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Vie des entreprises

Daniel Lenoir fait bouger la MSA en douceur

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.01.2002 | Isabelle Moreau

Arrivé en 1997 à la tête d'une institution secouée par un scandale financier, Daniel Lenoir a fait le grand ménage au sein de la Mutualité sociale agricole : nouvelle convention collective, refonte des classifications, 35 heures… une révolution culturelle qui s'est accompagnée d'une relance du dialogue social.

Mission impossible ? Lorsqu'il arrive en septembre 1997 à la direction de la Mutualité sociale agricole, Daniel Lenoir sait que la tâche ne sera pas de tout repos. La mutuelle agricole est encore sous le choc d'un rapport de la Cour des comptes qui a révélé de graves malversations financières dans la gestion de la Caisse centrale de la MSA. « Démission » du président de la MSA et du conseil d'administration, nomination d'un administrateur provisoire en la personne de Christian Babusiaux, ancien directeur général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes : l'entreprise traverse alors une crise sérieuse. Sur le bureau du nouveau directeur général, les dossiers s'empilent. Le dialogue social est moribond, cela fait dix ans que les négociations sur les classifications piétinent, une nouvelle convention collective doit être négociée… et les 35 heures s'annoncent.

L'ambiance est aujourd'hui méconnaissable. Après une longue bataille, la Mutualité sociale agricole vient d'obtenir le vote du Parlement et l'aval du Conseil constitutionnel pour gérer les accidents du travail et les maladies professionnelles des exploitants agricoles, faisant ainsi la nique aux assureurs. Un risque de plus dans l'escarcelle de la MSA (4,5 millions d'assurés) qui élargit son guichet unique puisque, déjà, elle encaisse les cotisations et verse les prestations maladie, famille, vieillesse des salariés et non-salariés, et couvre les accidents du travail des salariés. Grâce à un réseau resserré et décentralisé de 78 caisses, la MSA peut traiter un dossier en moins de huit jours. Partisan d'un grand coup de balai, Daniel Lenoir a fait déménager les 800 salariés du siège (CCMSA) du VIIIe arrondissement aux Mercuriales, des tours situées à deux pas du périphérique parisien. Ce qui n'a pas été du goût de l'ensemble du personnel, mais a contribué à tirer un trait sur un passé agité.

1 LES 35 HEURES PAR ANTICIPATION

Dès son arrivée aux commandes de la MSA, Daniel Lenoir est contraint de retrousser ses manches. Les négociations entamées au début des années 90 pour refondre la grille des qualifications, devenue obsolète, des 18 000 salariés de la MSA sont au point mort. La convention collective de 1968 a été dénoncée par la Fédération nationale de la mutualité agricole (FNMA), qui représente les employeurs, et les conflits se multiplient dans l'entreprise. En février 1998, nouvelle péripétie, Groupama, partenaire de toujours de la Mutualité, quitte la FNMA, optant pour la convention collective des assureurs. Et obligeant la MSA à créer une nouvelle fédération patronale. La nouvelle Fédération nationale des employeurs de la MSA (Fnemsa) voit le jour en juin. C'est la toute première décision de l'ère Lenoir.

Mais, à la rentrée 1998, d'autres nuages menacent. « Certains directeurs de caisse souhaitaient mettre en place la réduction du temps de travail, se souvient Marie Jouffe, la directrice des relations sociales et des ressources humaines. Si la Caisse centrale ne faisait rien, cela risquait de partir dans tous les sens. Comme la loi Aubry I était favorable à l'emploi et que la pyramide des âges de la MSA était plutôt déséquilibrée, nous avons jugé bon d'anticiper les départs en retraite et de faire entrer du sang neuf. Nous avons donc proposé aux syndicats de négocier un paquet commun 35 heures-convention collective. » Excepté pour les 500 praticiens et 300 agents de direction qui relèvent de conventions collectives différentes. « Quand Daniel Lenoir est arrivé, confirme Laurence Fabert, responsable nationale de la MSA pour la CGT, il avait la volonté de redorer le blason de la maison. Il souhaitait mener de front la RTT et l'élaboration d'une nouvelle convention collective. Comme c'était difficile, il a pris le parti de privilégier les 35 heures, car cela allait plus vite. »

De fait, les négociations, menées tambour battant en trois mois, se soldent par un accord-cadre le 15 décembre 1998. Signé par l'ensemble des organisations syndicales, à l'exception de FO et de l'Unsa, le texte prévoit le maintien ou la création de 1 000 emplois au sein de l'institution, moyennant une modération salariale sur deux ans. Mais, surtout, il instaure le blocage de la prime d'ancienneté, renvoyé pour discussion lors de la renégociation de la convention collective. Avec cet ersatz d'accord de branche, l'échelon central a montré la voie. Chaque caisse – organisme privé doté d'un conseil d'administration composé d'élus du monde agricole – a été libre de négocier la mise en place des 35 heures avec les syndicats. Au 1er juillet 1999, toutes les caisses (sauf celle de Perpignan) avaient signé un accord.

« À la CCMSA, c'est plutôt 32 heures 30 », indique Daniel Le Hay, secrétaire FO de la section fédérale des organismes agricoles. Explication ? Pour faire passer la pilule du déménagement des équipes à Bagnolet, qui rallonge le temps de trajet d'un certain nombre de salariés, l'horaire hebdomadaire de travail a été fixé à 35 heures, incluant la pause-déjeuner d'une demi-heure. « Nous bénéficiions déjà de ce système depuis 1978 », indique Daniel Guillemot, délégué CGT de la CCMSA. L'accord (qui s'est soldé par l'embauche de 15 équivalents temps plein) maintient également le système d'horaires variables. Les salariés travaillent entre 5 et 9 heures par jour dans des bureaux ouverts de 7 heures à 19 heures. Résultat, ils peuvent opter pour la semaine de quatre jours, travailler 35 heures ou même 40 heures, les 5 heures supplémentaires donnant droit à récupération. À la MSA de Gironde, qui compte 500 personnes, les 35 heures ont été « l'occasion d'une remise à plat des horaires », souligne son directeur, François Gin. Les salariés organisent leur temps à leur guise. Seule obligation : venir travailler le mardi.

Deux ans après sa signature, Marie Jouffe estime que l'accord-cadre s'est avéré « gagnant-gagnant ». Pas FO, qui rappelle que le maintien des emplois est garanti « pendant deux ans seulement ». Daniel Le Hay dénonce aussi la modération salariale et juge insuffisante la revalorisation de 1 % du point décidée d'une manière unilatérale par l'employeur au 1er juillet 2001. Le feuilleton des 35 heures dans l'institution est désormais terminé. Un accord a en effet été signé le 27 novembre 2001 pour les praticiens par les seules CFDT et CGT, les autres syndicats ayant claqué la porte. Ils souhaitaient négocier en parallèle la nouvelle convention collective – l'actuelle expire à la mi-février – et notamment le volet rémunération et évolution de carrière des médecins.

2 UNE CONVENTION COLLECTIVE SANS ATTENDRE

Une fois les salariés passés à 35 heures, Daniel Lenoir s'est attaqué, à la mi-1999, au dossier de la convention collective. La partie est serrée car la délicate question du gel de l'ancienneté, laissée de côté lors des négociations sur la RTT, revient sur le tapis. Le temps presse : l'ancienne convention collective, dénoncée en 1997, expire le 31 décembre. À l'arraché, le directeur général de la MSA parvient, le 22 décembre 1999, à la signature d'une nouvelle convention qui sera agréée par le ministère de l'Agriculture en janvier 2000.

Le texte introduit deux changements majeurs : jusqu'à présent, la prime d'ancienneté (2 % par an pendant vingt ans) pouvait représenter jusqu'à 40 % du salaire de base, soit jusqu'à 28 % du salaire total. Désormais, elle ne sera plus que de deux « points d'expérience » par an. Un système de classification est également instauré. Les grades se transforment en « critères classants », au sein de chacune des six filières (protection sociale-santé, informatique, action sanitaire et sociale…) comprenant chacune huit niveaux (quatre non-cadres et quatre cadres). Un ingénieur informatique ou un chargé de mission se retrouvent ainsi au niveau 6, tandis qu'une secrétaire est située au niveau 2 ou 3. Il ne sera par ailleurs plus possible de progresser dans la hiérarchie sans changer d'emploi. « Le dispositif laisse une plus grande part à la performance individuelle. C'est une rupture culturelle et il est normal qu'un an après le système ne soit toujours pas compris », reconnaît Yves Humez, directeur délégué chargé des ressources humaines et du réseau. Même Daniel Lenoir convient que le nouvel outil destiné à faciliter la gestion des compétences doit être mieux utilisé.

Sur le terrain, les salariés vivent assez mal le changement. « Aujourd'hui, le système de classification pose problème dans les caisses locales. Pour preuve, la commission paritaire d'interprétation de la convention collective croule sous les recours des syndicats. Une cinquantaine de dossiers ont été déposés lors de la dernière réunion et six seulement ont été traités », explique Daniel Le Hay, de FO. Même la CFDT, première aux élections professionnelles, se montre critique : « Les directions locales n'ont pas les mêmes positions que la CCMSA, qui a négocié la convention, explique Hervé Grall, secrétaire fédéral de la Fédération agro-alimentaire de la confédération. C'est pourquoi il y a eu des débrayages et un mouvement de protestation national en septembre 2001. Nous réclamons des référentiels de compétences qui, pour le moment, n'existent pas. Lorsqu'un technicien de base acquiert des compétences et un savoir-faire, cela n'est pas pris en compte. »

La transposition de la nouvelle classification suscite également des critiques de la part de la CGT. « Sur le terrain, explique Laurence Fabert, beaucoup de techniciens ont été reclassés au niveau le plus bas. Aujourd'hui, on ne sait pas exactement comment on passe d'un niveau à l'autre. Avant, c'était automatique. Si nous sommes favorables au système d'individualisation, il faut aussi arriver à clarifier le parcours professionnel. »

3 UN DIALOGUE SOCIAL REVITALISÉ

Choisi par Christian Babusiaux, en accord avec les membres du conseil d'administration démissionnaire, pour son « habitude de la concertation sociale et son attitude d'ouverture », Daniel Lenoir bénéficie d'une image positive au sein de ses troupes. Il a su très vite faire oublier son corps d'origine, l'ENA, qui n'a pas une grosse cote dans l'institution. Perçu comme un bon stratège ayant l'art de se sortir des dossiers empoisonnés, il est invariablement qualifié d'« ambitieux », d'« énergique » et d'« accessible » par ses interlocuteurs syndicaux. Une réputation qui tient principalement à sa capacité de restaurer le dialogue social à la MSA.

À son crédit, les organisations syndicales portent bien entendu l'accord de février 2001 sur la reconnaissance du fait syndical. Le texte leur donne moyens supplémentaires, crédits de jours rémunérés par l'employeur et stages de formation syndicale. Il prévoit en outre que, dans les organismes d'au moins 50 salariés, la direction mette à la disposition des sections syndicales un local commun avec un ordinateur doté d'un accès illimité à Internet, isolé du réseau institutionnel. Enfin, il contient des dispositions pour éviter toute forme de discrimination syndicale. Notamment la possibilité de faire des comparaisons en termes d'évolution de carrière entre un salarié syndiqué et ses collègues. Autre innovation, la MSA a mis en place une instance nationale de concertation, l'équivalent d'un comité de groupe, où les partenaires sociaux peuvent intervenir sur les questions institutionnelles susceptibles de modifier l'organisation du travail et l'emploi dans les caisses.

L'accord de février a également conduit à la création d'un observatoire des emplois. Mission : faciliter les décisions en matière de gestion des ressources humaines et de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences. Dans la foulée, neuf groupes de travail ont été mis en place. L'un d'entre eux examine l'évolution de la population agricole, qui compte de plus en plus de salariés, ainsi que les nouvelles technologies de l'information et les nouveaux métiers à développer pour apporter une réponse aux demandes des assurés. Tout cela devrait déboucher sur des actions de formation à l'horizon 2003.

« C'est une bonne chose, commente Hervé Grall, car aujourd'hui il n'y a pas véritablement de culture RH dans les caisses. Au niveau local, les directeurs monopolisent tout. » Pour impliquer son réseau, Daniel Lenoir a imposé que chaque groupe de travail soit piloté par un directeur de caisse et un membre de la direction centrale. Par exemple, celui consacré à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences est animé par la DRH et par le directeur de la MSA de Gironde, François Gin. Quant au directeur général, il rencontre régulièrement le comité technique de liaison des directeurs afin de débattre des sujets d'actualité.

4 UN SOUCI DE FIDÉLISER LES JEUNES DIPLÔMÉS

À la Mutualité sociale agricole, il n'y a quasiment pas de mobilité géographique. Même si des dispositions spécifiques existent dans la nouvelle convention collective. « Elle est pratiquement imposée aux agents de direction, mais ne concerne pas vraiment les autres salariés. Actuellement, il est assez compliqué de changer de caisse », reconnaît Marie Jouffe. Certains tentent cependant l'aventure. Souvent pour des raisons personnelles. Les caisses fonctionnant comme de véritables entreprises, les salariés doivent en effet démissionner de leur précédent emploi et signer un contrat de travail avec leur nouvel employeur. Seul avantage, ils conservent leur ancienneté.

Quant à la mobilité professionnelle, elle devrait être relancée, indépendamment de la refonte des classifications. « Nous travaillons actuellement à la mise en place d'une formation intermédiaire pour les cadres qui souhaitent occuper une fonction de direction », explique Yves Humez, le directeur chargé des RH et du réseau. Une façon de répondre à la demande d'évolution des jeunes diplômés qui ne peuvent pas préparer tout de suite le concours du Centre national des études de sécurité sociale de Saint-Étienne, formant les agents de direction des organismes sociaux. Et donc de les fidéliser. « À la Caisse centrale, les salaires à l'embauche sont souvent inférieurs à ceux du marché, notamment pour les chargés d'études, explique Daniel Guillemot, délégué CGT de la CCMSA. Pour les informaticiens, la nouvelle convention prévoit l'attribution de points supplémentaires aux nouvelles recrues pour ajuster leurs salaires à ceux du marché. » Au second semestre 2001, praticiens et cadres de direction touchaient en moyenne 50 000 francs brut mensuels. Un chef de département (niveau 8) percevait un peu moins de 30 000 francs, un chargé d'études (niveau 5) près de 18 000 francs, un employé (niveau 2) un peu plus de 12 000 francs et un débutant (niveau 1) environ 9 000 francs.

Si la participation n'existe pas à la MSA, l'intéressement est une idée qui fait son chemin. Certains directeurs de caisse n'ont pas hésité à le mettre en place, comme à la MSA du Cher. À la DRH, on y est plutôt favorable. Marie Jouffe a caressé un moment l'idée d'introduire une clause sur l'intéressement dans la nouvelle convention collective. Une initiative abandonnée par peur d'une opposition syndicale massive. La crainte est fondée. À Force ouvrière, on se montre farouchement contre l'intéressement… même si localement certains syndicats FO ont pu signer des accords d'intéressement. « Nous gérons une délégation de service public », rappelle d'ailleurs Daniel Le Hay, le secrétaire de la section fédérale des organismes agricoles FO, qui préfère une franche augmentation de la valeur du point à l'octroi de primes.

Pour la CFDT, le principal défaut de l'intéressement, c'est qu'« il n'est pas soumis à cotisations sociales, note Hervé Grall. Dans un organisme de protection sociale, c'est gênant ! ». Même son de cloche à la CGT, où Laurence Fabert reconnaît que les caisses concluent discrètement des accords. « Nous avons du mal à obtenir des informations sur leur nombre et leur contenu », se plaint la responsable MSA cégétiste, qui serait plutôt favorable à la définition d'un cadre national « pour éviter les dérives ». La DRH de la CCMSA n'y serait certainement pas opposée. Instigatrice d'un accord d'intéressement signé il y a quelques années à la Cancava (Caisse autonome nationale de compensation de l'assurance vieillesse des artisans), Marie Jouffe entend bien remettre le sujet sur le tapis cette année. Tout simplement parce que « l'intéressement est un bon outil de finalisation des objectifs ».

5 DES CAISSES INCITÉES À SE REGROUPER

En mai dernier, lors d'une assemblée générale à Montpellier, la MSA a adopté un ambitieux « plan stratégique 2001-2005 ». Plusieurs objectifs sont visés. D'abord, passer d'une logique de guichet à une véritable démarche d'offre de services ; ensuite, renforcer son positionnement sur la protection sociale de base et complémentaire, mais aussi développer une gestion plus performante. Ce qui implique, pour Daniel Lenoir, de restructurer le réseau en favorisant le regroupement des caisses dont l'activité est au-dessous d'un seuil plancher. Pour la présidente de la MSA, Jeannette Gros, exploitante dans le Doubs, la tendance est inéluctable. Elle est bien placée pour le savoir. La caisse du Doubs qu'elle préside fait partie, comme celles du Territoire de Belfort et de la Haute-Saône, de la Fédération des marches de l'Est, un regroupement qui pourrait, à terme, concerner la caisse du Jura. « Lorsqu'une caisse devient trop petite, affirme Jeannette Gros, elle a du mal à conserver son personnel. Avec les regroupements, on peut arriver à maintenir des emplois de qualité par une mise en commun du personnel. » « Le réseau a tout à y gagner », complète Yves Humez.

Sur le terrain, certaines caisses ont déjà entrepris de se regrouper, d'autres y travaillent. Les rapprochements se font par fusion directe ou par l'intermédiaire de fédérations de caisses qui peuvent ensuite fusionner. Beaucoup de mouvements ont lieu à l du départ à la retraite d'un des directeurs des caisses concernées. Pour le cédétiste Hervé Grall, « systématiser le discours sur les regroupements n'est pas pertinent. Mais fédérer des caisses avec un audit à l'appui, en impliquant les gens, l'est. Il est plus facile de gérer les ressources humaines dans une caisse de 1 000 personnes que dans une caisse de 100. Tout l'enjeu est de parvenir à ce que les caisses forment leurs salariés et les fassent évoluer ».

Son homologue de FO, Daniel Le Hay, ne partage pas ce point de vue. « Le but de la régionalisation, explique-t-il, est de faire des économies. Sauf qu'on n'a jamais vu dans les regroupements de réelles économies, excepté sur la masse salariale ! » À la CGT, on se montre également très vigilant sur la question. « Après l'euphorie de la RTT, souligne Laurence Fabert, on commence à avoir des craintes pour l'emploi avec les bouleversements dans les structures. » L'organisation syndicale a d'ailleurs déjà exercé son droit d'alerte dans une caisse qui avait omis de consulter le CE sur la question du regroupement. Le malaise est donc perceptible. C'est pourquoi la fédération des employeurs, la Fnemsa, réfléchit aujourd'hui à la mise en place d'un guide de bonnes pratiques afin d'associer les partenaires sociaux au niveau local dans les opérations de regroupement. Sans se montrer dogmatique en matière de fusions, Daniel Lenoir voit dans ce mouvement de concentration un atout supplémentaire pour la gestion du personnel, sans risque réel pour l'emploi. Mais cette bataille-là est encore loin d'être gagnée.

Entretien avec Daniel Lenoir
« Nulle part la mise en concurrence des caisses maladie et des assureurs n'a fait la preuve de son efficacité »

Installé dans son bureau au dixième étage d'une des tours Mercuriales, à la porte de Bagnolet, Daniel Lenoir persiste et signe. Ce haut fonctionnaire de 46 ans (désormais en disponibilité) ne regrette pas une minute d'avoir quitté, en octobre 1997, la direction générale de la Mutualité de la fonction publique pour celle, beaucoup plus exposée, de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole. Candidat de dernière minute, cet énarque diplômé de sociologie présentait le profil idéal. Ingénieur agronome de formation et ancien numéro deux de l'Inspection générale des affaires sociales, il a pu immédiatement s'atteler au rétablissement financier d'un organisme sévèrement épinglé par la Cour des comptes. Une étape obligée avant de prétendre redorer le blason du régime de Sécurité sociale des agriculteurs et de lui donner une nouvelle impulsion stratégique. Les mouvements sociaux de la rentrée 2001 montrent bien qu'un tel traitement de choc n'est pas allé sans heurt.

Votre plan stratégique pour 2001-2005 se donne entre autres objectifs de regrouper les caisses locales. S'agit-il de réduire les coûts, comme dans le privé ?

Nous n'avons pas la religion des regroupements. L'idée fondamentale est que des caisses trop petites ne peuvent pas avoir de véritable gestion des ressources humaines, des emplois et des métiers. Tout simplement parce qu'elles n'ont pas la taille suffisante pour créer de la mobilité interne et les moyens nécessaires pour manager la ressource humaine et adapter le service à l'ensemble des adhérents, surtout dans un contexte où nous gérons toutes les branches de la Sécurité sociale. Même si l'objectif existe, faire des économies de gestion n'est donc pas le but premier. Elles viendront en plus.

Les craintes syndicales pour l'emploi sont-elles justifiées ?

Il n'y a pas aujourd'hui de risque majeur pour l'emploi. Le vrai risque serait de ne pas bouger. Développer une activité de protection sociale suppose aujourd'hui davantage d'expertise juridique, médicale ou informatique, et repose de moins en moins sur des fonctions de production de plus en plus automatisées. Il y aura, certes, une diminution des emplois traditionnels, mais des métiers nouveaux vont être créés. Cela suppose une formation des personnels, mais aussi une gestion prévisionnelle des emplois et des métiers. Un groupe de travail prépare actuellement un rapport afin de déterminer les filières de compétences à développer et les moyens d'y parvenir.

Contrairement aux autres organismes sociaux, la MSA a rapidement mis en œuvre les 35 heures…

Nous avons, en effet, été le premier régime de protection sociale à appliquer la réduction du temps de travail. Cela nous a permis non seulement de répondre au souhait d'anticipation, mais encore de rajeunir la pyramide des âges, en embauchant du personnel que l'on aurait dû de toute manière recruter. Cette négociation nous a aussi permis de prendre date pour la nouvelle convention collective, en abordant la remise en cause de la promotion automatique à l'ancienneté.

Plus généralement, que pensez-vous de cette réforme emblématique du gouvernement Jospin ?

À la MSA, comme dans l'ensemble des entreprises, la mise en place des 35 heures pose des problèmes d'organisation. L'application d'une mesure générale a révélé de manière éclatante la diversité des métiers tout en montrant que le temps de travail est un indicateur extrêmement imparfait de la contribution à l'activité. Mais cela a accru – et le gouvernement doit y être attentif – la fracture entre les salariés et le reste de la société. Nous le ressentons tout particulièrement à la MSA, où nous couvrons les deux populations. Dans le monde agricole, il n'y a pas eu de réticence idéologique aux 35 heures. Mais aujourd'hui il existe un profond sentiment d'inéquité entre salariés et non-salariés. Il ne faut pas que la société française, à dominante salariale, oublie ces derniers.

Que pensez-vous de la proposition du Medef d'introduire une concurrence dans le système de santé entre caisses, assureurs et mutuelles ?

Si je suis d'accord avec l'idée de mettre de la liberté dans le système, je pense également que l'ensemble des acteurs de la protection sociale doit obéir à une logique solidaire. Sinon, la sélection des risques, qui est extrêmement pernicieuse, reprendra le dessus. De fait, il existe déjà une telle sélection sur le territoire, à travers l'offre de soins. En matière de maîtrise des dépenses de santé, la mise en concurrence des caisses maladie avec les assureurs n'a pas fait la preuve de son efficacité. Je crains qu'on ne se retrouve dans une situation à l'américaine où les filières de soins restent marginales dans le système de santé.

Comment faut-il alors s'y prendre pour maîtriser les dépenses de santé ?

Il faut bien entendu une maîtrise des dépenses. Mais on a fait une erreur en ne parlant que de cela. Il faut d'abord un objectif responsable et raisonnable sur la qualité et l'organisation des soins. Les conventions médicales doivent ainsi redevenir ce qu'auraient toujours dû être : des obligations réciproques. C'est aux professionnels favorables aujourd'hui à une évolution du système de santé qu'il revient de juger comment adapter leur organisation et leurs pratiques. Les économies suivront nécessairement car les dépenses inutiles résultent d'un déficit d'organisation. L'évolution des technologies et les problèmes de responsabilité médicale vont les obliger, de toute manière, à mieux coordonner les soins. Si, au niveau local, généralistes, kinésithérapeutes, infirmières, aides-soignants se coordonnent, on évite une multiplication des actes. Lors du « Grenelle de la santé », en juin 2001, notre proposition de rémunérer correctement des professionnels de santé pour assurer des fonctions d'organisation a recueilli un écho favorable, même si elle n'a pas encore eu de traduction législative qui l'initie.

Les perspectives d'avenir des retraites agricoles sont-elles aussi inquiétantes que celles des autres régimes ?

La MSA gère, en réalité, deux régimes de retraite. Celui des salariés agricoles et celui des non-salariés. Notre principal souci est que les retraites agricoles sont beaucoup trop faibles, ce qui pose la question de la nature des revenus de remplacement. C'est pourquoi nous voulons mettre en place un système de retraite complémentaire, même si à long terme cela ne résoudra le problème que partiellement.

Quel est votre point de vue sur la réforme des retraites ?

Dans cette affaire, la MSA partage les sentiments du reste de la société. Il faut à la fois maintenir la répartition et garantir à long terme des retraites. Cela suppose de régler le pic démographique et de mettre en place un mécanisme de solidarité, doté de réserves. Ce que j'appelle avec d'autres de la « répartition provisionnée ». Il est inéluctable aujourd'hui d'équilibrer. Le reste procède d'un choix politique. Certes, il y a des problèmes d'équité entre les différents régimes. Et il faut que cela soit amélioré par des réformes, en faisant toutefois attention à la sociologie des régimes de retraite. On ne peut traiter cette question comme le résultat de vieux corporatismes. Enfin, il faut examiner rapidement le dossier des retraites pour se pencher sur un sujet qui me paraît beaucoup plus essentiel, celui de la dépendance du grand âge. Car, comme pour l'assurance maladie, va se poser la question de l'offre, actuellement inadaptée, mais aussi dans ce cas insuffisante.

Propos recueillis par Denis Boissard, Jean-Paul Coulange et Isabelle Moreau

Auteur

  • Isabelle Moreau