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Politique sociale

Ces entreprises qui sponsorisent les syndicats

Politique sociale | ANALYSE | publié le : 01.01.2002 | Anne Fairise

Axa fait des émules. C'est en 1990 que l'assureur créait son fameux chèque syndical. Aujourd'hui, que ce soit sous forme d'un chèque versé par les salariés à l'organisation de leur choix ou d'un forfait alloué au prorata des résultats électoraux, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à subventionner le syndicalisme.

C'est un rituel bien rodé chez Axa. À l'automne 2001, pour la troisième fois en dix ans, direction et syndicats ont rouvert l'épais dossier du droit syndical. « Il s'agit de compléter l'accord de 1990, renégocié en 1998, notamment sur l'accès des syndicats à l'intranet », précise Michel Estimbre, directeur des relations du travail du géant de l'assurance. Pas question, en revanche, de revenir sur le financement des syndicats par l'entreprise : aucune des organisations, hormis FO (non signataire de l'accord), ne souhaite voir disparaître cette manne. Rien qu'en 2001, leurs trésoreries ont été renflouées à hauteur de 492 900 euros. Premier syndicat du groupe, la CFDT a empoché 207 095 euros. « Si l'on s'en tenait aux cotisations des adhérents, nous n'irions pas loin. Plus de 90 % sont reversés à la fédération et à la confédération », remarque Dominique Orsal, le délégué central. Pas de quoi payer les déplacements, les formations des 440 élus de la section ou les études. Sans compter l'organisation de l'assemblée générale qui réunit tous les deux ans une centaine de militants. Tous défrayés, évidemment.

Fini le temps où Axa, première entreprise à financer ouvertement ses sections syndicales, constituait l'exception. Célébré comme une innovation sociale par les uns, conspué par d'autres parce qu'il entérine, selon eux, une perte d'autonomie des syndicats, placés sous perfusion patronale, cet accord a fait, depuis, des émules. Bon nombre de groupes allouent un budget de fonctionnement à leurs syndicats dans le cadre d'un accord d'entreprise. Plus ou moins généreux et avec des modalités différentes. Axa répartit près de 945 000 euros entre ses salariés sous forme de chèque syndical. À charge pour eux de le donner à l'organisation de leur choix. Casino, Renault et le Crédit lyonnais attribuent une somme forfaitaire, abondée d'une part variable au prorata des résultats électoraux. L'assureur Generali et Total FinaElf s'en tiennent au seul forfait ; et PSA, au crédit annuel versé sur justificatif de dépenses. Certaines entreprises commencent même à aider des structures syndicales extérieures. En 2000, Renault a été la première entreprise privée à accorder une subvention de fonctionnement aux fédérations de la métallurgie justifiant d'au moins 5 % des voix aux élections de ses comités d'entreprise !

Le financement syndical par les entreprises commence donc à entrer dans les mœurs. « Il y a eu un changement d'attitude des deux côtés, souligne le consultant Hubert Landier. Les directions d'entreprise ont évolué vers un jeu plus contractuel et les syndicalistes sont plus sensibles à leurs moyens d'action. » Qui s'amenuisent proportionnellement à la chute du nombre de leurs adhérents (à peine 5 % des salariés du privé). Côté directions, on fait valoir la transformation permanente des entreprises, la création de nouvelles instances, comme les comités de groupe, ou simplement la nécessité de rénover le dialogue social. « Si l'on veut des organisations syndicales fortes, capables de fonctionner dans un nouvel environnement, il faut être cohérent. Le financement est un outil parmi d'autres, avec les moyens matériels ou le temps mis à la disposition des syndicats », commente Jean-Christophe Sciberras, directeur des relations sociales de Renault. « Avec les fusions et restructurations, la négociation collective a pris une dimension nouvelle. Les directions se sont aperçues qu'elles ont besoin d'interlocuteurs mieux formés », note Régis Versavaud, secrétaire de la Fédération CFDT des services, en pointe sur le financement syndical.

La menace des emplois fictifs

Des affaires comme celle de la caisse de prévoyance CRI qui finançait des permanents syndicaux (voir encadré, p. 36) ou encore la multiplication des procès pour discrimination syndicale intentés aux entreprises ont favorisé cette révolution. « Beaucoup de directions ont aujourd'hui le souci de cadrer et de normaliser les pratiques antérieures avec les syndicats, en interne comme en externe », note Jean-François Amadieu, coauteur de la Démocratie sociale en danger (éd. Liaisons). Impossible, désormais, d'autoriser le détachement de permanents auprès de leur fédération en continuant à les salarier, sous peine d'accusation d'emploi fictif. Cette transparence permet également aux entreprises d'en finir avec le financement obscur des syndicats par les CE. Téléphone, photocopie, courrier : les CE permettent souvent aux élus de dégager des moyens pour les activités syndicales. Mais, surtout, l'obligation de verser 0,2 % de la masse salariale pour le fonctionnement du CE constitue une véritable manne dans les grands groupes. « Il existe même des accords tacites entre organisations syndicales pour se répartir les moyens alloués au fonctionnement du CE. Mais, souvent, le syndicat majoritaire en profite seul », souligne un syndicaliste de l'assurance.

Paix sociale contre subventions

Si la question du financement continue de faire débat, rares sont désormais les syndicalistes refusant les subsides patronaux. Ce que Force ouvrière fait pourtant dans l'assurance, en accusant le financement de « dévoyer les relations sociales » et d'introduire une politique de donnant-donnant par laquelle les entreprises échangent la paix sociale contre des subventions. Une attitude qui n'est pas celle de la confédération. « Nous ne sommes pas contre un financement des sections par l'entreprise », tranche Roland Houp, trésorier national. Même la CGT, qui avait initialement refusé de signer un accord chez Casino et Axa, est revenue sur ses positions. « Nous avons eu un débat sur la manière dont cela pouvait influer sur nos pratiques. Puis nous avons opté pour la transparence en créant une commission financière de contrôle. L'ensemble des sections CGT du groupe décide de l'affectation des fonds », explique Thierry Ménard, délégué central CGT chez Casino. Signe de l'évolution des mentalités, la section déplore aujourd'hui que le forfait de 30 490 euros alloué aux sections syndicales n'ait pas été réévalué ni indexé sur le coût de la vie !

Même critique chez PSA à propos du crédit annuel de 6 000 euros. « C'est peu. Le financement, comme les moyens en heures, ne sont pas à la hauteur d'un groupe de 84 000 salariés. Mais c'est une première remise à plat après les affaires de discrimination syndicale », commente la CGT.

Plus que sur le cash, c'est sur le « financement indirect » (heures de délégation, etc.) que les syndicats sont très chatouilleux. Chez Renault, la CGT, majoritaire, a été le seul syndicat à ne pas signer, en juin 2000, l'accord sur la représentation du personnel. « On n'a même pas discuté le montant du financement, à savoir 45 735 euros, auquel s'ajoute une part variable au prorata des résultats électoraux », note Philippe Martinez, délégué central cégétiste. Selon la CGT, le texte favorise les permanents – secrétaire du comité central d'entreprise et délégués centraux peuvent exercer leurs responsabilités à temps plein – mais limite à quinze heures par mois le mandat des délégués du personnel. Les calculs ont été vite faits. « Au moins soixante mille heures de délégation du personnel perdues. La direction favorise un certain syndicalisme, institutionnel. Or nous défendons un syndicalisme ancré dans l'activité de terrain », indique Philippe Martinez.

Au Crédit lyonnais, c'est la CFDT qui a été la seule à refuser de signer l'accord de rénovation sociale de juillet 2001. Motif ? La limitation du nombre de comités d'établissement à 9 (contre 50 avant) et par conséquent du nombre d'élus, ramenés pour la CFDT de 409 à 91. « On a perdu 35 % en moyens humains et en délégations horaires », dit Patrick Mory, délégué central CFDT. Quant au financement direct, après moult discussions, la direction a fini par panacher somme forfaitaire et au prorata des élections. Mais, déplore le délégué cédétiste, « le montant trop élevé de la somme forfaitaire favorise les petites organisations. Bien que nous pesions un tiers des voix aux élections, nous avons reçu en 2001 60 370 euros, soit seulement 25 % de l'enveloppe financière. La CFTC, qui ne recueille que 7 % des voix, se retrouve avec 15 à 16 % de la subvention ».

Un chèque sur deux « poubellisé »

La question du financement syndical soulève de facto celle de la représentativité. La Cour de cassation a tranché récemment, en donnant raison à la CGT de Cegelec, écartée de la subvention patronale pour ne pas avoir signé l'accord sur le droit social : pas question pour les entreprises de faire le tri entre les organisations signataires ou non de l'accord. Reste que les employeurs font quand même un choix, certains allouant les bénéfices de l'accord aux syndicats représentatifs au niveau national, d'autres à toutes les sections, qu'elles soient ou non confédérées… « La plupart des accords confortent la position des syndicats traditionnels », note Guy Groux, chercheur au Cevipof.

Chez Renault, le syndicat SUD, implanté dans deux établissements, ne bénéficie pas de l'accord sur le financement : l'un des critères d'éligibilité est d'avoir recueilli 5 % des voix aux élections de l'ensemble des CE. « Nous ne voulions pas mettre en place un système de financement qui favorise l'émiettement syndical. C'est le réalisme qui nous a conduits à allouer une somme forfaitaire et une partie variable en fonction des résultats électoraux. Toutes les organisations syndicales n'ont pas les mêmes besoins financiers. Mais elles ont toutes des coûts fixes », estime Jean-Christophe Sciberras. Ce débat sur la représentativité, la méthode du chèque syndical chère à Axa a l'avantage de l'esquiver. Mais le dispositif atypique n'a pas fait florès. À la Scor, la direction l'a abandonné en 1999. « Deux des trois syndicats n'utilisaient guère les sommes attribuées, et celles-ci restaient bloquées sur des comptes », commente Hélène Chazot, la DRH. Pour Michel Estimbre, directeur des relations du travail d'Axa, cela reste néanmoins « une formule innovante qui encourage la démocratie citoyenne dans l'entreprise. Car le versement relève d'un acte volontaire des salariés ». C'est aussi l'occasion pour les organisations syndicales de mesurer directement leur audience… Reste qu'en 2001 près d'un chèque sur deux a été « poubellisé », comme on dit dans le langage maison. Le taux de collecte est inférieur au taux de participation aux dernières élections. Et certains syndicats, CFTC et CGT, préféreraient un financement direct.

« Le financement n'est pas la disposition la plus importante des accords sur le droit syndical », estime Emmanuel Couvreur, délégué central CFDT Renault. L'essentiel porte davantage, selon lui, sur les mesures garantissant aux représentants du personnel une évolution professionnelle et salariale équitable. « C'est la condition du rajeunissement des effectifs syndicaux et de leur développement. » En clair, le financement par les entreprises ne résoudra pas la crise d'un syndicalisme français en manque cruel d'adhérents et de militants.

Une réforme a minima

La réforme du financement des syndicats ne verra pas le jour. Matignon, suivant les conseils du ministère de l'Emploi et de la Solidarité qui a engagé, depuis l'été, une concertation avec les confédérations syndicales sur ce sujet explosif, a arbitré en faveur de mesures limitées. Seules des dispositions consensuelles, fiscales et financières, ont été intégrées dans le projet de loi de finances rectificative pour 2001. Quant au projet de loi gouvernemental en cours d'élaboration, qui avait pris comme point d'accroche les ambitieuses propositions d'Henri Emmanuelli et de Jean Le Garrec – un financement public des syndicats basé sur les résultats électoraux et une cotisation obligatoire des entreprises –, il est renvoyé à plus tard. « À condition de trouver une solution sur ce sujet », notait Élisabeth Guigou. Prudente car cette réforme soulève celle de la représentativité syndicale, sujet tabou pour FO, la CFTC et la CFE-CGC.

Voilà le modeste aboutissement du processus engagé il y a un an. Échaudées par l'affaire de la Caisse de retraite interentreprises (CRI) – où l'Igas a révélé en 2000 un « système de financement direct ou indirect » des cinq syndicats sous forme de salaires versés à des permanents – et par la mise en examen de deux fédérations CFDT et FO dans l'enquête sur les emplois fictifs à la Mnef, les confédérations (CFDT exceptée) avaient appelé l'État à l'aide pour assainir la situation, demandant « un cadre légal » et des moyens supplémentaires pour leurs missions d'intérêt général. En attendant, l'artisanat a pris les devants. Mi-décembre, l'Union professionnelle artisanale (UPA) et les cinq centrales ont signé un accord sur le financement du dialogue social, prévoyant un prélèvement obligatoire de 0,15 % de la masse salariale des entreprises artisanales à partager, à égalité, entre syndicats et patronat. Un accord jugé scandaleux par le Medef et la CGPME.

Auteur

  • Anne Fairise