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Politique sociale

En Italie, l'intérim taille des croupières au travail au noir

Politique sociale | ZOOM | publié le : 01.01.2002 | Marie-Noëlle Terrisse

Légalisé en 1998, l'intérim a vite fait son trou dans un pays où le travail au noir palliait jusqu'alors une législation du travail hyperrigide. Après l'industrie, les services y font largement appel. Mais les entreprises de travail temporaire s'inquiètent des projets du gouvernement Berlusconi qui entend doper d'autres formes de flexibilité comme le travail intermittent.

Pour leur prochaine campagne de promotion, les entreprises de travail temporaire italiennes devraient faire appel à Michele. Ce jeune Lombard de 26 ans est le profil type de l'intérimaire heureux. Dès 1998, l'année où est entrée en vigueur la loi Treu légalisant le travail temporaire, il a commencé à enchaîner les missions. Il en totalise aujourd'hui 23 ! « J'ai tout fait : menuisier, plâtrier-peintre, magasinier ou chauffeur, dans le textile, la chimie ou la mécanique. Je préfère passer d'une entreprise à l'autre pour multiplier les expériences et pouvoir me consacrer à ma passion : la musique. » Dans un pays où la législation du travail reste très rigide et où le travail au noir demeure la forme de flexibilité la plus courante, l'intérim a rapidement éveillé l'intérêt des entreprises : 100 000 d'entre elles ont déjà fait appel à des intérimaires. Le marché a progressé de plus de 30 % en 2001. « Nous utilisons le travail intérimaire depuis le premier jour. Pour nous qui travaillons beaucoup sur projet, c'est la solution idéale », se réjouit Alberto Mapelli, country employ relations manager chez Walt Disney Company Italia. La filiale du groupe américain recrute des intérimaires pour lancer une cassette vidéo ou un nouveau journal, mais la société basée à Milan y recourt désormais pour des postes d'assistantes et d'informaticiens.

Sans surprise, ce sont cependant les grandes entreprises industrielles qui constituent le gros de la clientèle des sociétés de travail temporaire installées dans la Péninsule. Grand utilisateur de travail intérimaire, Fiat a même franchi le pas (dans le cadre de sa diversification vers les services) en prenant, en septembre 2001, le contrôle de Worknet, un réseau de 150 agences. Le secteur mécanique et la métallurgie se taillent la part du lion avec plus d'un tiers des missions sur ce jeune marché où les ouvriers restent les personnels les plus recherchés pour faire face aux pics de production.

Mais, petit à petit, hormis le bâtiment et l'agriculture qui n'entrent pas dans le champ de la loi Treu, l'intérim gagne d'autres secteurs : les services, le commerce, voire le secteur public. Il faut dire que les sociétés de travail temporaire n'ont pas ménagé leurs efforts pour convaincre les chefs d'entreprise et les actifs. Dès 1998, Adecco s'est lancé dans une mission d'« évangélisation », comme l'explique son directeur général Carlo Scatturin. Et l'actuel leader du secteur – avec ses 520 agences – a fait appel au cabinet de Gino Giugni, l'un des pères du droit du travail italien, pour assurer la promotion de l'intérim.

Pour satisfaire les besoins de la clientèle, les groupes d'intérim ont créé des divisions spécialisées par secteurs. Adecco a ouvert, par exemple, une filiale spécialisée dans la monture de lunettes dans le district de Belluno, une autre pour la céramique à Sassuolo, une pour les chaussures à Stra, en Vénétie… L'adéquation entre l'offre et la demande n'est pas toujours facile. « Nous utilisons le travail temporaire pour l'organisation d'événements et nous recherchons des profils ayant de fortes compétences techniques et linguistiques, qui semblent difficiles à trouver », explique Silvia Maganza, responsable de la gestion du personnel à la Fiera di Milano, l'organisme gestionnaire de la foire de Milan. La Fiera, qui emploie 275 permanents, a signé en 2000 près de 2 000 contrats hors CDI et, aubaine pour l'intérim, elle a passé l'an dernier un contrat de trois ans avec Obiettivo Lavoro, le numéro trois du secteur. Une coopérative regroupant 418 associés, où se côtoient PME, associations, artisans, sans compter deux des trois grands syndicats italiens, la CISL et l'UIL.

Rude concurrence des CDD

En Italie, les entreprises de travail temporaire sont confrontées à une difficulté structurelle : celle d'un pays coupé en deux entre le Nord industriel, en situation de quasi-plein-emploi, et le Sud, où le chômage est aussi endémique que le travail au noir. Les grands de l'intérim cherchent à contourner le problème en recrutant, quand ils le peuvent, des travailleurs dans le Sud pour satisfaire le Nord. « Il y a deux ans, nous avons monté à cet effet un projet baptisé Iride Risorse qui a déjà concerné 8 500 personnes », explique Maura Nobili, présidente de Manpower Italie. Même démarche pour Adecco : « Nous avons recruté 600 à 700 travailleurs dans le Sud pour les envoyer travailler dans le Nord, indique Carlo Scatturin. Nous leur fournissons un emploi, le gîte et le couvert. Nous avons même loué 200 appartements pour les loger. » Ce qui ne veut pas dire que toute perspective d'embauche dans le Sud est exclue. « 20 % des travailleurs concernés par le projet Iride restent embauchés par les entreprises du Nord. Les autres repartent et une grande partie d'entre eux trouvent du travail dans leur région d'origine, notamment dans les Pouilles », explique en effet Maura Nobili.

Quatre ans après l'entrée en vigueur de la loi Treu, l'intérim affiche donc un bilan positif, comme en témoigne la croissance à deux chiffres du secteur. Reste que les entreprises de travail temporaire s'inquiètent des projets du gouvernement Berlusconi. Le Livre blanc sur l'emploi présenté à l'automne devrait déboucher prochainement sur un projet de loi controversé. Certaines des mesures qu'il préconise font l'unanimité parmi les professionnels : les agences d'intérim devraient en effet pouvoir se lancer dans la formation, la sélection, voire le placement. Mais elles voient en revanche d'un œil méfiant la remise à plat de tous les instruments de flexibilité et le lancement de nouveaux moyens comme le travail intermittent et le travail sur projet.

« Les CDD ont été fortement libéralisés. Nous réclamons les mêmes possibilités pour le travail intérimaire, qui ne peut encore être utilisé que dans trois cas de figure : les remplacements, les pics de production ou le besoin de nouvelles qualifications », explique Alessandro Brignone, directeur général de l'AILT, l'une des deux associations professionnelles des sociétés de travail temporaire. « Toutes ces solutions risquent de se cannibaliser entre elles », renchérit Enzo Mattina, président de Confintérim, la seconde association qui regroupe une cinquantaine d'adhérents. Maura Nobili, la présidente de Manpower Italia, est encore plus virulente : « Je suis pour le moins étonnée par les propositions du gouvernement. On met l'intérim sur le même plan que d'autres formes de flexibilité, comme si personne n'avait pris en compte les résultats que nous avons déjà obtenus. De plus, la compétition n'est pas honnête puisque les agences d'intérim sont soumises à une série de réglementations qui ne s'appliquent pas à d'autres intermédiaires. »

Leur carte maîtresse ? Elles prennent en charge les formalités administratives d'embauche. « Nous recrutons environ 40 intérimaires chaque mois, pour un effectif de 290 salariés, constate Renato Zelioli, directeur du personnel du producteur de fromages Auricchio. Si je devais gérer autant de dossiers en CDD, il faudrait que je prenne quelqu'un pour m'aider. » Un avantage inestimable dans un pays où la bureaucratie reste le cauchemar des entreprises !

Un rôle social affirmé

En Italie, l'intérim permet à beaucoup de jeunes de trouver un premier emploi. 40 % des intérimaires ont en effet moins de 25 ans, et l'âge moyen est de 30 ans. Massimo, 23 ans, travaille à Palerme comme opérateur de centre d'appels pour TIM, géant italien de la téléphonie mobile. « Cela fait trois ans que je travaille pour TIM. Je me suis forgé une expérience d'autant plus appréciable que cette entreprise est reconnue dans le “customer care”. » Son contrat expire ce mois-ci mais il est convaincu qu'Adecco va lui trouver une autre mission. Pour les femmes revenant sur le marché du travail après une maternité ou les salariés victimes d'un licenciement, le travail temporaire est aussi devenu une planche de salut.

« C'est la première fois en Italie qu'une organisation leur trouve du travail », commente Guido Angelantoni, président de Worknet, filiale de Fiat. Adecco a constitué une fondation pour l'égalité des chances qui s'adresse à des publics spécifiques : chômeurs de longue durée, anciens sportifs, salariés de plus de 40 ans… L'intérim représente également une voie d'intégration pour les immigrés. Obiettivo Lavoro compte 112 nationalités différentes.

La légalisation de l'intérim a aussi permis de réduire le travail au noir. Dans les questionnaires que Manpower fait remplir aux candidats, 80 % d'entre eux cochent la case travail au noir au titre de leurs expériences passées.

Auteur

  • Marie-Noëlle Terrisse