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Enquête

LA GALÈRE DE L'UCB POUR RECASER EN INTERNE

Enquête | publié le : 01.01.2002 | Valérie Devillechabrolle

Échaudés par l'expérience de six restructurations en huit ans, direction et syndicats de l'UCB, filiale de l'ex-Paribas, se sont mobilisés pour jouer la carte des reclassements internes. Pari réussi, en dépit des difficultés pour trouver des postes dans le groupe et les faire accepter.

Thierry Bidon est aujourd'hui un salarié « heureux ». Douché, au cours de l'été 1998, par l'annonce de la sixième restructuration – en huit ans – de l'Union de crédit pour le bâtiment (UCB), une ex-filiale de Paribas spécialisée dans la vente de crédit immobilier, ce conseiller commercial, alors âgé de 32 ans, décide de « tirer un trait ». Autrement dit, de tenter sa chance à l'extérieur plutôt que d'attendre un reclassement interne. « Quel que soit le poste qui m'aurait été éventuellement proposé sur Nantes, je ne souhaitais pas quitter ma région d'origine », assure ce jeune célibataire bordelais. Profitant des opportunités d'un plan social plutôt généreux, il a été placé en disponibilité totale afin de rechercher un nouveau job, avec l'aide d'une antenne emploi extérieure. Thierry s'est démené pendant dix mois pour décrocher des entretiens. Jusqu'à son licenciement officiel en juillet 1999… pour cause d'embauche en CDI, à la Mutualité sociale agricole de Gironde. Moyennant quelques concessions : Thierry a en effet perdu l'équivalent de 2 000 francs par mois depuis que l'UCB a cessé – au bout de deux ans – de compenser la différence entre son salaire actuel et sa rémunération précédente. « C'est le prix à payer pour un job intéressant me permettant de concilier vie privée et vie professionnelle. »

Victime de la même restructuration que Thierry, Agnès Fino-Barraco n'éprouve aucun regret non plus. Officiellement licenciée en juin 2000, cette salariée chargée du recouvrement amiable à l'agence de Villeurbanne a bénéficié auparavant d'un congé individuel de formation d'un an afin de préparer en toute sérénité un concours d'enseignement. Elle parcourt aujourd'hui 200 kilomètres par jour, à raison de trois fois par semaine, pour enseigner la vente au lycée professionnel de Lons-le-Saunier, dans le Jura. « Avec l'autoroute, c'est jouable », estime cependant cette jeune mère de famille âgée de 37 ans. Cette contrainte n'est rien en comparaison de ce qu'elle craignait d'endurer en acceptant le poste de commerciale sur Lyon que lui proposait l'UCB : « Entre le sentiment de recommencer de zéro sur le plan professionnel et le changement de culture d'entreprise perceptible à l'UCB, je me serais sentie très mal… », confie-t-elle.

Éviter les drames connus dans le passé

Thierry et Agnès font figure d'exception. « Ces départs ont surtout concerné les jeunes et les personnes motivées qui avaient un projet concret », indique Daniel Duclos, un représentant SNB-CGC du personnel qui a participé à la commission paritaire de suivi installée dès le début du plan social. Selon les derniers décomptes réalisés en septembre 2001, ces reclassements externes n'ont finalement intéressé qu'une vingtaine de personnes sur les 265 salariés initialement concernés par cette restructuration. Un plan qui portait non seulement sur la fermeture des centres administratifs de Bordeaux, Marseille et Villeurbanne, mais également sur le transfert d'une centaine de postes du siège social de Rueil-Malmaison, en région parisienne, vers la nouvelle plate-forme téléphonique créée à Nantes. Pour le reste, juge l'ancien secrétaire du CE, Guy Gabriel, « nous avons limité les dégâts, car cela aurait pu beaucoup plus mal se passer ». Seuls… deux salariés ont connu un licenciement sans reclassement. « En raison de spécificités individuelles », précise Guy Gabriel. A contrario, plus de 150 personnes ont fini par retrouver un poste en interne, dont plus d'une trentaine au sein de l'ex-groupe Paribas. Au regard de la population visée par le plan, composée majoritairement de femmes peu qualifiées et d'une assez grande ancienneté, les partenaires sociaux de l'UCB ont préféré jouer à fond la carte des reclassements internes. « Nous voulions à tout prix éviter que ne se reproduisent les drames personnels vécus par certains licenciés économiques au cours des années précédentes », explique Guy Gabriel. Après avoir accompagné pas moins de sept plans sociaux et vu disparaître plus de la moitié des emplois de l'UCB en dix ans, le secrétaire du CE de cette société de crédit tombée en 1999 dans l'escarcelle du nouveau groupe BNP Paribas vient à son tour de partir en préretraite à l'automne. Quant à Didier Chappet, le nouveau secrétaire général de l'UCB, il n'a pas souhaité replonger dans « ces dix années de martyre », préférant « tourner la page »…

Des jeux de taquins

Sur le strict plan arithmétique, le bilan est flatteur pour la direction et les syndicats qui se sont scrupuleusement mobilisés pour accompagner individuellement chaque salarié jusqu'à l'achèvement officiel du plan, près de trois ans après son lancement, à l'automne 1998. « Au bout de six à huit mois, 80 % des situations avaient déjà été réglées », se félicite un consultant proche du dossier. Un tel résultat n'aurait sans doute pas été possible sans le plan social concocté par la direction et unanimement jugé « exemplaire ». Sauf qu'il aura fallu « cinq mois de bagarres et la menace d'un recours juridique embarrassant pour l'UCB », tient toutefois à préciser Martine Tasso, déléguée CGT du personnel. Exemple de mesure généreuse : le dispositif de préretraite maison qui a permis à plus d'une centaine de salariés de bénéficier d'une porte de sortie acceptable. « Pour saturer le dispositif, la direction a non seulement accepté d'élargir ces préretraites aux salariés non officiellement touchés par la réorganisation, mais aussi de descendre l'âge minimal de 56 à 54 ans et de supprimer, pour les salariés de province, le critère concernant le nombre minimal de trimestres de cotisation de retraite exigé », reconnaît Guy Gabriel.

Ces préretraites, combinées à une petite quarantaine de choix de mobilité géographique, ont permis de multiplier les « jeux de taquins ». Ces exercices qui consistent, expliquent les organisations syndicales, à bâtir des cascades de remplacements internes à partir d'un départ. « Ces chaînes n'en restent pas moins très difficiles à construire », commente Guy Gabriel. Au point que « les salariés ont bien souvent été obligés de prendre leur bâton de pèlerin pour se trouver eux-mêmes un poste d'accueil », souligne Pierre Defrance, le représentant CFTC. « Les salariés ne se rendent pas toujours compte à quel point un reclassement interne équivaut à une nouvelle embauche et ne leur épargne pas la nécessité de se vendre », reprend le consultant. A fortiori lorsque ces reclassements se sont opérés au niveau du groupe Paribas. Et en dépit du coup de poing sur la table de l'ancien patron de Paribas, André Lévy-Lang, destiné à faciliter l'accueil des anciens de l'UCB. « On s'aperçoit que les reclassements intragroupe ne se sont jamais pratiqués de gaieté de cœur car, en réalité, personne n'est prêt à accueillir les collègues », note, un brin fataliste, Guy Gabriel.

Il est vrai aussi que les salariés de l'UCB ne se sont pas toujours précipités vers les autres sociétés du groupe : « Nous avons essuyé des refus de reclassement dus aux niveaux de salaires ou de responsabilités proposés dans les autres sociétés du groupe », reconnaît Martine Tasso, de la CGT. Certains, qui avaient initialement accepté leur mutation, ont finalement demandé à exercer leur droit de retour à l'UCB. À l'instar de cette salariée de Villeurbanne spécialisée dans le recouvrement qui s'est vu proposer un poste au Cetelem, la filiale spécialisée dans le crédit à la consommation de Paribas : « Confrontée à des méthodes de travail différentes et à une très forte pression sur les objectifs, elle n'a pas tenu », raconte Martine Tasso. Elle est finalement titulaire d'un poste de recouvrement à Rueil.

Des coefficients très élastiques

Les partenaires sociaux ont dû se livrer à quelques contorsions pour faire accepter les emplois proposés. En particulier pour résoudre la situation des salariés qui travaillaient dans les antennes fermées en province. Comme chaque personne était censée bénéficier de deux propositions « acceptables », c'est-à-dire sans baisse de salaire et situées à proximité géographique du précédent poste, les négociateurs ont triché avec les coefficients. « Nous avons élargi les fourchettes de coefficients, raconte Guy Gabriel. Par exemple, pour des salariés ayant une affectation correspondant au coefficient 500 de la grille maison et pouvant aller jusqu'à 800 en fin de carrière, qui se sont retrouvés sur des emplois plafonnés à 500. » À l'instar de cette ancienne chargée d'études qui, afin de rester à tout prix dans le sud de la France, a hérité d'une place d'accueil commercial des particuliers, dont la rémunération est théoriquement inférieure de 35 000 francs par an, hors ancienneté. Quant à la direction de l'UCB, elle aurait, selon les syndicats, fait miroiter quelques promotions pour faciliter les transferts vers la nouvelle plate-forme téléphonique. Reste que Nantes apparaît aujourd'hui bien loin du siège et que « nombre de ces volontaires se retrouvent à tourner en vase clos, sans aucune perspective de carrière », relève Martine Tasso, la déléguée cégétiste.

Sans illusion sur leurs chances de retrouver un emploi à l'extérieur, d'autres salariés ont accepté une mobilité géographique harassante afin ne pas quitter leur région d'origine. Mais il est vrai que le plan social prenait en charge, outre les frais de déménagement et d'installation, les autres dépenses générées par ces allées et venues hebdomadaires pendant trois ans, à savoir : le second loyer, l'aller-retour du week-end, voire le passage à temps partiel. Une ancienne salariée de Villeurbanne effectue ainsi chaque semaine depuis deux ans le trajet entre Dijon et le siège de Rueil.

Rancœur et démotivation

« C'est physiquement très difficile et cela le deviendra bientôt financièrement lorsque l'aide s'arrêtera. Mais ça vaut toujours mieux qu'un licenciement au bout de trente ans… », assure une employée, échaudée par le sort d'anciennes collègues licenciées en 1992 et restées sans travail depuis près de dix ans. D'une façon générale, ces turbosalariés « se sont créés des situations physiques et familiales difficilement tenables », constate Bernadette Nerré, représentante de la CFDT. Elle songe au cas d'une mère de famille élevant seule ses deux enfants qui a malgré tout tenté de faire quotidiennement le trajet d'Amiens à Rueil. Et qui est aujourd'hui en arrêt pour longue maladie.

« Au bout de deux ans, toutes ces frustrations génèrent une rancœur et une démotivation non négligeables », observe Guy Gabriel. Les organisations syndicales sont néanmoins conscientes des efforts consentis par la direction. « En comptabilisant les embauches que l'UCB a été obligée de réaliser sur Nantes et les sureffectifs temporaires acceptés, c'est tout juste si nous n'étions pas plus nombreux à la fin du plan qu'au début », admet ainsi un représentant du personnel. Coïncidence ? Un septième plan social, composé essentiellement de préretraites maison, s'est profilé avant même l'achèvement du sixième lancé à l'automne 1998.

Il reste que l'absorption de l'UCB par la BNP, lors de la fusion avec Paribas à l'été 1999, a changé la donne : « Au lieu d'un plan social en bonne et due forme, la BNP réalise des plans d'adaptation à l'emploi qui lui permettent de négocier individuellement des départs et des mutations sans aucune garantie d'équité ni de transparence », observe Martine Tasso, de la CGT. Pour Gérard Legendre, directeur des relations sociales du groupe BNP Paribas, au contraire, « les plans d'adaptation à l'emploi sont bel et bien juridiquement assimilés à des plans sociaux, avec droit de regard du comité d'entreprise. Seule différence, ces plans sont fondés sur des départs volontaires. La précision est d'importance…

Pas de miracles à l'antenne emploi
Du bilan à la recherche d'emploi, le salarié reste acteur de son reclassement

« Nous sommes des facilitateurs, pas des faiseurs de miracles ! » Dès leur première intervention à l'UCB, les animateurs de l'antenne emploi ont tenu à mettre les points sur les i quant aux limites de leur mission. L'intervention de l'antenne emploi se déroule en trois phases.

D'abord celle du bilan, dont le principal avantage, aux yeux de Jean-Jacques Gourier, élu de la CFDT, est de « redonner confiance au salarié anéanti par la restructuration dans ses possibilités ». « Cela nous permet aussi de bâtir des solutions réalistes par rapport à l'état du marché du travail », précise un consultant qui a notamment conseillé à des salariés déjà âgés et prêts à rechercher un emploi à l'extérieur de privilégier un reclassement interne.

A contrario, ce bilan a aussi révélé à une jeune employée « une rigueur de gestion et des potentialités commerciales inexploitées » qui lui ont, par la suite, permis de créer sa propre activité d'assistante à temps partagé destinée à des professions libérales de sa région.

Deuxième étape, « très constructive » aux yeux de Thierry Bidon, un jeune employé de l'UCB embauché à la Mutualité sociale agricole, le réapprentissage des méthodes d'approche du marché du travail. « C'est à ce moment qu'on réalise à quel point on a perdu l'habitude de chercher un emploi », souligne Thierry Bidon, qui ne travaillait pourtant que depuis sept ans à l'UCB. « Le cabinet nous offre aussi un lieu où l'on trouve toutes les facilités matérielles et qui nous permet de conserver une dynamique d'activité », estime pour sa part Agnès Fino-Barraco, qui enseigne aujourd'hui dans un lycée professionnel.

La troisième étape, celle de la recherche d'emploi proprement dite, apparaît toutefois comme la plus délicate. « On s'aperçoit alors que les méthodes des cabinets réussissent pour les salariés très motivés et encore assez jeunes », témoigne Daniel Duclos, élu du SNB-CGC. « Ou encore ceux qui ont déjà un projet bien ficelé », ajoute Jean-Jacques Gourier, de la CFDT, en faisant notamment allusion à une ex-salariée de l'UCB partie ouvrir un gîte rural aux Antilles. « L'outplacement n'équivaut pas à un placement, corrigent les animateurs de l'antenne emploi. Car les salariés restent acteurs de leur reclassement… » Quand ils en ont les moyens.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle