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Le cap des 6 % loin d'être atteint

Dossier | publié le : 01.01.2002 | S. D.

Les handicapés n'ont jamais été aussi nombreux à travailler. Pourtant, leur taux d'emploi stagne à 4 %. En raison de la frilosité des entreprises et de leur manque de qualification. Régions et organismes de formation tentent d'y remédier.

Il y a deux ans déjà que Charlotte Guérin, une jeune chef de produit de 23 ans, a fait son entrée chez Bull. Après un parcours sans faute à l'école supérieure de commerce de Tours, elle est embauchée pour commercialiser l'une des dernières trouvailles de Bull, 3XL, un logiciel destiné aux déficients visuels. Un handicap qu'elle connaît bien, puisqu'elle est elle-même malvoyante. Mais Charlotte a appris à vivre avec sa différence. « Je me suis pris des claques. Mais j'ai des amies qui sont fortes et qui souffrent autant que moi du regard d'autrui », tempère-t-elle. Une intégration exemplaire ? Oui, si l'on en croit une enquête réalisée par la CFDT en novembre 2000 auprès de 1 500 travailleurs handicapés. Elle révèle que seulement 9 % d'entre eux se hissent à des postes d'encadrement. Pourtant, chez Bull, Charlotte Guérin ne fait pas figure d'exception. « Depuis 1993, le groupe a mis sur pied une politique d'intégration en faveur des personnes handicapées. Aujourd'hui, nous en employons près de 200 », explique Étienne de la Bigne, chargé de l'insertion des handicapés. Et Bull n'est pas le seul à vouloir ouvrir ses portes à ces écorchés de la vie. Près de 118 employeurs se sont en effet engagés dans cette voie, en signant un accord d'entreprise ou de branche. Et même si les handicapés ont nettement moins profité de l'embellie économique et du passage aux 35 heures que les autres salariés, ils n'ont jamais été aussi nombreux à travailler. Fin 2000, 604 000 occupaient un emploi, contre un peu plus de 546 000 fin 1999.

L'élan formidable de la loi de 1987

Sur le terrain, des signes encourageants apparaissent. Les entreprises ne ménagent pas leurs efforts pour que leurs salariés devenus handicapés conservent leur poste. C'est le cas, par exemple, de Renault, qui emploie actuellement près de 3 110 handicapés. « Sur nos sites de production, nous voulons maintenir 8 à 13 % de nos travailleurs handicapés dans leur emploi, explique Michel Sailly, responsable de la mission handicapés. En conséquence, chaque fois que nous lançons une nouvelle voiture, nous réalisons une étude ergonomique sur les chaînes de montage pour aménager les postes, le cas échéant. Au pire, si le salarié ne peut vraiment plus assumer sa tâche, nous le reclassons dans le groupe, quitte à lui payer une formation. »

Lentement, les mentalités changent. « La loi de 1987, en obligeant les entreprises de plus de 20 salariés à embaucher des handicapés à hauteur de 6 % de leur effectif, a donné un formidable élan à l'emploi », se félicite Rémi Jouan, secrétaire national à la CFDT et président de l'Agefiph, l'association chargée de la gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées. Ensuite, les associations spécialisées effectuent un travail de fourmi qui commence à porter ses fruits. Exemple, les 118 Cap Emploi qui contribuent largement à intégrer les handicapés dans les entreprises. En 2000, ce réseau a réalisé plus de 42 000 placements, un chiffre en hausse de 19 % par rapport à l'année précédente. Au quotidien, ces acteurs de l'insertion tentent de rallier salariés et représentants du personnel à leur cause. « Depuis plus de quatre ans, un de nos collaborateurs prend son bâton de pèlerin pour expliquer inlassablement les rouages de la loi et décrire la situation des personnes handicapées aux représentants du personnel, raconte Claudine Hebert, directrice du Cap Emploi de Rennes. Au total, il a rendu visite à 130 entreprises en 2000 et rencontré plus de 160 élus du personnel. »

Un tiers des entreprises préfèrent payer

La bataille n'est pourtant pas gagnée, car beaucoup d'entreprises restent rétives. Pour preuve, au niveau national, le taux d'emploi des personnes handicapées stagne à 4 %, 2 points en deçà du quota légal. « La loi de 1987 est un peu trop souple, estime Marie-Paule Istria, consultante indépendante en ressources humaines. Résultat, nombreuses sont les entreprises qui ne font pas l'effort d'embaucher des handicapés. Elles s'achètent une bonne conscience en payant directement une contribution à l'Agefiph. » De fait, sur les 91 000 établissements assujettis, un tiers n'emploient aucun handicapé et préfèrent mettre la main au portefeuille. Fin 2000, 18 % des actifs handicapés – soit 135 000 personnes – pointaient au chômage. Un grand nombre d'employeurs s'imaginent qu'il est difficile d'insérer un handicapé dans une équipe ou un service. Sans compter que les chefs d'équipe et les salariés eux-mêmes ne sont pas toujours très enthousiastes, redoutant d'avoir à faire face à un surcroît de travail.

« Le regard que nous portons sur les travailleurs handicapés est complètement stéréotypé, estime Marie-Claude Giraud, directrice de Handipass, une agence créée par l'ANPE pour reclasser ce public. On pense le plus souvent à des personnes en fauteuil roulant ou à des handicapés mentaux. Mais une coiffeuse allergique aux produits coiffants ou un diabétique sont aussi des handicapés. Nous commençons donc par expliquer aux employeurs que les handicaps sont multiples et qu'intégrer une personne qui en est victime ne sera pas forcément long, coûteux et compliqué. »

Quant aux entreprises citoyennes, qui souhaitent remplir leurs obligations d'emploi, elles se heurtent à de nombreuses difficultés. À commencer par la multiplicité des organismes intervenant dans ce secteur. Entre l'Agefiph, les Cotorep, le monde associatif, employeurs et handicapés ne s'y retrouvent plus. « Le réseau d'aide s'est complexifié. Les acteurs sont devenus pléthoriques, reconnaît Marie-Paule Istria. Mais ils n'ont pas réussi à tisser de véritables liens entre eux et l'insertion n'est pas rendue plus facile. » Autre obstacle à l'emploi des handicapés, les employeurs ont le plus grand mal à trouver les compétences dont ils ont besoin au sein de cette population. « L'une de nos usines recherchait quatre ouvriers. Nous avons fait appel au réseau Cap Emploi et nous n'avons trouvé personne », souligne Michel Sailly, chez Renault. Les meilleures volontés sont parfois découragées. Alain Carric, directeur de l'emploi au sein du groupe Accor, peut en témoigner. « Nous avons signé une convention avec l'Agefiph pour deux ans. Au départ, nous voulions recruter 60 personnes handicapées par an. Mais, devant le manque de candidats, nous avons dû réduire leur nombre à 50. »

Des travailleurs faiblement qualifiés

C'est un fait : les handicapés souffrent d'un manque cruel de qualification. D'après la Dares, 78 % d'entre eux n'ont pas le bac et 31 % n'ont qu'un niveau CAP. Or les entreprises recherchent de plus en plus du personnel qualifié. « Nos métiers exigent un niveau bac + 2 ou + 4 au minimum. Quand je me suis rapproché de Handipass et que j'ai décrit les profils que je recherchais, le chargé de mission m'a pratiquement ri au nez », raconte Étienne de la Bigne, chez Bull. « Pour nous, l'accès au restaurant d'entreprise, c'est un problème facile à résoudre. Mais le manque de qualification et la mobilité réduite des personnes handicapées nous posent vraiment des soucis », ajoute-t-il. Conséquence inéluctable : le gros des actifs handicapés se retrouvent au bas de l'échelle et effectuent des tâches peu valorisantes dans le nettoyage ou la manutention.

C'est pour remédier à cette sous-qualification que l'Agefiph a passé une convention triennale avec l'Afpa en juin 2000. Ojectif ? Accueillir 2 500 handicapés supplémentaires sur trois ans, en plus des 4 500 actuellement formés par l'Afpa. Autre initiative, l'association s'est rapprochée des régions – une dizaine au total – qui se sont dotées d'un schéma de formation professionnelle des travailleurs handicapés, les premiers ayant été lancés au milieu des années 90. Ainsi, en Rhône-Alpes, l'Agefiph a noué des partenariats avec 160 centres de formation (Afpa, Greta, notamment) pour développer l'accès des handicapés à des filières porteuses d'emploi. « Ces personnes doivent, comme tout le monde, accéder aux formations classiques, note François Atger, directeur régional de l'Agefiph. Et, pour mieux accompagner leur insertion, nous avons accueilli 220 personnes dans les centres de formation. » En Bretagne, les résultats se font déjà sentir. Jean-François Ménard, chargé du programme régional, égrène les chiffres comme autant de victoires. « La première année, en 1995, les centres de formation ont admis 500 handicapés ; en 2001, 3 fois plus. Nos enquêtes régulières montrent que les retombées sont positives. En 2000, par exemple, un tiers des bénéficiaires du dispositif ont décroché un CDI six mois après la fin de leur stage et 60 % d'entre eux un CDD. » Heureux présage ? En novembre 2001, l'Adapt, qui œuvre pour l'insertion sociale et professionnelle des handicapés, a organisé avec l'Agefiph la Ve Semaine pour l'emploi des personnes handicapées. Et 1 500 entreprises – un record – se sont inscrites dans les différents forums. Lors de l'édition 2000, plus de 3 400 propositions d'emploi, dont 2 300 en CDI, ont été recueillies en l'espace de sept jours. Et même si la conjoncture a ralenti depuis, des besoins nouveaux se font sentir, notamment dans le télémarketing.

Auteur

  • S. D.