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Enquête

PLANS SOCIAUX LE CASSE-TÊTE DES RECLASSEMENTS

Enquête | publié le : 01.01.2002 | Valérie Devillechabrolle, Anne Fairise, Marc Landré

Après la restructuration, que sont devenus les salariés licenciés par Levi's, les chantiers navals du Havre et l'UCB ? Presque tous les anciens des ACH ont été recasés à l'extérieur, les trois quarts de ceux de la filiale de Paribas sont reclassés dans le groupe, et seule une petite moitié des ouvrières du textile ont retrouvé un point de chute… Les leçons de trois plans sociaux.

La trêve des confiseurs a eu un goût bien amer pour les salariés de Waterman. Alors que les parures de stylos scintillaient dans les vitrines, le fabricant français a annoncé, juste avant Noël, une centaine de suppressions d'emplois dans son usine nantaise, allongeant du même coup la liste des plans sociaux décidés en 2001. Danone, Marks & Spencer, Moulinex ou Bata : à chaque fois le scénario est le même. Les salariés occupent le devant de la scène. Ils arrêtent les trains, occupent les péages, défilent dans les communes concernées ou devant le siège de leur groupe… jusqu'au moment où direction et syndicats finissent par s'entendre sur le montant de la prime de départ. Un chèque avec quatre ou cinq zéros, qui demeure souvent le principal sujet de revendication des salariés. Bien plus que les mesures de reclassement. Dès que les plans sociaux sont bouclés, la mobilisation cesse et les caméras se détournent. Les salariés licenciés retombent alors dans l'anonymat, sans que plus grand monde ne se préoccupe de leur sort…

Ce que deviennent les victimes des restructurations ? Liaisons sociales Magazine a voulu le savoir, en enquêtant sur le terrain dans trois entreprises qui ont, il y a deux à trois ans, procédé à une opération de dégraissage. Cas extrême, la première, les Ateliers et Chantiers du Havre (ACH), a purement et simplement fermé ses portes en octobre 2000, après avoir licencié 1 millier de salariés en un an. L'ardoise a été aussi très lourde à La Bassée, dans le Nord, où Levi Strauss s'est séparé de 536 personnes, en majorité des femmes, en mars 1999. Quant à l'Union de crédit pour le bâtiment (UCB), spécialisée dans le crédit immobilier, elle a subi en 1998 sa sixième restructuration en huit ans. Avec, à la clé, 265 emplois supprimés ou transférés.

De ces trois exemples, on peut tirer des enseignements communs. D'abord, les primes de licenciement âprement négociées (et qui ont atteint jusqu'à 360 000 francs par personne aux ACH) ne résolvent pas grand-chose. Elles permettent, certes, de faire tomber la tension et d'amortir le choc d'un plan social, mais elles endorment les salariés. Avec le risque, comme le souligne Gilles Fournier, l'ancien P-DG des ACH, qu'ils « se réveillent quelque temps plus tard avec la gueule de bois, faute de s'être recasés ». À l'instar de certaines « petites mains » de Levi's qui se retrouvent aujourd'hui, près de trois ans après le début des reclassements, en fin de droits aux Assedic. « Ces primes permettent surtout à certaines entreprises de faire endosser aux seuls salariés la charge de leur reclassement », commente sans nuance Jean-Philippe Sennac, du cabinet d'expertise comptable A', qui travaille auprès des comités d'entreprise.

Dans l'anonymat des fichiers ANPE…

Outre les primes, les grandes entreprises s'offrent souvent les services d'une antenne extérieure de reclassement pour faciliter le retour à l'emploi des salariés licenciés. C'est certes un « plus », mais le résultat n'est pas garanti. Tous les dispositifs d'accompagnement « s'appuient sur la dynamique individuelle des salariés pour les reclasser », commente Claude-Emmanuel Triomphe, de l'Université européenne du travail. Or ces derniers, bien souvent, se donnent du temps, notamment en cas de versement de grosses primes de licenciement, pour se construire un nouveau projet professionnel. Ce qui, de facto, limite leur implication et les résultats des cellules de reclassement.

Autre leçon de ces plans sociaux, les cellules de reclassement doivent pouvoir travailler dans la durée, notamment dans les cas de reconversion lourde, afin de permettre aux salariés de rebondir. Les « Levi's » n'avaient pas eu le temps de se remettre du choc psychologique de la fermeture de leur usine qu'ils étaient déjà livrés à eux-mêmes. Après dix mois d'accompagnement par un cabinet spécialisé en reclassement, beaucoup se sont perdus dans l'anonymat des fichiers ANPE. Tous les experts en conviennent : le temps de l'accompagnement est primordial. « Vous commencez toujours par reclasser les plus jeunes, les plus qualifiés et les plus mobiles, explique Jean-Pierre Lombard, de la Sodie, spécialisée dans la reconversion industrielle. Mais, au bout d'un certain temps, il reste à gérer les plus anciens ou les moins polyvalents. Et leur trouver une solution ne se fait pas en quelques mois. » Aux ACH, deux ans et demi après la signature du plan social, la cellule de reclassement suit toujours une quarantaine de personnes (aujourd'hui en intérim, en CDD ou en formation). Neuf d'entre elles, seulement, n'ont toujours pas de perspective et sont aujourd'hui sans solution de reclassement. Enfin, à l'UCB, la mise en œuvre sur deux ans du plan social a permis d'augmenter les opportunités de reclassement interne tout en tirant au maximum parti des possibilités de départ en préretraite.

Tout cela n'est rendu possible que si la direction de l'entreprise s'implique dans le suivi du plan. Et si les organisations syndicales s'investissent dans la négociation des conditions d'exécution. Chez Levi's, la direction s'est allouée les services d'un cabinet de reclassement sans s'intéresser outre mesure au reclassement des salariés. À la différence de l'UCB où, sous la pression des syndicats échaudés par l'échec des plans sociaux précédents, l'entreprise s'est mobilisée pour offrir un reclassement interne à tous ceux qui, en raison de leur âge ou de leur qualification, n'avaient aucune chance de retrouver un emploi à l'extérieur. Les dirigeants des ACH, quant à eux, se sont impliqués dans le développement d'un nouveau « pôle industriel et naval » au Havre, qui a permis à un bon nombre de salariés de retrouver un emploi dans un secteur proche du leur.

Un bilan rarement à la hauteur

Exiger un nombre d'offres valables d'emploi pour chaque salarié – comme cela a été le cas dans les trois entreprises – ne suffit pas à assurer le succès du reclassement. « Nul ne peut inventer un marché de l'emploi qui n'existe pas ou se substituer à des recruteurs qui mettent des freins à l'embauche », souligne une spécialiste de l'outplacement. À titre d'exemple, le taux de chômage atteignait 16,5 % dans le bassin d'emploi lensois au moment de la fermeture de l'usine Levi's, et 18 % au Havre lors du naufrage des ACH. « Lors de la négociation d'un plan social, il est dangereux de faire rêver les salariés en leur garantissant la présentation de plusieurs offres d'emploi valables, explique Éric Baudoin, qui dirige la branche outplacement de BPI. Suivant le contexte du bassin d'emploi local, ce sont des obligations impossibles à tenir. »

De leur côté, les salariés ne sont pas toujours prêts à accepter un reclassement si les conditions d'emploi sont moins favorables que celles dont ils bénéficiaient. Une difficulté qu'a rencontrée l'UCB dans le cadre de ses reclassements internes. Régimes sociaux, niveaux de responsabilité, rémunérations, il existe en effet d'importants écarts entre les statuts des différentes entités du groupe. Résultat ? Beaucoup de refus des reclassements proposés et de nombreuses frustrations pour les salariés qui ont accepté un poste. Dernier écueil à ne pas négliger, les freins à la mobilité géographique. Les 350 postes offerts par les Chantiers de l'Atlantique, à Saint-Nazaire, aux salariés du Havre n'ont séduit que… 32 anciens des ACH.

Le bilan des plans sociaux est donc rarement à la hauteur des engagements des entreprises et des espérances des salariés. C'est l'une des principales justifications qu'a avancées le gouvernement Jospin pour durcir la réglementation des licenciements économiques dans le cadre de la loi de modernisation sociale, adoptée le mois dernier. Depuis 1997, ce même gouvernement est intervenu en finançant directement certains plans sociaux ou en nommant un médiateur qui veille aux reclassements et à la réindustrialisation des bassins d'emploi. C'est aujourd'hui le cas chez Moulinex, avec la mission confiée à Michel Bove, chargé il y a deux ans du dossier des ACH. Les petites mains de Levi's auraient bien aimé être traitées de la sorte. Et que dire des salariés des PME-PMI, licenciés le plus souvent dans l'indifférence générale ?

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle, Anne Fairise, Marc Landré