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Débat

Après le rapport du COR, quelle réforme des retraites faut-il mettre en œuvre ?

Débat | publié le : 01.01.2002 |

Avec celui du Conseil d'orientation des retraites, remis début décembre au Premier ministre, pas moins de trois rapports sur l'avenir des pensions auront été rédigés au cours de la législature. Mais, alors que le ratio entre actifs et inactifs devrait bientôt fortement se dégrader, aucune mesure d'ampleur, hormis la création du fonds de réserve, n'a vu le jour. Quelle réforme engager ? Les réponses des experts divergent.

« Il faut donner des marges de choix plus larges sur le moment du départ à la retraite. »

YANNICK MOREAU Présidente du Conseil d'orientation des retraites.

Deux éléments importants doivent être rappelés. D'abord, plusieurs réformes ont déjà été faites. Celle de 1993 ne va pas jusqu'en 2040, mais les mesures prises sont beaucoup plus drastiques que dans un pays comme l'Italie. En outre, la création du fonds de réserve doit permettre, si les gouvernements y consacrent environ 30 milliards de francs par an, de couvrir une partie des besoins de financement supplémentaires entre 2020 et 2040. De nouvelles mesures sont indispensables pour financer environ 4 points de PIB de plus à l'horizon 2040. Mais nous ne partons pas de rien. Il n'est pas nécessaire de faire pratiquer aux Français ou à leurs gouvernements l'autoflagellation.

En second lieu, il faudra non une réforme des retraites, mais un ensemble de réformes pour que la France s'adapte à la modification de sa composition par âges. Il ne servirait à rien de changer l'âge de départ ou la durée de cotisation sans modifier les politiques publiques de l'emploi et la gestion des entreprises et des administrations : il faut que cesse progressivement l'éviction des plus de 50 ans du marché du travail, qui coûte cher à l'Unedic et à l'État. La Commission européenne a fait des politiques d'emploi des salariés de plus de 50 ans un élément essentiel des réformes des retraites.

La concertation a permis de proposer des orientations pour la négociation. Les Français doivent avoir une vue claire sur leur niveau futur de retraite. Il est également important que les efforts soient partagés de manière juste entre les régimes. Sur la manière de mettre en œuvre l'égalité, des divergences existent mais, sur le principe, tous les membres du Conseil sont d'accord. Enfin, il faut donner des marges de choix plus larges sur le moment du départ.

Au-delà de ces orientations, il y a trois clés pour les réformes à conduire. Il faut bien examiner toutes les marges de manœuvre disponibles que nous avons chiffrées : durée de cotisation, redéploiements de financement, financements nouveaux… L'espérance de vie en bonne santé augmente. Beaucoup pensent qu'une partie de ce gain peut être consacrée au travail. Mais il faudrait reculer de neuf ans la prise effective de retraite pour couvrir par cette seule mesure les besoins de financement. Il faut donc tout examiner. La deuxième clé est de continuer le travail d'expertise et de concertation engagé par tous les membres du Conseil d'orientation des retraites à une exception près. La concertation menée de manière régulière prépare les réformes ; la politique de la chaise vide et le dénigrement les compliquent. Cette concertation a permis des convergences notables, ne serait-ce que sur l'ampleur des besoins de financement. Elle n'avait pas à présenter un plan tout fait. C'est pourquoi la troisième clé est la négociation. Pour les régimes de base, une négociation entre l'État et les partenaires sociaux n'a pas pour objectif un accord signé mais est indispensable avant les décisions politiques. Pour les régimes complémentaires, la négociation a pour objet d'aboutir à des accords signés.

La France peut faire face aux besoins de financement des retraites à condition de mener des politiques d'emploi et de prendre les mesures permettant aux Français d'avoir une visibilité sur leur retraite et sur les efforts qui leur seront demandés.

« Un système par points permettrait à chacun d'évaluer son revenu de remplacement. »

DENIS KESSLER Vice-président délégué du Medef.

Le COR vient de remettre un rapport qui confirme pour l'essentiel des éléments bien connus : l'allongement constant de la durée de vie, conjugué à la baisse relative de la taille des générations successives, n'est pas sans incidence sur l'équilibre des régimes de retraite. Pour garantir leur solvabilité à long terme, il faut donc impérativement revenir à la relation fondamentale d'équilibre de ces régimes en agissant sur la relation entre le nombre de cotisants et celui des retraités.

C'est pourquoi le Medef préconise un allongement progressif de la durée d'activité exigée pour l'accès à la retraite au taux plein, cet allongement se faisant d'ailleurs à un rythme moins élevé que l'allongement constaté de l'espérance de vie moyenne. Il faudra donc accepter de travailler un peu plus longtemps, d'autant plus que la durée de versement des retraites continuera d'augmenter. Les seuls qui feignent d'ignorer cette réalité sont les salariés des régimes spéciaux qui cotisent moins que les salariés des régimes privés et qui reçoivent plus grâce à la contribution de tous les contribuables, dont au premier chef les salariés et les entreprises du secteur privé ! On peut facilement comprendre que les syndicats du secteur public défendent ces privilèges, mais on peut moins facilement admettre que ce soit la collectivité des contribuables qui finance les avantages exorbitants du droit commun des régimes publics. En outre, le Medef déplore l'instauration des 35 heures sans redéploiement du temps de travail sur la totalité de la durée de vie active. Il déplore aussi qu'une partie du temps ainsi « libéré » n'ait pas été affectée à la formation des salariés pour maintenir et accroître leur employabilité, condition essentielle à la prolongation de leur activité professionnelle.

Le Medef considère qu'il est urgent et incontournable de rétablir l'équité et l'équilibre dans nos régimes de retraite en généralisant le système par points qui permet à chacun d'apprécier ses perspectives de revenu de remplacement à terme. Il propose en outre de diversifier les choix grâce à l'assouplissement des critères de départ à la retraite en encourageant la prolongation de l'activité et en offrant la possibilité d'adhérer à des fonds de pension comme cela existe chez tous nos partenaires étrangers.

Il est illusoire de penser que la France puisse s'écarter des choix effectués sur les mêmes sujets par nos partenaires européens. Une réforme courageuse de nos régimes de retraite contribuerait à faire converger les dispositifs existant en Europe et accélérerait la mise en place de l'Europe sociale. Le COR avait visiblement comme mission réelle de gagner du temps, jusqu'aux échéances électorales de 2002. Mission malheureusement réussie. L'anesthésie n'est jamais une thérapeutique. Et le réveil n'en sera que plus douloureux. Le COR, dont le rapport est en retrait par rapport à ceux de Michel Rocard et de Jean-Michel Charpin, nous a fait perdre un temps précieux. Le Medef a eu parfaitement raison de ne pas participer à ces discussions qui ont justifié l'inaction.

« L'objectif doit être une progression des pensions au même rythme que les salaires nets. »

PIERRE KHALFA Membre du conseil scientifique de la fondation Copernic.

L'augmentation du nombre de retraités implique, sauf à programmer leur paupérisation, une augmentation de la part des pensions dans le revenu national. L'objectif de toute réforme du système de retraite doit donc être le maintien du niveau actuel des pensions par rapport aux salaires. Or, comme le souligne le rapport du COR, le niveau relatif des pensions du secteur privé devrait baisser de près de 20 % d'ici à 2040. Cette baisse est due, pour l'essentiel, à l'indexation sur les prix de la pension et des salaires servant à son calcul. Éviter cette régression sociale suppose un changement des règles actuelles pour que les retraites progressent au même rythme que les salaires nets.

Dans ces conditions, la part des retraites passerait de 12 % à 18,5 % du PIB en 2040, lequel devrait doubler sur la même période. Cette augmentation ne doit pas nous inquiéter : le poids des pensions s'est accru de plus de 7 points entre 1950 et 1995 sans que cela provoque les cataclysmes que certains se plaisaient à prédire à l'époque.

Pour couvrir cette évolution, une augmentation de 15 points du taux de cotisation lissée sur quarante ans suffirait. Il est difficile de croire qu'elle pourrait mettre l'économie à terre. Le COR évoque d'ailleurs des marges de manœuvre avec les excédents de la branche famille, le maintien du prélèvement RDS après 2015 ou de possibles économies sur les dépenses liées au chômage, en cas de forte baisse de ce dernier. Une vision catastrophique est d'autant moins fondée qu'un rééquilibrage du partage de la valeur ajoutée est tout à fait envisageable. Il n'est pas acceptable de considérer comme pérenne la baisse de 10 points de la part des salaires intervenue ces dernières années. Un tel rééquilibrage a d'ailleurs des effets neutres sur la compétitivité des entreprises s'il est compensé par une baisse des dividendes.

Maintenir le niveau actuel des pensions suppose aussi de refuser tout allongement de la durée de cotisation. Alors que les jeunes entrent de plus en plus tard sur le marché du travail et que les entreprises continuent à se débarrasser de leurs salariés bien avant 60 ans, il sera de plus en plus difficile de cumuler les annuités requises pour avoir une pension à taux plein. L'augmentation de la durée de cotisation est donc une mesure hypocrite qui vise à la mise en place d'une retraite à taux réduit pour le plus grand nombre.

De plus, un allongement de la durée de travail reviendrait à rompre le contrat implicite existant entre les générations. Si les actifs paient les pensions des retraités, en contrepartie, les salariés âgés laissent leur place sur le marché du travail aux nouvelles générations. Cette exigence est d'autant plus forte que le chômage de masse perdure. Décaler l'âge de départ à la retraite revient à préférer entretenir le chômage des jeunes plutôt que de payer des retraites. Le rapport du COR note d'ailleurs le faible impact financier, estimé à 0,3 point de PIB, d'un retour aux 37,5 annuités pour le secteur privé. Une telle mesure permettant de rétablir l'équité avec le secteur public serait juste. Ce serait aussi un symbole fort pour redonner confiance aux salariés dans l'avenir du système de retraite. Et le signe que la catastrophe tant annoncée n'aura pas lieu.