La plupart des entreprises de travail temporaire mettent en place des politiques d'aide au retour à l'emploi en direction des travailleurs handicapés. Reste à vaincre les réticences des personnels des agences d'intérim, des entreprises et des handicapés eux-mêmes.
« En quatre ans, pas une mission d'intérim ne m'a été confiée ! J'étais inscrite dans toutes les agences de Lille, chez Adia, Adecco, Manpower… Aucune n'a pris le risque de me faire travailler. » Reconnue en tant que travailleuse handicapée en raison de son asthme, Denise Payen, 45 ans, a longtemps vu les portes des entreprises rester désespérément closes. « Puis, en avril dernier, j'ai entendu parler de l'agence d'intérim Ettique. Depuis, j'enchaîne les missions », se réjouit-elle, encore surprise qu'une société puisse à nouveau lui confier du travail. Créé en janvier 2001 par des professionnels de l'insertion des travailleurs handicapés, Ettique (Entreprise de travail temporaire d'insertion et de qualification pour l'emploi) leur est exclusivement dédié.
Dans le paysage de l'intérim, cette agence fait vraiment figure d'exception. En France, hormis une association située à Clermont-Ferrand, elle est la seule structure spécialisée tournée vers les travailleurs handicapés. Adia, Manpower, Adecco, VediorBis, n'ont jamais voulu franchir le pas. « Nous refusons de marginaliser un peu plus ces travailleurs en créant des agences spécifiques. Ce qui importe, ce sont les compétences, pas le handicap », explique Agnès Roche de la Porte des Vaux, responsable nationale du pôle handicap et compétences chez Adecco. « La meilleure chance de trouver du travail pour un handicapé, c'est de pousser la porte de n'importe quelle agence d'intérim », renchérit Yannick Nuris, coordinateur national de la mission handicapés chez Manpower.
Au cours des trois dernières années, la plupart des entreprises de travail temporaire se sont structurées pour accueillir et placer les personnes handicapées. Une politique citoyenne résultant, en partie, de la reprise économique et de la pénurie de main-d'œuvre apparue dans certains secteurs. Les ténors du travail temporaire ont nommé des coordinateurs nationaux chargés de piloter cette nouvelle mission. Certains, à l'instar d'Adecco ou de VediorBis, ont signé des conventions avec l'Agefiph pour afficher leurs bonnes intentions. Les résultats commencent d'ailleurs à se faire sentir. Adecco est devenu le premier employeur privé de travailleurs handicapés en France avec 4 364 intérimaires envoyés en mission en 2000 (+ 35 % par rapport à 1999), soit 1 039 équivalents temps plein. Au cours de cette même année, Manpower a déclaré 1 129 intérimaires handicapés contre 800 l'année précédente ; et Adia, 983 personnes handicapées, contre 400 en 1999.
Dans les grandes agences, l'accompagnement individuel n'est pas aussi soutenu que chez Ettique. « Nous recevons individuellement chaque candidat pendant une heure pour bien cerner son handicap, explique Nathalie Creus, responsable de l'agence Ettique. Puis nous organisons un suivi régulier pendant et entre les missions. Le but est d'aider les handicapés à reprendre confiance en eux dans une situation de travail. » Du sur-mesure que l'intérim traditionnel ne peut se permettre, faute de temps mais également parce que le personnel ne dispose pas d'informations suffisantes sur les handicaps. C'est pourquoi des formations ont été mises en place. « On travaille beaucoup sur les idées reçues. Un handicapé n'est pas seulement une personne en chaise roulante. Le handicap peut être moins voyant. Très souvent les intérimaires que nous faisons travailler souffrent de diabète, d'un mal de dos ou d'une allergie. Le but est de sensibiliser nos permanents à l'accueil de ce public. Les missions qui sont proposées doivent prendre en compte le handicap pour ne pas se solder par un échec », explique Yvette Dufour, responsable national pour Adia.
Manpower a instauré deux jours de formation sur les travailleurs handicapés dans le parcours d'intégration des nouvelles recrues. Chez VediorBis, une journée de formation est prévue pour les permanents. « 2 000 chargés de recrutement, responsables d'agence, délégués commerciaux et chefs des ventes devraient être formés d'ici à l'été », indique Séverine Reboullet, la coordinatrice nationale. Pour motiver ses salariés au placement des handicapés, Gilles Quinnez, directeur général d'Adia, a lancé un concours destiné à récompenser les agents qui auront envoyé en mission des personnes dont le handicap est reconnu par une commission Cotorep.
Parallèlement à ce travail de formation, les agences d'intérim ont également pris leur bâton de pèlerin pour convaincre les entreprises d'accepter en mission les intérimaires souffrant d'un handicap. « Il faut également dédramatiser la situation avec nos clients, souvent réticents à l'idée d'accueillir un travailleur handicapé, avoue Nathalie Creus, de l'agence Ettique. L'intérim peut être un premier pas rassurant. Un chef d'entreprise sait qu'il est possible d'arrêter l'expérience à tout moment. Mais il peut également se rendre compte qu'un travailleur handicapé est aussi compétent qu'une personne valide. »
Les sociétés de plus de 20 salariés, soumises à la loi de juillet 1987, n'ont pas toujours l'idée de faire appel à l'intérim pour répondre à l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés. « C'est Adecco qui m'a soufflé l'idée, reconnaît Salomon Botton, DRH de la société Orange Services. Nous travaillons beaucoup avec les entreprises d'intérim car nous n'embauchons pas de téléconseiller par le biais des petites annonces. L'intérim est une solution efficace pour remplir nos obligations vis-à-vis de la loi, d'autant que nos métiers sont tout à fait accessibles à ces candidats. On peut facilement adapter les postes de travail. » Reste à convaincre les travailleurs handicapés que l'intérim peut être un tremplin pour l'emploi. En 1999, seuls 12,6 % des chômeurs handicapés à la recherche d'un emploi se sont inscrits dans une agence d'intérim contre 31,8 % pour l'ensemble de la population au chômage.