux cadres disposaient déjà d'un ordinateur, portable ou fixe, à leur domicile, nombre d'entreprises (Vivendi, EDF-GDF, Prisma…) voulant lutter contre l'illettrisme technologique leur en offrent à des prix d'achat et d'abonnement à Internet défiant toute concurrence, avec un coup de pouce du fisc comme de l'Urssaf jusqu'en 2003. Mais ce généreux don professionnel à usage personnel risque de brouiller encore davantage cette frontière déjà excessivement poreuse pour les cadres. Sans doute peut-on effectivement « travailler n'importe où, n'importe quand » avec les NTIC. Mais, pour le juriste comme pour le citoyen, c'est le contraire : « Il importe où, il importe quand », comme le rappelle Alain Supiot dans son introduction au dernier numéro de Droit social (numéro spécial, janvier 2002 : « Droit du travail et NTIC »). Le domicile n'est pas un lieu comme un autre : c'est le sanctuaire de la vie privée, où le salarié doit retrouver une totale autonomie et pouvoir « vaquer librement à des occupations personnelles ». Légitime position rappelée par l'arrêt du 27 novembre 2001 : un salarié officiellement en repos ne peut être fautif pour ne pas s'être rendu à une réunion ce jour-là. L'idée centrale figurant dans celui du 6 février 2001 est reprise : pendant les périodes de suspension du contrat de travail, « le salarié ne saurait être tenu de poursuivre une collaboration avec l'employeur », même si à l'évidence il reste tenu par l'obligation de loyauté.

Au XXIe siècle, le respect de la vie privée passe par la négociation d'un droit conventionnel à la déconnexion technique, préalable nécessaire pour obtenir le plus difficile : la déconnexion intellectuelle, qui seule nous rend vraiment disponible pour nos enfants ou notre entourage. Le temps passé avec eux ne peut être chronophage.

FLASH

• « Une mise à pied conservatoire, qui ne peut être justifiée que par une faute grave ou lourde, est nécessairement à durée indéterminée, quelle que soit la qualification que lui donne l'employeur. Dès lors, la mise à pied prononcée pour un temps déterminé présente un caractère disciplinaire. » L'arrêt Onet du 6 novembre 2001 inverse peut-être la problématique : s'il paraît évident qu'une mise à pied disciplinaire est forcément à durée déterminée, la mesure d'attente que constitue la mise à pied conservatoire peut par exemple correspondre au délai fixé entre la connaissance de la faute et l'entretien préalable. Mais désormais, une mise à pied à durée déterminée sera forcément disciplinaire (« non bis in idem »…).

• À la suite d'une mise à pied conservatoire, l'employeur peut-il infliger une mise à pied disciplinaire d'une durée exactement équivalente ? Comme l'a remarqué la Cour de cassation le 26 septembre 2001, aucun texte ne l'interdit, même si cela rappelle une vieille pratique des tribunaux correctionnels voulant par leur condamnation couvrir la détention provisoire.

• Une mise à pied conservatoire prononcée hors faute grave peut, « en raison de la brutalité de la rupture », constituer « des circonstances vexatoires conduisant à un préjudice distinct de celui résultant du licenciement ». (Cass. soc., 18 juillet 2001.)

Il est vrai que cette éviction-minute d'un collaborateur encourage toutes les rumeurs.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray